9 la peur de Satan 666 x 3 = 1998

1998 : trente ans après un mois de mai peace and love, l’underground, le vrai, pue méchamment de la gueule. Boosté par le rock black metal, le satanisme gagne de plus en plus d’adeptes.

Fait nouveau : il vire facho.

« Je me suis mise à danser en bousculant tout sur mon passage. Et j’ai dit “In nomine Satanis, Ave Lucifer, Hoathahe Satan. Mort aux chrétiens. Morts aux humains. Je suis le juge, je suis le bourreau. No happiness” », raconte aux policiers, Emilie, profanatrice, en juillet 1996, du cimetière de Toulon. « J’ai créé Funeral (groupe de black metal, NDLR) pour diffuser mes idées, basées (…) sur la pureté de la vraie race aryenne », confiait son compagnon dans le fanzine de black metal Deo Occidi.
Faits : tout au long des années 80, on ne compte en France aucune profanation de cimetière. Le phénomène apparaît discrètement au début des années 90. 1996 : record battu avec trente-sept actes de vandalisme et un branle-bas médiatique autour de la profanation toulonnaise. Le record devrait être battu pour 1997 avec un nouveau pic : les aveux de David Oberdof qui, « inspiré par des sentiments satanistes », avait assassiné à coups de couteau le curé de Kingersheim, dans le Haut-Rhin.
Initiative isolée d’ados paumés ? Pas si simple. Car ce que révèlent les affaires de Toulon ou de Kingersheim, c’est au contraire l’existence d’un réseau transnational, où des groupuscules plutôt autistes correspondent via des envois de cassettes, de CD, de fanzines et de bouquins, relayés par quelques magasins et maisons de disques comme, en France, Osmose Production ou Holy Record. Ce qu’elles révèlent, c’est la montée en puissance d’une jeune scène sataniste rassemblée autour d’un médium commun : le rock black metal. Soit un rock lourd et sombre, mystique et métallique, empli de râles hallucinés et de litanies de possession. Avec des groupes aux noms pas joyeux (Bewitched, Venom, Infernal Torment, Inferno), une presse diffusée en kiosque (Mettalian en France) et une complaisance irresponsable de la part de certains grands magasins et magazines de rock (Hard Metal dressa l’apologie du norvégien Burzum, musicien et meurtrier en prison pour vingt ans et dont les disques se trouvent dans certaines FNAC). Un véritable underground aux maillages confidentiels et qui, parti des Etats-Unis, s’est posé en Suède et en Norvège – où les profanations sont le lot quotidien et où l’on dénombre, depuis 1994, une cinquantaine d’églises brûlées et plusieurs meurtres perpétrés par des musiciens black metal – avant de gagner la planète.
Importante en France, la scène black metal et sataniste tend à se répandre en Europe de l’Est, en Italie, Grèce, Turquie, ou même en Malaisie. On est désormais loin du folklore provoc’ à la Ozzy Osbourne qui, il y a une vingtaine d’années, mariait hard rock et vaticinations occultistes. Loin aussi des bouffonneries batcaves et gothiques qui prolifèrent dans les années 80. Désormais, c’est pour de vrai. Du moins pour une poignée d’activistes violents, clandestins et incontrôlables.

« Le monde parfait serait sans chrétiens et autres faibles d’esprits, tels les arabes et les Nègres… » Baron Moloch

Jean-Yves Camus, membre du CERA(1) et auteur d’une série de bouquins sur l’extrême-droite, est l’un des seuls chercheurs, en France, à s’intéresser de près à cette scène : « Aujourd’hui, constate-t-il, on assiste à un phénomène de contre-culture émergente fondée sur la haine de l’autre, avec des appels au passage à l’acte et surtout un média, la musique, qui permet de lever beaucoup d’argent. Certains disques, comme ceux de Burzum, se vendent à quinze mille exemplaires, le plus souvent par correspondance. Le premier constat, c’est d’arrêter de croire que le rock est essentiellement une musique libertaire. »
Satanisme, combien de divisions ? S’il est difficile de faire la part des choses ente les coquilles creuses et autres boîtes à partouzes (genre Wicca), paganistes, occultistes, lucifériens et véritables adeptes de Satan, on estime qu’en Europe, la scène sataniste compte quelques dix mille membres, d’origines sociales très souvent modestes, et qu’elle est en constante augmentation. Plus grave : apparaît aujourd’hui des liens de plus en plus étroits entre officines d’extrême-droite et groupuscules satanistes. Un chassé-croisé entre des fans du diable en quête de radicalité et des fascistes barrés en un trip orgiaque et décadent. Le meilleur exemple de récupération en France vient du groupuscule Nouvelle Résistance, éditeur du fanzine Napalm Rock (voir encadré). « Le sataniste n’est pas toujours fasciste, constate Camus. Mais sa philosophie se prête aux dérapages. A la base, il y a une haine antichrétienne forte. »

Au-delà du fatras occultiste – déguisement SM, phallocratisme exacerbé, fascinations mortifères – les satanistes se reconnaissent dans un nitzschéisme à la Beavis et Butthead, où seules sont retenues les idées de « force », de « liberté », d’« élite », façon darwinisme social. Le tout mâtiné par une inculture politique crasse façon café du commerce. Ainsi Hervé, le patron d’Osmose Productions, un label fondateur du genre black metal, créé en 1991, déclare dans une interview au fanzine norvégien Nordic Vision : « Je hais les musulmans, je les hais vraiment (…) Les Africains sont des paresseux, ils devraient rentrer dans leur pays. » Plus flippant : dans Deo Occidi, Baron Moloch, membre de l’obscur groupe In Articulo Mortis, semble convaincu qu’un « monde parfait serait un monde sans chrétiens et autres faibles d’esprits tels les arabes et les Nègres… » Dans une époque où, pour le meilleur et le pire, la fascination pour le « côté obscur de la force » (IAM) se banalise – de Marylin Manson à Tricky –, le véritable underground n’a rien à voir avec les soirées Respect du Queen. Mais ressemble plutôt à des riffs SS à l’ombre des pierres tombales.
(1) Centre européen de Recherches sur le racisme et l’antisémitisme. Lire : « les Extrémismes de l’Atlantique à l’Oural », sous la direction de Jean-Yves Camus (Ed. de l’Aube).