A.B.solutely Fabulous : et si vous arrêtiez de regarder Canal et TF1?

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Dans le Paf, il existe un créneau entre la culture du ricanement et l’abrutissement des masses. Le bouquet AB s’y est jeté les deux pieds en avant. Résultat : des émissions décalées, du trash et la première émission porno … gay. Youpi !

Comment démarrer un article qu’on n’a pas envie d’écrire ? Petite anecdote de vacances. Le 22 iuillet, alors que je terminais en compagnie de ma copine un magret de canard dans un restaurant de Brantôme (Périgord), une femme assez classe, installée juste derrière nous, s’effondre soudain dans son assiette de pommes sautées. Splatch ! Aussitôt prévenus, pompiers arrivent rapidement sur les lieux et prodiguent les premiers soins à la quinquagénaire syncopée.

Pendant ce temps-là, nous discutons avec une jeune parente de la malade. La demoiselle, âgée d’une dizaine d’années, plaisante de la situation. Puis nous explique qu’elle vit en Belgique (ce que laissait supposer son accent) avant de nous avouer qu’elle n’est pas novice en matière de réanimation : « C’est la première fois que j’en vois en vrai. Mais je savais déià comment ça se passait parce qu’un jour, à la télé, quelqu’un a expliqué à Hélène la façon de bien réagir en cas de malaise. » « Hélène ? » « Ben oui, Hélène, de Hélène et les Garçons ! »
Comme le prouve cette stupéfiante anecdote, la renommée des promotions AB a largement dépassé, aujourd’hui, le cadre de nos frontières. Mais malgré son succès commercial et populaire, le groupe qui produisait également Dorothée est resté, pendant presque deux décennies, la risée des critiques télés, une sorte de repoussoir intellectuel pour penseurs semiprofonds. Ainsi, des gens pétris de culture livresque et de références cinématographiques partaient dans des envolées lyriques émouvantes afin de reprocher très sérieusement à Jean-Luc Azoulay (la moitié créative du duo AB) la légèreté de ses scénarios, ou bien encore de fustiger l’indigence des prises de vue et la nullité des comédiens, qui faisaient la marque si particulière des séries produites dans les studios de la Plaine Saint-Denis.

 

… LE SOUTIEN DE SKORECKI 
Jusqu’au jour où un mystique aux pieds-nus eut l’idée saugrenue de sortir Jean-Luc Azoulay de la case dans laquelle on l’avait collé. Et de l’élever, par la même occasion, au rang de quasi génie. Dans un article paru le 18 novembre 1998, le critique ciné-télé le plus déjanté de Libération, la dernière ration de All-Bran qui sauve encore le journal de Serge July de la constipation intégrale, écrit : « On aime ou on déteste les séries roses et sentimentales de Jean-Luc Azoulay. Ici, disons-le sans ambiguïté, on adore ses dialogues romancés, son art de faire rimer Balzac avec Nous deux, son sens de l’économie qui fait de chacun de ses feuilletons, du Miel et des Abeilles aux Vacances de l’amour, un miracle d’équilibre et de minimalisme. Pas exactement kitsch, plutôt léger, distrayant, joliment désuet. »
Dans ce même plaidoyer, Louis Skorecki, adepte de la mesure, compare le génie « imbécile » d’Hélène et les Garçons aux « meilleurs films teenage d’Eric Rohmer » puis affirme : « il fallait l’audace d’un petit juif de Sétif pour vendre au peuple de France Premiers Baisers ou les Filles d’à côté, toutes ces histoires 100% aryennes dans lesquelles des blondes immaculées chantent des refrains idiots qui poursuivent les téléspectateurs sous la douche. » Na ! Depuis cette date, les professionnels de la réhabilitation ont pris le relais et l’univers guimauve d’AB Production est aujourd’hui regardé avec beaucoup moins de condescendance.

 

Avec « Hot Talk » ou « In Bed With … », on se retrouve devant un résultat beaucoup moins obscène que ne peut l’être une simple réplique de Julien Courbet.

 

… PREMIÈRE CHAÎNE 100% PORNO
Alors qu’il vivait enfin l’heure du sacre, le groupe AB subissait dans le même temps une grave période de crise culturelle. Les séries aux décors en carton flashy où de blondes suédoises à couettes voisinent avec de musculeux professeurs de gymnastique à la sexualité indéterminée avaient fini par lasser les diffuseurs, tout comme ces émissions jeunesse qui nous imprimaient dans le cerveau des slogans subliminaux (« Pas de pitié pour les croissants ! »). En cette rude période de fin des années 90, AB change de visage. Le A (Azoulay) et le B (Berda) se séparent. Le B reste alors aux commandes de ce qui continue à s’appeler AB et se recentre sur l’édition de chaînes thématiques(1). Symbole de ce virage industriet, l’achat de RTL 9, la chaîne qui, avec 3 800 000 abonnés, reste le plus regardé de tous les programmes du câble et du satellite. Suite à ce lifting, l’âme d’AB aurait pu disparaître. Or, aujourd’hui, alors que deux gros opérateurs satellites surpuissants (CanalSat et TPS) se partagent le marché, que constate-t-on ? Que la créativité la plus débridée, que l’audace la plus incontrôlable se trouve du côté du petit bouquet de chaînes proposé par ceux auxquels cet article est consacré (AB donc, NDLR).
En 1998,années qui n’a rien de très érotique d’un stricte point de vue numérologiques, les célibataires, les mariés de longue date, les priapiques, de la rubrique ciné de Technikart et les VRP sautent de joie en apprenant la naissance de XXL, première chaîne française entièrement consacrée au pomo. Chaque soir, deux films X sont programmés et, pour assurer la partie magazine, AB s’allie carrément avec le mensuel sex-trash Hot Vidéo. Naîtront alors quelques émissions parmi les plus hallucinantes de la télé, dont le mythiqte In Bed With… (2) animé par Dutilleul. Dans un lit posé au milieu d’un studio où l’on hume la proche présence de techniciens en bombers, le journaliste peroxydé de Hot Vidéo interroge, vêtu d’un pyjama, les actrices porno du moment, des plus stars aux plus victimes. Sous le drap de satin qui recouvre l’interviewer et son invitée largement dévêtue, les mains se baladent sans retenue. Parfois, entre deux paluchages, les actrices racontent avec émotion la rudesse machiste du milieu du X, moments encore plus crus que ceux auxquels aboutissait parfois Thierry Ardisson avec ses invités. Dans ce panégyrique, on n’oubliera pas non plus le Hot Talk, l’émission animée par Brigitte Lahaie, qui explore toutes les questions ayant trait à cette nouille molle ou dure qui régit notre existence. Au final, qu’il s’agisse du Hot Talk ou de In Bed With…, on se retrouve avec un résultat beaucoup moins obscène que ne peut l’être une simple réplique de Julien Courbet.

 

… DU GAY DANS LE PAF 
Comment définir, alors, ce style AB ? En exagérant un peu, on pourrait parler d’une certaine magie du premier degré. Légendaire, la radinerie du groupe AB aboutit à une absence de sophistication qui donne à ses productions un air inimitable de sincérité. Comparés aux séries qui cartonnent aujourd’hui et qui déploient des trésors d’ingéniosité pour nous persuader que nous sommes des téléspectateurs intelligents, les sitcoms de la Plaine Saint Denis font figure de produits culturels honnêtes : faute de moyens, jamais ils n’ont tenté de maquiller leur crétinerie et leur ambition purement divertissante. Chez AB, les choses semblent d’ailleurs taillées dans le verre le plus transparent : une chaîne consacrée à la musique classique s’appellera Musique Classique (c’est bête, mais il fallait y penser), une chaîne consacrée à la chasse et à la pêche s’appellera Chasse et Pêche et une chaîne consacrée aux animaux s’appellera Animaux.
Dans un univers audiovisuel écartelé entre la culture du ricanement (l’esprit Canal) et l’abrutissement de masse (l’esprit TF1), cette simplicité qui sait parfois devenir audacieuse fait figure de bouffée d’air frais. « Quand tu proposes des idées, ils t’écoutent et te font confiance, ce qui n’est pas le cas ailleurs, explique un producteur. Ici, ça fonctionne de manière presque familiale. » Si le groupe AB oeuvre dans le cheap, il continue donc à se ranger du côté de l’avant-garde audiovisuelle. Ainsi, il y a un peu plus de six mois, naissait discrètement sur XXL, à l’initiative de Stéphane Joffre, la première émission gay du PAF. Nom : Gay Prime(3). Périodicité : mensuelle. Principe : deux pornos gays français par soirée (une véritable première hexagonale) agrémentés d’un magazine. « Pour animer l’émission, explique Stéphane Joffre, on aurait pu choisir un homo superefféminé ou un drag-queen. Mais on a préféré Titof, parce qu’il est craquant. Même s’il n’est pas très bon, il est vraiment sincère, gentil et il a un truc dans les yeux. »
Titof, nouvelle gloire du X français, incarne la relève du porno. Sensible, ouvertement bisexuel, monotesticulaire, le jeune homme n’a rien à voir avec les antiques machines à ramoner des nanas qui occupaient jusqu’alors les écrans. Obstinément, il tente de tailler des pistes entre l’univers du hard et des mondes qui ne lui sont pas si éloignés, tels que le cinéma traditionnel (on a pu le voir dans Baise-moi) ou bien la télévision. Sur le plateau aux couleurs acidulées de Gay Prime, torse poil dans un jacuzzi dont s’échappent des fumerolles ou bien adossé à un appareil de muscu’, Titof lance les sujets de l’émission et les films avec un malaise apparent que traduit une diction chaotique (« Prenez vos gants de boxe … travaillez votre droite … ou autre chose. C’est parti … pour 1h30 de sport intense … avec des guerriers qui s’éclatent dans l’univers de la boxe … A vos serviettes, c’est K.O.! »).

 

« « Gay Prime », je vois ça comme une première brèche, c’est un grand pas pour la communauté. »

 

… PAS DE CULOTTE
Loin d’être dérangeante, cette gêne produit une étonnante sensation de proximité. Enfin, se dit-on, voilà un présentateur qui ne cherche pas à maquiller son angoisse devant la caméra, qui ne fait pas semblant de nous parler dans le blanc des yeux alors qu’il s’adresse à la machine impersonnelle qui lui fait face. « L’oeil de la caméra télé qui te fixe, c’est quelque chose de très froid, explique Titof. Au cinéma, c’est différent, il faut éviter de regarder l’objectif. J’ai dû tout réapprendre depuis le début. » La grande fierté de Titof ? Animer une émission qui ne s’abandonne pas au culte de l’esthétique, cette tentation gay par excellence : « Un jour, on a passé un reportage sur les nounours, les homos qui sont assez gros. On a voulu sortir du côté gay musclé et épilé. Tu peux pas savoir le nombre de coups de fil qu’on a eu après. » « Gay Prime, poursuit Stéphane Joffre, je vois ça comme une première brèche, c’est un grand pas pour la communauté. » Après la décennie dominée par Dorothée et les Musclés, voici qu’AB Production inaugure la période du sentimentalisme homo. Sur cet étonnant bouquet, la partouze des genres est intégrale. Il se murmure même qu’à l’antenne, certaines actrices n’ont pas de culotte.

(1) Les chaînes du bouquet AB sont disponibles sur TPS, CanalSat, France Telecom Câble, NumériCâble et Noos.
(2) « In Bed With … » est rediffusé à partir de septembre sur XXL.
(3) « Gay Prime » est programmé sur XXL chaque premier mardi de chaque mois à partir de minuit. 

 

De l’action, du cul, des bagnoles, de l’eau de rose et du catch
DES GOÛTS ET DES COULEURS

… Aujourd’hui madame 
Capture d’écran 2015-08-18 à 14.08.18A la rentrée, à un horaire encore inconnu, XXL, la chaîne originellement créée pour l’hétéro-beauf puis devenu le refuge de l’homo-sensible, ouvre son antenne à une autre minorité : les femmes. « XX Elles », émission animée par une bande de copines, devrait traiter de cul sans verser dans la niaiserie des émissions de nanas qui pullulent sur les autres chaînes. Autre rendez-vous intéressant: « Questions indiscrètes ». Dans ces courtes pastilles coquines, des anonymes nous livrent leurs plus intime secrets en avouant, par exemple, ce qu’ils font après l’amour. Même si on s’en fout, c’est sympa.

… « Sorte vite, tout va péter ! »
Capture d’écran 2015-08-18 à 14.14.13Un jour, un cerveaux tortueux s’est posé la question suivante : quel point commun y a-t-il entre « Rambo » et « Rambo II » ?Après avoir mûrement réfléchi, il a conclu que le lien de parenté entre ces deux monuments du cinéma planétaire était l’action. Puis s’est dit, « Tiens, pourquoi pas créer un chaîne entièrement consacrée à ce genre si explosif et méconnu ? » Ainsi naquit la chaîne Action qui, outre des films truffés d’explosions et de bourre-pifs, nous amène régulièrement à pas feutrés dans l’univers cristallin du catch américain pour assister à d’émouvantes clés de bras.

… La chaîne des fumeurs de joints
Capture d’écran 2015-08-19 à 10.46.52Jusque-là, pour bien se défoncer au haschich et se taper de bonnes rigolades, il fallait attendre tard dans la nuit la diffusion d’« Histoires Naturelles » sur TF1. Aujourd’hui, grâce à AB, on peut rouler des pétards de marocain toute la journée en ayant à disposition des programmes sur lesquels scotcher la bouche ouverte comme un gardon. Merci qui ? Merci Chasse et Pêche, la seule chaîne qui utilise encore pour sa programmation le calendrier révolutionnaire. Ainsi, un jour de février, vous pouvez très bien vous retrouver face à un documentaire sur les canards sauvages daté du 1er Ventôse. Haut teneur en THC garantie.

… Raoul
Capture d’écran 2015-08-19 à 10.52.35Le bouquet AB est véritablement complet. Ainsi, à l’aide d’une simple télécommande, vous pouvez passer de l’univers vaporeux et sentimentalo-cul-cul de la chaîne Romance (feuilletons larmoyants et suite au prochain épisode) à la galaxie vrombissante de Moteurs, la seule chaîne 100% mécanique. Le bouquet a même son tube de l’été, puisque cette année, sur RFM TV, Raoul, sorte de Ricky Martin ibérique, a tenté de voler la vedette aux stars en contreplaqué qui officiaient sur les chaînes concurrentes. Seul hic : le beau brun aux dents blanches n’a pas provoqué d’émeutes. C’est dur, la vie de clone.

 

Le Jacques Pradel américain ne met n scène que la misère mais fait toujours peur aux branchés. 
Capture d’écran 2015-08-19 à 11.00.12JERRY SPRINGER, C’EST DU JOLI
J’ai piqué cette K7 dans le bureau du rédacteur en chef du magazine «Max». A l’époque, on s’y faisait tellement chier que même chouraver du Sopalin avait les allures d’un geste révolutionnaire. Quel rapport avec la trash télévision ? Aucun. Sinon qu’à quelques détails près, la culture TV se pratique souvent sur le même mode que la sexualité de groupe ou le port de la basket : on y est toujours le plouc de quelqu’un. Si les programmes d’AB Sat se contentent de dupliquer le vide avec des images caca d’oie (Derrick, Le Renard, etc.), Jerry Springer parvient à donner une tonalité dramatique au néant américain («Ma femme me trompe, mon chien est raciste»), grâce à un casting de demeurés et une programmation destinée au pugilat («Je déteste les nègres»).
Paradoxe: là où la misère intellectuelle d’AB Sat ne semble intéresser que les retraités lorrains (RTL 9), Jerry Springer et son talk-show dégueulasse fascinent surtout en France les médias, les branchés et tout ce qui, de près ou de loin, se déplace en trottinette. On regarde avec délectation parce qu’on déteste. Et l’on se replonge dans Deleuze et Quark X-Press en se disant que tout ça est bien trop sale pour nous (surtout quand certains invités meurent à la fin). Considéré comme le maître de la télé-poubelle, Jerry Springer pourrait bien avoir atteint les limites de son art, depuis que ses émissions se soldent par des fusillades ou des exécutions mortelles. Le 27 juillet dernier, Ralph Panitz, polygame et moustachu, assassinait sa femme à Los Angeles, après lui avoir affirmé en direct qu’il ne voulait plus d’elle «parce qu’elle était trop grosse et trop vieille». L’année dernière, un incident semblable avait déià mis un frein à la carrière du talk-show concurrent (le Jenny Jones Show) après que l’invité (Jonathan Schmitz) a tiré à bout portant sur son admirateur secret (Scott Amedure), qui s’était révélé en direct pédé comme la marée. C’est moche. Mais sur RTL 9, il y a bien des pubs sur le cancer de la prostate.
«Jerry Springer Show» est diffusé aux Etats-Unis sur la chaîne Universal.
Cassette disponible sur www.universalstudios.com/tv/jerryspringer/
Olivier Malnuit 

 

Télévision par Nicolas Santolaria 


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