ALIZEE – COMME UN OURAGAN

Paru dans le Hors-Série Music de Technikart – 22/12/2009

ÉTÉ 2000, ELLE ENVAHIT NOS CHAUMIÈRES. HIVER 2010, ELLE NOUS ENVAHIT.
Il y a dix ans, c’était la tornade Alizée : plus de deux millions de « Moi … Lolita » s’arrachent dans les hypers de France. La craquante popstar revient avec un album qui lance la tendance des années 10 : retour au mainstream créatif et charmant.

C’est cliché et vrai : contrairement à tous les petits poseurs de la hype, Alizée, artiste populaire, ne se la raconte pas. Nous passons tout un après-midi photo avec elle : la popstar se révèle la personne la plus sympatoche de l’assemblée. Comme une ancienne copine de notre ex-lycée Moulinois : ni minette germanopratine, ni bombasse vulgaire, Alizée symbolise un courant principal de moins en moins relayé par les médias (trop occupés à vendre du trashcool). Obligée de se déplacer au Mexique avec des gardes du corps, elle se fait shooter en France par des paparazzi, a vendu des millions de disques, mais arrive disponible et en avance à notre rendez-vous du lendemain, juste après avoir déposé sa fille à la maternelle – 13e arrondissement, quartier moyen. 

Sur le papier, nous n’étions pas franchement fasciné par son nouveau projet, son quatrième album, Une Enfant du siècle. Une interprète mainstream qui embauche un pool de producteurs branchés, l’affaire n’est plus surprenante et aurait pu se révéler roublarde : la chanteuse s’achète de la crédibilité pour pas cher, et les petits malins de compositeurs labourent le terrain postmoderne sur un thème en vogue – les égéries de la Factory. L’écoute du disque nous a déridé. Ouf, il ne sonne pas bohème toc, folk Habitat. Les deux parties se sont idéalement harmonisées. Chateau Marmont, Rob et David Rubato, compositeurs de haut vol, producteurs classieux, ont taillé à la vedette des chansons à la fois modernes et comme on n’en fait plus, à la Kim Wilde ou Valerie Dore, c’est-à-dire délicieuses, fraîches, catchy, mélancoliques, spontanées : pétillantes à l’extérieur, subtiles à l’intérieur. Seule Lily Allen, à l’image plus déglinguée, chante aujourd’hui de telles ritournelles, paradoxalement plus attachantes qu’éphémères. Pas prétentieuses, mais finalement ambitieuses. Célébrité d’Alizée oblige, c’est du mainstream. Et c’est surtout du pop.
Il neige dehors, il caille dans le bureau. Alizée a gardé son manteau, mais se découvre à travers un blind test facile et franco.

MADONNA, «LA ISLA BONITA».
« Sa pochette de Like a Virgin, je l’avais dans ma chambre ! Mon père était fan, j’ai grandi avec ses chansons. J’aime moins depuis Music : elle continue de prendre le son à la mode, c’est super, mais elle est moins authentique, son registre sexy est un peu usé. La Isla Bonita je l’ai chantée lors d’un spécial Madonna sur France 2, il y a six ans. J’ai une base-fan très active sur Internet, mon passage a été mis sur YouTube, il y a eu deux millions de visions. Dont des Mexicains, qui ont complètement craqué. C’est comme ça que je suis devenue star au Mexique. Ma version de La Isla Bonita a été numéro Un sur la radio mexicaine, j’ai joué dans un énorme stade là-bas. Ils ont une culture de l’entertainment beaucoup plus spontanée, j’adore y aller, mais il me faut des gardes du corps. »

TEKI LATEX & LIO, «LES MATINS DE PARIS».
« Teki Latex, de la bande Institubes. Pour les singles de mon album précédent, Psychédélices, on cherchait des remixeurs. David Rubato a envoyé une version de Fifty Sixty que j’ai adorée. J’ai donc rencontré le boss du label où est David, Jean-René Etienne. Il m’a dit qu’il pouvait me trouver des compositeurs pour la suite. J’ai entendu des morceaux de Chateau Marmont, Rob, j’ai été séduite. Je ne suis pas à fond dans l’électro, mais ces artistes m’ont proposé des morceaux qui m’ont fait craquer. Lio, j’aime bien Banana Split, Les brunes comptent pas pour des prunes, elle a une bonne carrière. Populaire, avec un sacré caractère. Je ne sais pas comment je serai à son âge. Je suis interprète, ça dépendra de mes futures rencontres. »

MYLÈNE FARMER, «LIBERTINE».
« Je lui dois quand même beaucoup. C’était une chance de les rencontrer, Laurent Boutonnat et elle, une artiste confirmée, populaire, qui m’a pris sous son aile à 15 ans, quand ils m’ont repéré sur M6, à Graine de star. Elle m’a beaucoup protégée, jusqu’à ce que je me sépare d’elle à 19 ans. J’ai vécu grâce à elle de sacrées choses, vendu plein de disques. J’ai beaucoup appris, artistiquement, et pour le business : maintenant je suis productrice de mes disques. Je ne me suis pas sentie manipulée avec ses textes, j’avais 15 ans, les titres me plaisaient, les vêtements que je portais ça allait… Quand je me suis rendu compte des doubles sens, ça ne m’a pas dérangé, parce que je trouvais les textes très bien écrits. J’ai quand même finalement eu l’impression d’être un produit, j’ai donc proposé des trucs plus personnels, moins sexy, on s’est moins entendu : on s’est séparé, en bons termes. »

VANESSA PARADIS, «JOE LE TAXI».
« Quand on aime la pop et la variété, on rêve d’un beau parcours comme le sien. Elle a commencé encore plus jeune que moi. Avant que Moi… Lolita n’explose, on m’avait prévenue : Vanessa se faisait cracher dessus à cause de son succès. Elle a du essuyer les pots cassés : j’ai eu la chance que ça se passe super bien pour moi. Je n’ai pas eu une adolescence normale, mais j’en ai eu une. Malgré mon succès, je suis resté vivre à Ajaccio. Quand je devais venir à Paris, ma mère m’accompagnait. Je suivais des cours par correspondance. Mais quand j’ai été numéro Un dans 22 pays avec mon premier album, j’ai du arrêter les études, alors que j’étais en Première. La culture, on peut se la faire soi-même, et de toute façon, même avec des diplômes, on ne trouve pas de boulot. »

JULIEN DORÉ, «MOI… LOLITA»
« Un musicien de la Nouvelle Star m’a envoyé un message l’après-midi pour me prévenir qu’il ferait cette reprise lors du primetime du soir. Quand je l’ai regardé à la télé, je n’ai pas vu qu’il se moquait un peu. Je ne sais pas si c’est une moquerie, et en même temps je m’en fous. Je ne suis pas fan, et beaucoup trouvent que c’est un massacre. On en a beaucoup parlé, Mylène et Laurent ont dû encore toucher plein d’argent. Ce single, j’en ai vendu deux millions et demi. 29e dans le classement des singles français les plus vendus. Je n’ai touché l’argent qu’à 18 ans. J’ai même été classée neuvième en Angleterre, et j’ai fait le Top of the Pops ! Au Japon, c’est J’en ai marre qui a été classé. Pour sortir un disque là-bas, c’est spécial, il faut faire des synchros, associer la musique à quelque chose, donc du coup j’ai fait une pub, pour des biscuits japonais, avec la chanson, c’est comme ça qu’elle a explosé, on l’écoutait dans les rues de Tokyo. »

MIKA, «RELAX (TAKE IT EASY)».
« Je l’ai chantée aux Enfoirés, avec Christophe Maé, Patrick Fiori et Nolwenn Leroy. C’est très fermé les Enfoirés, je l’ai fait dès 2001, à seize ans. J’ai recommencé quatre fois. C’est le club du showbiz français, de la variété. Le grand écart avec Institubes. Je veux faire ce grand écart, même si en France, c’est compliqué. C’est pourtant bien de s’intéresser à tout. »

BOB DYLAN, «LIKE A ROLLING STONE».
« Mon enfance a été bercée par les Beatles, Aznavour, Joe Dassin, Simon & Garfunkel, mais pas Dylan. Le nouveau folk, Carla Bruni ? Non, j’écoute, là j’ai acheté Charlotte Gainsbourg, mais j’ai fait quinze ans de danse, je préfère la musique qui bouge. Je me vois pas dans la culture bobo. Elle touche maintenant beaucoup de gens, mais c’est très français, et même parisien, ma culture est plus pop, je suis d’un milieu populaire, provincial. J’ai vécu en Corse jusqu’à mes 18 ans. Dylan parle d’Edie Sedgwick ? C’est Jean Fauque qui m’a parlé d’elle. »

BASHUNG, «LA NUIT JE MENS».
« Voilà, un texte de Jean Fauque. Il m’a écrit Fifty Sixty en pensant à des new-yorkaises comme Sedgwick ou Maripol, sa sœur styliste qui côtoyait Jean-Michel Basquiat, Blondie et aussi Madonna à l’époque. J’avais rencontré Maripol par Mylène, elle m’avait offert des bracelets que portaient Madonna. Ensuite j’ai rencontré Jean Fauque. Et encore plus tard j’ai appris qu’ils étaient frère et sœur ! Ils sont venus dîner un soir à la maison, Jean racontait ses anecdotes, j’ai compris que Fifty Sixty parlait de ces new-yorkaises. J’aimais le thème, les paroles, on s’est dit pourquoi ne pas faire l’album autour d’Edie Sedgwick, de cet univers warholien. C’est à mon opposé, des défoncés, mais c’est fascinant. Pas pour le mode de vie, mais pour l’effervescence de cette bande et de New York. »

TAXI GIRL, «CHERCHEZ LE GARÇON».
« Ça fait partie des sons que j’aime. Mirwais a travaillé avec Madonna, et Daniel Darc avec moi. Je l’ai rencontré au Plan, la salle de RisOrangis, j’avais été à son concert parce que j’aimais son album Crèvecœur, je lui ai proposé de participer à Psychédélices, avec Fauque, Burgalat… Il m’a donc écrit deux titres. Vraiment dark : encore à l’opposé de mon univers… »

KIM WILDE, «CAMBODIA».
« Un tube d’avant que je sois née. Je ne pense pas qu’elle en ait enregistré beaucoup ? J’ai eu très peur, après le succès de Moi… Lolita, de disparaître. Je faisais confiance à Mylène et Laurent pour m’écrire d’autres tubes, mais quand je les ai quitté, ça a été une angoisse : comme Nena (j’ai d’ailleurs chanté 99 Red Balloons au Mexique), rester la chanteuse d’un seul single. J’essaie donc d’un coté de ne pas faire des chansons trop compliquées, mais d’être artistiquement ambitieuse. Psychédélices a quand même été disque d’or en France, alors que c’est la crise. J’ai la chance de pouvoir compter sur le marché mexicain, énorme. J’ai tourné là-bas dans un soap-opéra, ça a été vu par 75 millions de personnes ! »

LORIE, «PLAY».
« Quand on fait de la musique pour les enfants, c’est dur d’en sortir. J’ai attendu 2003 avant de faire ma véritable première scène : sept Olympia d’affilée. Je ne savais pas quel serait mon public, j’avais quand même peur que ce soit surtout des enfants. Mais non, c’était très large, enfants, parents, gays, jeunes de mon âge, 18 ans, de tout. Mon public a grandi avec moi. Alors que Lorie, ça reste très jeune, mais j’ai vu qu’elle voulait changer, elle fait maintenant des photos très sexy… »

CHATEAU MARMONT, «DIANE» ROB, «KING LOVER».
« Le showbiz façon années 90, je suis contente d’en être sortie avec eux, l’entente est géniale, un vrai partage humain. Chateau Marmont, sur Cœur fendre, ils m’ont proposé plusieurs versions, il y en avait une qui sonnait Nintendo, une autre Moroder, ils ont une palette large et un son très reconnaissable que j’adore. Et comme Rob, ils sont très forts au niveau mélodie, c’est tellement important, c’est ce que j’aime, et ce qui accroche le public. Je ne comprends pas pourquoi ils vendent si peu de disques. Sûrement parce qu’ils ont été enfermés non pas dans un côté bobo, mais branché. À une époque, c’était “moins je vends de disques, plus je suis respecté”, on les a enfermé là-dedans, alors qu’ils ne demandent que ça, vendre des disques, ils le méritent tellement. J’espère qu’avec mon album les gens vont davantage s’intéresser à eux. Je serais fière qu’ils se servent de moi pour être plus grand public. De mon côté, si je les ai pris, c’est pas pour être plus branchée, c’est pour la qualité du son et des mélodies. Si je deviens plus branchée, tant mieux, mais j’ai pas envie de quitter mon côté mainstream ! »

JEANETTE, «PORQUE TE VAS».
« Une des chansons préférées de Rob. Il m’a composé La candida dans cette optique. J’aime chanter en espagnol, et si ça peut faire plaisir à mes fans mexicains… »

LILY ALLEN, «FUCK YOU».
« J’écoutais encore l’album dans la voiture en venant ici ! Le son aurait pu être plus fat, mais les chansons sont vraiment supers. Je me dis en l’écoutant qu’aujourd’hui c’est ce que je peux chanter, je vois plein de points communs avec mes goûts. Et elle est vachement exposée maintenant, c’est une bonne comparaison – même si elle a un côté trash que j’ai pas, peut-être parce qu’elle est anglaise. J’ai jamais pris de drogue, je bois pas, je fume pas, et au début, on a voulu me faire passer pour une coquine, mais non, je suis pudique. Je sais pas comment ils font les gens trash. C’est pas dans mon éducation. C’est peut-être un frein à mon image sur le moment, mais pas sur la durée. Je veux durer. »
«UNE ENFANT DU SIÈCLE», SORTIE EN MARS (INSTITUBES/JIVE). BENOÎT SABATIER

LE QUATUOR CHATEAU MARMONT A COMPOSÉ QUATRE (ENVOÛTANTS) MORCEAUX POUR L’EX-LOLITA.
Ils ont encore rêvé d’elle Alors qu’ils n’ont pas encore sorti d’album, Chateau Marmont se retrouve parachuté principal compositeur d’«Une enfant du siècle». Comment passe-t-on de sensation confidentielle à complice de popstar ? Récit d’un rêve devenu Alizée.
 » On a connu Alizée via Jean-René Etienne, qui préparait la direction artistique de son nouvel album. Il nous a proposé de faire un morceau pour elle, on en a écrit, elle en a aimé certains, puis on est parti en studio, et on s’est retrouvé de fil en aiguille avec quatre morceaux sur le disque.
L’exigence d’Alizée : de bons morceaux. Elle a été très ouverte toute la réalisation du disque. Jive/Sony l’a eu une fois fini, ils l’ont aimé, ce qui exclut toute supputation. On n’a fait aucun compromis. On est parti du fait qu’on avait carte blanche. On a fait des morceaux plus pop, plus chantants, plus féminins. On a surtout pensé à des productions comme l’album d’Adjani écrit par Gainsbourg, à Glass Candy, à une ambiance fémino-rétro-futuristico-française. Mais notre mode de création n’a en rien bougé. Si tu calcules ta musique de façon à ce qu’elle se vende, c’est mort, l’opportunisme est rarement allé au-delà du court terme. On a évidemment envie que ça marche, que ce soit écouté. On a fait les choses comme on le sentait, en sachant pour qui on le faisait. On a fait un truc dont on est fier, maintenant c’est un peu alea jacta est. Personne n’a le secret de la réussite. À part peut-être Phil Spector ou Pharrel Williams. Financièrement ce n’est pas non plus négligeable, ça peut nous permettre une plus grande autonomie pour la suite.
Nos tubes préférés ? Missy Elliott, Madonna “Music”, Kylie Minogue “Can’t Get Out Of My Head”, tous les trucs de boîte genre Imagination ou Chic, les premiers U2, Elton John, les trucs 80’s genre Nick Kershaw ou même Jacky Quartz. 80% de ce qui passe sur Nostalgie. On n’a aucun tabou de ce côté là. Les premiers tubes d’Alizée réalisés avec Mylène Farmer et Laurent Boutonnat ? C’est qui ceux-là ?
On fait une musique très influencée synth music, et malheureusement on n’est plus à cette époque bénie où l’on pouvait entendre “Oxygene” ou “Radioactivity” à la radio, où Kate Bush était en tête des ventes. Si les dernières années et leur nivellement par le bas n’avaient pas existé, on en serait peut-être à un stade où notre musique pourrait plaire à un max de gens. Qui ne voudrait pas faire écouter sa musique à tout le monde ? Devenir mainstream, si ça signifie avoir plus de moyens, tourner dans de meilleures conditions tout en gardant un contrôle parfait, c’est bien. Si c’est avoir sa gueule partout et 125 interlocuteurs pour un oui ou un non, c’est moins bien. Tant que tu peux continuer à exercer et créer ton art comme tu l’entendais à tes débuts, c’est cool. Il faut sans doute savoir faire quelques compromis à certains moments, c’est tout. En aucun cas brader sa musique. Mais pour le moment on ne fait rien pour, il n’y a qu’à écouter le titre d’ouverture de notre nouveau disque.
La France étant un pays avec une mentalité de merde, où tout le monde juge en permanence, calque son avis sur la majorité, ou à l’inverse dégomme pour se démarquer et flatter son petit ego, c‘est difficile de proposer quelque chose de différent destiné à la grande écoute, les gens ne sont pas forcément ouverts d’esprit, ils peuvent vite critiquer les choses pour lesquelles ils n’ont plus leurs repères. Enfin bon, on a fait un truc très abordable, faut pas exagérer non plus. Le risque pour nous, c’est qu’on nous propose de réitérer l’expérience. On en serait ravis. On ne cherche pas à apparaître forcément comme érudits, c’est la perception des gens qui tend vers ça. La frontière entre mainstream et underground est parfois si faible musicalement.
Au fond de nous, c’était un rêve de travailler avec une interprète mainstream. Mais on pensait plus à des artistes anglo-saxons, genre Britney ou Fergie. On n’aurait jamais pensé à des artistes français. Finalement Alizée a pris le risque de l’innovation, de la nouveauté, et à bien y réfléchir on ne voit guère qui d’autre aurait pu faire ça. »
RECUEILLI PAR B.S.