Bambi, au pays de l’Or Noir

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LE PRINCE ABDULLAH EST FAN DE MICHAEL JACKSON Fuyant le paradis des enfants et criblé de dettes, Michael Jackson s’est réfugié au Bahreïn. Qu’y fait-il ? Jean-Hubert Gailliot, l’auteur de «Frankenstein Bambi», s’est lancé sur les traces de la pop star disparue.

Je n’avais plus eu de contact avec l’entourage de Michael Jackson depuis un an et demi. Les dernières conversations remontaient à Noël 2004, quelques jours avant le début de son procès. Là-bas, à Neverland, ils savaient que je voulais écrire un livre sur lui.

Le fait qu’il s’agisse d’un roman, plutôt que d’une « fan-bio » ou d’un essai, les avait un peu inquiétés, mais ils avaient alors d’autres préoccupations.
En juin, je me suis contenté d’envoyer un exemplaire du livre imprimé, à son intention, avec un mot du genre : « Ne fais pas attention au titre, saute les passages sexuels, évite presque tout le reste – je sais que tu n’es pas le mieux placé pour en juger, mais c’est un plaidoyer, je te prie de l’accepter comme tel. »
Après l’acquittement et une période d’accalmie qui avait duré un an, on recommençait à entendre de drôles de choses. Revente de Neverland morceau par morceau à un collectionneur japonais. Nouveau job de consultant auprès d’une société basée à Bahreïn, spécialisée dans les parcs de loisirs. Collaborations avec Snoop Dogg et 50 Cent. C’était l’occasion d’en avoir le cœur net.

Le lendemain, j’appelle madame Raymone Bain, la fidèle attachée de presse de Michael. « Raymone, les lecteurs de Technikart veulent savoir ce qui se passe à Bahreïn !
– Vous tombez on ne peut plus mal, Jean-Hubert. Nous sommes en train de lire votre livre et je dois vous dire que Michael n’aime pas du tout ça.
– Il le lit en français ?
– Je le lui traduis, à raison de deux ou trois pages par jour. Ce matin, nous sommes allés de la page 40 à 46. Vous voyez de quel passage je veux parler ? Ça lui est resté en travers de la gorge.

mlemauditPour faire diversion, je demande :
– Vous êtes toujours installés chez le cheik Hamad bin Issa Al Khalifa ?
Mais Raymone ne paraît pas disposée à changer de sujet sujet :
– Nous espérons que vous n’avez pas le projet de faire circuler ce roman hors de France !
– Les éditeurs interrogés estiment que les poursuites seraient inévitables, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux USA, même dans l’hypothèse d’une bienveillante neutralité de la part de Michael, à cause des mineurs cités dans le texte, tout ça. Au fait : qu’est-ce que c’est que cette histoire de palais que Michael voudrait construire sur une île artificielle au large de Dubaï ? Il a vraiment l’intention de s’établir dans la région ?
Elle ne relève même pas et reprend :
– En revanche, il a apprécié le portrait qui le représente sur la couverture. Nous ne connaissions pas cet artiste. Joko, n’est-ce pas ? Pensez-vous qu’il accepterait de nous céder l’original ?
– Envoyez une offre. Je transmettrai. A propos de votre ami le cheik Al Khalifa : Michael n’est-il pas sensible au peu de cas que celui-ci semble faire de la liberté d’opinion ? Ne craint-il pas que sa présence dans l’archipel depuis un an, et sa proximité affichée avec les principaux dignitaires du royaume, n’ait pour résultat, et peut-être pour but, de cautionner le régime ?
– A notre arrivée ici, la famille royale a mis à disposition tous les moyens nécessaires pour que Michael puisse enregistrer la chanson qu’il avait écrite en faveur des victimes de l’ouragan Katrina. C’était généreux de leur part.
– En effet. Il essaie de refaire le coup de We Are the World ? Quand pourra-t-on l’écouter ?
– Le prince Abdullah, qui s’est beaucoup impliqué à titre personnel dans le projet, a qualifié I Have this Dream de “Superbe message de paix et d’amour”.
– Raymone, vous vous adressez aux lecteurs de Technikart ! Un public de grands enfants amoraux et cyniques ! Ils vont se marrer… J’ai lu que le morceau serait commercialisé sur le label local Two Seas Records. Est-il exact que le prince Abdullah envisage de produire les prochains albums de Snoop Dogg, R. Kelly et 50 Cent ? »
Appelée sur une autre ligne, Raymone a proposé que nous reprenions cette discussion plus tard. Quand je lui ai demandé si je pouvais parler à Michael en attendant – j’avais repéré sa voix, il se plaignait d’avoir mal au dos et désirait savoir à quelle heure était prévue sa séance de kiné –, elle a eu cette réponse pleine de franchise : « Si c’est pour vous entendre appeler “Trou du cul”, Jean-Hubert, je peux parfaitement vous le dire moi-même ! » J’ai remercié poliment avant de raccrocher.

Le surlendemain, ils ont atteint la page 54 et leurs sentiments à l’égard de mon livre ne se sont pas améliorés. Néanmoins, Raymone Bain, deux jours après avoir suavement laissé entendre qu’elle pourrait fort bien me traiter de « trouduc », a recouvré son sang-froid et son sens professionnel. De mon côté, j’ai décidé de laisser tomber les questions sur Bahreïn, dont personne de toute façon n’a rien à foutre. Je ne vais pas davantage l’interroger sur leur voyage à Tokyo, où Michael, pour sa première sortie officielle en public depuis l’acquittement, s’est vu remettre par MTV Japon un Legend Award pour l’ensemble de sa carrière. Même si je suis intrigué par les contacts qu’il a noués là-bas, paraît-il, avec certains milieux d’affaires, en rapport peut-être avec le démantèlement et le transfert en pièces détachées de Neverland de l’autre côté du Pacifique.
Je suis résolu aussi à passer sous silence deux épisodes croquignolets dont j’ai eu vent. La fois où Michael a loué le parc aquatique Wild Wadi Water, à Dubaï, pour qu’enfants et parents puissent venir s’y amuser gratuitement, et où lui-même est apparu sur un toboggan vêtu d’un body en Lycra blanc. Et celle où il a été reconnu, habillé en femme et occupé à se remaquiller dans les toilettes pour dames d’un centre commercial, provoquant un gigantesque attroupement qui a nécessité pour l’évacuer l’intervention de la police.

Au cours de notre précédente conversation, j’ai cru percevoir une intonation bizarre dans la voix de Raymone, lorsqu’elle a évoqué Abdullah bin Hamad Al Khalifa. Et il ne m’a pas échappé que c’est le moment qu’elle a choisi pour mettre un terme à notre entretien. A l’évidence, Michael et ce jeune prince arabe de 30 ans se sont profondément liés d’amitié. Associés dans le label Two Seas Records, sur lequel est annoncé, outre le single caritatif I Have this Dream, un nouvel album pour fin 2007, ils semblent être devenus inséparables.
La rumeur leur prête toutes sortes de projets communs. Par exemple celui d’acquérir près de Lucerne, en Suisse, un immense château kitsch de style bavarois, dont Michael « est tombé amoureux après l’avoir découvert sur un prospectus ». Cet Abdullah paraît être le personnage-clé de la nouvelle vie de Michael, à la fois son producteur et confident, et probablement son mécène.
J’avance avec précaution mon premier pion :
« La personnalité du prince Abdullah est mal connue. Officiellement, on ne lui sait aucune fonction, aux côtés de son père, à la tête du royaume.
– Le prince et Michael sont tous deux des esthètes. Ils partagent des passions identiques, pour la musique et le monde de l’enfance. Outre le label Two Seas, ils réfléchissent à l’implantation sur l’archipel d’académies musicales et de parcs à thèmes. Il y a ici de merveilleuses structures architecturales, mais elles manquent parfois de contenu. Le prince considère que l’expertise de Michael, dans tous ces domaines, pourrait se révéler précieuse.
– Sans blague.Vous voulez dire que ses affaires avec Michael occupent le prince à temps plein ?
– Il croit au message positif de la musique. Qui mieux que Michael pourrait donner sens à cet engagement ?
– Hormis parler de paix et d’amour, à quoi occupe-t-il le reste de ses journées ?
– Souhaitez-vous, Jean-Hubert, que je vous mette en relation avec le bureau du prince Abdullah ? Ils ont une certaine habitude des gens comme vous. Si le prince s’était rapproché de Michael plus tôt, une mésaventure comme celle que nous avons connue avec ce reportage honteux de Martin Bashir ne se serait jamais produite.
A ce moment, Raymone a son petit rire nerveux de mauvais augure, signifiant que la fin de notre entretien est proche. Elle poursuit :
– La vérité est qu’il n’y aurait pas eu d’affaire du tout ! Vous savez que j’ai de la sympathie pour vous. Malheureusement, vous êtes écrivain. Et j’ai peur qu’aucun des travers des gens de cette profession ne vous fasse défaut. Vous l’écrivez dans votre roman : Michael a une très haute conception de l’amitié. Il est dommage, ayant compris cela, que vous n’ayez pu vous empêcher de le placer, tout au long de votre ouvrage, dans des situations grotesques et humiliantes. Cette comparaison idiote avec Pinocchio ! A quoi cela rime-t-il ?
– J’ai seulement émis l’hypothèse que son incapacité à dissimuler la vérité, comme lors de cette émission avec Bashir, à propos des petits garçons, était cause de tous ses malheurs et, en effet, qu’il ait fini par perdre son nez.
– Avec Quincy (Jones, NDLR) et Liz (Taylor, NDLR) hier, comme avec le prince Abdullah aujourd’hui, la personnalité de Michael a toujours suscité des attachements profonds de la part d’êtres au cœur pur comme le sien. Permettez-moi de vous le dire : votre livre aurait été meilleur si vous aviez fait l’effort de vous approcher de cette pureté, au lieu de salir Michael, en vous salissant vous-même.

JEAN-HUBERT GAILLIOT


Paru dans Technikart #105

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