Baz Luhrmann «Je ne suis quand même pas Jim Cameron»

Capture du 2015-04-24 15:49:09

C’est pas parce qu’on n’aime pas «the great Gatsby» qu’on va se priver d’une bonne interview avec Baz Luhrmann…

Baz Luhrmann, «Gatsby», Cannes, l’ouverture, tout ça ?
Tu sais Gaël, un film que tu livres, c’est comme un bébé qui nait. Tu l’as gardé en toi pendant des années et puis d’un seul coup, blam… Dans ces moments-là, j’ai envie de tout laisser tomber. C’est comme… comme un jetlag cinéma, ou plutôt un jetlag cinéma postnatal. Tu vois ce que je veux dire ?

Euh…
En tout cas, c’est très violent et ça remue plein de choses.

A chaque fois ?
Oui ! En général d’ailleurs, je fuis. Je pars en voyage, pour oublier. La dernière fois c’était dans le Transsibérien. J’appelle ça mes voyages débriefing… J’avais emmené deux bouteilles de rouge australien et quelques livres audio. Dont Gatsby. Je me souviens avoir appuyé sur le bouton play à quatre heure du mat’ et l’avoir écouté d’une traite en buvant mon vin. A la fin, je savais qu’il y avait un film.

Et une occasion inespérée de refaire «Roméo + Juliette» dans les années 20 ? Avouez !
Oui, mais non. Fitzgerald était un grand fan de Conrad et Gatsby est un peu son Au Cœur des ténèbres… Au centre des deux romans, il y a cette idée de personnages mystérieux, dont tout le monde parle et qui règnent comme des spectres sur un monde étrange. Gatsby et Kurtz, au fond, c’est la même chose et c’était ça le plus important à mes yeux.

On a l’impression que l’essentiel pour vous, c’était l’univers, strass, luxe et kitsch…
Bon… je vais pas te mentir, la recréation du New York des 20’s m’a bien excité. Je voulais casser la distance entre notre univers et celui de Fitzgerald. Fitzg’ n’avait pas 30 ans quand il a écrit Gatsby. Il a bourré son roman de fétiches modernistes : le jazz, les bagnoles, les tenues. Je devais trouver les parallèles. D’où Jay Z…

… ou la 3D.
Ça, c’est encore différent. Fitzgerald était un gros fan de technologie. Il aimait le cinéma et je voulais rendre hommage à ce côté pionnier. Mais ne poussons pas, je ne suis quand même pas Jim Cameron ! C’est en découvrant le Crime était presque parfait que j’ai compris ce que je pouvais faire avec le relief. Ce film m’a tué. Pas le style d’Hitchcock, mais voir Grace Kelly, cette icône, bouger, là, presque pouvoir la toucher…

Moins «Avatar» que «Pina» de Wenders, si on suit bien.
Gaël, c’est exactement ça ! Je l’ai montré à tous mes collaborateurs. Je voulais utiliser le relief dans une optique « artistique », poétique. La scène du Sacre du printemps dans Pina, la manière dont les danseurs je voulais mettre Gatsby en scène. Que ce ne soit pas les mouvements de caméras qui créent l’énergie, mais les acteurs. Comme ce que je fais au théâtre, où j’utilise les acteurs pour dire aux spectateurs où regarder. Avec la 3D, c’est pareil. Ce sont les comédiens qui dictent la mise en scène.

Bon, et cette ouverture, on n’en parle toujours pas ?
Tu sais Gaël je suis né à Cannes. Quand Ballroom Dancing est sorti en Australie, il a été présenté dans un seul cinéma. Je pensais que j’étais mort. Je suis parti sur la côte avec ma femme. Je suis dans un camping quand le téléphone sonne : « Bonjour, ici Pierre Rissient. Je viens de voir votre film. Je veux vous proposer une projection à Midi, mais vous devez me répondre sous 24h00 parce que les inscriptions sont bientôt terminées ». Je regarde mes amis. Cannes ? Je crois rêver. Je dis oui et je me retrouve sur la côte d’Azur quelques mois plus tard. Le film est présenté et quand commence la standing ovation, le type de la sécurité me regarde et me dit : « vu les applaudissements, je peux vous dire que votre vie ne sera plus la même ». Il avait raison. Quand Thierry a pris Moulin Rouge en 2001, j’ai eu le droit à la plus belle soirée de ma vie. Revenir avec Gatsby, c’est inouï. Parce que, l’ironie de l’histoire, Gaël, c’est que F. Scott Fitzgerald a écrit son roman dans un village situé à trente minutes d’ici pendant que sa femme Zelda couchait avec un soldat sur la plage du Majestic. Ce film était prédestiné. Il devait se faire. Et tout devait finir ici.

Entretien G. G.


 

Capture du 2015-04-24 15:51:38 Technikart SuperCannes #01  26 mai 2013