BOOBA, «DUC DE BOULOGNE», EST-IL SI NOBLE QUE ÇA ?

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Le rappeur préféré du Monde, des Inrocks et de Libé kiffe Bernard Arnault qui ne lui a pourtant rien demandé. Retour sur une baudruche stéroïdée pour bobos flippés en quête de repères.

En mai 1990, il y a donc vingt-cinq ans pile, 2 Live Crew balançait son nouveau single, la bombe Banned in the U.S.A. Ce morceau reste une référence : production bondissante, flow tranchant, détournement habile de Bruce Springsteen et de l’hymne américain, paroles intelligentes, à la fois caustiques et mélancoliques – un morceau farfelu et inspiré planté en plein dans le mille, un chef-d’œuvre du genre. Le hip-hop, à l’époque, était encore un genre un tantinet underground et marginal: Dr. Dre n’avait pas sorti The Chronic, Jay-Z n’était personne, Rihanna portait des couches. Tout s’est retourné depuis: Dr. Dre et Jay-Z sont des businessmen multimillionnaires appréciés par leur président, le hip-hop est la musique dominante, et Rihanna glorifie son pays d’adoption dans son nouveau tube, American Oxygen.

Installé aux États-Unis depuis des années, Booba s’inspire-t- il plus de la fraîcheur et de la créativité du rap originel ? Ou aspire-t-il surtout à atteindre la même tranche d’imposition que les yuppies à la Jay-Z ? Pas besoin de se creuser le ciboulot pour le savoir, Booba y avait lui-même répondu dans Kalash, en 2012: « Ma question préférée : qu’est- ce que je vais faire de tout cette oseille ? » De l’oseille, il n’en manque pas, notre entrepreneur glouton. Les produits de sa marque de chiffons, Ünkut, s’arrachent comme des petits pains. Ce qui peut inquiéter sur le goût vestimentaire de nos compatriotes. En tant que couturier, en effet, on ne peut pas dire que Booba boxe dans la même catégorie qu’Yves Saint Laurent : son saint-frusquin, d’une laideur à faire dégobiller un cheval de bois, on n’en voudrait même pas pour descendre les poubelles. S’il s’autoproclame « duc de Boulogne », il serait bien en peine de nous produire ses quartiers de noblesse – le concernant, on pense plus à Duc, la marque de poulet. Est-ce grâce à son côté volaille qu’il pigeonne aussi bien nos contemporains ? On se demande. Car si Booba raconte qu’il écoutait Public Enemy quand il était gosse, on ne peut pas dire qu’il le soit devenu, ennemi public. Il n’est pas banni en France, loin de là, ses gentilles âneries émoustillent racailles et hipsters, ravissent écoliers et bobos, divertissent journalistes fatigués et baby-boomers qui ont oublié de mettre leur sonotone – bref, elles plaisent à tout le monde. Quand Booba tente, en bon élève appliqué du rap game, une sortie poil à gratouiller en déclarant qu’il n’est pas Charlie, il n’écope que d’une battle avec Patrick Pelloux et Laurent Ruquier. Bâillements… Du coup, il s’en prend à Joey Starr. Là aussi, ça ne suscite aucune vague. Flop. Sur le nouvel album de Monsieur le duc, un morceau prête particulièrement à rire : LVMH. Le clip est à se tordre. Monsieur le duc a choisi pour décor un château. À l’intérieur, des dames en déshabillé secouent leur derrière. On doute qu’elles soient duchesses. Sur cette élégante mise en scène, Monsieur le duc chante des trucs aussi brillants que ça : « LVMH, LVMH ! Nar-Bé Arnault, mucho dinero, yo te amo ! » Émouvant cri du cœur, touchante déclaration. On imagine ce que Bernard Arnault a dû se foutre de sa gueule, en entendant ça… Obsession neuneu pour le fric et les marques, pas de mélodies, Auto-Tune à tous les étages : quelle est la différence entre Booba et Swagg Man, le petit clown à la mode qui s’est tatoué le monogramme Vuitton sur le crâne et dont les vidéos font des millions de vues sur YouTube ? Aucune.

Le plus amusant, concluons là-dessus avant de retourner écouter les Strokes ou Scott Walker, c’est de voir tant de nos confrères se coucher comme des serfs devant les beaux biscotos et les jolis tatouages de Monsieur le duc. Dithyrambes dans Le Monde, Les Inrocks, Libé : on dirait que certains critiques sont des paysans vivant dans la crainte, écrivant leurs papiers comme on payait jadis l’impôt à son seigneur. À tous ces peureux, on a envie de dire : «Vous pouvez le dire, hein, que Booba n’est qu’un pitre. Ou alors allez chez Ünkut vous rhabiller pour l’hiver.»

Louis-Henri de la Rochefoucauld

Booba D.U.C. (Tallac Records).