Cannes J2: Main dans la Max

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Le grand moment de communion cinéphile a donc eu lieu hier matin dans la Salle Lumière. Deux heures de cinéma enfiévré, ponctuées par des hurlements de joies et des salves d’applaudissements massifs environ toutes les demies heures. En 2015, le plus haut lieu de la cinéphilie mondiale s’est agenouillé devant une pelloche furieusement dégénérée, carburant aux montées d’adrénaline bis, voire Z, un manifeste contre-culturel monstre accueilli sous des hourras hystériques. Pour peu on se serait cru à l’Etrange Festival. Mad Max Fury Road venait de poser ses gros pneus boueux sur la Croisette et tout le monde ne demandait qu’à se faire rouler dessus. Merde, les choses ont changé à ce point?

>Ce n’est pas tant un décloisonnement entre bisseux et straubiens (au pif) qu’est venu signifier l’accueil délirant offert au film de George Miller, mais plutôt la mise en exergue d’un vide que le film a su combler au delà de toutes espérances. Le fun était de retour dans les salles, et personne n’allait pouvoir lui résister, même ici.

Le petit cirque cannois, et son gout pour le commentaire à chaud, renvoie souvent à la tronche cette interrogation parfois vertigineuse: regardons nous tous vraiment le même film?  Hier devant Mad Max, aucun doute possible, l’électricité était palpable entre les rangées, l’excitation massive se transmettait d’un siège à l’autre, la perméabilité à une imagerie, un genre ou un décorum était piétinée par la fureur cinétique qui giclait constamment de l’écran. Miller posait les fondations d’un langage neuf (la caméra omnisciente, le découpage virtuose et le montage purement musical d’Happy Feet et du CGI roi, déplacés cette fois sur le territoire du film live) pour le couler dans une idée de cinéma universelle (portée mythologique de l’intrigue, viscéralité de l’action, obsession de la vitesse et du dégraissage). Cinéaste difficile à identifier pour une grande partie du public et de la presse (pas si simple d’assimiler que le cinéaste de Babe 2 et de Mad Max 2 sont vraiment la même personne), Miller devenait ce matin là un point de ralliement, un nom-sésame vis à vis duquel tous les blockbusters rapides et furieux, passés et à venir, allaient devoir payer leur dû.

Il s’est passé quelque chose hier matin dans le grand royaume de la cinéphilie. On a longtemps cru, à l’aune de ses trailers stupéfiants, que Mad Max: Fury Road allait redéfinir une esthétique de la grande forme SF, toucher du doigt un Valhalla ciné promis à une poignée d’élus. Ce n’est pas le cas (le film upgrade l’esthétique du deuxième volet, mais ne cherche jamais à la réinventer), et ça n’a finalement aucune importance: George Miller a pour cette fois accouché d’un standard, alors qu’il a passé sa carrière à engendrer des prototypes. Il n’en fallait pas plus pour rencontrer enfin l’unanimité qu’il n’a jamais connue tout au long de sa carrière, pour mettre un terme au jeu de piste qui lui a coûté pas mal de sa reconnaissance. Hier matin, bisseux et angelopoulosiens(au pif) se tenaient main dans la main, au nom d’une grande idée de cinéma enfin retrouvée. On était tous heureux. Ca n’arrive pas si souvent. C’était vachement émouvant.

François Grelet