Cannes J9: Dialogue de sourds

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Chacun était placé à une extrémité de la journée. Le planning ressemblait presque à un geste poétique. A 8h30 Youth, à minuit Love. Un Sorrentino à l’aube, un Gaspar Noé au milieu de la nuit. Les deux cinéastes rock-stars du line-up pour ouvrir et clore la journée qui s’annonçait forcément comme la plus électrisante de l’édition. C’est ce qu’il y a de plus stimulant ici, ce moment où la programmation crée des effets de sens et des rimes inattendues, sans qu’on puisse jamais vraiment mesurer les parts de calcul et de hasard au coeur de ces drôles d’effets miroirs. Au delà de tout ce qu’on pouvait imaginer Youth et Love n’auront cessé de dialoguer l’un avec l’autre, chacun chevillé à son titre en forme de petit traité philosophique et prenant tous deux comme héros un artiste soumis à un vertige existentiel.

Dommage pour nous, ce que les deux films ont aussi et surtout en commun ce sont leurs tics auteurisants à la limite de l’auto-parodie. Comme si, pour tracer chacun leurs autoportraits respectifs, Paolo et Gaspar avaient tous deux décidé de faire ronfler leurs style et leur grammaire respectifs. Le souci lorsque, comme eux, on envisage le cinéma comme un territoire musical, c’est de ne plus savoir tenir la note. Ici les envolées lyriques se crashent à force de faire hurler les choeurs (le concerto dans les alpages dans Youth, le climax psyché dans une salle de bain dans Love) et les deux cinéastes se complaisent dans la position du DJ trop sûr de ses effets, qui préfère capitaliser sur les standards par peur de décevoir l’assistance. Youth, c’est d’ailleurs l’histoire de deux créateurs, Caine et Keitel (chacun incarne une facette de Sorrentino) qui se repassent en boucle le film de leur carrière comme si c’était un vieux tube dont ils ne s’étaient jamais remis. Curieux que Paolo considère en être à un moment de sa filmo où s’impose la question du bilan : c’est peut-être d’ailleurs ce qui fait sonner son lamento un peu faux. Curieux aussi que Noé, après à peine quatre longs, se décide à rejouer un par un les motifs et les concepts clés de sa filmo, comme s’il était déjà temps de porter un regard rétrospectif sur son oeuvre. Chacun était placé à une extrémité de la journée et ils avaient visiblement beaucoup de choses à se dire, mais plus grand-chose à nous raconter.