CARPENTER BRUT FAIT-IL TOUT COMME JUSTICE ?

CB

Avant de passer à l’interview des telluriques Carpenter Brut, présentons en quelques lignes le mode
d’emploi à suivre pour un journaliste « spécialisé musique » qui voudrait être accrédité dans un festival
français. Rock en Seine, par exemple. Pour voir les concerts gratos et accéder à l’espace VIP, une seule
contrainte : proposer un « projet éditorial ». Traduction : annoncer le festival dans un article, rédiger un
live report (sport le plus pénible au monde après le curling), ou interviewer un artiste du festival. J’opte
pour ce dernier choix. Carpenter Brut fera parfaitement l’affaire, sa musique sentant la trop rare sueur et la
bonne bière à plein nez. Problème : le jour J, j’apprends que dix toutes petites minutes me sont accordées
avec Frank Hueso, leader du groupe. Suffisamment pour sucer un mister Freeze, pas assez pour une
bonne interview. La preuve.

TECHNIKART : Comme Justice, t’as 40 ans ou presque et tu fais du « métal dance ». C’est suffisamment âgé pour avoir connu le mouvement Big Beat. Quel a été son influence sur ton parcours ?
CARPENTER BRUT : C’est une bonne question. Le Big Beat a eu une vraie influence sur ma musique.
À cette période, j’aimais bien les Chemical Brothers ou Prodigy. Aujourd’hui, je t’avoue que la musique
des Chemical me branche moins. Par contre, Prodigy me plait toujours autant par son côté punk. C’était de
l’électro un peu rock sans être naze, avec des sons pas foireux. Le Big Beat m’a sûrement un peu servi
d’exemple. Quand je me suis mis à composer, j’écoutais énormément les albums de Prodigy ou des choses
dans le genre pour étudier leurs structures. Pour comprendre comment c’était fait, tout simplement. La
rythmique électro est très différente de celle de la pop. Sur la boucle, la longueur, les montées, etc. Je me
suis rendu compte que j’arrivais pas du tout à faire ce genre de choses et finalement, je suis revenu à
quelque chose qui obéit plus aux lois de la pop qu’à celle de l’électro. Je suis plus couplet-refrain que
loop-montées-etc.

Comme Justice, tu as cartonné dès tes débuts. Eux ont été repérés dans une raclette-party par Pedro Winter, patron d’Ed banger et ex-manager de Daft Punk. Et toi ?
CARPENTER BRUT : Ça a été tellement vite pour moi depuis 2012… J’ai l’impression d’avoir sauté les
étapes que la plupart des groupes doivent se fader. La recherche d’un label, par exemple. J’ai pas voulu en
chercher un donc j’ai tout de suite monté le mien, No Quarter Prod. Ensuite, un peu à la manière de la
scène métal underground, on a sorti les disques nous-mêmes en faisant des coproductions avec un autre
label. Puis des mecs qui font des jeux vidéos sont venus vers nous. On s’est retrouvé à faire des sons pour
Hotline Miami 2, ou encore The Crew avec Ubisoft. C’est comme ça que j’ai commencé à avoir un nom
qui tournait dans la scène gaming. Les gamers sont des fans hardcores. Ils sont fidèles tant que tu leur fais
pas un enfant dans le dos. Les liens tournaient à fond sur internet en mode partage. Tout est venu comme
ça, pas par le bouche-à-oreille, mais par le click-à-ordi. Très naturellement. Je suis donc très loin du
schéma un peu cliché « Je fais une démo et je la présente à plusieurs labels en espérant que ça morde ».
Pour être complètement honnête, je ne te dirai pas que j’ai pas envoyé nos sons à Pedro Winter. Mais je
suis pas certain qu’il a reçu mon mail.

 

 

Comme Justice, tu aimes les synthés. Quel était ton premier modèle ?
CARPENTER BRUT : À onze ans, j’ai eu un Viscount. Je crois que c’est italien mais j’en suis pas sûr. On m’a montré des synthés modulaires depuis, mais je ne suis pas assez intelligent pour comprendre comment ça marche. À chaque fois qu’on me montrait quelque chose, j’oubliais dans les dix secondes suivantes. J’y arrive vraiment pas. Ça a l’air passionnant, mais c’est pas pour moi.

Comme Justice, tu aimes les gros festivals. Comme eux, tu as été programmé à Coachella, au Hellfest et à Rock en Seine par exemple.
CARPENTER BRUT : Ce que je retire le plus de ces énormes festivals, c’est les rencontres que je vais
faire avec d’autres artistes que je peux apprécier. À Rock en Seine, on ne joue malheureusement pas le
même jour que Justice donc ça va te plomber ta passionnante et probable question « Comme Justice, tu
joues aujourd’hui ». Tu as tellement de spectateurs dans ces festivals, c’est dingue. À Coachella, on jouait
en même temps que The Weeknd. Autant dire qu’il n’y avait pas grand monde pour nous. Ce soir, on passe au même moment que PNL donc ça risque de faire la même chose. Pas grave, c’est la règle du jeu.
Si les gens qui viennent nous voir kiffent le spectacle, ça me suffit. Après c’est sûr que c’est bien de jouer
devant plein de monde. Ça permet de te faire connaître plus rapidement. Et puis Coachella, par exemple,
c’est l’Amérique !

Comme Justice, tu es fan de John Carpenter. Ils lui ont notamment piqué la gigantesque croix lumineuse de The Fog. Et toi ?
CARPENTER BRUT : Ben le nom, déjà. Et peut-être certaines rythmiques. L’arpeggiator. Le côté pom-pom-pom-pom. (NDLR : À ce moment là, je me dis qu’une vidéo aurait été plus parlante pour vous, amis lecteurs). Et le feeling que t’as quand tu regardes ses films. Au début du groupe, j’essayais vraiment de
recréer cette ambiance là, et puis après, pour pas se répéter, tu vas vers d’autres trucs. Ce que j’aime chez
Carpenter, c’est son côté punk. Ce côté rebelle du cinoche qui produit les trucs qu’il veut avec deux bouts
de ficelle. C’est très inventif. Je préfère ces gens là à ceux qui ont 200 millions de dollars et qui te font des
films dont tu n’as rien à foutre.

Comme Justice, tu es un grand fan de métal. Pourquoi avoir choisi le synthé plutôt que la guitare ?
CARPENTER BRUT : Pour une raison assez bête. Je suis gaucher, et j’ai jamais réussi à me décider
entre une guitare pour gaucher et une guitare pour droitier. Ensuite, je ne suis pas très adroit. Sur les
guitares, c’est vraiment des petites cases. Les touches d’un piano, c’est quand même quelque chose de plus
large et de plus confortable. Et puis surtout, je voulais monter mon projet tout seul. Et avec une guitare, tu
vires vite Joe Satriani. Sauf que j’avais pas son style flamboyant, tu l’auras compris. Du coup, je me suis
mis devant un ordinateur, avec des synthés. Et ça s’est fait comme ça.

Comme Justice, tu as des références qui ne sont pas toujours labellisées « bon goût ». Sur scène, il t’arrive par exemple de reprendre « Maniac » de Michael Sembello. Par
provocation ?
CARPENTER BRUT : Pas du tout. J’ai un amour très sincère pour cette culture dites du mauvais goût.
J’ai grandi en regardant Flashdance, je ne vais pas dire le contraire. Dans « Maniac », il y a déjà ce titre
qui sonne très agressif. Mettre un titre aussi violent pour un morceau aussi pop, il fallait oser. Le mot
« Maniac » me fait toujours penser au film. J’ai grandi dans les années 80, j’ai absolument aucune raison
de me foutre de leur gueule. Ce titre, c’est un peu une madeleine de Proust. Un cocon que tu retrouves et
qui te ramène à ta jeunesse. Artistiquement parlant, en musique, les années 80 étaient très, très riches.
T’avais quand même les Queen, Pink Floyd, les Stones, etc. Fin 70 – début 80, ils n’ont jamais été aussi
forts. Dans le ciné, c’est pareil. Les années 80, c’est les Star Wars, les Retour vers le futur, Robocop, etc.
Cherche dix films cultes des années 2000 et tu vas voir que c’est un peu plus compliqué. Donc aucune
provoc de ma part. J’ai un profond respect pour les années 80.

 

 

À part Justice, qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
CARPENTER BRUT : (Il sort son smartphone et fait défiler les albums) Je vais te faire voir vite fait. En
gros il doit y avoir Archive, Limp Bizkit, Elton John, Prodigy, du black metal, The Soundtrack Of Our
Lives, The Night Flight Orchestra, Napalm death, Chromeo, Mad Ball, un peu de hardcore et des trucs un
peu rétros genre Doken. Un peu de funk aussi. Ca dépend vraiment de mes humeurs. Dans ma playlist tu
vas trouver des choses que j’écoutais gamin, des trucs du moment, des choses un peu pointues, d’autres
qui ne le sont pas du tout. C’est le bordel.

ATTACHÉE DE PRESSE : Juste pour vous dire qu’il ne reste plus qu’une minute d’interview.
CARPENTER BRUT : Très bien, je vais essayer de parler un peu plus vite.

Bon ben va falloir conclure je crois. Au fait, tu connais les deux mecs de Justice ?
CARPENTER BRUT : Personnellement tu veux dire? Non. Je les ai jamais rencontrés. Sans faire le
blaireau, j’imagine qu’à un moment ou à un autre, ils ont entendu parler de ce que je faisais. Peut-être
qu’on les croisera dans un festival. Même si j’apprécie moins ce qu’ils font maintenant, leurs lives
continuent de déglinguer la gueule. Visuellement, c’est fou. Musicalement, j’aime moins même si je
comprends en tant que musicien pourquoi ils ont pris ce chemin-là. Mais en tant que fan, je regrette un
peu la période où ça tabassait dur. Ceci dit, c’est exactement les mêmes réflexions que vont me faire les
mecs qui aimaient bien mes premiers EP et qui n’aiment pas mon dernier album. Donc si je regrette le parcours de Justice en tant que fan, je le comprends très bien si je raisonne en musicien. Quand tu grandis,
t’as pas envie de te répéter. Après, peut-être que leur prochain album sera bien vénère et bien gogol !

ALBERT POTIRON

CARPENTER BRUT – Leather Teeth
(No quarter prod/Caroline)