Cet homme a écrit 1274 projets cette semaine

Moi la vache à textes

Connu pour ses talents à écrire n’importe quoi pour n’importe qui, notre collaborateur Olivier Malnuit raconte sa vie de « vache à textes » dans Technikart. Un boulot qui mène a tout sauf faire du fric…

Le secret des business qui ne rapportent rien (ou presque) ? L’écriture ! Ou plutôt l’écriture du vide… En quelques mois, sous l’effet conjugué de la dèche généralisée et de la multiplication des faux projets sans budget, s’est écrit une quantité phénoménale de concepts, storyboards, feuilletons publicitaires, fadaises promotionnelles, « reco » (ça veut dire recommandations), études de cas, rapports et enquêtes diverses qui n’ont en réalité d’autres buts que de fournir les mots et les idées nécessaires à des intermédiaires qui n’ont rien à vendre, pour qu’ils puissent déjeuner (ou au mieux, prendre un café) avec des clients potentiels qui n’ont rien à acheter (et parfois même plus aucun pouvoir). Il en va ainsi dans la grande littérature de la « zéroconomie », c’est parce que l’argent ne circule plus et que tout le monde s’agite en attendant la fin du déluge qu’on écrit chaque semaine vingt fois l’équivalent des Tables de la loi pour s’envoyer des e-mails, raconter n’importe quoi (à quelques exceptions près) et rester classes et dignes même quand on n’a pas de quoi imprimer son 1274ème projet chez Copy-Top. Une future chaîne de bistrots et machines à laver ? Une nouvelle école de langues mortes (latin, grec, vieux prussien, etc.) pour sourds et malentendants ? Une plateforme de livraison de fleurs avec lettres d’amour pré-enregistrées ?

« ECRIS-MOI, ECRIS-MOI QUELQUE CHOSE ! DIX LIGNES, CE QUE TU VEUX, ON S’EN FOUT ! »

À coup sûr, dormiront dans l’histoire de cette funeste blague qu’aura été la crise de la dette et financière, quelques perles littéraires et comiques qui mériteraient d’être enseignées à Sciences Po, au CELSA, dans les écoles de commerce et toutes les universités pour enculeurs de chèvres un peu stylés. Le problème, c’est que n’y comprenant en général pas grand-chose (à part, disons les grandes lignes), leurs représentants n’en auront probablement conservé aucunes traces. Et leurs auteurs, véritables « vaches à textes » surbookées mais sans un flèche, sont bien trop occupés à compter leurs pièces jaunes pour acheter de la poitrine de jambon et de l’alcool au rabais pour songer à en revendiquer une quelconque paternité. Si jamais vous disposez d’un quelconque talent pour faire des formules, poser des mots sur les crevasses de l’esprit et construire un récit, la tache est immense, la demande énorme, l’enthousiasme contagieux (malheur à vous !), les délais urgents… Mais l’argent, nulle part ! « Écris-moi, écris moi quelque chose ! Dix lignes, ce que tu veux, on s’en fout ! », hurlent les passeurs de plats dans le vain espoir de décrocher un rendez-vous avec un boss de quelque chose dans un bocal en verre qui ne sait pas lui-même qu’il a été viré (le pauvre). Un jour prochain, les « vaches à textes » cesseront d’habiller le néant de la pensée économique. Soit parce qu’ils sont tous devenus poètes, SDF, romanciers ou qu’on leur a coupé l’eau. Mais ce jour-là sonnera comme le début d’un nouveau siècle. Une partouze à la Bourse. Un nirvana à la Défense. Les commerciaux pourront (enfin !) reparler de marge arrière, les auteurs de poésie, les publicitaires de réclames et les communistes de lendemains qui chantent. Et vous savez quoi ? Ce jour-là, la crise sera finie. Un sacré roman en perspective…

Olivier Malnuit 


TECHNIKART-195

Cet article a été publié dans le numéro 195 du magazine Technikart.