Claude Lévêque: «Quand j’entends le mot subversif dans l’art, j’éclate de rire»

L’artiste du pavillon français de la Biennale de Venise nous accordait il y a quelques mois un entretien. Dérushage à mots choisis

leveque1Claude Lévêque, Daniel Buren dit que toute œuvre exposée dans un musée, qui ne pose pas explicitement le rôle de ce cadre, agit dans l’illusion d’un idéalisme, celle d’un art pour l’art, qui met la production de l’artiste à l’abri de toute rupture, de tout questionnement.
C’est ce que j’appelle les «nouveaux pompiers». Il y a aujourd’hui une nouvelle génération formaliste qui répète une leçon bien apprise. Cela laisse la porte ouverte à des arguments pas toujours intéressants ni en accord avec le travail que l’on perçoit. C’est une simple parure. Il ne faut pas être désactivé vis-à-vis de la réappropriation du réel, vis-à-vis de l’homme, de l’urbain, des situations économiques ou des affectations sentimentales.

Face à l’artiste bon élève, pompeux et pompier, l’artiste doit être inadapté ?
Non, pas nécessairement. Il est difficile de répondre à cette question. L’artiste a une part de liberté, mais dès qu’il devient piégé par un système cela n’est plus bon. La caricature, la répétition et l’auto plagiat sont redoutables. Certains artistes utilisent toute une symbolique liée à la psychanalyse avec un excès de pathos. Par exemple Annette Messager a réussi là où ces artistes ont échoué. Pour moi les artistes pompiers sont ces artistes qui enrobent leurs concepts par des arguments critiques et analytiques qui ne sont pas toujours à la hauteur de ce qu’on voit. C’est la forme pour la forme ! Ils sont malheureusement victimes de formatage.

Une prise de conscience est elle possible ?
Aujourd’hui quand j’entends le qualificatif de subversif ou d’activiste dans l’art, je crie au secours ou j’éclate de rire. Dans le monde où nous vivons je ne vois pas comment l’art est activiste et encore moins subversif, mise à part qu’il demeure essentiel pour le plaisir.

Est ce qu’une production artistique peut amener chez le spectateur une prise de position ?
Peut-être suis-je désillusionné mais je n’y crois pas vraiment. Je ne pense pas qu’un artiste puisse entraîner une prise de conscience politique, qu’il puisse prendre position. L’artiste créé des échanges avec le public entraînant des réactions, mais il n’est pas là pour changer le monde. Il peut créer des métamorphoses qui génèrent des effets de miroir.

leveque2Concernant la société du spectacle Foucault, se moquant de Debord disait: «Notre société n’est pas celle du spectacle, mais de la surveillance (…). Nous ne sommes ni sur les gradins ni sur la scène, mais dans la machine panoptique.» Comme vois-tu notre politique sécuritaire, l’embrigadement de la pensée actuelle ?
Je suis extrêmement pessimiste face à cette situation qui plie les gens à une discipline. Je crois plus en une forme de résistance fragile. Dans mon travail, je ne réagis pas là-dessus et, à aucun moment, je me dis que je vais faire réagir le public face au monde. J’ai plus envie de resserrer mes expériences, de les protéger de cela.

Pour ton projet pour la Biennale de Venise («le Grand Soir», un un système de cages dans un espace plongé dans le noir), est-ce que l’histoire, les enjeux et le système de l’organisation de la biennale sont le terrain de ton investigation ?
Tout sera le terrain de mon investigation sauf le challenge. Certes, je peux être critique vis-à-vis des institutions et les remettre en cause. Mais je suis à la fois un artiste institutionnel et à la fois un artiste indépendant. J’ai une position ambiguë. J’ai toujours évité d’être un cheval de course, d’être dans la compétition.

Jeff Koons dit qu’il a une responsabilité envers son travail, qu’il «essaye de créer quelque chose avec les meilleures intentions, pour aider les gens. L’art peut aider le spectateur et lui donner confiance.»
C’est un peu prêcheur, mais c’est juste. Jeff Koons est un véritable artiste, qui retourne des situations, il est le plus warholien des artistes de notre époque. Jeff Koons est un artiste d’attitude qui pervertiT les lieux communs, les objets affectifs.
Biennale de Venise: jusqu’au 22 novembre.

http://www.claudeleveque.com/

ENTRETIEN THIMOTHÉE CHAILLOU