Comment Gucci a quitté le bling

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Le dernier défilé croisière à Manhattan d’Alessandro Michele – le nouveau directeur artistique de Gucci (groupe Kering) depuis janvier 2015 – est loin, bien loin des 90’s glorieuses teintées du porn chic de Tom Ford, et tout aussi éloigné du Gucci de Frida Giannini à la tête de la création de la maison pendant presque dix ans. Pourtant, Alessandro Michele, le choix personnel » de François-Henri Pinault (selon élément de langage officiel), est au studio de création depuis 2002 à la tête des sacs, accessoires et bijoux. C’est donc en famille que survient le changement. Le choix de Michele – un talent discret – c’est déjà en soi un engagement anti-bling. Car la réalité business de ce choix c’est que la marque cherche depuis 2014 à vendre plus de no logo et moins de «double G» afin de toujours mieux répondre aux attentes d’un marché chinois, dont les consommateurs seraient de plus en plus gourmands d’un luxe discret. Oui, même les Chinois se mettent au charme discret de la bourgeoisie et du coup, les marques doivent suivre les tendances ce marché ultra-lucratif.

Tout semble changer donc chez Gucci, pourtant l’essentiel demeure: la classe italienne, ce mélange d’élégance et de sensualité propre à cette culture. Une culture de la lignée et de l’héritage tranquille, affirmé mais toujours serein. Si on devait résumer les nouveaux codes Gucci on dirait: plus d’Antonioni moins de Donatella Versace par exemple. Le nouveau vestiaire Gucci est chic, floral et frais. De fait, le garçon Gucci de l’été 2016 sera lui aussi de cette nouvelle espèce. Le défilé homme très justement baptisé «Détournement » met à l’honneur une silhouette plus douce en rupture avec une masculinité trop premier degré, et offre une ambiguïté dans laquelle les genres s’entremêlent.

Avec Alessandro Michele, on respire enfin. On marche à la fois dans la rue, comme dans la dernière campagne de publicité shootée à L.A., et sur des tapis persans raffinés, à l’image de ceux qui recouvraient le sol de la Fondation Dia Art à New York du défilé croisière. La force d’Alessandro est dans sa grille de lecture sociologique de la mode: il attribue au vêtement une fonctionnalité sociale et fait référence à Jacques Derrida ou Guy Debord dans ses notes. Bravo.

Celui dont le directeur de la marque, Marco Bizzarri disait: «De l’extérieur il (Alessandro Michele) ne s’impose pas comme une évidence » s’impose après plusieurs collections comme une évidence totale.

NILUFAR KHALESSI


Paru dans Technikart #193, juillet-août 2015

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