Daniel Wolfe « J’aime l’électricité qui émane du corps humain »

Capture du 2015-05-12 13:03:54

Le clippeur des Shoes passe au long-métrage avec Catch Me Daddy, film de lads bien brutal jusqu’au bout de la nuit. Déjà un ami.

«Catch Me Daddy» semble rebondir sur cette mini-vague de polars qui a frappé le cinéma anglais il y a deux-trois ans, des films de jeunes réalisateurs, âpres et violents, avec des lads en capuche: «Adulthood», «Ill Manors»… C’est un genre ?
Daniel :
Je ne sais pas. Je connais bien Ben Drew, le réalisateur de Ill Manors (rappeur sous le pseudo Plan B, pour lequel Daniel a réalisé des clips, ndr), et je sais que lui travaille clairement à exprimer un sentiment de colère sous-terrain qui traverse la société british actuelle. Nous, on n’est pas dans le réalisme social. C’est le portrait d’un groupe de personnages qui ont une partition à jouer, comme au théâtre. Le monde au sens large n’est pas concerné.

Belle montée en puissance: on suit différents individus dans leurs routines de petits malfrats et on comprend qu’ils convergent tous, en pleine nuit, vers le couple
vedette. Un set-up de western…
Je venais de finir d’écrire un biopic qui s’étalait sur une vingtaine d’années, et mon frère et moi rêvions d’un truc simple, direct. Dans un western, les chasseurs de primes débarquent en ville sur leurs chevaux, à la recherche d’une fille. Là, ils se pointent dans une Volvo et une Pajero. Un film course-poursuite, dont l’action se déroule sur une nuit ; on recherchait cette immédiateté-là, oui.

Tourner une poursuite intelligible dans le noir profond, c’était le gros challenge de mise en scène ?
On s’est fixé comme principe de mise en scène de ne pas tourner des scènes de nuit « éclairées » comme on en voit souvent au cinéma. J’avais adoré les scènes de nuit dans No Country for Old Men… La vie de l’héroïne part en spirale, et elle s’enfonce dans cet abyme de noirceur.

Vous vous êtes fait un nom avec le clip de «Time to Dance» pour les Shoes, dans lequel Jake Gylenhaal, dans le rôle d’un serial killer, massacre ses victimes à main nue. Vous êtes un peu le Romain Gavras briton, non ? (Gavras est remercié au générique du film, ndr)
On se comprend avec Romain. Quand je faisais ce clip pour The Shoes, je suis tombé sur un trailer du nouveau Saw, et Pouah ! Je n’ai pas pu regarder, trop dégueu…. La violence, dans le clip de Time to Dance, semblait correspondre à la musique, mais ça ne signifie pas que j’aime ça. Dans le film, elle surgit sans prévenir, en un éclair. Boum, terminé ! J’aime me confronter aux conséquences de la brutalité, voir ce qu’il reste après. J’aime les situations extrêmes, l’électricité qui émane du corps humain lorsqu’il est traversé d’une énergie primitive. Ça, oui, ça m’intéresse.

J’aime beaucoup «Catch Me Daddy» mais la fin m’a lâché. Dès que le père arrive à l’image, toute la tension contenue dans le film s’évapore dans une confrontation un peu grand-guignol avec sa fille. Ça m’a rappelé la fin, que je n’aime pas non plus, de «There Will Be Blood»…
J’adore la fin de There Will Be Blood, ahah ! On devait toujours en arriver là dans Catch Me Daddy. Je voulais réunir la fille et le père dans la même pièce. Dans une cuisine… Jusqu’ici on était dans la retenue, mais tout devait exploser à la fin ! Un état de confusion terrible. Avoir un plan en tête, c’est une chose, mais quand sa fille lui revient enfin, et que plus rien n’a de sens, il ne sait plus s’il doit l’aimer ou la tuer.

Et vous tentez une «Soprano» juste derrière, avec un plan final énigmatique suivi d’un long écran noir silencieux…
Ahah ! J’aime au cinéma que les gens puissent projeter ce qui leur convient sur les images qu’ils reçoivent. Pour moi, il y a une lueur d’espoir dans cette fin. C’est l’image complexe d’un père et d’une fille emprisonnés dans une situation absurde qui les rapproche et les éloigne en même temps. Parviendront-ils à en sortir ?

On reste suspendu à une issue qui ne vient pas, «left hanging», littéralement, comme l’héroïne au bout de sa corde…
Mais plein de gens pensent qu’ils s’en sortiront, qu’ils finiront par se réconcilier. D’autres imaginent le pire. Les théories diffèrent…

Une Soprano, donc. Comment êtes-vous devenu pote avec Jake ?
Il avait vu une de mes vidéos pour Plan B et voulait me rencontrer pour me parler de cinéma. J’ai proposé son nom aux Shoes, ils ont adoré, et on a finalement tourné Time to Dance. Il est très réceptif à ce genre de matériau. Il aime explorer sa part sombre. Il recherche ça, c’est évident.

Je vois «Prisoners», où il campe un flic narcoleptique génial…
Oui ! Oui ! J’ai adoré Prisoners

Et je vois «Catch Me Daddy», et je me dis qu’il y a sans doute un polar dark…
Ouais ! Absolument !

Un polar dark, donc, dans votre futur à tous les deux…
Voilà, oui. Je vois la même chose que vous !

Propos recueillis par Benjamin Rozovas


 

Capture du 2015-05-12 13:05:28Technikart SuperCannes #03   17 mai 2014