« Désolé monsieur, c’est un club privé »

Depuis vingt ans, clubbers, people et jet-setters dont la queue pour rentrer aux Bains. Gros plan sur la boîte la plus select de l’histoire du nightclubbing.

Interrogé sur le premier acte fort de sa célébrité toute neuve, Djamel Debbouze, l’histrion canalisé n’hésite pas : « Me pointer aux Bains avec dix de mes potes. » Putain

Edouard Baer se lâche sur la piste. Photo Foc Kan.

Edouard Baer se lâche sur la piste. Photo Foc Kan.

de symbole.

Comme si se faire arrêter pour des autographes tous les deux mètres, être invité permanent dans toutes les émissions du PAF, s’afficher grand pote de Nicolas Anelka, n’était rien à côté de l’escalade en vainqueur des quelques marches qui mènent aux portes de la célèbre boîte. Il y a quinze ans, déjà, un simple « Il rentre aux Bains », glissé sur le ton de la confidence, suffisait à poser le clubber bien mieux qu’un long CV. D’où l’évidence : en deux décennies et au moins quatre périodes distinctes, le club parisien s’est hissé au statut de mythe des nuits. Voici comment.

 

… 1978-1983/White Trash
Les Bains-Douches ouvrent leurs portes en octobre 1978, soit six mois après le Palace. A l’origine, deux antiquaires, Fabrice Coat et Jacques Renard, venus chiner des statues au 7 rue du Bourg l’Abbé, tombent amoureux des lieux, de véritables bains-douches désaffectés. Et décident d’en faire un bar. La déco originelle (Philippe Starck sera appelé par la suite), d’une froideur extrême, se révèle, pour l’époque, d’une modernité effrayante. Toute en faïences et mosaïques, elle semble faite pour accueillir toutes les waves du monde (new, cold, no, etc.). Très vite, si on peut y entendre les 852’s entre James Brown et un remix du Knock On Wood de Amii Stewart, l’attitude reste résolument punk et propose une vision arty et déjantée de la nuit comme un écho au proverbial « sex, drugs & rock’n roll ». A l’entrée, des simili superstars warholiennes filtrent : Caroline « c’est la ouate » Loeb à l’ouverture puis, dans le désordre, Peter Smith (écrivain américain exilé), Edwige (égérie punk), Farida (futur égérie de Jean-Paul Goude), lenny Bel Air (vrai travesti)…

Boy George s'éclate aux platines. Photos Foc Kan.

Boy George s’éclate aux platines. Photos Foc Kan.

Punks, branchés, bourges, stars, musiciens, ils se vautrent tous, avec force look et attitude étudiés, dans un nuage opiacé, privilège encore réservé à une certaine élite artistique parisienne. Philippe Krootchey, DJ débutant ors de l’inauguration, aujourd’hui directeur artistique au magazine Têtu, se souvient de ce club « monté par des hétéros, pas banchés mais assez malins pour être ouverts à tout. C’est ce qui a permis ce mélange hallucinant, jamais vu auparavant. »  Christophe, jeune DJ d’alors, précise : «ll y avait toute une faune qui n’avait rien d’autre à foutre que de faire la bringue. Des gens qui se levaient dans l’après-midi et n’avaient d’autre préoccupation dans l’existence que la tenue qu’ils porteraient le soir-même. Quant aux people venus s’encanailler, c’était la plus totale indulgence, les gens n’avaient pas peur d’être pris en flag : Voici n’existait pas. » Ainsi on pouvait croiser William Burroughs, guetter Andy Warhol, reconnaître Patrick Dewaere, toiser Yves Adrien, pousser Alain Pacadis dans la piscine (Ça lui est arrivé lors de la première), voir Jean-Pierre Kalfon gifler ses conquêtes d’un soir. Ou s’étourdir devant des concerts plutôt pointus : Cramps, Fad Gadget, Monochrome Set, Joy Division, Suicide, Echo & The Bunnymen, OMD, Depeche Mode… Mais, surtout, développer à l’envie, en esthète blasé, ce sentiment d’ennui comme un écho ultime au boredom d’outre-Manche.
Yves Adrien/Orphan ne dit rien d’autre dans Novovision : « Cela dit, trois jours à Paris c’est long : le premier jour je m’en moque, le second je m’ennuie et le troisième je m’en vais. » Comme lui, et dès 1981, nombre d’habitués partiront pour New York, Londres ou l’au-delà, contribuant au premier déclin du club.

 

… 1984-1990 / BAINS DE MINUIT
En 1984, changement de direction : Hubert Boukobza et Claude Challe reprennent une affaire en perte de vitesse. Pas plus branchés que leurs prédécesseurs (eux-mêmesCapture d’écran 2015-08-06 à 14.37.56 viennent de la restauration), ils ont dans l’idée que l’heure des grandes boîtes est passée, qu’arrive le règne des clubs et qu’ils veulent en être. Aux anciens propriétaires, qui les contraignent au changement d’enseigne, Hubert lâchera « Vous gardez les douches, je prends les Bains », avant de s’embarquer pour une grosse fête de quinze ans. Exit les Bains-Douches et bienvenue les Bains.
Sylvie Grumbach, cofondatrice du Palace avec Fabrice Emaer, s’attelle aux relations publiques la même année pour modestement « continuer à voir des noctambules et faire de jolies fêtes ». Dès lors, c’est toute la quintessence des 80’s triomphantes et glamour qui va s’y exprimer, jusqu’à la caricature. La direction artistique de Guy Cuevas, la déco sans cesse renouvelée de Paolo, Callia et les fêtes somptueuses (Christian Lacroix, Saint Laurent ou plus tard les Vénus de la mode ou les Fêtes pirates) propulsent le lieu comme incontournable. LE show-biz et la jet-set deviennent les pièces centrales du système. De Niro, Pacino, Nicholson, Jagger, Prince, Planski, Goude, Wenders, Bowie, Brasseur et aussi toute une génération de mannequins – Iman (future Madame Bowie), Katoucha, Grace Jones – créent une hype fulgurante. Ardisson et son émission Bains de minuit achèvent de sacraliser l’endroit.
C’est pourtant à la porte que se trouve la grande nouveauté. Jouant avec l’étiquette de club privé, les Bains deviennent très vite l’endroit le plus inaccessible de la capitale. Quand ce n’est pas Richard, le « majordome transylvanien » dixit un habitué anonyme, c’est Marie-Line qui joue le rôle de cerbère impitoyable. Capable d’écarter l’inconnu inopportun tout comme l’habitué (combien de clubbers traumatisés par un « Désolé ce soir ça ne va pas être possible, revenez demain »), on dit même qu’elle refusa un soir son propre mari parce qu’« il était mal accompagné » (pour les masos ou les nostalgiques, signalons que cette charmante personne officie désormais au Niel’s). Eric Dahan, qui y fit ses classes de nightclubber, le reconnaît : « Les premières années, je me sentais une pure merde. C’était un peu le club des arrogants, un vrai salon de poseurs. Il y avait ce sentiment d’attente, surtout si tu ne faisais pas partie d’une bande. » Pour se reprendre aussitôt :« Mais, en même temps, c’était le premier endroit où l’on voyait des gens aussi beaux. Mannequins, stars, ils étaient tous là, accessibles. »

 

Mick Jagger, un habitué des lieux, n'a jamais goûté aux joies de la piscine. Photos : Foc Kan.

Mick Jagger, un habitué des lieux, n’a jamais goûté aux joies de la piscine. Photos : Foc Kan.

… 1991-1996 / CHALALALALA …
La Guerre du Golfe en 1991 sonne le glas de cette époque dorée qui voit la jet-set fuir vers Londres. Quant à expliquer la perte d’intérêt pour la vie nocturne d’alors, les sociologues évoquent un changement de génération, tandis que les publicitaires parlent pudiquement de cocooning. Reste que, pour les Bains, commence une période de décadence qui va durer un peu plus de six ans. Même si dîner entre David Bowie et ]ohnny Depp ou prendre un verre avec Diana Ross reste un programme fort réjouissant pour nombre d’habitués, il n’empêche : le cocktail un tiers show-biz, un tiers people, un tiers Sentier a du mal à trouver des amateurs. Résultat : les branchés friqués qui ont fait la gloire (et surtout la fortune) du lieu, transhument comme un seul homme vers le VIP du Queen, le Barfly ou le Niel’s. Le clubber est ingrat.

 

 

… 1997-200? / A NIGHT AT THE GUETTA MANSION
1997 : la résurrection est en marche via Cathy et David Guetta. Ancien DA du Queen, puis relanceur du Bataclan, David reste un an au Palace avant de s’associer avec Hubert Boukobza. A une époque où l’enthousiasme s’est perdu quelque part entre la piste de danse du sous-sol et le restaurant à l’entresol, le couple y va à l’énergie. Et, contre toute attente, trouve la recette pour faire revenir le public : ouvrir plus largement les fameuses portes. Artistiquement, la carte house est jouée comme un atout (merci Dan Ghenacia et W.A.R.R.I.O) soutenu par les associations régulières avec Axel de Crazy Babies ou encore Mal & Flo. En apportant la touche caillera-chic, les soirées hip hop/R&B Superfly du mercredi finissent de donner le ton. Bref, il n’y a plus qu’à essayer. A propos : le physio à l’entrée s’appelle Jacques…

 

Par Mehdi Boukhelf


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