D’où viens-tu, Julian Assange ?

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Julian Assange, retranché depuis près de quatre ans au sein de l’Ambassade de l’Equateur à Londres, s’apprête-t-il à retrouver la liberté ? Alors qu’un comité de l’ONU vient de condamner la « détention arbitraire » dont il serait victime, retour sur notre rencontre avec le fondateur de Wikileaks en 2013. C’était le 21 février, il était enfermé dans cet appartement sans espace extérieur depuis neuf mois, et nous voulions en savoir plus sur les origines cypherpunk et californiennes de son mouvement. 

 

Votre livre* nous renvoie à vos débuts dans le cypherpunk (mouvement de codeurs politisés dans les années 90 – ndlr). Le socle idéologique de Wikileaks vient-il de là ?
Julian Assange : Le cypherpunk est apparu à peu près au même moment qu’Internet est devenu global, au milieu des années 90. J’étais un jeune homme de 20 ans, et ma vision du monde a été affinée grâce à mes échanges avec d’autres cypherpunks, partout dans le monde, qui cherchaient eux aussi à comprendre les rapports entre la technologie et la politique. Internet devenant global, nous voyions émerger de nouvelles structures politiques. Mais, surtout, la circulation rapide de la parole et le fait de pouvoir discuter avec des Français ou des gens en Californie permettaient de comparer différentes écoles de pensée politique. Mais c’était il y a vingt ans : on a évolué depuis. Si vous regardez les archives des discussions entre cypherpunks de l’époque, celles-ci sont relativement naïves…

Existe-t-il une filiation entre les cypherpunks et les mouvements anti-guerre et pro-droits civiques de la génération de nos parents ?
La grande différence entre les deux est que la moitié des cypherpunks les plus actifs et influents avaient un niveau d’études particulièrement élevé : ils étaient mathématiciens, ils avaient leur doctorat… Ce sont eux qui ont crée les premières sociétés Internet. Ils étaient une élite, dans le meilleur sens du terme. Ce qu’ils faisaient n’était pas à la portée de tous ; on ne peut pas vraiment les comparer aux hippies. S’il fallait trouver un cas analogue dans l’Histoire, ce serait plutôt les inventeurs des premières presses à imprimer, ceux qui voyageaient de pays en pays afin d’éviter les législations, à leur encontre, qui se mettaient en place… Mais au moment du mouvement cypherphunk des 90’s, ça se passait dans la Bay Area de la Californie, et c’était avant tout une culture libertarienne. Après avoir été le berceau des hippies – mais les parallèles s’arrêtent là –, ce coin est resté une zone de liberté et d’éducation (les campus de Berkeley et de Stanford ne sont pas loin). Un endroit propice pour imaginer, créer, et expérimenter de nouvelles structures politiques. Et, bien sûr, c’est également le lieu de naissance d’Internet : Unix y est né, ainsi que Cysco Corporation…

Un développement politique qui viendrait de la Silicon Valley plutôt que d’une lignée contre-culturelle ?
Les cypherpunks sont partis fonder les sociétés qui ont façonné Internet. La bulle Internet en 1999 a eu pour effet de mettre fin au mouvement cypherpunk tel qu’il existait en Californie. Alors, ils sont partis créer leurs sociétés et se sont impliqués dans leurs stock-options et leurs fusions et leurs acquisitions. Ce n’est qu’à partir de 2007 ou de 2008 qu’il y eut un revival, avec l’émergence de Wikileaks, mais aussi de la Quadrature du Net en France, de Piratebay en Suède, de la montée en puissance de l’Electronic Frontier Foundation (EFF) en Californie, ainsi que le TOR Project fondé par le cypherpunk Roger Dingledine. Et dans ce revival, nous avons été les plus influents – ou les plus visibles –, du fait de notre confrontation avec le gouvernement américain. Ça a permis à Internet de passer d’un espace essentiellement apathique politiquement en 2008 – et bien sûr les Anonymous font partie de ce mouvement de fond –, à un espace politisé en 2011. En deux ans, on a politisé Internet.

Vous considérez qu’Internet n’est plus un espace d’apathie politique ?
Si vous regardez les hommes de moins de 30 ans qui sont sur Internet, la majorité est politisée. Pas forcément des activistes à temps plein, mais des gens capables de discuter de ce qui nous arrive à Wikileaks, de la liberté d’expression… Alors que si l’on retourne quatre ans en arrière, c’était le contraire. Quand vous leur disiez, en 2008, « j’ai envie de parler politique », ils répondaient. « Ça ne me regarde pas, c’est un truc pour les plus de cinquante ans. » Cela a changé. Aujourd’hui, ils se rendent compte que le net est devenu l’espace des combats politiques.

(*Menace sur nos libertés, éditions Robert Laffont, 2013) 

Entretien Laurence Rémila


Publié dans Technikart #171, avril 2013

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