Elles sexent, elle droguent, elles … rock’n’roll !

girl-rock

Mode, littérature, musique, clubbing: les filles deviennent de plus en plus wild. Pose grand’ guignolesque ou post-féminisme canon ? «Technikart» s’est glissé parmi ces nouvelles amazones pour mieux comprendre le phénomène.

« Vivre rock’n’roll ? Une façon de s’éclater !, proclament les trois filles du groupe Terry Poison. Donc une forme d’émancipation. » Louise Kahn, Petite Maler et Gili Saar, ont à peine 25 ans de moyenne d’âge. Elles viennent de Tel Aviv, sont décrites comme des Gwen Stefani sous ecsta, des Peaches groovy.

« Le concept de notre musique requiert un max de nichons – six, plus exactement. On aime quand nos seins gigotent, ça nous donne du groove pour composer. Une grosse vibe rock’n’roll ! »
Louise, Petite et Gili ne sont pas les seules à investir le créneau rock’n’roll – au sens large, lié à l’attitude. Le nombre de nénettes qui mon- tent des groupes trash, canailles, sexy, effrontés, wild, en devient même alarmant. Qu’écouter de neuf cet été ? Terry Poison, Uffie, The Pipettes, les Plastiscines, Eglantine Gouzy, Audition, Lily Allen, Suzanne de Pravda, Metallic Falcons, Junkie Brewster, Isabelle Linqwister de Rodeo Massacre… N’en déplaise à Patrick Juvet, la question de ce milieu d’année 2006, c’est : où sont les hommes ?

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OÙ SONT LES HOMMES ? The Pipettes (ci- dessus), Terry Poison, Audition, Uffie, Eglantine Gouzy et Peaches (de bas en haut, page de droite). Un seul mot d’ordre: let’s rock !

OUBLIÉE, MARIE GILLAIN
L’invasion des vingtenaires à la rock’n’roll attitude touche aujourd’hui toutes les branches artistiques. En cinéma, Béatrice Dalle pond des petites sœurs à la pelle : Roxanne Mesquida, Vahina Giocante, Ellen Page, Vera Farmiga, Kristen Bell, Michelle Rodriguez, Katee Sackhoff, Anapola Mushkadiz… Des actrices à l’opposé de celles plébiscitées il y a encore deux ans, les Marie Gillain et Virginie Ledoyen qui avouent, dans leurs interviews, aimer leur maman et leur chat.
Au dernier Festival de Cannes, il n’a pas été question d’elles, mais d’Asia Argento, indisponible « pour raison de santé ». Hum… On connaît le tatouage surpubien, ses films trash, ses frasques stupéfiées. Bref : un modèle rock’n’roll. En littérature, pareil : les bobonnes Anna Gavalda et Marie Darieussecq sont restées en gare alors que celles qui se réclament d’un quelconque héritage de Virginie Despentes ou d’Ann Scott sont observées avec intérêt. Il faut lire la critique dans Libération de Fonction Elvis, un livre sur le king du rock’n’roll signé Laure Limongi, 30 ans, grande auteure puisqu’elle a écrit une « superbe constellation » « où Glenn Gould serait le nom d’un acteur porno »

GUITARES CHEZ MORGAN
Dans les rues, on croise d’un seul coup plus de clones de Chrissie Hynde, la meneuse des Pretenders, que de Sandrine Bonnaire. La mode est au tout rock’n’roll : Kate Moss, sa liaison avec Pete Doherty, ses photos le pif dans la farine, éclipse les filles saines à la Elle MacPherson. Les boutiquiers, H&M en tête, ne vendent plus que des tee-shirts à l’effigie des Stooges ou des Ramones. Jean-Baptiste Mondino, qui a commencé en faisant les pochettes de Téléphone et
Taxi Girl, sort aujourd’hui un livre intitulé Guitar Eros, avec des photos de mannequins armées de guitares.
Jean-Bapt’ est aussi responsable de la dernière campagne Morgan, ainsi décrite par Vogue : « Morgan a choisi une égérie à la fois glamour, rebelle et sexy : Theodora Richards, fille de Keith… Morgan a recréé l’ambiance d’un concert et métamorphosé la belle en icône rock irrésistible… Mais Theodora n’est pas qu’une simple image sur papier glacé puisqu’elle a créé un sac vendu dans les boutiques Morgan au prix de 75 €. »

MODE DE VIE FRIVOLE
Marie-Pierre Bonniol consacre sa vie au rock’n’roll. Elle dirige la revue Minimum Rock’n’Roll, la collection de la Carte du Tendre (des nouvelles sur le rock et les groupies), préside la fédération française d’air guitar, et s’occupe de la programmation des concerts de la Géode : « Être rock’n’roll, est-ce se libérer ? Tout dépend s’il s’agit d’œuvre ou de mode de vie : le grand guignol qui peut me faire jubiler sur scène peut tout aussi bien me faire tourner de l’œil dans la vraie vie. La vraie libération, c’est celle des codes et des addictions. Sinon, on n’est qu’une étudiante de terminale littéraire qui fait n’importe quoi le samedi. »
Point commun des congénères de Terry Poison, le groupe dont nous vous parlons plus haut : elles se revendiquent rarement féministes. On pourrait presque croire qu’elles ne font que réactualiser un mode de vie frivole – le clubbing –, façon rock et jupons. Une génération spontanée finalement bien moins trash que leurs aînées – Sextoy et les lesbiennes du Pulp – ou que les pionnières pop – Nico, Anita Pallenberg, Tina Aumont.
Fabrice Gaignault, auteur du livre Egéries sixties : « Lorsque l’on connaît l’insolence, l’allure de leurs aînées, on ne peut que sourire au positionnement de la plupart des prétendantes actuelles. Les filles sont plutôt moins libérées aujourd’hui que dans les années 60. Elles se donnent un genre mais vont beaucoup moins loin dans l’outrance et me semblent bien plus plan-plan sexuellement et moralement. »

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Terry Poison

« ATTRIBUTS FOLKLORIQUES »
Dans les années 50, le rock’n’roll s’était érigé pour libérer la jeunesse du monde gris et coincé des barbons. Il comptait essentiellement dans ses rangs des mâles, avec une forte proportion de machos. Depuis, plusieurs filles ont quand même réussi à promulguer un rock féministe, de Janis Joplin à Le Tigre, de Bikini Kill à Kelis.
Alexandra Baudelot,directrice de la revue Mission impossible : « Patti Smith incarne un look et un mode de vie androgyne face à une Debbie Harry ultra glamour qui clame haut et fort une posture libre et sexy… D’un côté, il y a les attributs folkloriques qui rendent le corps de la femme visible aux yeux de la société, ceci vaut donc pour le “wild”, et de l’autre, une construction beaucoup plus intime, sans images… »
up plus intime, sans images… »
Une certitude : le modèle de Terry Poison et consorts est plutôt à chercher du côté d’Edie Sedgwick, l’égérie de Warhol, que de celui de Sarah Jessica Parker. Beaucoup de filles ne se reconnaissent pas dans le « féminisme » diffusé par la presse, Sex & the City (la libération passe par le shopping chez Prada), ou la « chick lit’ », les succédanés de Bridget Jones (la femme doit s’accepter comme une fille un peu gourdasse mais si touchante).
Busty, auteure du livre Pete Doherty : « Les magazines féminins, c’est une vraie dictature, on dirait une deuxième mère avec des faux airs sympas, qui vous explique comment faire avec les hommes, comment mettre du rouge à lèvres et de quoi parler en société. Les filles, de toute façon, on leur demande de rentrer dans des catégories toute faites. Et il y en a des tas, même pour les mécontentes. A force, on a l’impression que la seule liberté, c’est choisir sa case et l’idéal qu’on veut atteindre. Mais c’est infernal de devoir grandir avec ça ! Être “rock’n’roll”, bien sûr que c’est une forme de libération. C’est déjà se libérer des convenances, du bon goût et de tout un tas de trucs sans lesquels on vit très bien. »

« PLUS DE FANS MÂLES »
Son de cloche légèrement différent de Fofifonfeck Morino et Aloise F, les deux jeunes filles de « l’anti-groupe » The Drugs : « Le rock’n’roll est plus une mentalité qu’un mode de vie. On peut imaginer Peaches faire du sport et manger des légumes, ça n’empêche rien. Les tee-shirts déchirés et compagnie, c’est juste du vent. Etre trash, c’est libérateur, mais ça ne suffit pas. »
Corinne Aguzou, auteure de la Révolution par les femmes, va plus loin : « Il y a toujours besoin d’une violence pour répondre à la violence instituée en normes. Le fait que des femmes artistes soient plutôt trash en dit long sur le trash réel,bien que souvent masqué, de la violence sociétale ambiante sexuée. » Louise, Petite, Gili, vous souscrivez ? « Nous ne voulons pas une révolution féministe. La raison de notre existence en tant que filles rock’n’roll, c’est qu’on veut plus d’attention de la part des fans mâles : de cette façon, on gagne notre liberté. »

WWW.TERRYPOISON.COM
CORINNE AGUZOU: «LA RÉVOLUTION PAR LES FEMMES»
(TRISTRAM).
BUSTY: «PETE DOHERTY» (SCALI).

BENOÎT SABATIER


Paru dans Technikart #104, juillet/août 2006

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