Et si le big data n’était qu’un big bluff ?

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Attention, futur immédiat ! Grâce au recueil et à l’analyse des données en masse – aka le big data – les géants d’Internet promettent un nouveau monde : on va non seulement pouvoir tout connaître mais aussi tout prévoir et donc tout pouvoir… Un big business de milliards de dollars. Mais si le big data était surtout un big fantasme ?

Le big data, c’est aussi le nouvel évangile numérique aux allures de big business. Les évangélistes du big data – les géants d’Internet, les marchands du Cloud ou les grands groupes de services qui se disputent un marché qui représente des milliards de dolars – enseignent ce nouvel évangile dans les conférences, colloques et keynotes. Dans un franglais obscur, ils prodiguent la bonne parole. Un message simple. Le Big Data, c’est le futur et le futur, c’est le big data. Le big data ouvre les portes de l’avenir grâce à trois clefs.

Première clef : l’omniscience. Sous l’effet des réseaux informatiques et sociaux, de l’Internet des objets et des smart cities, le monde entier se transforme en un vaste océan de données. Et recueillir, traiter et analyser la masse de ces données, c’est s’ouvrir au savoir absolu : tout connaître, partout et à tout moment. Deuxième clef : la prescience grâce aux modèles statistiques. Ce que l’on appelle le big data prédictif. Tout connaître d’un consommateur par exemple offre la possibilité de prévoir ses agissements futurs sur la base de modèles statistiques préexistants, les algorithmes. Troisième clef : le pouvoir qui grâce à la connaissance et la préscience devient un superpouvoir même. Le big data va permettre d’éradiquer les maladies, de faire reculer la famine, d’assurer la sécurité de chacun à tout instant. Même l’immortalité devient envisageable. On y travaille d’ailleurs à la Silicon Valley…

BIG DATA OU « BUG DATA » ?

Reste que pour l’heure le futur se fait attendre. Il faudrait plutôt parler de « bug data ». L’omniscience est plus que partielle, et le marketing prédictif se résumerait plutôt à prédire… le passé en vous proposant de découvrir l’hôtel que vous avez déjà réservé deux semaines auparavant ou de vous soumettre une offre de réducton sur une tondeuse dont vous avez déjà fait l’acquisition en ligne quelques heures avant. « Google Flu trends » a longtemps été présenté comme le modèle réussite du big data. Lancé en 2008 ce service était censé suivre sans l’aide d’aucun médecin le développement de l’épidémie de grippe en temps quasi-temps réel. Il a fonctionné pendant plusieurs hivers, mais soudain son modèle sans que Google ne sache pourquoi… Échec plus spectaculaire encore : la NSA. L’agence de renseignement reconnaît aujourd’hui que le traitement des données collectées massivement via les écoutes, aurait permis sur 10 ans de déjouer… une et au mieux deux menaces terroristes ! Un chercheur a pu dire à ce sujet que « la seule chose prévisible au sujet du datamining terroriste, c’est son échec permanent ».

BIG DATA OU BIG FANTASME ?

Pourtant rien n’arrête la big-data-mania qui enfle comme une baudruche gonflée par trois mythes.Le mythe « du bon sens ». Qui voudrait logiquement que plus on ait de données, plus on ait de chances de s’approcher de la vérité. Or c’est le contraire qui se passe : plus on possède de donnée plus les risques de simplification statistique et d’erreur augmentent. Le big data c’est comme une carte à l’échelle 1/1, d’une précision parfaite mais qui n’est d’aucune utilité pour nous orienter puisqu’elle se confond avec le territoire. À celui de 1984 de George Orwell dont Big Brother est souvent utilisé pour évoquer le data-panoptisme. Et à celui de Minority Report de Philip K. Dick – popularisée par le film de Steven Spielberg – où dans le futur la police, grâce à des mutants aux pouvoirs divinatoires, sont en mesure d’arrêter des suspects avant qu’ils ne passent à l’acte commis illustration parfaite du fantasme du big data prédictif. Et le paradoxe de l’histoire, c’est que ces « mythes totalitaires » utilisés par les détracteurs pour combattre la toute- puissance du big data sont précisément ceux qui le renforcent, en nourrissant le fantasme. Car finalement ce que monétise le mieux le big data ce sont les fantasmes qu’il génère. Et dans une économie du fantasme comme l’est la nouvelle économie c’est tout bénef. Big up au big bluff du big data, donc.

                                                                                                                      Paul Vacca