Geoffroy Lejeune de Valeurs actuelles : « Houellebecq est politiquement inclassable »

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Le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles et Michel Houellebecq se connaissent depuis la traduction, par l’hebdo ultra-droitier, de son « ultime interview » donnée à Der Spiegel en octobre 2017. « Je pense qu’on a eu un bon feeling humain, on s’est bien entendus » explique le journaliste. Leur entente est telle que c’est Geoffroy qui accompagne Houellebecq à Bruxelles en octobre 2018, où il se voit remettre le prix Oswald Spengler. Alors, Houellebecq réac ?

En novembre 2018, peu de temps après votre deuxième « une » consacrée à Houellebecq, Nelly Kaprièlian (critique littéraire des Inrocks et soutien historique de Houellebecq) se demandait : « Michel vire-t-il à l’extrême droite ? L’a-t-il toujours été ? Est-ce de la provoc ? du nihilisme ? ». À votre avis, a-t-elle raison ?
Geoffroy Lejeune : Je le sens complètement incernable politiquement. Il est extrêmement déroutant, c’est impossible de le mettre dans une case. C’est ce qui fait sa grande liberté. J’aurais beaucoup de mal à le classer, j’en suis même incapable. Houellebecq est un des esprits les plus libres de notre époque, il perçoit absolument toutes les nuances de toutes les situations, de tous les discours, toutes les contradictions. Et se nourrit de ça pour écrire. Je trouve ça extrêmement dommage que quelqu’un qui le connaît bien comme Nelly Kaprièlian veuille absolument lui coller une étiquette sur le dos, et surtout une étiquette infamante. Elle a projeté son angoisse de Valeurs actuelles sur le fait que Michel se soit exprimé dans ce canard-là et elle en a tiré les mauvaises conclusions. C’est dommage parce que c’est justement la force de Houellebecq, d’être ni l’un ni l’autre : ni les Inrocks, ni Valeurs ! Je suis très heureux de l’avoir accompagné à Bruxelles, et je me garde bien d’en tirer une conclusion quelconque sur son engagement politique, son positionnement. Je pense que c’est impossible. A partir du moment où quelqu’un est lu et adoré de l’extrême-gauche à l’extrême-droite en passant par le centre, la droite modérée, la droite catho, la droite réac et la gauche social-démocrate, la gauche anti-libérale, jusqu’à l’Elysée. C’est qu’il embrasse toute la société française et ses opinions.

© Eduardo Munoz Alavrez / AFP

Michel Houellebecq n’a donc aucune opinion politique ?
Il a des convictions. J’ai fait un article qui tournait essentiellement autour des thématiques européennes parce que j’étais à Bruxelles, dans le saint des saints de l’UE, donc on a parlé de ça. Dans son discours il a écrit qu’il considère que l’UE assassine les nations. C’est une conviction extrêmement forte, qui est partagée aussi bien par Jean-Luc Mélenchon, comme par Florian Philippot ou Nicolas Dupont-Aignan. C’est pour ça que je vous dit qu’il a évidemment des convictions – à savoir où elles le placent sur le terrain politique, j’en n’ai aucune idée.

Les livres de Houellebecq peuvent pourtant laisser supposer un marquage politique, non ?
Si on reprend toute sa production, tous ses livres, il a une réflexion sur le transhumanisme, qui n’est ni sur la ligne des cathos anti-eugénisme, ni sur la ligne des fous de la Silicon Valley qui veulent faire un homme augmenté, il est entre les deux et il décrit extrêmement bien ce que c’est. Il a une réflexion sur le monde de l’entreprise qui colle extrêmement bien avec ce que croit la majorité des gens qui y sont confrontés. Si il était quelque part politiquement, il n’aurait pas le public qu’il a, or il a un public énorme parce qu’il s’adresse à tout le monde. Il a des convictions, mais le placer, le classifier, le situer est contre-productif. 

Entretien Albane Chauvac Liao