Harmony Korine rock’ n roll attitude : l’icône des branchés du monde entier est-il un salle gosse surestimé ?

Chez Harmony Korine, difficile de savoir ce qui vient en premier : la coolitude ou le talent, son aura d’enfant terrible ou son oeuvre. Un roman et un nouveau film (« Julien Donkey-Boy ») le consacrent une fois de plus dans l’art de brouiller les pistes. Une fois de trop ?

Harmony Korine est le prototype même de la jeune sensation arty dont on connaît par coeur la légende mais dont on n’a pas forcément vu le travail. Pas grave : l’étrange bonhomme débraillé ascendant yiddish est à lui seul une oeuvre d’art, déglinguée, dérangée, en perpétuelle construction. Il vient d’ailleurs d’ajouter une pierre de plus à son propre édifice.

Un beau jour de mars 99, pour, comme il dit, « Ranger au placard toute bienséance filmique et balancer un gros coup de pompe dans la fourmilière du jeune cinéma américain », Harmony est descendu dans la rue. Sa mission ? Provoquer en duel des mecs plutôt costauds et se prendre une dérouillée devant la caméra, un complice caché filmant la scène depuis une rue annexe.
Résultat : la police a mis fin à ses agissements au bout de six combats, lesquels n’ont pas duré plus de deux minutes chacun (« Je n’avais pas réalisé qu’une baston se déroulait comme ça, en un éclair »). Et Harmony de terminer sa journée aux urgences, gisant sur la table d’opération, plaies béantes et contusions diverses. Ne subsiste de son Fight Harm (« Harm » pour Harmony) que douze petites minutes de métrage. Au départ, le film devait consister en un snuff-movie rigolo d’une heure trente. Il lui faudrait livrer, d’après ses calculs, quarante combats supplémentaires pour en arriver là. Pas vraiment jouable,. La mort dans l’âme, il a donc pris la pénible décision d’abandonner. Mais si Fight Harm n’existera probablement jamais en dehors de son cercle d’intimes, l’anecdote, elle, a fait le tour des milieux branchouilles. Elle a maintenant rejoint le catalogue d’« histoires à raconter » sur Harmony Korine avec l’avantage indéniable que cela sous-entend : si son oeuvre ne convainc pas tout à fait (spécialement si elle n’est même pas visible), il nous reste son mythe à se mettre sous la dent. En voici un léger aperçu.

 

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« Julien Donkey-Boy » a été tourné en DV numérique: plus c’est moche et plus on s’en fout.

… UNE LÉGENDE DORÉE
Harmony aurait une préférence sexuelle pour les handicapés. Harmony fait des claquettes. Harmony s’est fait repérer par le photographe Larry Clark sur un banc public de Time Square. Harmony vit une histoire passionnée pleine de ruptures et de réconciliations avec l’actrice-model-égérie-chic Chloé Sevigny. Harmony est interdit de séjour dans un célèbre hôtel new-yorkais pour avoir poursuivi jusque dans la rue, un tesson de bouteille à la main, un fan allemand un peu trop insistant. Harmony a choisi un nazi notoire pour composer la musique de Gummo. Harmony est vraiment furieux que Hilary Swank ait remporté I’Oscar cette année pour Boys Don’t Cry alors que Chloé n’a rien eu. Harmony fut champion sponsorisé de skateboard. Un jour que sa petite soeur venait lui faire un câlin, Harmony, complètement défoncé, l’a jetée par la fenêtre…
Le problème que pose le gars Korine est le suivant : à peine êtes-vous arrivé à a conclusion que ce sale type est capricieux, instable, insolent, geignard, qui remue avec une douteuse persévérance la vilenie et le sordide de son pays (pauvreté, oisiveté, crasse et amoralité sont des thèmes de prédilection) n’est pas digne de toute l’attention qu’on veut bien lui porter, il vous change comme par magie le laid en beau au détour d’une scène de Gummo (où un jeune attardée mentale que sa famille prostitue devient la plus libre des filles à travers les yeux de son client) où lâche, avec un sens du discernement bluffant, un truc comme « Kids n’est pas mon film (il n’en est que le scénariste insouciant et inexpérimenté, NDLR).  C’est celui de Larry Clark. Moi, je l’aurais rendu encore plus détaché, distant, parce que c’est justement là que se situe le point de vue moral, dans cette froide identification du péché. Mon idée de la moralité n’a rien à voir avec celle de Hollywood qui veut que tout soit blanc ou noir et qu’on en tire une leçon à la fin. Là d’où je viens, ces règles ne s’appliquent pas. » Du coup, on meurt d’envie de savoir d’où il vient.

 

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« Julien Donkey-Boy » a été tourné en DV numérique: plus c’est moche et plus on s’en fout.

… RIGOLO SHOOTÉ À LA HYPE 
Né sous le soleil parfait de Californie, Harmony Korine descend d’un père juif iranien immigré et d’une mère dont on sait peu de choses sinon rien (cette « absence » assombrit toutes les bios recensées sur le bonhomme et se répercute sur les personnages de ses films, inéluctablement en quête d’une figure maternelle incarnée presque toujours à l’écran par la douce Chloé). Tout juste Harmony voit-il le jour que Ia famille Korine déménage à nouveau. Direction Nashville, dans le Tennessee, capitale de la musique country mais aussi coeur souffreteux d’une Amérique resplendissante. Harmony y passera toute son enfance à tromper son ennui en tuant quelques chats, restant la plupart du temps seul dans sa tête. Les visions de désolation et ce sentiment d’abandon qui émanent de Gummo viennent entièrement de là. Le film fut d’ailleurs tourné sur place. Il raconte : « Durant tout ce temps où j’ai grandi un peu à part, mon père ne me parlait pas. Quand il était en colère, il me balançait des chaussures à la gueule. L’autre facette de son comportement, c’était « Et si on allait voir un film ? » »
C’est en arrivant à New York que Harmony laisse libre cours à sa passion immodérée pour le cinéma. On l’ignore un peu trop mais avant d’être un junkie allumé et un rigolo shooté à la hype, Korine est un authentique amoureux du septième art. En âge de se forger une culture bien à lui, il arpente donc les salles art et essai de la ville et digère tout le cinéma européen et américain d’avant-garde. Ses maîtres ont pour nom Buster Keaton, Cassavetes, Herzog, Godard et, plus important en regard de son propre développement artistique, Fassbinder et Alan Clarck. « Si je voyais un film de Fassbinder, je me précipitais à la bibliothèque pour trouver un bouquin sur lui. Dedans, j’apprenais que lui-même était branché par le mélodrame et, notamment, Douglas Sirk. Aussitôt, je faisais tout mon possible pour découvrir le travail de Sirk. C’est comme ça que j’ai compris qu’il y avait une continuité dans le monde du cinéma. Et j’espère aujourd’hui faire partie de ce mouvement naturel. »

 

… « CE GARS-LÀ EST UNE MENACE POUR LA SOCIÉTÉ »
Harmony Korine, re,eton illégitime de Fassbinder et Sirk ? Il est si doute temps de calmer 1e ieu. Enraciné dans une représentation déviar et figurative de I’adolescence, le cinéma de Korine, à mi-chemin entre fiction et le documentaire (narration déstructurée, acteurs professionn et amateurs mêlés, esthétique du délabrement et du naturalisme), n’échap pas complètement – pour ainsi dire pas du tout – à un formalisme p prement agaÇant et à un déballage trash excessif. Bref, Harmony en I encore un peu trop. Si Gummo et son accumulation de saynètes eïfrayan faisaient entrevoir un envers chargé d’émotion, son nouveau film, /u1 Donkey-Boy, nous laisse dans un état de morne impatience, à deux doi du coma proïond. Tourné en DV numérique sous le sceau du Dogme (soupir), ce portrait schizophrène d’un enfant mal-né (extraordinaire El,l Bremner, bientôt dans Pearl Harbor de Michael Bay !) s’alourdit progre vement dans une recherche visuelle omniprésente oir plus c’est moche plus on s’en fout. Seul un final tétanisant, qui vous prend aux tdpes et vous lâche pas, permet de croire en l’avenir du cinéaste Korine.
Même si ses films ont plus d’ennemis que de partisans (l’ensemble de la critique américaine s’est entendue sur le fait que ce gars-là est une menace pour la société), Harmony s’est découvert une famille de cinéma, qui l’a recueilli et approuvé. Le producteur hollywoodien Cary Woods (Scream), la styliste Agnès B. (chez qui il a présenté ses photos, pas terribles, au mois de juin), les réalisateurs Werner Herzog (acteur dans Julien), Chris Cunningham et Gus Van Sant sont maintenant derrière lui. Toujours sous chaste bannière du Dogme 95, le prochain Korine, provisoirement baptisé Jokes (d’après un recueil de blagues du poète yiddish Milton Bremer), sera coréalisé par lui-même, Van Sant et Chloé Sevigny, qui fera ses débuts derrière la caméra. Entre-temps, on pourra trouver très bientôt dans les bacs son « roman », A Crackup at the Race Riots qui est plus un bloc-notes rempli de « one-liners » débiles (« Placido Domingo aime les sorbets »,« Roberta Flack a peur d’aller chez le dentiste »), de fausses rumeurs et de fausses notes de suicide. Quant à nous, on préfère attendre que Harmony viole un chien, frappe Hilary Swank au visage ou se jette de l’Empire State Building en hurlant « Laissez-moi tranquille, je ne suis qu’un gosse et je suis fou ! »

 

Capture d’écran 2015-08-17 à 14.49.05Repère 01/13 ans : Harmony passe le plus clair de son enfance à Nashville (Tennessee), capitale white trash et country. Il se décrit comme un solitaire, un extraterrestre qui tarde à voir venir la puberté. De sa jeunesse, il se rappelle surtout les moments où son père le tabassait avec une chaussure. 

 

Capture d’écran 2015-08-17 à 14.55.39Repère 02/17 ans : Les Korine s’installent à New York. Harmony s’adapte (skate, bibine, drogue), combat sa solitude chez Fassbinder, Herzog ou Godard et fait une rencontre. Elle s’appelle Chloë. Ensemble, ils enflamment Larry Clark, qui commande à Harmony un scénario de film : »Kids » donne envie de vomir. 

 

Capture d’écran 2015-08-17 à 14.59.36Repère 03/26 ans : Harmony Korine & Chloé Sevigny deviennent le couple le plus « in » de la planète. Elle est fashion et commence à éclore en actrice hypnotique. Il est l’insupportable vaurien que le monde artistique tout entier s’arrache. Mais, avec « Julien Donkey-Boy », il aimerait simplement être reconnu comme cinéaste. 

« Julien Donkey-Boys »: sortie le 13 septembre.
Cinéma Par Benjamin Rozovas


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