HOLLYWOOD EN BAS DE CHEZ TOI

Paru dans le Hors Série TV de Technikart – 19/07/2009

LES SÉRIES «DO IT YOURSELF» DÉBARQUENT EN FRANCE
À grands coups de marketing viral, de références pop et de budgets inexistants, le phénomène des séries faites à la maison commence à prendre forme. Souvent pour le pire. On a quand même déniché le meilleur.

Des autocollants Spiderman jusque sur les interrupteurs, des figurines à l’effigie de la mythologie Mario Bros partout dans le salon, une Batmobile encore emballée dans les chiottes : l’appart de Davy Mourier (graphiste le jour, réalisateur la nuit) ne trompe pas sur les tendances nerdisantes du bonhomme. Ça tombe bien, c’est ici que lui et sa bande de potes tournent amoureusement depuis un an leur série NerdZ, shortcom régressive et ultraréférentielle diffusée chaque vendredi soir sur Nolife TV. Lorsqu’on débarque dans ce temple de la sous-culture, Davy et Didier (acteur, coscénariste et lui aussi graphiste) hallucinent sur les parodies et repompages dont est victime leur bébé sur Dailymotion. Des ersatz nuls balancés par des kids en manque d’inspiration (Tv On, Hello Geekette), mais aussi de véritables hommages de fans hardcore, réalisés avec soin et une sacrée dose d’amour. Comme cet épisode fake reprenant les personnages, les costumes et les décors de NerdZ jusque dans leurs plus infimes détails, tout en en amenant l’arc narratif vers un happy end fantasmé. Comme Davy, le fanboy devenu à son tour objet d’idolâtrie, on est sur le cul. Tout à coup, on ne doute plus du tout de l’impact de leur série sur un public qui a déserté la télé pour choisir ses programmes à la carte sur le net : Nerdz, c’est un peu plus de 700 000 visionnages en moins d’un an sur les sites d’hébergements vidéos. Pour un budget d’environ… 50 € l’épisode.

RÉGULIÈREMENT À DÉCOUVERT
Ici, bien sûr, personne n’est payé. Comme souvent dans le monde des vidéastes amateurs, on raque plutôt pour en être. Au choix : les pizzas pour l’équipe, les cassettes DV, un accessoire par ci, un costume par là. « Je ne peux pas vraiment te dire combien nous donne Nolife TV pour une saison de 22 épisodes, mais c’est dérisoire, nous explique Davy Mourier. Du coup, avec Didier et Mr Poulpe (le troisième coscénariste – NDLR), on se retrouve régulièrement à découvert pour financer les épisodes. En fait, c’est l’accueil incroyable du public qui nous pousse à continuer. C’est pour ça qu’on ne dit rien quand la série se retrouve sur Dailymotion, c’est là où les gens la découvrent. »
Une fois NerdZ découvert, difficile d’en décrocher. Outre ses qualités évidentes et son statut unique dans la « production » française, la série sait fidéliser son public à coups de happenings virtuels (concours, « entreépisodes », bandes-annonces, messages aux fans…) entretenus quotidiennement sur les différents blogs de l’équipe. « Un jour, pour déconner, on a écrit sur nos blogs respectifs que la série s’arrêtait à cause d’une vague histoire de fellation entre Davy et moi, balance Mr Poulpe avec un sourire jusqu’aux oreilles. Le truc que nous n’avions pas prévu, c’est que les gens ont pris l’histoire au sérieux et nous ont inondés de mails pour nous demander d’oublier cette histoire et de continuer la série à tout prix. » Une manière comme une autre d’entretenir un buzz vital à la pérennité de la série.
MYSTÉRIEUSE LG15
Si NerdZ n’a aucun équivalent dans l’Hexagone, son petit cousin ricain, Lonely Girl 15, expérimente déjà cette forme de marketing viral pour fauchés depuis juin 2006. Sous le sésame désormais culte de LG15 se cache le vlog de Bree, ado ricaine à tendance repliée sur elle-même, exposant face à sa webcam ses tourments de teenager middle class. La curiosité augmente d’un cran sur Youtube lorsque vient se mêler à tout ça de sombres histoires d’occultisme et de cérémonies secrètes. Toute une génération d’internautes scotche, jusqu’à ce que la presse américaine finisse par s’en mêler d’un peu trop près. Le L.A. Times finira par révéler le pot aux roses : LG15 est un canular scénarisé et réalisé par trois potes fous de cinéma, qui se sont offerts leur série télé avec les moyens du bord.
Au final, les fans se foutent de savoir que tout cela n’a rien d’authentique et continuent par dizaines de millions à suivre les web-journaux de Bree – un spin-off a été lancé avec succès en septembre. Pendant ce temps, les trois petits malins se sont offerts une boîte de prod grâce aux placements de produits de LG15 et sont accueillis à bras ouverts par Hollywood. Un rêve typiquement américain ? « Je ne peux pas te dire combien m’a coûté Fixion. Une somme ridicule en tout cas. Mais si je m’amuse à le crier sur les toits, on me filera trois francs six sous pour mes futurs projets. Et ce que je veux maintenant, c’est du blé. » Fouad Benhammou, réalisateur, scénariste et monteur de la web-série Fixion, a 36 ans, de l’ambition à revendre et un plan de carrière bien précis. Fixion, il ne s’en cache pas, n’a jamais été une fin en soi, simplement une luxueuse bande-démo pour passer au long-métrage le plus vite possible. Presque un gâchis tant sa série maladroite mais d’une inventivité permanente, mériterait un tout autre statut dans le contexte audiovisuel actuel.
«TOURNER UNE SÉRIE ROOTS»
Tous autant qu’ils sont, les créateurs frenchies de webséries « faites à la maison » ne semblent pas envisager une seule seconde de mettre en place une bulle artistique et économique à l’abri des directeurs de networks. Triste ? Pas vraiment. Davy Mourier : « Si M6 me demande de faire une série plus carrée, en virant les vannes sur les enfants morts et la sodomie, je saute sur l’occasion. Parce qu’honnêtement, là, j’en ai plein le cul de faire des séries télé la nuit dans mon appart pour pas un rond… » Mais immédiatement : « Par contre, si j’étais payé par une chaîne, je profiterais de mes week-ends pour tourner une série roots avec des blagues à la con histoire de la balancer sur le net. » Ouf.
Mais alors, si les geeks continuent à faire mumuse avec des bouts de ficelles en écrivant Plus belle la vie pour payer leur loyer, où est le changement ? Fouad, avec l’assurance de l’intermittent du spectacle qui a suffisamment galéré : « Grâce à ma série, j’ai eu moins de mal à convaincre les distributeurs et les financiers pour monter mon “long”. Du coup, il nous manque à peine un tiers du budget. Crois-moi, on ne va pas changer une virgule du script. Fixion m’a permis d’être crédible face à ceux qui amènent la thune. Cette crédibilité va me permettre de tourner le film dont j’ai envie et pas celui d’un autre. » On voudrait y croire. On attend juste un peu pour voir.
DE L’HORRIBLE ET DU BON
Pas la peine cependant de se voiler la face tant le phénomène reste isolé. Pour un NerdZ et un Fixion, on ne s’amuse plus à compter les abominations commises sur Myspace TV. Entre un Buffy à l’accent toulousain, une resucée des Experts dans le 93 et les innombrables Friends-like aux relents franchouillards, on constate que les jeunes vidéastes du web français ont salement pris exemple sur leurs modèles du réseau hertzien. Des raisons d’espérer, quand même ? Plein. Car ce monde-là en est encore à ses balbutiements et les divers teasers matés sur la toile – en particulier ceux de Terror Project 6 et de Howard – laissent à penser que le succès de certains ont donné pas mal de bonnes idées aux autres.
« Quand on essayait de refourguer la saison 1 de NerdZ dans les conventions de “japanime”, des mecs venaient nous dire que c’était le premier DVD qu’ils achetaient de leur vie. Celui-là, ils ne voulaient pas le télécharger, mais l’avoir chez eux. Ça fait bizarre pour quelque chose réalisé dans le salon d’un pote », nous lâche un Mr Poulpe presque surpris. Une brèche s’est ouverte. Penser à s’y engouffrer avant qu’elle ne se referme pour de bon.
FRANÇOIS GRELET

SERIE « DIY », LE KIT
En se confrontant de plein fouet aux codes de la série télé plutôt qu’en essayant de les parodier, «NerdZ» s’est offert une cohérence interne qui fait vite oublier son côté cheap. La preuve par 5.
1_UNE SÉQUENCE TEASER Dans «NerdZ», elle pose les enjeux de ce qui va venir, tout en mettant le spectateur dans un bel état d’excitation dès l’arrivée du générique. Un exercice dans lequel Joss Whedon («Buffy», «Angel»…) fait à la fois figure de maître et de pionnier. Les auteurs de «Nerdz»: «Whedon, c’est notre dieu. On aime sa façon de toujours emmener le spectateur là où il ne s’y attend pas, un truc auquel on pense dès qu’on écrit un épisode. Et nous adorons sa capacité à placer des vannes geeks ultrapointues dans un truc très mainstream. La blague sur Vegeta dans la saison 7 de “Buffy” m’a fait chialer de bonheur.»
2_UN GÉNÉRIQUE Lors de la première saison de «NerdZ», il amenait la problématique de la série tout en en présentant les personnages principaux via une voix off. Un peu à la manière de la série «Arrested Development». Les auteurs de «NerdZ»: «On a découvert “Arrested Development” il y a quelques mois, et on en est super jaloux. Ils vont tellement loin dans le trash et l’absurdité que ça nous a débridés dans notre façon d’écrire. On rêverait de leur piquer cette idée de teaser du prochain épisode qui n’arrive jamais.»
3_DES GUESTS STARS Elles sont partout dans les séries télé: de Britney dans «How I Met your Mother» à Lindsay Lohan, qui fait son cameo dans «Ugly Betty». «NerdZ» ne déroge pas à la règle en recrutant Tom Novembre et les deux stars de Nolife, Marcus et Alex Pilot. Les auteurs de «NerdZ»: «On a failli avoir Louise Bourgoin, mais elle est devenu connue pile au moment où elle devait apparaître. Ça a capoté. Mais on sait que Julien Doré imite très bien Régis-Robert. Notre plus gros guest, on l’a eu sans le savoir, en castant une inconnue, qui nous a révélé, le dernier jour de tournage au moment de nous dire au revoir, qu’elle était la mère de Marion Cotillard. C’est con, mais nous sommes restés scotchés.»
4_DES CLIFFHANGERS On n’attendait pas forcément d’une shortcom semi-improvisée qu’elle nous balance des cliffhangers monstrueux à chaque milieu et en fin de saison. Et pourtant… Les auteurs de «NerdZ»: «Pour se la péter, on fait comme les Ricains, nous tournons nos saisons en deux parties avec un gros cliffhanger à chaque fois. Ça nous excite à mort. Dans le genre, le sommet reste celui de la saison de “Six Feet Under” qui m’a complètement retourné. Ceux de “Battlestar Galactica” sont déments : dans la saison 2, y en a quasiment un à la fin de chaque épisode. Et puis, il y a bien sûr maître Whedon..
5_UNE «CATCHPHRASE» Pour certains, ce sera: «Suit up !» Pour d’autres: «I’ve made a huge mistake.» Chez «NerdZ», c’est: «Je te baise dans ma tête» ou «Ma kique, elle pleure». Les auteurs de «NerdZ»: «Ça nous fait plaisir quand un fan nous les ressort. On s’est tellement pissés dessus avec le «C’est pas faux !» de “Kaamelot”, qu’on voulait à tout prix avoir notre punchline récurrente.»
F.G.

L’ÉQUIPE DE «NERDZ» EN PLEIN BRAINSTORMING SUR LA SAISON 3
«Y A PERSONNE POUR NOUS PAYER UNE CAMÉRA ?»
Ce soir-là se jouait l’avenir de «NerdZ». Question fondamentale pour la petite équipe de la meilleure série française sur le web: on fait la saison 3 ? «Technikart» a laissé tourner le magnéto.
Davy (réalisateur): Ça fait un peu plus d’un an que «NerdZ» existe. On a déjà tourné deux saisons et acquis une notoriété. Les DVD de la saison 1 se sont plutôt bien vendus mais, concrètement, ça fait un an qu’on travaille pour rien. Ma question est donc la suivante: «Avez-vous envie de continuer ?»
Christophe (chef op): Moi, ça ne m’intéresse pas de faire une saison 3 si on ne bosse pas plus sur les lumières, les cadres… Avoir une maquilleuse aussi, ça ne serait pas du luxe.
Davy: L’argent des DVD servira à ça. On pourra aussi te racheter les éclairages qui ont pété…
Clément (ingé son): De mon côté, le mieux ce serait de tout redoubler.
Davy: Ah oui, mais ça c’est impossible.
Clément: Et une mixette, tu me l’accordes ?
Mr Poulpe (coscénariste): Ouais, et il nous faudrait absolument un réal pour les scènes d’extérieur, parce que ce genre d’impro, c’est plus possible. Pourquoi pas des vrais comédiens pour les seconds rôles ?
Davy: Je sais… Simplement c’est super chiant de faire passer des castings… Mais tu as raison.
Christophe: Avoir deux caméras du même modèle serait un bon investissement. Il y a une trop grosse différence de lumière d’un plan à l’autre, ça fait cheap.
Davy: Racheter une caméra pour avoir deux modèles similaires, c’est plus du tout dans nos moyens, là !
Maelys (actrice): Y a personne pour nous payer une caméra, genre Nolife TV (la chaîne qui les diffuse – NDLR) ?
Didier: Je ne crois pas qu’ils puissent. En fait, l’idéal, ce serait que nous n’ayons plus à foutre de notre poche pour tourner «NerdZ». C’est là-dessus qu’il va falloir se mettre d’accord.
Maelys: Est-ce que la série ne risque pas de s’essouffler avec une autre saison ? Mais ce serait con de ne pas en refaire une quand ça commence à marcher auprès des gens. 16 000 personnes sont venues sur mon site, il y a eu un pic…
Mr Poulpe: Depuis que tu as montré des seins dans un épisode ?
Maelys: Voilà.
Davy: Bon… Donc…
Didier: L’important, c’est de recalibrer la série. Là, c’est trop bordélique. Des épisodes de vingt minutes, d’autres de trois, il faut remette un peu d’ordre. Et puisque tout le monde à l’air d’accord pour continuer…
Davy: J’aimerais juste signaler un truc. On n’a encore rien écrit mais l’idée, ce serait de tourner vingt épisodes en cinq jours. Pas d’affilée, hein ! Juste ne plus étaler le tournage sur six mois en filmant des bouts d’épisodes la nuit.
Clément: Je vote pour.
Davy: Super. Donc je ne peux pas vous payer pour les quatorze mois de travail fournis. Mais je tiens à vous rémunérer pour la saison 3. Objectif: mettre un billboard (forme de sponsoring – NDLR) avant chaque épisode.
Didier: Et la régie pub de Nolife TV ne va pas vouloir une partie de la thune du billboard ?
Mr Poulpe: Non, ils comprendront.
Davy: Pour que le billboard soit bien rémunéré, il faut qu’on change notre manière de gérer «NerdZ». On laisse le droit de diffusion à la chaîne pendant une semaine. Après, dès qu’un mec balance un épisode sur Dailymotion, on se démerde pour l’effacer.
Mr Poulpe: Étrange comme idée, c’est comme ça qu’on s’est fait connaître…
Davy: Il est hors de question de laisser tomber le net. L’idée, c’est de mettre les épisodes sur notre site, de manière officielle. Comme ça, si nous avons un billboard, il est présent sur Nolife, mais aussi sur le net.
Didier: On ne peut pas empêcher «NerdZ» d’être sur internet…
Davy: Oui, mais autant maîtriser l’outil avant qu’il nous échappe. Comme on a fait avec les vidéoblogs. Si vous connaissez quelqu’un de doué en com, je prends…
Didier: C’est vrai qu’au niveau du billboard, on ne sait pas y faire. Nous n’avons aucun contact et nous ne savons pas nous vendre. On sait trouver des arguments vis-à-vis des fans mais pour le reste…
Maelys: Mais notre crédibilité vis-à-vis de ces gens, c’est le nombre de personnes qui nous regardent.
Mr Poulpe: Avant que tu le prononces, j’avais jamais entendu le mot crédibilité de toute ma vie.
Maelys: Et s’il n’y a pas de billboard ?
Davy: Il reste les DVD… On prend l’argent dessus, ce qui fait à peine 50 € par personne et par journée. 250 € pour la saison…
Didier: Et vous faites vos propres sandwichs !
Maelys: Ce serait payé au black, du coup?
Davy: Non, c’est l’asso qui vous paye. Mais si je déclare que je te paye 250 €, c’est brut. L’association devra payer des charges. Au final, je ne sais pas trop ce qu’il va vous rester…
Didier: Pour la saison 17, il y aura une mutuelle.
Davy: En vous payant avec l’argent des DVD, il reste même pas 1 300 € pour acheter du matos.
Clément: À peine le prix d’une mixette et des lumières…
Davy: Exactement. Donc je vois pas comment.
Mr Poulpe: Attends, pourquoi ne pas demander à Nolife de diffuser plus de bandes-annonces pour la série ?
Didier: Ils en passent sans arrêt.
Mr Poulpe: Ah j’ignorais. Je ne regarde pas.
Davy: J’aimerais bien qu’on puisse mettre des images de jeux vidéo dans la série. Visiblement, on a le droit de le faire…
Clément: Euh… ça m’étonnerait.
Davy: Si, dans «Heroes», un gamin joue à la PS3 et on voit les images du jeu.
Clément: Pour ça, il faut que tu filmes la télé, pas le jeu en plein écran.
Christophe: C’est super chiant à filmer !
Davy: Attendez ! Ce que je voulais dire c’est que, par exemple, on joue à la Xbox dans un épisode et, en échange, on nous file une Xbox. Et un jeu. Après bon, c’est un peu court comme rémunération.
Clément: Si on me donne un jeu, je veux pouvoir le choisir.
Didier: OK, on verra comment ça se passe. Bon, je crois qu’on a fait le tour, là. Qu’est-ce que vous voulez voir dans la saison 3 de «NerdZ» ?
Maelys: Eh, on ne peut pas faire un partenariat avec une marque de fringues aussi ?
Davy (le nez sur son ordinateur): Si, bien sûr. Merde, je viens de me rendre compte que si je vous payais 250 €, j’ai quand même 60 € de charges patronales…
Didier: On va trouver un moyen…
Davy: Je voulais aussi vous dire que je vais quitter mon job en septembre pour me consacrer de plus près à tout ça. Faire que tout se passe pour le mieux. On repart pour un tour, alors ?
RECUEILLI PAR F. G.