ILS INSISTENT

Paru dans le Hors-Série Music de Technnikart – 08/01/2008

ON N’EST PLUS SÛR DE LES SOUTENIR, PEUVENT-ILS NOUS AVOIR À L’USURE ?
A-t-on encore besoin de folkeux qui gratouillent leur guitare en pleurnichant ? Faudra-t-il encore se cogner toute cette chanson française néoconservatrice ? Pourquoi écrire sur le rock ? La chair à tabloïds est-elle triste ? Sans a priori, reportages au pays de ces têtus qui squattent l’actu.

COMBIEN DE TEMPS LA «WINO» TIENDRA-T-ELLE ENCORE DEBOUT ?
AMY TOUJOURS EN VIE
Concerts foirés, liberté en sursis, paparazzis au cul: le grand Barnum qui entoure Amy Winehouse a des allures de compte à rebours. Destin tragique ou rock’n’roll circus ? Nous sommes allés voir les spécialistes de la question.
C’était une rumeur, c’est devenu une obsession : Amy Winehouse, la chanteuse qui ne débourre jamais, va-t-elle passer l’hiver ? Après son concert chaotique au Zénith à Paris (1h40 de tour de chant au bout du rouleau, dont pas mal d’allers et retours aux toilettes), un autre à Londres le nez dans la poudre qu’elle avait dissimulée dans un foulard de soie rangé dans son soutien-gorge, et un dernier à Birmingham – peut être le plus dingue de tous – avec la moitié des paroles oubliées ou mâchouillées comme si elle sortait de chez le dentiste, la révélation soul-jazz de l’année 2007 s’est transformée en Bob l’éponge. Elle ne chante plus, elle déglutit. Elle ne fait plus scandale, elle fait pitié. Elle ne se contente plus de se défoncer, elle s’enfonce… Et pour combien de temps encore ?

«INQUIET POUR SA SANTÉ»
Camée jusqu’à l’os, raide comme Sue Ellen, plus anorexique que Kate Moss, celle qui a tout explosé avec son album ultradépressif (Back to Black) et sa choucroute de Callas du be-bop n’en aurait plus pour longtemps. C’est du moins ce que croit une bonne partie de la presse anglaise, qui a même failli annoncer par erreur sa mort le 16 novembre dernier sur la base d’informations bidon.
En cause ? La tendance suicidaire de la chanteuse qui, bien plus que la dope et l’alcool, pétrifie son entourage et sa maison de disques. « Je suis inquiet pour elle et sa santé, explique Valéry Zeitoun, le boss du label AZ qui la représente en France. Elle a beau être très entourée, quand on veut se barrer – surtout quand on est déjà bien barré –, on trouve toujours une solution. » Après l’arrestation de son mari Blake Fielder-Civil (pour soupçons d’entrave à la justice) et l’annulation de sa tournée pour raisons de santé, Amy Winehouse compte les jours dans une piscine de Chivas et d’héroïne.
LE «WINOTHON» EST LANCÉ
Le 3 décembre dernier, vers 6h45 du matin, on la retrouvait à moitié nue dans les rues de Primrose Hill, hurlant de désespoir face aux paparazzis qui n’en rataient pas une miette. Les images ont fait le tour du monde, provoquant une sorte de « Winothon » indigné de dernière minute jusqu’aux sommets du showbiz (Mary J. Blige, Mick Jagger…). Subtil retournement de veste ? Les tabloïds anglais tirent désormais la sonnette d’alarme. « Pourquoi sa maison de disques qui gagne une fortune ne l’a-t-elle pas placée dans une cure sécurisée ? Pourquoi sa famille ne l’a-t-elle pas enfermée à double tour pour lui parler entre quatre yeux et la raisonner ? », accuse Liz Zones, la Claude Sarraute anglaise peroxydée.
NOUVELLE JANIS JOPLIN ?
En visite à la prison de Pentonville, au nord de Londres, où son mari Blake attend d’être jugé, la chanteuse est prise de spasmes étranges, qui la font ressembler à Toutânkhamon en version Motown, face à la presse qui ne la lâche plus d’un talon. On raconte qu’elle perd ses dents à cause de la drogue, qu’elle suce des bâtonnets de glace toute la journée pour faire tomber la fièvre (provoquée par l’héroïne), qu’elle ne s’endort jamais moins de trois fois dans les interviews, et qu’elle aurait même conclu un pacte de suicide avec son mari Blake pour se tuer en même temps que lui en cas de condamnation trop lourde (elle aussi est inquiétée par la justice). On raconte beaucoup de choses sur Amy Winehouse…
Même sa belle-mère Georgette qui, au fond, n’est pas mécontente de voir son fils échapper à la diva cintrée en prison, tout en en rajoutant une couche : « Amy a d’énormes problèmes pour se concentrer sur quoi que ce soit. Nous sommes tous très inquiets pour sa santé mentale. Elle prend encore plus de coke et d’héroïne qu’avant, elle est en lambeaux. »
Nouvelle Janis Joplin ou buzz macabre ? « Son image de mort vivante est suramplifiée par le Net, précise Valéry Zeitoun. Dès qu’elle tousse dans la rue, elle se retrouve à la une sur Google. Quand Janis Joplin ne pouvait plus tenir son micro, elle faisait au moins interdire les caméras. Mais maintenant, avec le numérique, c’est le road show permanent. »
VENTES AU TOP
Dinah Washington, Billie Holiday, Charlie Parker… Toutes les idoles de la Wino ont connu des morts merdiques et des fins à la con. Mais pour Bruno de Stabenrath, l’auteur des Destins brisés du rock (Scali), le scénario de la superstar en sursis, c’est du flan médiatique : « Si Amy avait été une star dans les 70’s, elle serait déjà morte. Aujourd’hui, les enjeux sont trop énormes. On ne la laissera pas s’étouffer dans son vomi (comme Jimi Hendrix) ou faire une overdose dans sa baignoire (comme Jim Morrison). Il y aura toujours la bonne amie ou le producteur providentiel pour l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa défonce. » Et d’ajouter : « Qu’elle meure toute seule dans son coin, ce n’est plus possible. Des gens comme Pete Doherty ou Amy Winehouse sont tellement entourés qu’ils n’ont pas envie de mourir, ils ont juste envie de se défoncer la gueule à mort. C’est terrible à dire, mais ça manque un peu de grandeur. »
Récupérable, la pochtronne avec une pièce montée ? « Les ventes n’ont jamais été aussi bonnes, se rassure Valéry Zeitoun. Bientôt 800 000 albums écoulés en France. Elle est troisième du top album, le tout sans aucune promo télé et des concerts ratés. Franchement, bravo ! »
EN DUO AVEC PETE DOHERTY
Michel Vidal de Sony-BMG, vieux routier du rock’n’roll et des artistes ingérables, fait une autre analyse : « Amy Winehouse, c’est un peu comme Finley Quaye il y a dix ans : un énorme succès, une star promise à une grande carrière internationale mais qui peut tout perdre en quelques mois à force de planter ses tournées et sa promo. Le jour où elle repartira sur la route, elle n’aura aucun droit à l’erreur. »
Bonne nouvelle ? Entre deux défonces olympiques, Amy Winehouse et Peter Doherty travailleraient ensemble sur un nouveau single (You Hurt the Ones you Love). Ce qui n’est pas vraiment pour rassurer Mitch Winehouse, le père de la chanteuse, qui vient de l’inscrire à un cours de yoga pour toxicos. Si tout se passe bien, on devrait revoir Amy Winehouse en France le 26 janvier 2008 aux NRJ Awards, après une semaine de repos forcé dans une clinique de Jérusalem. Elle chantera les sombres paroles qui l’ont rendue célèbre : « We only said goodbye with words / I died a hundred times / You go back to her / And I go back to black… » À moins qu’elle ne sombre pour de bon. Dans le noir.
OLIVIER MALNUIT (AVEC MARINE THOMEREL)

 

MAIS QUI VA FAIRE TAIRE LA REINE DE L’ANTI-FOLK ?
SOKO L’INCONNUE CONNUE
Quand le folk a viré très chiant il y a quelques décennies, s’est édifié l’anti-folk: du folk avec une attitude punk. Un genre qui, à son tour, est devenu plombant. La preuve avec SoKo, le phénomène du présent.
Tout commence par une annonce sur MySpace. Du style : « Chanteuse folk française possédant près de 32 000 amis, également actrice, échange engouement international contre chansons potables. »Voilà le point de départ de l’histoire de SoKo, riposte féminine à Herman Düne, avec, au bout du tunnel, I’ll Kill her, i-tube programmé jusqu’en Australie. On croyait le retour de l’anti-folk (pull sur l’épaule, bar non-fumeur, végétalisme) épiphénomène parisien. On se réveille avec la moitié de l’Europe sous le charme. Mais bordel, qui es-tu SoKo ?
En juillet 2006, Stéphanie SoKolinski est devenu SoKo. Une fille de son temps qui s’est imposée au fil des mois comme le porte-étendard d’une vingtaine de groupes parisiens pourrissant vos MySpace. Retour de l’anti-folk vingt ans après ses débuts à New York, du temps où les pionniers injectaient une bonne dose de punk (textes acerbes, militantisme) à l’acoustique : Paris se réveille la guitare sèche entre les deux cuisses avec des textes con-con en guise de contraceptif.
FASHIONISTA FOLK
De ce grand merdier acoustique en chemise à carreaux (voir encadré), SoKo reste la seule fashionista folk unsigned courtisée par toutes les maisons de disques. Le syndrome Kate Nash vu par la Gaulle twenty-something lassée de l’électricité des baby-rockers. Ici, on boit Contrex et on ne jure que par les icônes mineures (Moldy Peaches, Jeffrey Lewis, Kimya Dawson).
Alors cette rencontre avec SoKo, un après-midi pluvieux de décembre, c’est peut-être la meilleure façon de confronter à ce mouvement déjà en marche mon aversion pour les bricoleurs de la chanson. Mais attention, la dame est aussi comédienne. Et pas des moindres. Encore que.
CINQ FILMS AU COMPTEUR
Cinq films et un début de carrière prometteur (une présélection aux Césars pour sa participation à Dans les cordes), un navet dont on ne veut plus parler (les Copines, 2006) et puis une poignée de chansons diffusées sur MySpace qui ont déjà fait le tour du monde et celui de ma tête en moins de trente secondes : supplice de mièvrerie sur trois accords à faire passer la grand-mère gratteuse Joan Baez pour une reine disco-punk à la Blondie. Je pense Black Sabbath, copulation et messes noires pour évacuer l’angoisse du meilleur des mondes d’Huxley revu à la sauce Barbe à ton papa. Frissons. Lorsqu’on lui demande comment s’est passé sa première partie des Black Kids à Londres, SoKo s’étonne qu’on la considère comme un groupe : « Je joue toute seule maintenant. J’ai viré Thomas (guitariste de Jean-Louis Aubert NDLR), il voulait sonner mainstream et jouer devant plein de groupies. On s’est retrouvé au Zénith au bout du troisième concert alors que moi, je voulais juste jouer au Pop In. Un jus de pamplemousse,s’il vous plaît. »
SoKo se la joue solo désormais.Ce qui ne l’empêche pas de faire sold-out dans des tournées d’Europe du nord, d’être adulée par Lily Allen ou de se brouiller avec les Klaxons – « Une histoire de remix qu’ils ont pas aimé », confie-t-elle. Mais la demoiselle de 22 ans n’est pas pressée. « La musique, c’était comme une énorme tarte aux fraises que t’as pas envie de manger tellement qu’elle est belle. » Lorsqu’on lui répond qu’elle a déjà croqué dedans, SoKo répond : « Oui, mais il en reste pour les autres. » OK, qui veut la croûte ?
SALLES BONDÉES
De tics nerveux en rongements d’ongles, je commence à me dire que la petite a peut-être la corde plus sensible que sa guitare, que son entrée dans la vie active à 16 ans explique sûrement que cette femme-enfant soit gênée d’être n°1 au Danemark devant McCartney. Et tout bascule lorsqu’on parle futur, que SoKo rend la monnaie de sa pièce aux producteurs, labels, musiciens. Aux hommes et au système. Bah oui, Annie aime les sucettes, c’est peut-être pas forcément son truc à SoKo. Elle, c’est le ukulélé, un banjo ou un piano. Des concerts impromptus avec son nouveau compère de scène, Robin Leduc, et des scènes improvisées, sans setlist, avec de la distorsion sur son ukulélé. Avec elle qui chante I Wanna Look Like a Tiger dans des salles bondées d’Europe du nord. And the money ? Get away, baby. SoKo, c’est 55 kilos sans poitrine qui te lâchent d’une voix hésitante : « Je vais retirer l’EP d’iTunes, ça ne me ressemble pas. L’idée de base était de garder les premiers enregistrements. I’ll Kill her ? Non, arrête, m’en parle pas.Mais euh… T’as écouté mes nouvelles chansons ? » Non pas vraiment, désolé.
FANTASMES DE FILLES
Qu’importe, SoKo reste peut-être la seule artiste a(ci)dulée contre son gré, le genre à se faire tabasser par des hordes de barbus neurasthéniques parce qu’elle ne jouera plus Shitty Day, « une version jouée avec mon frère sur un quatre-pistes qui sonne maintenant comme un truc variét’poum poum ».
Il y a soudain de l’inquiétude dans le regard de SoKo. Puis les yeux humides lorsque j’évoque le mimétisme avec Rose et ses poses ménopausées en acoustique. Le jus de pamplemousse touche à sa fin, elle me confie qu’elle rêve d’une collaboration avec Daniel Johnston, le nerd ricain culte. T’as chopé un rendez-vous ? SoKo se tait.
Je me renseigne auprès des fans. Des filles essentiellement, la vingtaine à peine, pour qui SoKo est devenue un symbole. Des concerts, comme au White Trash de Berlin, complets en une demi-heure et des rappels sur les tables dans les restaurants. Voire même de l’identification sociologique, comme Margot : « Ma chanson préférée ? My Wet Dreams, juste parce que c’est tellement vrai ce qu’elle raconte sur les fantasmes de filles. J’adore son univers intimiste et son look de baba-chic, elle me fait penser à une petite poupée. »
Et pendant ce temps, SoKo me confie que composer des jolies chansons, c’est bien la dernière chose qu’elle voudrait faire. Un problème d’image, sûrement. Emeline, autre fan, achève la construction du mythe : « Je suis là depuis le début, depuis la période où SoKo a quinze lectures par jour, en mai 2007. Jusqu’à Rock en Seine où des personnes la reconnaissent et la traquent lorsqu’elle pointe le bout de son nez pendant le set de Nelson. Une vraie MySpace star. SoKo, c’est SoKuty. »
HÉSITATION SUR LA JUPE
Retrouvailles pas très loin de la Bastille pour la session photo chez SoKo. Quelques potes de passage (Les Gentlemen Drivers, « des amis musiciens ») et une séance photos pour le magazine WAD plus loin, on découvre une SoKo qui débite moins de trente mots à la seconde. Qui hésite sur la jupe à porter pour la photo parce qu’elle a que ça dans sa garde-robe. Une fille de son temps, finalement,secrètement amoureuse du batteur des Flaming Lips.
22h00, Paris, rue Amelot. SoKo nous parle de sa rencontre avec Stella et Paul McCartney à Londres, il y a un mois – « Trop dingue ! » Sur le frigidaire, un poster. Une repro’ d’une peinture de Daniel Johnston. Et puis une confession, sur le pas de la porte : « J’ai juste envie de raconter des histoires et que mes potes les écoutent. Des histoires tristes et punk, qui parleraient de gens qui s’étonnent de mes faiblesses, et moi qui leur dirais : “Vous savez pas comment je suis.” » Je sors. J’hésite entre la castration chimique par voie orale et la crédulité. Soit cette fille est une excellente comédienne, me dis-je, soit…
WWW.MYSPACE.COM/MYSOKO
BESTER LANGS

C’EST PAS UN PEU FINI, LES ACCORDS DE «JEUX INTERDITS» ?
OUI-OUI JOUE DE LA GRATTE Le roi du folk, Woody Guthrie, avait gravé sur sa guitare: «Cette machine tue les fascistes.» Quarante ans après sa mort, le folk ne tue plus rien: il encule plutôt les mouches, sans cri et avec chuchotements. Cinq exemples dans l’actualité.
LA MAISON TELLIER
Enfants de la loi sur les quotas de diffusion francophone, les Rouennais de La Maison Tellier adaptent le folk Crosby, Stills & Nash à la France des hypermarchés et des grévistes. Le résultat : un premier album (Second Souffle) qui fera frémir les trentenaires en mal de Road 66. Aussi passionnant qu’une session acoustique de Dominique A, le folk dépassionné de La Maison Tellier mêle habilement mariachi(ant), merguez et décentralisation. Conseil : relire Maupassant en silence.
WWW.MYSPACE.COM/LAMAISONTELLIER
MAI
Longs travelings sur le soleil couchant, blondeur des pays nordiques et escapades FM au pays des lutins, rien à dire… Mai s’impose comme la version sonore des natures mortes de Coppola, la fille. Avec ses comptines fin de soirée-feu de camp-filles faciles, le duo Mai reprend le boulot là où Air l’a laissé sur Pocket Symphony : la bande-son des aéroports pour jeunes vierges solitaires. À déguster sur toutes les scènes dépourvues d’électricité. Faites chauffer les briquets !
WWW.MYSPACE.COM/ILOVEMAI)
HEY HEY MY MY
Virage à 180° arrière toute avec l’éclosion folk de Hey Hey My My, finalement plus adepte des bitures pubs-rock made in UK que du storytelling au vieux loner canadien. Perdu entre les ballades pour marins sur le départ et les demandes en mariage avec Hugh Grant, le folk de HHMM se déguste une sucette dans la bouche et la main dans celle de bobonne. Conseil : arrêter de croire que le public peut monter sur scène et recommencer la boisson le samedi soir.
WWW.MYSPACE.COM/HEYHEYMYMYBAND
SYD MATTERS
Troisième album à paraître ces jours-ci (Ghost Days), et toujours la même excitation des barbus célibataires pour le non moins barbant Syd Matters (excepté son très bel album Someday we Will Foresee Obstacles). Comptines cosmiques en retard de plusieurs factures d’électricité et summum de délire dans les médiums, Ghost Days devrait asseoir la position de Matters sur l’échiquier parisien classique (Métro, Flèche d’Or et brossage des dents à 22h30). Les groupies anorexiques de Thom Yorke apprécieront les ballades à dos de mellotrons joués downtempo. Les autres se consoleront avec la seule chanson pour chialer dans sa bière (Ill Jackson).
WWW.MYSPACE.COM/SYDMATTERS
COCOON
Groupe préféré des disciples de Raël (on exagère à peine), Cocoon sort son premier album et buzze en province affublé d’un sticker Bon sentiment/Good vibes/Hédonisme pas vu depuis Herman Düne.Le folk en tongs, là, tout de suite, pour les vacanciers et les départs au ski. Accessoirement, la musique parfaite pour lutter contre la disparition de l’ours des Pyrénées. Pas de hasard, le groupe parisien est signé chez Sober & Gentle (traduction: sobre et gentil), soit la meilleure des centrifugeuses à névroses.
WWW.MYSPACE.COM/LISTENTOCOCOON
BESTER LANGS

LE PANTHÉON DE DAMIEN
«Technikart» ne cesse de fustiger la chanson française ? «Il n’y a pas que des bobos atroces dans ce rayon», assure pourtant Damien, qui va sortir son deuxième album cette année. Parole à la défense, en sept exemples… qui ne nous convainquent pas obligatoirement.
SERGE GAINSBOURG
«Son statut de pape de la chanson française est mérité. Il cumule tout ce qui est souhaitable pour un artiste : la beauté, l’innovation, le style, le mythe, la richesse… C’est comme s’il avait fait dix mètres au saut en longueur tout en rigolant pendant qu’il était en l’air, une performance quasi indépassable.»
CHRISTOPHE
«J’adore le voir sur un plateau télé, il est à la fois sensible et dérangeant. Il est dans un créneau très précis, un degré qui n’appartient qu’à lui, sophistiqué et romantique avec une pointe de roublardise rétro et de fleuri. Un jour, je l’ai croisé dans un magasin de disques, et j’ai apprécié sa façon de se mouvoir. De l’imaginer en cuir sur sa moto à toute vitesse sur le périphérique est trop bon. Avec un ami, on aime bien l’imiter en faisant des quarts de tour sur nous-mêmes qui débouchent sur une contraction vive de la fesse et de la jambe, même si je ne pense pas qu’il réalise texto ce genre de mouvements.»
KATERINE
«L’icône humoristique adoubée par le grand public n’est qu’une de ses nombreuses facettes. Il y a aussi l’impressionniste fleur bleue. Il pratique le contraire d’une musique passive qu’il faudrait décrypter, tout en se payant le luxe d’y inclure des couches cachées. Un jour, j’ouvre un magazine au hasard, je tombe sur son top 10 des disques qu’il emmènerait sur une île déserte… Le mien était dedans. Ça m’a fait un choc !»
MICHEL POLNAREFF
«J’adore son nouveau look, super beau lion musclé… Pour moi ce n’est pas, ou ce n’est plus, en tout cas, un génie. Le personnage fut certes fascinant, mais je trouve qu’il s’effrite à trop vouloir se cacher. À la limite, s’il était mort, je comprendrais. Il passe beaucoup de temps sur MSN maintenant: dès que j’y vais, je le vois connecté ! J’avais piqué son avatar et son pseudonyme pour le taquiner. Du coup, il a envoyé un mail à toute sa mailing list de fans MSN pour prévenir que j’étais un fake et il m’a bloqué, merde. Heureusement, nous nous sommes réconciliés. À propos, “Goodbye Marilou” est plus que jamais actuelle: la drague minitel s’est juste transformée en drague MSN.»
ETIENNE DAHO
«J’adore ce personnage, si discret et pourtant si pop. Comment faire des tubes en chuchotant ? Je me sens proche de ce mélange d’introvertion et d’extravertion. “Week-end à Rome”, c’est une dynamique musicale irrésistible, et puis il chante n’importe quoi dedans, c’est fou ! “Sur mon cou”, je crois qu’elle est entrée direct dans mon panthéon des plus belles chansons jamais écrites.»
CAMILLE
«J’aime beaucoup cette voix de petit garçon. Sa beauté naturelle, son espièglerie et sa justesse me touchent. Je suis curieux d’entendre comment elle va réussir à garder cet équilibre entre pop, aventure et expression de son soi profond.»
BENJAMIN BIOLAY
«On a dit qu’il y avait une nouvelle vague chanson française, liée à la tendance bobo, et puis on a dit que Benjamin Biolay en était un peu le chef de file. J’ai l’impression que c’est un type qui n’a rien demandé de tout ça mais qu’on a emmerdé à mort. Le terme “bobo” est devenu péjoratif, il devait tout à coup se justifier d’en être un, on a mis en doute l’authenticité de son souhait d’émancipation de cette case dans laquelle il n’a jamais voulu rester cloîtré, cette chanson française antimoderne et faussement lettrée dont l’apparent luxe musical n’est qu’illusion. Maintenant trop bizarre pour le conformisme d’une partie d’un public qui en est resté à la vague bobo, et pas assez cool pour certains décideurs du cool trop fermés, sa tâche n’est pas aisée d’un point de vue communication. Alors que son dernier single, “Qu’est-ce que ça peut faire” est une excellente chanson. J’aime également son nonlook classieux et son franc-parler, notamment concernant ce vieux con d’Henri Salvador coauteur du magnifique “Syracuse” qui date quand même d’il y a plus de quarante ans.»
DERNIER ALBUM PARU: « L’ART DU DISQUE ». (RECORD MAKERS, 2005).
ENTRETIEN MEHDI MASUD

LES ROCK-CRITICS BUSTY: ÉCRIRE ROCK N’EST PAS QU’UNE ACTIVITÉ NÉO-BOURGE LE STYLE GROUPIE
En lisant Busty dans «Rock & Folk», on a cru à une blague: Manœuvre a-t-il coulé une bielle en la propulsant au sommet de son mensuel ? Pas du tout: du haut de ses 29 ans, la groupie numéro 1 de Doherty change la face macho et néo-con de la rock-critic.
Octobre 2004 : C’est la révolution à Rock & Folk. Dans un édito enflammé, Philippe Manœuvre intronise une blogueuse-groupie des Libertines, « Busty Powers ». Un an plus tard, « les Pouvoirs des nichons » donnent naissance à « la Théorie des nichons », une chronique des potins de la nouvelle scène parisienne, alors que Busty raconte sur le Net qu’elle veut coucher avec Pete Doherty. Un scandale qui déclenche un buzz tsunamesque comme Rock & Folk n’en n’avait pas connu depuis… depuis quand, Philippe ? « Eudeline, Chalumeau, ou moi. » OK, un bout de temps quand même.
A l’origine du buzz de Busty, on trouve Virginie Despentes. Début 2004, Busty traduit gentiment un article de Virginie paru dans R&F sur le forum de Courtney Love. Et pan ! Despentes flashe sur la traduc’, et les deux fans deviennent super copines. « J’aime le goût de Busty, le ton de son blog, le quatrième degré bien taré, son sens de la dérision mêlé à de la poésie, et toujours une certaine tenue dans le hardcore le plus sanglant. » Busty : « Une fois, j’avais mis une photo de Pete Doherty en train de dormir, avec en légende : “Si je t’emmerde, viens à Paris”, ce genre de connerie. »
UNE HISTOIRE DE CŒURS TATOUÉS
Très vite, le délire « groupies de Love/Doherty » de Virginie et Busty gonfle une partie de la blogosphère. Des dizaines de tarés du Net viennent poster des commentaires divers et variés sur les blogs des deux « groupies ».Un peu soûlée par les kilos d’insultes qui se déversent chaque jour sur son blog ILoveYouSo, Virginie décide de fermer ses commentaires.
Mais l’affaire prend une dimension cosmique quand on apprend que Busty, nouvelle recrue de Rock & Folk, arbore maintenant un cœur « BabyShambles » au-dessous du nombril. Un tatouage offert en cadeau d’anniversaire par Virginie : « Je me suis fait tatouer au même endroit que Busty, le même jour chez TinTin. Un cœur, mais pas le même… » Busty explique le pourquoi de la chose : « Ce tatouage signifie aussi que je dois une fière chandelle aux Libertines. » Fière chandelle ? À voir…
JOURNALISTE OU GROUPIE ?
Le Busty Show démarre. Au sein de Rock & Folk, l’arrivée de la Busty fait des vagues. Et grincer quelques chicots du côté de la vieille garde. D’autant qu’en quelques mois, elle fait les unes du mensuel, tient sa chronique et s’accapare Doherty dont elle suit tous les jours les moindres pets et gestes. Comme on dit, Busty fait débat. Il y a d’abord ceux qui trouvent que sa carrière s’emballe un peu vite. Nikola Acin, journaliste et musicien : « Plutôt que de la jeter tout de suite dans le grand bain, on aurait peut-être pu lui faire faire ses gammes sur les comptes rendus de concerts. »
D’autres sont plus critiques. Pour le camp radical des anti-groupies, Busty pose un grave problème de déontologie rock’n’rollienne. Le Grand Nicolas U (Ungemuth pour les intimes), prince de la dialectique rock, fait tomber la sentence : « Je ne comprends pas qu’on puisse être groupie, et je comprends encore moins qu’on puisse avoir des idoles. C’est incompatible avec le journalisme rock. » Son pote Reijasse, signature voisine, en remet une couche : « Busty vit dans un conte de princesses. Mais elle oublie une chose : le carrosse est une citrouille. » Géant Vert lance une idée : « Moi je suis prêt à signer la pétition pour que Busty couche avec Doherty. Franchement, elle le mérite. »
Manœuvre recentre le débat : « Busty n’est pas la seule groupie à Rock & Folk (voir encadré), et heureusement ! Moi, elle me rappelle Lisa Robinson, la grande prêtresse de Creem qui narrait les frasques de Pamela des Barres avec les GTO’s. Ses papiers sont toujours pimpants, bourrés de petites infos et drôles. Elle a un style classique qui plaît beaucoup aux filles. »
«VOILÀ POURQUOI IL SE SHOOTE»
La vérité, c’est que sans le vouloir, Busty énerve. Manœuvre aussi s’énerve : « Mais tous les bons rockcritics sont énervants ! c’est NOOOOORMAAAAL ! » N’empêche. Malgré son blog dédié à Pete, son tatouage du groupe de Pete, la carte postale de tigre envoyée à Pete (il paraît que Pete aime bien les tigres), huit pages et la couv’ du mois de mai 2005 consacrés à Pete, Busty finit par gonfler son Pete. Une semaine après une sombre histoire d’embrouilles backstage et de doigt d’honneur fait au staff des BabyShambles – « C’est vrai que j’étais un peu bourrée ce soir-là » – Doherty, entre deux pipes à crack, fait savoir au rédacteur en chef de Rock & Folk que la Busty lui sort par les narines et qu’elle est interdite d’interview. C’est le drame. « J’avais peur d’être virée du journal. » Plus terrible encore : « Je ne pouvais même plus regarder mon tatouage. »
Mais là où d’autres auraient lâché l’affaire pour préparer le concours de la Poste, Laure (c’est son vrai nom) enfonce le clou. Et se plonge corps et âme dans l’écriture d’une bio consacrée à… devinez qui ? Pete bien sûr ! Jérôme Reijasse : « 97% des rockcritcs sont des petits fonctionnaires du rock, pas elle. Ce qu’il y a de bien c’est qu’elle y va à donf. » N’écoutant que son courage, son chat et son loyer à payer, Busty pond coup sur coup, et en moins d’un an, deux bouquins d’affilée. Un sur Pete, donc, et le deuxième sur… les groupies, pardi ! « La bio de “Mr Kate Moss” est une idée de Virginie. Patrick Eudeline, directeur de collection chez Scali, voulait la sortir très vite. Je l’ai écrite en deux mois, sans dormir, sous speed. Un cauchemar. »
Là, nouvelle bronca. La bio sur Pete, bien qu’à moitié passée inaperçue, déchaîne les passions. Pour certains, c’est le meilleur livre jamais écrit sur le sujet, pour d’autres « c’est l’indigence faite livre, écrit Arnaud Sagnard sur le site de 20 Minutes. On bat des records de non-information, d’écriture école primaire, de copinage, de journalisme sans peine, et d’absence de critique musicale. Si tous les livres qui sortent sur Doherty sont de cet acabit, on comprend mieux pourquoi il se shoote. »
Manœuvre et Busty se retrouvent au coude à coude dans la tourmente, mixée à la polémique sur les babyrockers : « On lisait dans la presse qu’on était les rois des cons, des gros nuls, qu’il y avait un complot et que les groupes qu’on défendait étaient pistonnés. Et on a rempli l’Olympia ! Busty on stage acclamée ! Grâce à elle, on a été les premiers à parler de l’émergence d’une nouvelle scène, et on a fait notre boulot. »
«J’AI DES PETITS NÉNÉS»
Histoire de vérifier la valeur de la rumeur, on se rend chez Laure. Premier constat : Miss Gros Lolos habite Rue Saint-Denis, entre un pita-kebab et un sex shop. Bien. Sur sa porte, un autocollant des Libertines. On s’attend donc à ce que Samantha Fox en chemise de nuit Dirty Pretty Things nous ouvre. Tout faux. Un petit bout de femme au regard sévère et aux cheveux peroxydés nous fait entrer. Impression contrastée.
Hypothèse 1 : on est bien chez une groupie. Au-dessus de son évier trône le poster des Naast, dédicacé par Gustave et son gang ; dans l’entrée, celui des BabyShambles qu’on retrouve collé à la porte du frigo ou entre les étagères de sa bibliothèque. Dans son livre sur les groupies, elle écrit : « Bien sur que j’en suis une, même Pamela des Barres me l’a assuré, et sans que j’aie besoin de montrer le moindre tatouage. Il faut dire aussi que j’avais mis un tee-shirt orné des mots “Supergroupie” pour l’interviewer. Ecrire sur les groupies me l’aura franchement confirmé. » Despentes voit les choses autrement : « Si Busty s’était appelée Robert, personne n’aurait pensé à la taxer de groupie, elle aurait juste été une fan de rock. » Bon, alors, groupie ou pas groupie ? Mettez-vous d’accord, les filles ! « Faudrait pas oublier la dimension d’autodérision de toute cette affaire. Si je me fais appeler Busty, c’est d’abord parce que j’ai des petits nénés. »
«TU PEUX ME BRANCHER AVEC ELLE ?»
Histoire de finir en beauté, on décide de filer avec Laure au Bataclan où les BB Brunes, nouvelles stars de la scène parisienne, affichent complet. Pendant que notre chroniqueuse discute avec tout un tas de rockeurs (dont les flamboyants Shades) après être passée par les toilettes fumer je ne sais quoi avec des copines, me voilà en plein échange avec Ben, des Sheraff : « Elle nous a fait un article dans Rock & Folk et ça nous a sacrément boostés. Tu peux me brancher avec elle, steuplait ? »
Happy end : d’après une source bien informée, Rock & Folk aurait pulvérisé les records de vente avec le numéro du mois de décembre 2007. Si on vous dit que Pete Doherty faisait la couv’, vous devinez qui a fait l’interview ? Gagné.
«PETE DOHERTY» ET «GROUPIES» (SCALI), «40 ANS DE MUSIQUE AU GIBUS» (HUGO).
OLIVIER STUPP

ILS FONT DE LEURS RELATIONS INTIMES UNE ŒUVRE D’ART
FANS ET JOURNALISTES
JÉRÔME SOLIGNY/DAVID BOWIE
«C’est peut-être un malentendu. Dès que je me suis coiffé avec une raie sur le côté, il y a toujours eu quelqu’un pour dire: “Soligny essaie de ressembler à Bowie.” Pourtant, je n’ai jamais cultivé aucun look. Avec Bowie, c’est une belle relation. C’est quelqu’un qui m’a déjà prouvé que je pouvais compter sur lui. Cette année, il a envoyé un mail à mon fils, qui reprend une de ses chansons avec son groupe, les Lipstick Traces. Mais je me sens plus proche d’Etienne Daho. C’est un copain, un ami, pour lequel j’écris des chansons. Je suis dans l’ombre, il est dans la lumière, je n’ai que du respect pour ce qu’il arrive à faire sur scène, et c’est très bien comme ça.»
«DAVID BOWIE» (10/18).
NIKOLA ACIN/JOE STRUMMER
«C’est une cassette que mon frère m’a faite quand j’avais dix ans. Il m’a dit: “Maintenant, t’écoutes les Clash, c’est le plus grand groupe du monde.” Et Joe Strummer est devenu mon héros. Je l’ai connu pendant les dix dernières années de sa vie. Petit à petit, à vingt ans de distance, notre amitié a grandi. J’étais ému à l’idée de le rencontrer. Mon cœur battait, j’avais les mains moites. Quand il venait à Paris, coup de fil à midi, rendez-vous à son hôtel à 8h00 du soir, concert, et je passais la nuit avec lui à boire des coups aux Abbesses. Il m’a même accueilli chez lui, en Angleterre. Il ne m’a jamais méprisé, jamais pris de haut. C’est lui qui m’avait conseillé d’acheter des filtres OCB. Chaque fois que je m’en roule une, je pense à Joe Strummer.»
«QUI A TUÉ ELVIS ?» (LES CAHIERS DU ROCK).
NGÉANT VERT/JOHNNY ROTTEN
«Je ne suis pas hystérique. C’est une passion que je partage avec moi-même. J’ai des rapports à la fois amicaux et distants. Il faut dire que ce sont des stars énormes. Je parle ici des Sex Pistols et de Johnny Rotten. C’est leur musique qui m’a donné envie d’écrire. J’ai d’ailleurs publié un livre sur eux. Ils ont dû faire 250 concerts, et j’ai dû en voir 150 au bas mot. À l’occasion de la tournée promotionnelle de “Filth and Fury” de Julian Temple, j’ai eu l’occasion d’approcher Rotten, puisque j’étais son garde du corps. C’est quelqu’un qui ne cessera jamais de me surprendre. Avec lui, on discute, il picole comme un trou, il sort vanne sur vanne, il est hilarant quand il est en forme. Au fond de moi, je me dis qu’il a un truc, une alchimie secrète, et qu’à force de l’observer, je vais finir par comprendre quel est ce fameux truc.»
«LES SEX PISTOLS» (ALTERNATIVES PARALLÈLES).
OLIVIER STUPP

JE CHANTE LA ROCK-CRITIC
Est-il encore bien nécessaire d’écrire sur le rock en 2008 ? Pour le plus flamboyant des écrivains électriques, Yves Adrien, c’est non: la rock-critic n’a existé qu’entre 1973 et 1978. Fêtons donc cette année les trente ans de sa mort à travers la story d’un écrivain bien vivant.
Tout de noir vêtu, le front ceint d’un bandeau et sa chapka à la main, Yves Adrien nous reçoit au bar de la Coupole. L’endroit n’est pas anodin: en 1973, année électrique, il était déjà ici avec les New York Dolls. En 1978, année synthétique, il s’y attablait avec Kraftwerk. A ces dates-là, on ne faisait pas d’interviews par mail. On ne discourait pas sur la culture numérisée dans son Mac. On n’était pas encore en 2008. Buvant son Château Teyssier du bout des lèvres, Yves Adrien nous retrace son histoire de la rock-critic.
Il y a d’abord «Disco revue», un fanzine provincial qui s’arrête en 1966, l’année de la naissance de «Rock & Folk». Adrien habite alors à Verneuil, lit «Rock & Folk» avec passion, surtout les articles de Philippe Paringaux. Quand il débarque à Paris, il partage son temps entre les disques, les acides et ses premiers articles. Ce qui était frémissant explose l’année du «Raw Power» des Stooges. «En 1973, il y a Lester Bangs à Detroit, Nick Kent à Londres et Yves Adrien à Paris. Un triangle, déjà, comme la pyramide de Daft Punk qu’Yves Adrien avait prophétisé dans ce que resteront ses derniers écrits, la série “Science Hi-Fi” parue dans “Technikart” en 2001.»
«TOUTE LA FRENCH TOUCH EST LÀ !»
En 1973, Adrien publie son premier texte, «Je chante le rock électrique.» Apologie du bruit, de l’énergie, de la sauvagerie. Il disparaît ensuite de 1974 à 1977. En 1978, changement de décor. Branchitude, cocaïne, distance, dandysme. Le Palace vient d’ouvrir, il y a les meilleurs numéros du magazine «Façade» auxquels participe un Adrien qui change de look, écoute The Man Machine de Kraftwerk et se fait appeler Orphan.
Là, il a apporté deux classeurs regroupant tous ses articles publiés. Alors que l’on parcourt ensemble ses textes de 1978, Adrien rentre en transe. «Toute la French touch est là !» «Le premier roman de Houellebecq est dans cette interview de Devo !» À la fin de cette année-là, il part pour New York écrire son chef-d’œuvre «NovöVision» qui démode les années 80 avant qu’elles ne débutent. C’est aussi le sommet de la rockcritic. Et son cerceuil.
La descente est rude. Dans les années 80, Lester Bangs et Alain Pacadis meurent coup sur coup. «Rock & Folk» décline. «Libération» devient le quotidien rock et l’un des pires souvenirs d’Adrien. Il claque la porte en 1984 parce qu’un de ses articles a été retouché: «Mon texte avait été corrigé à deux endroits. Résultat, l’article publié contenait deux incorrections. Il ne faut pas s’étonner que ce journal connaisse des difficultés vingt ans après.»
«Actuel», gauchiste dans sa première version, puis branché dans la seconde ? «Un torchon. Je me souviens d’un édito du début des années 80 qui ne faisait que reprendre maladroitement ce que j’avais exprimé clairement en 1978.» «Best» ?: « Ce n’était pas un sous-“Rock & Folk”, mais les lecteurs étaient moins cultivés, et pour eux, le rock était quelque chose de passager. Ils écoutaient Deep Purple jusqu’à 19 ans et partaient au service militaire. À leur retour, ils s’achetaient une voiture et c’était fini. Quand on était lecteur de “Rock & Folk”, on lisait vraiment, et c’était pour la vie.»
ALLURE DE PANTHÈRE
«Rock & Folk» dans les années 70, plus quelques magazines comme «Façade», c’est tout. Et qu’on ne lui parle pas de rock-critic en 2008: ça n’existe plus. Adrien préfère monologuer longtemps, parler des nombreux textes qu’il trie et qui paraîtront «en 2016», de ceux qu’il n’a pas eu le temps d’écrire, «choix de boots, abattage de filles, il était pris ailleurs». Après une dernière anecdote sur Pacadis raflé un matin aux Halles avec son amant, il nous annonce qu’il doit partir, «pour se consacrer à quelques lectures».
Le regardant s’éloigner, on l’imagine en 1973 quand il avait notre âge, 22 ans, avec ses cheveux au bas du dos et son allure de panthère. Alors sous l’influence du premier roman de Jean-Jacques Schuhl, Yves Adrien incarnait la rockcritic. Pour la faire mourir fin 1978, il y a trente ans. Trente ans et des poussières. Rose poussière.
LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD