Izïa Higelin : « Les scènes de nu, c’est peut-être la dernière fois »

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Izïa Higelin est à l’affiche de la Belle saison de Catherine Corsini, en salles aujourd’hui. Portrait.

Alors qu’on a de plus en plus de mal à traîner nos guêtres dans la moindre salle de ciné, qu’on en est arrivé il y a peu à sécher bêtement la séance de presse du nouveau Brad Bird, Tomorrowland, sur la seule foi d’une bande-annonce mal fichue, on peut malgré tout se retrouver 9 heures du mat, les yeux embrumés et le pas hésitant, dans une rue perpendiculaire à l’avenue des Champs Élysées, pour assister à la projo du nouveau film de Catherine Corsini (auteur d’un film très aimé par la presse du siècle dernier, ça s’appelait La Nouvelle Ève). C’est absurde, c’est comme ça.

Ne pas voir la moindre conscience professionnelle dans ce sacrifice matinal, juste la promesse d’un cast et d’un pitch qui justifient à eux seuls de brancher plusieurs réveils de secours. En l’occurrence : Cécile de France et Izïa Higelin se font des bisous mouillés au beau milieu de la cambrousse ; leur amour pourra-t-il survivre au regard mi-concupiscent, mi-réprobateur des agriculteurs du coin ? On schématise un peu, vous voyez le topo.

Ce n’est pas forcément pour nous déplaire : depuis le carton de La Vie d’Adèle, la romance lesbos est devenue un vrai sous-genre du cinéma français. Il y a quelques mois c’était le très mimi Respire de Mélanie Laurent ; aujourd’hui c’est La Belle saison de Catherine Corsini. Dans les deux cas, la micro réussite des projets tient dans leur manière d’envisager leur couple d’actrices comme le seul véritable enjeu de cinéma du barnum. La modestie ça paie, parfois. Le principe ici : trouver dans l’écriture des personnages et le physique de leurs interprètes, une alchimie cul qui enverrait subitement le film sur orbite. Dans le cas qui nous intéresse, c’est la grande tige girl-power, cérébrale et sexy (Cécile de France, forcément) qui tombe en pâmoison devant le charme rustique, les cuisses toutes rondes, et la tignasse emmêlée d’une professionnelle du Massey Ferguson (Izïa Higelin, donc). Prouesse : les déflagrations érotiques et le joli lyrisme mélo du bidule sont intégralement pris en charge par le clown blanc du duo, celle dont le sex-appeal est obstinément en berne, et le visage constamment fermé à double tour, même quand elle quitte sa chérie que le quai d’une gare. Izia fuckin’ Higelin. Une créature de cinéma stupéfiante. Un sujet d’actu brûlant. Une rencontre inévitable.

On la retrouve à la terrasse d’un café du Marais, au moment où la canicule commence gentiment à se pointer, et les pintes se dégustent à toute vitesse (ce petit laïus contextuel juste pour faire plaisir à notre rédacteur en chef, qui en raffole). Et ça commence par une déception. Nette. Franche. Terrible. « Les scènes de nu et d’amour, c’est peux-être la dernière fois pour moi. Je les ai vraiment mal Capture d’écran 2015-08-18 à 21.14.23vécues, je ne pensais pas que ça me déplairait à ce point. Il n’y en avait pas autant dans le script original mais Catherine trouvait qu’on faisait un peu trop copines avec Cécile. Donc elle en a rajouté pas mal. Et honnêtement, ça m’a mis très mal à l’aise. C’était la première fois que j’osais et je n’ai vraiment pas aimé faire ça ». Elle avoue néanmoins ne pas avoir encore vu La Belle saison. On devine entre les lignes que cette perspective ne l’enchante pas plus que ça. Elle tiendra à rester discrète sur le sujet. Pas la peine de s’épancher ceci dit : l’attaché de presse du film a dû déclarer forfait après notre demande d’interview : « Non, Izïa ne souhaite pas parler du film. Vous ne voulez pas rencontrer Cécile plutôt ? » On avait compris le message. Pour la contacter on a dû montrer patte blanche et passer par sa maison de disques. Par politesse, et vraie conscience professionnelle cette fois, on a écouté ses trois albums, même celui chanté en français. On la préfère au cinéma. Ça tombe bien c’est pile de ça, dont on voulait lui parler.

Politique des acteurs, tu nous tiens par les couilles. À cause de toi on loupe Tommorowland parce qu’on ne peut plus piffer George Clooney, et on s’empresse d’aller voir La Belle saison parce qu’il y a Izia Higelin dedans. On se l’était promis depuis Samba : ne plus jamais louper un seul de ses films. Ça la fait beaucoup rire quand on lui avoue ; elle a l’impression qu’on exagère un peu. Elle ne devrait pas. Nakache et Toledano avaient inventé pour elle, une idée de cinéma qui n’a jamais trop existé ici : la girl next door, ce crush pas très rationnel qu’on croise en allant chercher son courrier et qu’on n’oublie plus jamais. Un bruit de fond qui finit par obséder, et incite à guetter le moindre bruit de pas sur son palier. Corsini, elle, l’a transformée en « girl next field », soit le même sociotype irrésistible déposé cette fois en milieu rural. « J’avais jamais vu les choses comme ça. Mais ça me plaît bien ce que tu me dis ». Dans la vie, comme dans ses (trois) films, Izia a le charme tranquille, le glamour  d’autant plus beau à voir qu’il n’est pas évident à déceler ; elle porte surtout sa sincérité toute douce en bandoulière : « Notre époque, c’est la fête du sarcasme et du cynisme. Parfois, je peux discuter avec un mec pendant très longtemps dans un bar, mais ensuite je suis incapable de savoir s’il a passé son temps à se moquer de moi ou si on s’est un peu apprécié. Ça me déprime. » Ça, elle le lâche en bout de course, après deux bonnes heures de discussion. Dans un bar. On se demande un peu si elle ne serait pas en train de nous tester ou de se foutre de notre gueule. On aimerait bien la rassurer en tout cas : nous, on l’a un peu apprécié.

Elle nous l’avait balancé d’entrée de jeu : « Tout ce que je dis, ça peut paraître couillon, naïf, je m’en fous ». Izia Higelin a 24 ans et ça lui va bien. Elle aime raconter sa rencontre avec Patti Smith, le moment où elle a pleuré dans ses bras, submergée par l’émotion et que la rockeuse poilue lui a lâché comme une maman bien épilée : « There’s no need to cry, sweetie ». Elle aime aussi les films de Billy Wilder et ceux avec Marylin Monroe ; elle avoue donc mettre un peu plus haut dans sa hiérarchie perso Certains l’aiment chaud que La Garçonnière; mais après une longue hésitation tout de même. Elle préfère les Beatles aux Stones, « une évidence, c’est plus subtil ». Une grosse passion aussi pour Gene Kelly, les blockbusters Marvel « mais pas Avengers 2, ça m’a foutu mal à la tête », et aussi Snowpiercer. « Avant de faire du cinéma, je ne savais Elle nous l’avait balancé d’entrée de jeu : « Tout ce que je dis, ça peut paraître couillon, naïf, je m’en fous ». Izïa Higelin a 24 ans et ça lui va bien. Elle aime raconter sa rencontre avec Patti Smith, le moment où elle a pleuré dans ses bras, submergée par l’émotion et que la rockeuse poilue lui a lâché comme une maman bien épilée : « There’s no need to cry, sweetie ». Elle aime aussi les films de Billy Wilder et ceux avec Marylin Monroe ; elle avoue donc mettre un peu plus haut dans sa hiérarchie perso Certains l’aiment chaud que La Garçonnière; mais après une longue hésitation tout de même. Elle préfère les Beatles aux Stones, « une évidence, c’est plus subtil ». Une grosse passion aussi pour Gene Kelly, les blockbusters Marvel « mais pas Avengers 2, ça m’a foutu mal à la tête », et aussi Snowpiercer. « Avant de faire du cinéma, je ne savais même pas ce que c‘était qu’un plan. Maintenant je peux mater un film et me dire: “Tiens ce plan, il est vachement beau”. Je le vis comme une victoire » (Rires.) Elle ressent aussi un petit ennui, pas dénué de charme, vis-à-vis du cinéma français actuel. À quelques exceptions près : Les Combattants, Radiostars et Les Gazelles. Mince, on aimerait tellement l’avoir comme voisine.

«Ah bon, je suis atypique? Pour de vrai ? » Comme si elle n’était pas au courant. Comme si elle ne savait pas que depuis des lustres les girls next door officielles du cinéma français c’était Isabelle Nanty, Ariane Ascaride ou Valérie Bonneton. Elles avaient l’air proche de nous, c’est sûr, on avait juste un peu de mal à les trouver entêtantes. Tout d’un coup Izïa vient proposer un autre paysage, une autre manière d’écrire des personnages aussi, sûrement. Il faut le souhaiter, en tout cas. Une alternative à la cérébrale aux yeux tristes, la starlette gaulée qui zigzague entre Christophe Honoré et James Bond, ou la petite chose frêle qui met sa « culotte porte-bonheur » pour la cérémonie des César. Izïa c’est un sentiment neuf, une voix qui se brise un peu quand elle est triste, un fétiche sexy qui aime faire des zigzags sur sa balance. Elle nous rencarde comme si on bossait pour Marie-Claire. « J’étais un peu plus fat pendant le tournage de La Belle saison que maintenant, mais on s’en fout non? Au moins je suis crédible quand je dois monter sur un tracteur… Ce qui me déprime c’est la métamorphose façon Chris Pratt. Depuis qu’il a perdu vingt kilos, il ressemble à un douchebag, il joue des rôles de douchebag comme dans Jurassic World par exemple… Alors que quand il avait des bourrelets, au moment de Parks And Recreation, c’était le mec le plus cool du monde… » Après ça elle embraie immédiatement sur sa passion pour Amy Schumer, son génie anti-glam et son sketch tordant Last fuckable Day. Elle dévie aussi sur un concept séduisant mais néanmoins nébuleux : la virilité féminine : « C’est une meuf qui parle fort mais sans forcément roter à table. Tu vois ce que je veux dire? » Le soleil tape un peu trop fort pour lui demander d’expliciter. Mais elle a ce truc de proximité immédiate, de bonne copine instantanée, qui fait qu’on trouverait ça presque brillant.

Notre dictaphone affiche pas loin de trois heures d’enregistrement. On n’a pas vu le temps passer, on avait presque l’impression de bien s’entendre. Elle fait mine de ne pas trouver le temps long, mais on va quand même la laisser retrouver la porte d’à côté, cette place qui lui va si bien. On a un peu de mal à la quitter, on se met son dernier disque pour compenser. On préférerait revoir La Belle saison. On rentre du côté de Pigalle. C’est le moment de sortir nos poubelles. Notre voisine qui ressemble à Isabelle Nanty nous fait remarquer sèchement qu’on s’est encore emmêlé les pinceaux au niveau du tri sélectif. À cet instant-là, Izïa Higelin est un pur fantasme de cinéma.

 

François Grelet


( Portrait paru dans Technikart #193, juillet 2015 )

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