Jacques Attali : « Et si on passait à Jour Debout ? »

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L’infatigable « sherpa » de Mitterrand sera au festival de Cannes pour y présenter sa dernière découverte : le film positif ! Interview 100% good vibes.

Bonjour, monsieur le conseiller. C’est quoi cette histoire de « film positif » ?
Comme vous le savez, j’ai créé une fondation, Positive Planet, dont l’ambition est de travailler dans l’intérêt des générations suivantes. Comme on organisait un dîner à Cannes depuis quatre ans pour montrer ce qu’on faisait, je me suis dit que ça serait bien d’associer davantage notre fondation au cinéma. D’où cette idée de se demander si certains cinéastes travaillaient dans l’intérêt des générations à venir. Et de créer ce terme de « cinéma positif ».

Du genre, Je t’aime de Patrick Sébastien ?
(Il coupe.) Non, il s’agit d’un cinéma fait par ceux qui essaient d’éveiller les consciences sur les enjeux de l’avenir. On a donc a établi un historique de ces films : Le Dictateur de Chaplin, Metropolis de Lang… Des centaines de films !

Vous pourriez nous en citer des plus récents ?
Ce sont tous les films qui alertent sur les dangers encourus par la planète : les documentaires sur l’environnement bien évidemment, mais aussi des films d’anticipation, tirés de grandes œuvres de science-fiction –  Blade Runner , Brave New World – et des films de prise de conscience sociale : Le Voleur de bicyclette et les grands films de néoréalisme italien… Ou encore un film comme Water , sur le statut des femmes en Inde, tous des films « positifs » selon moi. Pour les plus récents, je pourrais citer Dheepan de Jacques Audiard ou Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui sera peut-être primé à notre soirée de clôture.

Il s’agit d’une contre-programmation face à la Palme d’or ?
Ah non ! On organise d’ailleurs une journée de débats dans le palais des festivals – en collaboration avec le festival. On sélectionne plusieurs films, déjà sortis, et on choisit parmi eux les « meilleurs films positifs » au cours d’une grande soirée avec une vente aux enchères, un dîner, des invités comme Harvey Weinstein… Alors que le festival de Cannes présente des films qui, eux, ne sont pas encore passés en salles.

Et le doc Merci patron de François Ruffin, il a ses chances d’être sélectionné ?
Bien évidemment. C’est un « film positif » selon ma définition : il fait prendre conscience d’une inégalité qui, si elle dure, creusera la tombe du système économique et social dans lequel nous sommes. On n’a pas trouvé mieux – heureusement ou malheureusement, ça se discute –, que l’économie de marché, mais celle-ci est en train de se suicider par la folie de ses inégalités, et par la concentration des richesses. Donc le film de Ruffin, en le révélant sur un cas microscopique, fait partie de l’éveil des consciences : il faut trouver autre chose, ou au pire mieux réguler ce système.

Vous l’avez découvert à la projection place de la République ?
Le film ? Je ne l’ai pas encore vu, j’en ai entendu parler. Quant à Nuit debout, j’aimerais qu’on passe à Jour debout.

Hein ?
La nuit, c’est bien, mais c’est du virtuel, c’est hors du réel. Si on veut vraiment changer le monde, il faut le faire le jour. Regardez les grands mouvements récents aux États-Unis, en Tunisie, en Ukraine, ils ne se sont pas faits la nuit…

C’est ce qu’essaient de faire les inspirateurs du mouvement, François Ruffin et Frédéric Lordon, en créant des jonctions entre les manifestants de la place de la République et les syndicats, non ?
Pour moi, « Jour debout », c’est ce que je fais avec « France 2022 », mes 100 idées en 100 jours pour que la France réussisse. Je voudrais qu’on passe à des choses concrètes. On a une élection présidentielle dans un an, on fait quoi ? On propose quoi ?

Et vous avez le sentiment d’être écouté en ce moment ?
Par l’Élysée ? Je n’ai jamais été écouté que par celui avec qui j’ai travaillé, François Mitterrand. Nicolas Sarkozy m’a demandé un rapport. J’ai rendu un rapport bipartisan, il était normal qu’il n’en applique qu’une petite partie, avec des mesures de droite. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, je propose mes « 100 idées » avant l’élection : parce qu’un président qui hérite de conseils une fois élu a de bonnes raisons de ne pas les appliquer, vu qu’il ne s’agit pas de ce pour quoi il a été élu… Bon, vous viendrez au dîner le 18 ?

ENTRETIEN LAURENCE RÉMILA

La semaine du cinéma positif s’est tenu du 13 au 19 mai, avec l’attribution du Prix du meilleur film positif le 18 à Cannes.


Paru dans Technikart #201, mai 2016

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