LE RIRE NE MEURT JAMAIS

Paru dans le Hors Série TV de Technikart – 22/07/2009

IL Y AURA TOUJOURS DE LA COMÉDIE À LA TV
On pensait la sitcom à bout de souffle et les séries feuilletonnantes prioritaires. Maintenant que plus personne ne regarde «Heroes», il paraît que la comédie est de retour. Mais s’est-elle jamais absentée ? Après tout, six mois à peine se sont écoulés entre la fin de «Seinfeld» et le début de «Curb Your Enthusiasm»…

« Des comiques venus de la télé ». Une expression à priori inoffensive qui, selon que vous la prononcez en France ou sur le sol anglo-saxon, dénote pourtant un fossé culturel de la taille du Grand Canyon. Chez nous, elle désigne la frustration très snobinarde de ne plus être en mesure de créer des icônes drôles sur grand écran, comme du temps de Michel Simon et De Funès, et ne s’envisage qu’avec du mépris dans la voix. En Angleterre ou aux Etats-Unis, c’est relax, cool beans, pas de quoi se vénère : la recrudescence de clowns nés à la télé est un simple état de fait, une réalité industrielle qui ne date pas d’hier, ou alors l’hier de 1957. Il y a quelques mois, «Technikart » s’interrogeait sur l’incapacité chronique du PAF à faire rire (« C’est quoi cette blague ? », n° 130) et voilà qu’on fait l’article et la couv’ sur le génie cathodique à l’œuvre de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique. Tout est dit dans notre Histoire secrète de l’humour TV, une page plus loin… 

L’UNIQUE HORIZON
Après nous avoir laissé sans nouvelles pendant deux ans, Larry David, créateur de « Seinfeld » et grand trait d’union de la sitcom US, reprend du service avec la septième saison de « Curb Your Enthusiasm » (en septembre sur HBO). Deux ans pendant lesquels on n’a fait que se marrer (« The Office », « 30 Rock », « Little Britain »…), tandis que l’univers TV agonisait dans d’atroces souffrances. Il y aura toujours de la comédie à la télé, surtout en temps de crise. Pas d’argent ? Pas de moral ? Pas de problème : la comédie fait du bien par où elle passe et elle ne coûte pas cher. Au jour d’aujourd’hui, c’est l’horizon unique de la rentrée US 2010, et même de la suivante. « Glee » (Fox), « Modern Family » (ABC), « Sons of Tucson » (Fox), « Cougar Town » (ABC), « Parenthood » (NBC), « The Station » de Ben Stiller (Fox) ou « Bored To Death » avec Jason Schwartzmann (HBO)… Ça va pas être triste.

KING OF COMEDY
THERE IS SOMETHING ABOUT LARRY

Avant «Curb your Enthusiasm» de Larry David, il y avait «Seinfeld» de Larry David. Depuis «Curb your Enthusiasm», il n’y a plus que des sous-«Curb your Enthusiasm», mais pas de Larry David. Entre la sortie du dernier Woody Allen et le début d’une septième saison événement, Larry revient sur le plus grand show comique des années 2000. Attention, document.
Sans l’émission spéciale consacrée par HBO à Larry David en 1999, Jason Alexander ra conte une fois de plus son anecdote favorite, à propos de George Costanza, son personnage dans Seinfeld : « C’était au début de la toute première saison de Seinfeld. Je lis un script et je m’adresse à Larry : “Tu sais, je crois qu’il faut réécrire cette scène. Non seulement, un truc pareil ne pourrait pas se produire dans la vraie vie mais en plus, personne n’y réagirait de cette façon.” Il me regarde fixement et me répond : “Non seulement, ça m’est arrivé à moi, mais c’est exactement comme ça que j’ai réagi.” J’ai compris alors que je le jouais lui. Toutes sortes de variations de Larry David ».
George était donc Larry. Râleur, chauve, névrosé, discutailleur au point de se faire tourner lui-même en bourrique. Sauf qu’il était italien, petit et un peu « chubby » (grassouillet), mal sapé et créé par Larry David. Alors que le vrai Larry est juif, grand et maigre, un peu fashion victim sur les bords et a été mis au monde par sa maman. Mais est-ce bien sûr ?
LA NAISSANCE DE «CURB»
En 1999, Seinfeld n’existe plus depuis douze mois. Larry David a quitté la série deux ans auparavant, rendu exsangue par sept ans de « show running » épuisant. Il a eu le temps d’écrire et de réaliser un film de cinéma, Sour Grapes, qu’il fait aujourd’hui mine d’oublier, contrairement au public – étant entendu qu’on ne peut oublier ce que l’on n’a de toute façon jamais vu. La proposition du « HBO Special » vient de Jeff Garlin, comique enveloppé en train de se reconvertir en réalisateur de « TV Specials », émissions d’une heure consacrées à des stars qui le méritent un minimum (il vient alors de tourner celles de Jon Stewart et de Dennis Leary). Concernant Larry, l’idée est toute simple : il s’agirait de chroniquer son retour sur les planches et à ce métier de « comedian » dont Jerry Seinfeld est le symbole pour l’éternité.
Après sept saisons de « show about nothing », sans doute Larry David se dit-il que tant qu’à se mettre à parler de « quelque chose », le plus simple, le plus naturel, serait effectivement de parler de lui. Dans cette émission spéciale de HBO, la plupart des éléments de la série à venir sont déjà en place : le style semi-docu, la caméra portée, les personnages secondaires (sa femme Cheryl, son manager Jeff, joué par Garlin), les amis stars et la chronique d’un Hollywood (et d’une Amérique) miné par des conventions sociales auxquelles le héros se montre réfractaire jusqu’au délire. Et même le titre : Larry David : Curb your Enthusiasm. En une heure d’émission, c’est fait. Larry David a créé le personnage le plus fabuleux de toute sa carrière : lui-même. Et cette fois, la ressemblance est totale.
DERNIÈRE SAISON ?
Curb la série existe depuis sept saisons et neuf ans maintenant. Des chiffres qui font peur aux superstitieux puisque c’est au bout de sept saisons que David avait lâché Seinfeld (avant d’y revenir boucler la boucle en écrivant le « series finale » en 1998). Au sujet d’une éventuelle fin de série, Larry dit qu’il ne sait pas : « Non, aucune idée. J’ai déjà pensé arrêter et, à chaque fois, je m’y remets. Il y a toujours ce moment où je me vois sur l’écran HD et où je me dis : “Mais qui a encore envie de mater les aventures de ce vieux ?” Vraiment, je ne peux pas répondre. »
Le top départ de la saison 7 sera donné le 20 septembre prochain. On raconte que l’intégralité du cast de Seinfeld y apparaît dans au moins deux épisodes. « On », c’est encore Larry David lui-même qui n’en dira pas plus « sauf si vous voulez bien attendre fin août pour sortir votre magazine ». Ah, mais non, Mr. David. C’est le hors-série séries télé de Technikart, ici, une institution des plages françaises, on sort en juillet, n’insistez pas. Que ce soit Larry, sa femme Cheryl, son manager Jeff ou la femme de son manager Susie, on n’attend pas septembre pour les retrouver live et en totale exclusivité. Sans cacher notre joie ni bouder notre plaisir, on le fait ici, et tout de suite.

LARRY DAVID, BONJOUR. IL Y A DEUX HEURES, J’ÉTAIS AU SUPERMARCHÉ. IL Y AVAIT DEUX QUEUES POUR PAYER, J’ÉTAIS DANS LA PREMIÈRE. UNE TROISIÈME CAISSE S’EST OUVERTE, LES GENS DE LA DEUXIÈME SE SONT PRÉCIPITÉS VERS ELLE. VOUS SUIVEZ ?
Pour l’instant, oui.

DONC, ILS PARTENT VERS LA TROISIÈME FILE. MALIN, JE ME RABATS VERS LA SECONDE. SAUF QU’UN TYPE QUI ÉTAIT À L’ARRIÈRE DE CETTE FILE DÉCIDE D’Y RESTER ET ME FAIT REMARQUER QU’IL EST DONC TECHNIQUEMENT AVANT MOI. JE ME DÉPORTE DONC SUR LA TROISIÈME FILE. OK. A CE MOMENT-LÀ, LA CAISSIÈRE N°2 ANNONCE QU’ELLE FERME. LE TYPE SE RETROUVE DONC COMME UN IDIOT ET N’A PAS D’AUTRE CHOIX QUE DE SE METTRE DERRIÈRE MOI DANS LA TROISIÈME FILE. BAH, VOILÀ. JE L’AI LAISSÉ PASSER AVANT MOI.
C’est très courtois de votre part…

ET J’AI PENSÉ: «MINCE, QUAND JE PENSE QUE JE PARLE AVEC LARRY DAVID CE SOIR !»
Ah ah, oui, c’est typiquement le genre de truc que je pourrais utiliser dans le show. Une nouvelle caisses’ouvre, tout le monde se met à courir dans tous les sens, c’est le grand chacun pour soi, il n’y a plus la moindre civilité, on se marche les uns sur les autres, c’est le chaos. Alors que ça devrait être tout simple de passer dans l’ordre où on est arrivé. Si vous regardez le pourcentage des gens qui diraient : « Mais non, monsieur, après vous », c’est du huit contre un.

VOUS, VOUS FERIEZ QUOI ?
Je ne courrais pas. Je laisserais passer ceux qui étaient là avant moi.

ET SI C’ÉTAIT POUR EN TIRER UNE SCÈNE COMIQUE ? VOUS SERIEZ LE MEC QUI COURT, LE MEC QUI SE FAIT PASSER DEVANT, LE MEC DE DERRIÈRE ? OU ALORS MOI ?
Juste pour être sûr de bien comprendre : il était dans la seconde file, mais derrière vous ?

C’EST IMPOSSIBLE À DIRE. CE QUI EST SÛR, C’EST QU’IL ÉTAIT DANS LA SECONDE FILE ALORS QUE J’ÉTAIS DANS LA PREMIÈRE. DONC DEVANT MOI DANS LA SECONDE FILE. SI ON VEUT. LA PREMIÈRE. DONC DEVANT MOI DANS LA SECONDE FILE. SI ON VEUT.
Alors, pour en tirer tout le potentiel comique, je serais lui. C’est la meilleure position. Il profite que les autres partent dans la troisième pour être mieux placé et se met ensuite à exiger qu’on le laisse passer. Dans la deuxième file d’abord, puis dans la troisième quand la caisse n°2 ferme. C’est cette position-là qui est la plus drôle, celle du type pas aimable mais persuadé d’être dans son bon droit, convaincu d’avoir fait ce qu’il fallait sans être malpoli mais en étant profondément désagréable. Attention, hein, je ne ferais jamais ça dans la vraie vie.

MAIS DANS LE SHOW, SI.
Pour accomplir mon dessein comique démoniaque, oui. Le but est TOUJOURS d’être rigolo.

SI ON REGARDE VOTRE ŒUVRE EN GÉNÉRAL, ON VOUS TROUVE AU CONFLUENT DE LA PLUPART DES GRANDS COURANTS COMIQUES US CONTEMPORAINS. EN DEHORS MÊME DE «SEINFELD» ET «CURB»: DU STAND UP, LES SITCOMS CLASSIQUES COMME «FRIDAYS», LE «SATURDAY NIGHT LIVE» POUR LEQUEL VOUS AVEZ TRAVAILLÉ PENDANT QUELQUES MOIS, WOODY ALLEN POUR QUI VOUS AVIEZ DÉJÀ JOUÉ DEUX FOIS AVANT «WHATEVER WORKS»…
Oui, mais si vous prenez l’intégralité de mes interventions dans tout ça, hormis Fridays, vous arrivez à quoi ? Vingt minutes de programme ?

VOILÀ, VOUS AVEZ FAIT TOUS CES TRUCS MAIS, EN RÉALITÉ, VOUS AVEZ SURTOUT CRÉÉ VOTRE PETIT UNIVERS À VOUS, PRESQUE EN MARGE.
Vu son triomphe mainstream, je trouve compliqué de qualifier Seinfeld de marginal…

J’AI EU L’OCCASION D’INTERVIEWER JERRY SEINFELD IL N’Y A PAS LONGTEMPS, ET IL ME DISAIT QUE FAIRE UN SHOW COMME «SEINFELD», C’ÉTAIT COMME VIVRE DANS UN SOUS-MARIN PENDANT NEUF ANS. UN UNIVERS CLOS, SANS LIEN AVEC L’EXTÉRIEUR. JE TROUVAIS QUE C’ÉTAIT UNE BONNE FAÇON DE DÉFINIR VOTRE POSITION DANS L’INDUSTRIE ET LA PETITE PLACE QUE VOUS AVEZ SU VOUS MÉNAGER AVEC «CURB». VOTRE ÎLOT À VOUS.
OK, je vois. Mais paradoxalement, il y a une illusion d’optique. Curb est plus un programme de niche, montré sur le câble à des audiences qui n’ont rien à voir avec celles de Seinfeld. Mais je trouve que c’est une expérience moins « claustro ». Moins un sous-marin, si vous voulez. En même temps, c’est vrai que quand on regarde tout ce que j’ai pu faire, Curb est ce qui se rapproche le plus de ma conception de la comédie. Dans ce show, il y a de la dramaturgie, du « storytelling » et aussi de l’improvisation, parce qu’on n’a pour ainsi dire pas de script. On a une histoire, une intrigue générale assez détaillée mais les acteurs n’ont pas de pages de dialogues à mémoriser. Tout s’invente sur le plateau.

SI ON ÉTUDIE VOTRE PARCOURS, DANS «SEINFELD», NON SEULEMENT VOUS N’ÉTIEZ PAS À L’ÉCRAN…
Oui, j’étais l’homme de l’ombre.

ET MÊME UNE CARICATURE D’HOMME D’«HOMME DE L’OMBRE», PUISQUE VOUS «ÉTIEZ» GEORGE, QUE LE SHOW PARLAIT AUSSI DE VOTRE EXPÉRIENCE DE STAND UP À TRAVERS CELLE DE JERRY ET QUE VOUS «JOUIEZ» DES VOIX COMME CELLE DE STEINBRENNER, LE PATRON DES YANKEES. IL Y AVAIT CETTE MISE EN ABÎME DE VOTRE PRÉSENCE/ABSENCE TOUT AU LONG DU SHOW…
C’est vrai.

ET PUIS VOUS AVEZ FAIT «CURB». ET MAINTENANT, L’AIR DE RIEN, VOUS JOUEZ LE RÔLE PRINCIPAL DANS LE NOUVEAU WOODY ALLEN. EN FAIT, VOTRE PARCOURS EST CELUI DE QUELQU’UN QUI A TOUJOURS RÊVÉ D’ÊTRE UNE STAR MAIS QUI A MIS DU TEMPS À L’ACCEPTER.
Ah, Ah, ah. Pas mal, ah, ah, oui, c’est pas mal ! En fait, quand on s’est lancé sur le « HBO Special » Larry David : Curb your Enthusiasm, je n’avais pas du tout en tête d’en tirer une série. Ce n’est qu’au milieu du tournage que je me suis dit : « Merde, si ça marche, ce truc a du potentiel. » Alors, je n’avais pas la moindre idée de comment je passerais à l’écran. Ni si j’arriverais à me regarder sans avoir mal au bide. Et puis il s’est avéré que ça ne m’a pas rendu malade.

ET VOILÀ COMMENT ON DEVIENT UNE VEDETTE.
Je me suis rendu compte que j’y prenais plaisir, que j’aimais me mettre dans ce genre de situations, que le processus d’impro était stimulant. Ce n’était pas une expérience pénible, contrairement à un long-métrage comme Whatever Works, où le simple fait de mémoriser des pages et des pages de texte était une tâche exténuante. Mais pour être franc, là aussi, au bout de deux jours, j’y ai pris un certain plaisir. Et je le referais demain si on me le proposait. Mince, vous devez avoir raison, c’était sûrement mon rêve secret d’être une vedette. Secret au point que je n’étais pas au courant…

A VOS YEUX, QUELLES SONT LES PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE CE «HBO SPECIAL» ET LA SÉRIE QUI EN A DÉCOULÉ ?
Le « Special » était censé raconter mon retour au stand up. Je voulais vraiment remonter sur scène et l’idée était de filmer les semaines qui menaient à ce retour. Dans un premier temps, ça ne me disait rien, mais je me suis laissé convaincre petit à petit. L’émission devait être centrée sur mon show sur scène. Le problème, c’était ce qui allait se passer quand je n’y serais pas, sur cette foutue scène. Le « off stage ». Du blabla sur le stand up ? Moi en train de faire du shopping ? Ça me semblait parfaitement ennuyeux. J’ai donc décidé d’écrire des petites histoires, des petites fictions qui raconteraient ce qui se passait dans ces moments-là. Comme il s’agissait d’un « documentaire », il fallait que ça ait l’air vrai. D’où l’idée d’improviser les dialogues, même dans les bouts « écrits ». Le concept s’est mis en place comme ça, logiquement, petit bout par petit bout.

C’ÉTAIT QUAND MÊME BIEN VU: VOUS ÊTES À L’ÉCRAN, DONC VOUS NE RÉALISEZ PAS. VOUS N’AVEZ PAS BESOIN D’ÉCRIRE PUISQUE TOUT EST IMPROVISÉ, ET VOUS N’AVEZ PAS BESOIN DE JOUER NON PLUS PUISQUE VOUS ÊTES VOUS-MÊME. FRANCHEMENT BRAVO, C’EST LE COUP PARFAIT.
Ah, ah, ah, je n’y avais jamais pensé dans ces termes ! Sauf qu’en réalité, écrire les intrigues de façon suffisamment précises, même sans dialogue, représente 80 à 85% du boulot de scénariste. Je le savais depuis Seinfeld. Quand le canevas est suffisamment précis, le dialogue s’écrit tout seul.

POUR LA SÉRIE, VOUS AVEZ CONSERVÉ LE STYLE RELÂCHÉ, CAMÉRA À L’ÉPAULE, ILLUSION DU RÉEL… MAIS PAS LE CÔTÉ «FAUX DOCUMENTAIRE».
La proposition est venue de HBO. Cette fois, il ne s’agissait plus d’un docu, même « fictionnalisé », mais d’une vraie série télé. On n’avait plus besoin de mettre en scène la présence des caméras – genre parler avec le caméraman ou s’énerver d’être suivi en permanence… En même temps, la liberté du style permettait une vraie liberté de ton. Ça semblait venir à moi en coulant de source. J’aimais être dans cette sensation de prise sur le vif, connaître juste la situation et ensuite « écrire debout », si vous voulez. J’avais conscience que cela permettait d’être plus authentique et plus spontané. Et je ne l’ai jamais regretté. Il est rarissime qu’en rentrant chez moi après un tournage, je me dise : « Merde, j’aurais dû écrire cette scène pour de bon, elle aurait été meilleure. » Ça arrive, oui, mais quasiment jamais. Bref, c’est un système très confortable. Et puis vous n’imaginez pas combien on se marre. Je n’ai jamais autant rigolé de ma vie que sur ce plateau. Quand tu vois une scène dans le show, c’est juste une prise où je ne me suis pas marré.

VOUS AVEZ CONSCIENCE D’AVOIR LANCÉ UN CONCEPT JAMAIS VU ? ET QUE, DÉSORMAIS, IL N’Y A PLUS QUE DES SHOWS SEMI-IMPROVISÉS À LA TÉLÉ ?
Non, je n’avais pas l’impression d’inventer quoi que ce soit. Au cinéma, des gens comme Cassavetes avaient déjà utilisé ce genre de technique, ou Christopher Guest, pour rester dans la comédie. Mais sans doute que j’étais le premier à le faire dans une série télé. Ceci étant dit, non, je n’ai jamais pensé en ces termes. Non, ah, ah, ah !

MAIS POURQUOI RIEZ-VOUS ?
Je repense à la phrase d’un mec de Castle Rock (la boîte de prod’ de Seinfeld – NDLR) quand on lui parlait des imitations de Seinfeld : « L’imitation est la plus grande forme de flatterie. Nous, qu’est-ce qu’on peut être flattés ! » Ah, ah, ah. Je sais ce qu’il voulait dire.

VOUS N’AVEZ PAS L’AIR TRÈS FLATTÉ…
Il reste quand même quelques séries de networks scriptées comme dans le temps. Mais… Je ne sais pas. Qu’est ce que je peux dire ? Ça fonctionne, les gens s’en rendent compte, donc ils essaient de faire la même chose, puisque ça a l’air marrant. Un truc qui a du succès est forcément copié. Je n’y fais pas trop attention.

SI VOUS ME DITES QUE VOUS NE REGARDEZ PAS LA TÉLÉ, JE NE VOUS CROIS PAS.
OK, j’admets qu’il y a parfois des trucs tellement pompés que je trouve ça un peu agaçant. Je n’ai pas de la fumée qui sort des oreilles non plus, hein, mais ça m’énerve gentiment.

IL Y A TOUJOURS EU CETTE DICHOTOMIE DANS CE QUE VOUS ÉCRIVEZ. LES CONVERSATIONS INTERMINABLES SUR DES SUJETS SANS INTÉRÊT ET UN GOÛT POUR LES INTRIGUES TARABISCOTÉES, TRÈS COMPLEXES, QUE VOUS VOUS ARRANGEZ POUR RÉUNIR À LA FIN…
J’aime faire une montagne des toutes petites choses et, au contraire, ramener les choses importantes à un détail microscopique. Je prends la tragédie avec légèreté, comme si de rien n’était. A l’inverse, s’il y a une tache sur la table, je m’arrange pour faire monter le truc de façon déraisonnable.

ENTRE «SEINFELD» ET «CURB», IL Y A EU CE FILM QUE VOUS AVEZ RÉALISÉ, «SOUR GRAPES». FIGUREZ-VOUS QUE JE L’AI VU. Aïe. JE L’AI VU EN DVD, PLEIN ÉCRAN, CE QUI ACCENTUAIT SON CÔTÉ «TÉLÉ». ET J’AI TROUVÉ ÇA BIZARRE: IL DURE 90 MINUTES, SOIT L’ÉQUIVALENT DE TROIS ÉPISODES DE «CURB» OU QUATRE DE «SEINFELD». POURTANT, ON A L’IMPRESSION QUE VOUS N’AVEZ PAS LE TEMPS DE FAIRE DURER LES SCÈNES AUTANT QUE D’HABITUDE…
J’aimerais pouvoir dire que c’était une question de temps, ou de gestion de la durée. Mais non. C’est juste que j’ai raté mon coup. Certaines idées étaient peut-être tirées par les cheveux, même pour moi. Et puis, il n’est pas bien réalisé, c’est aussi simple que ça. Tout le monde me disait : « Tourne-le de la façon la plus directe possible, n’en fais pas trop avec la caméra. » Je me souviens très bien d’avoir voulu écouter ce conseil. Et je n’en ai pas fait assez. Le résultat était très plat.

LA FRUSTRATION DE L’ÉCHEC DU FILM A PESÉ DANS LA CRÉATION DE «CURB YOUR ENTHUSIASM» ?
Je n’ai pas été frustré. J’ai bien vu que le film n’était pas terrible, et je me suis lancé dans le truc suivant. Ça ne m’a pas tourmenté plus que ça. Je n’y pense absolument jamais, ce qui n’est pas très caractéristique, d’ailleurs. Normalement, je rumine. Mais là, non.

EN MÊME TEMPS, ON RECONNAÎT VOTRE STYLE ENTRE MILLE. IL Y A CE TERME, EN TRAIN DE RENTRER DANS LE LANGAGE COURANT: DANS CERTAINES SITUATIONS EMBARRASSANTES, ON PARLE DE «LARRY DAVID MOMENT». CE SERAIT QUOI, UN «MOMENT À LA LARRY DAVID» ?
C’est de ne pas remercier une femme pour le chèque que vous a fait son mari et de devoir ensuite s’en expliquer devant elle. Tous ces petits trucs qu’on traite dans la série. C’est quelque chose que j’ai toujours trouvé fascinant. Déjà, à l’époque de Seinfeld, je voyais bien que les gens s’identifiaient à ce qu’on faisait parce qu’ils n’avaient jamais vraiment vu ce genre de chose à la télé, ce genre de questions banales et de thèmes quotidiens, tous ces malentendus et ces petits tracas qui jalonnent le champ de mines social qu’est devenue notre vie à tous.

UN «CHAMP DE MINES SOCIAL», OUI, C’EST EXACTEMENT ÇA.
Je ne vois pas d’autre façon de le décrire. La malhonnêteté de notre existence quotidienne. De notre moindre comportement. C’est une des raisons qui poussent les gens à regarder la série, j’en suis convaincu. Parce qu’ils souffrent eux aussi de ces conventions et sont soulagés de voir quelqu’un qui choisit de les refuser. Moi-même, je me sens écrasé dans ma propre vie et c’est très libérateur d’incarner ce type qui dit non à tout ça. C’est la raison pour laquelle je dis souvent que le Larry du show est juste une version plus honnête de moi-même.

JE ME SUIS SENTI VENGÉ PAR L’ÉPISODE OÙ IL EST QUESTION DE FAIRE PIPI ASSIS. J’AI ÉTÉ À DES DÎNERS OÙ ON Y VOYAIT UN SIGNE D’ABSENCE DE VIRILITÉ ET JE N’AI PAS OSÉ AVOUER QUE ÇA M’ARRIVAIT DE LE FAIRE.
Oui, il y a des fois, la nuit, où on est un peu paresseux et où on essaie à tout prix de ne pas trop se réveiller. Dans ces cas-là, c’est quand même bien pratique. Je ne vois pas où est le problème.

L’OBSESSION DES FRINGUES ?
Ça, c’est juste un truc que je trouve tordant. Parce que c’est une décision que l’on doit prendre chaque jour que le bon Dieu fait. Regarder dans son armoire et réfléchir consciemment à ce qui ira bien ensemble ou sera adapté à la situation.

CHAQUE JOUR.
Même chose quand on est dans un magasin. Je trouve vertigineux tout ce que ce genre de choses peut révéler de ce que l’on est. Je me dis toujours : « Regarde ce que cette personne a choisi. » Tiens, ce pantalon a une poche retournée, est-ce un accident ? L’expression de son goût ? Le fruit d’une décision consciente ?

VOUS-MÊME, C’EST LE GENRE DE TRUC QUI VOUS TORTURE ?
Quand j’étais plus jeune et que j’avais un rencard, oui, je devenais dingue. C’était à peine si j’arrivais à sortir de chez moi.

CE SERAIT MIEUX SI CES CONVENTIONS N’EXISTAIENT PAS DU TOUT ?
Je dirais que oui. Et si tout le monde était comme le Larry du show, aussi. Moi, je me sens mieux rien que de dire ce genre de choses. Pouvoir demander qui il y aura quand on vous invite à une fête. Ça ne se fait pas, il est interdit de demander un truc pareil. Le premier épisode de la saison 7 est là-dessus. On vous invite. Si vous décidez d’accepter l’invitation, vous serez assis avec dix personnes autour d’une table. Dans ces conditions, pourquoi vous iriez si vous ne savez pas qui sont les personnes en question ? Mais on n’a pas le droit de demander ! C’est pas absurde, ça ? Ce genre d’épisodes est très libérateur, surtout en impro. Alors, bien sûr, toute l’intrigue tourne autour de ça. On refuse de me le dire et je me retrouve entouré d’un tas de gens que je ne voulais surtout pas voir…

VOUS AVEZ L’IMPRESSION DE CHRONIQUER UN MODE DE VIE PUREMENT AMÉRICAIN ?
Je ne sais pas, je ne voyage pas assez, je ne suis pas assez sophistiqué pour répondre à ça, mais je n’ai pas l’impression de faire la satire des Etats-Unis ou de Los Angeles. Plutôt de la nature humaine.

DANS LE SHOW, VOUS ÊTES ENTOURÉ DE PAS MAL DE VOS AMIS DE LA VIE RÉELLE.
Sinon, ça n’aurait aucun sens. Tu dois être proche des gens avec qui tu travailles.

LES PERSONNAGES PRINCIPAUX, JEFF GARLIN, CHERYL HINES, SUSIE ESSMAN, RICHARD LEWIS… QU’EST-CE QU’ILS APPORTENT À LA SÉRIE ?
Ça va être dur d’entrer dans le détail pour chacun d’eux. Mais ce qui les réunit, c’est leur capacité à s’oublier eux-mêmes pour le bien du show. Ils savent identifier l’élément de comédie à l’intérieur d’une scène et, quitte à se mettre en retrait ou en difficulté, ils sont capables de faire monter la sauce. C’est une qualité précieuse.

ON A L’IMPRESSION QU’IL Y A UN VRAI SENTIMENT DE CAMARADERIE ENTRE COMIQUES, UN PETIT MONDE DE LA COMÉDIE US.
Sans le moindre doute. Oui, il y a une véritable fraternité. Parce qu’on a l’impression qu’il n’y a qu’entre nous qu’on peut vraiment parler. Je ne me sens vraiment à l’aise qu’avec des comiques, qu’ils soient scénaristes ou performers. Entre nous, on parle le même langage. Et rien ne nous choque.

EN MÊME TEMPS, ON NE PEUT PAS CHOQUER SI ON N’A PAS CONSCIENCE DE CE QUI EST CHOQUANT…
C’est vrai, il faut identifier clairement la ligne, savoir quand et comment on la franchit. Chacun d’entre nous a des lignes différentes, c’est la beauté de la chose. Après, c’est la façon dont tu gères jusqu’où tu vas et comment tu t’en sors qui fait la différence. Mais plus grand est le plongeon, plus tu as des chances d’impressionner les juges. Des fois, il faut tenter un plongeon plus périlleux pour remporter le concours.

C’EST QUOI LE PLUS COMPLIQUÉ ET LE PLUS DRÔLE À GÉRER COMME SUJET ? LA COULEUR ? LA RELIGION ? LES ANIMAUX ? LES ENFANTS ? LE SEXE ? LE SEXE AVEC DES ENFANTS ?
Chacun est un défi particulier. Ah, ah, oui, c’est difficile à dire. Le sexe, c’est ce qu’il y a de plus facile, aucun doute. Et les plus drôles sont sans doute les plus tabous. Les sujets qui sont censés ne pas être marrants du tout…

COMME LES SURVIVANTS DE LA SHOAH !
Voilà. Exactement !

IL Y A CETTE ESPÈCE DE HAINE BIZARRE DES ENFANTS QUI COURT DANS TOUTE VOTRE ŒUVRE…
Non, non, ce n’est pas une « haine bizarre », je trouve juste qu’ils font de bons sujets de comédie. Pas tant les enfants eux-mêmes, d’ailleurs, que la façon dont les parents parlent de leur progéniture. Ça oui, ça peut carrément me porter sur le système. Comme s’il s’agissait de leur création et qu’ils avaient donc le droit de parler à leur place. Bien sûr, c’est un sentiment que je peux comprendre parfois, voire que je peux partager à l’occasion à propos de mes propres enfants. Mais la plupart du temps, ça me fatigue de devoir écouter les gens pérorer sur de pauvres gosses qui n’ont rien demandé. Je crois que c’est surtout les gens non créatifs qui ont tendance à faire ça. Sans doute parce que leurs enfants sont la seule création dont ils peuvent s’enorgueillir.

C’EST INCROYABLEMENT CRUEL, ÇA. C’EST LE PREMIER TRUC VRAIMENT CRUEL QUE JE VOUS ENTENDS DIRE.
Je suis navré de n’avoir rien dit de cool avant.

CRUEL. JE DISAIS «CRUEL», PAS COOL.
Ah, pardon. Vous trouvez, vraiment ?

OUI. MAIS C’EST SANS DOUTE ASSEZ JUSTE, EN MÊME TEMPS. VOUS N’AVEZ JAMAIS EU PEUR QUE LE SUCCÈS TARISSE LA SOURCE RÂLEUSE ET INSATISFAITE DE VOTRE HUMOUR ?
Pas le succès, non. Je me posais plus de questions sur la romance, en fait, et donc je n’étais pas trop inquiet… A un moment, oui, j’ai pu craindre que me retrouver dans une vraie relation amoureuse signerait la fin de mon humour, que l’amour était mortel pour la comédie. Et puis non, ça ne s’est jamais produit.

IL Y A CES DEUX GAGS RÉCURRENTS. LARRY QUI DÉVISAGE EN SILENCE UN AUTRE PERSONNAGE POUR VOIR S’IL LUI MENT OU S’IL LUI CACHE QUELQUE CHOSE…
Oui, la première fois, on filmait je ne sais plus quelle scène avec un jardinier, je lui posais une question avec un air suspicieux. Au lieu d’y répondre, il m’a rendu mon regard et on s’est dévisagé un long moment. Ensuite, ça s’est reproduit régulièrement, sans que ce soit jamais prévu. Et ce n’est pas fini, il y en a encore cette année. …

ET CET AUTRE, VOTRE FAÇON DE RÉPONDRE: «PRETTY, PRETTY, PRETTY GOOD» QUAND ON VOUS DEMANDE COMMENT ÇA VA…
Ah, ah, oui, ça vient de mon stand up… C’était un sketch qui parlait de se sentir mal dans sa peau et du fait qu’il était strictement impossible de le dire à sa mère. Laissez-moi me rappeler. Oui, voilà. Ta mère arrive chez toi, tu peux bien avoir la tête dans le four, elle dit : « Comment tu vas, mon fils ? » et tu ne peux que répondre : « Oh, salut maman, eh bien ma foi, ça va plutôt, plutôt, plutôt bien… » Tu ne vas pas lui dire : « Maman, c’est un désastre, je ne ferai jamais rien de ma vie, cette fille ne veut pas de moi, je n’ai plus envie de rien, etc. » Parce que sinon, elle démarre : « Oh mon Dieu, Larry, mon fils, mon garçon ! » Et là, c’est l’horreur totale !

PENDANT LES DEUX PREMIÈRES SAISONS DE «CURB» IL Y AVAIT CE POIDS D’ÊTRE «LE CRÉATEUR DE “SEINFELD”». A QUEL MOMENT VOUS ÊTES-VOUS SENTI TOTALEMENT LIBÉRÉ DE CET HÉRITAGE ?
Tout de suite, en fait. C’est le personnage qui vivait ça comme un poids. Il a un problème avec un mec du câble, le type lui demande s’il peut avoir un rencard avec Julia Louis-Dreyfus… C’était juste l’idée qu’il connaît des célébrités et qu’on l’emmerde avec ça. Je n’utilisais ça que si ça servait l’histoire ou le comique d’une situation. Comme dans cette scène où on va au restaurant. Il n’y a pas de table libre et ma femme dit au placeur : « Vous savez, c’est le créateur de Seinfeld. »

ET VOUS NE SAVEZ PLUS OÙ VOUS METTRE…
Exactement, voilà. Ce genre de gag.

VOUS FAITES TRÈS ATTENTION À NE JAMAIS REFAIRE UN GAG DÉJÀ VU DANS «SEINFELD» ?
Il m’arrive de me poser la question, oui. J’ai trois collaborateurs en qui j’ai toute confiance pour m’alerter si c’est le cas. Ça m’embêterait beaucoup que ça arrive.

IL Y A UNE CHOSE QUI S’EST PASSÉE DE LA MÊME FAÇON DANS «CURB YOUR ENTHUSIASM» ET DANS «SEINFELD»: À PARTIR DE LA TROISIÈME ANNÉE, IL Y A DES «ARCS» NARRATIFS QUI STRUCTURENT CHAQUE SAISON. L’OUVERTURE D’UN RESTO, LA REPRÉSENTATION DES «PRODUCTEURS» À BROADWAY, LA GREFFE DE REIN DE RICHARD LEWIS, L’HÉBERGEMENT D’UNE FAMILLE VICTIME D’UN OURAGAN… QU’EST-CE QUE ÇA APPORTE DE PLUS ?
Au lieu d’une collection de dix nouvelles, tu as un roman en dix chapitres. Le personnage ne peut pas exister seulement dans un endroit abstrait où il n’y a aucune référence à son passé et où ses actes n’ont pas d’incidence sur le futur. Ce doit être une histoire en perpétuel développement. De ce point de vue, les arcs aident beaucoup, ils apportent un plus grand sentiment de réalité. Le hic, c’est que c’est deux fois plus dur à écrire. Non seulement, à l’intérieur de chaque petite histoire, l’arc principal doit être nourri et respecté, mais il faut en plus que chaque épisode puisse fonctionner indépendamment des autres. C’est très difficile à réussir. Et pourtant, année après année, allez comprendre, je le refais.

APRÈS SEPT SAISONS DE «SEINFELD», C’ÉTAIT FINI POUR VOUS. LÀ, VOUS DÉMARREZ LA SEPTIÈME SAISON DE «CURB». TOUT LE MONDE S’INQUIÈTE, D’AUTANT QUE VOUS AVEZ ANNONCÉ QUE LE CAST COMPLET DE «SEINFELD» Y FAIT PLUSIEURS APPARITIONS… ALORS, C’EST LA DERNIÈRE ?
Je ne sais pas. On va voir. Je ne peux pas dire, déjà parce que je l’ai trop souvent dit, alors je ne me crois plus moi-même.

SUR «SEINFELD», VOUS AVIEZ ANNONCÉ DIX FOIS QUE VOUS ARRÊTIEZ AVANT DE LE FAIRE. ET MÊME APRÈS L’AVOIR FAIT, VOUS ÊTES QUAND MÊME REVENU POUR ÉCRIRE LE VRAI «FINALE» DE LA SÉRIE…
Voilà. Je ne veux plus faire de « dernier épisode ». Moi-même, je ne découvrirai qu’un épisode aura été le dernier qu’après coup. Comme tout le monde.

VOUS AVEZ VRAIMENT PENSÉ FAIRE MOURIR LARRY DAVID À LA FIN DE LA CINQUIÈME SAISON ?
Non, l’Amérique n’accepterait jamais un truc pareil, le héros qui meurt dans le dernier épisode, pfff… Mais je pensais réellement que c’était fini et que c’était le dernier des derniers. Et depuis, j’ai déjà fait deux autres saisons. Alors…

«CURB YOUR ENTHUSIASM», EN DIFFUSION SUR ORANGE CINÉMA SÉRIES.
ENTRETIEN LÉONARD HADDAD

L’ÉPOUSE IDÉALE
Une des trouvailles bluffantes de « Curb » : le sourire apitoyé de Cheryl Hines devant les dérapages de son mari de fiction. Ça fait quoi d’être la femme de Larry David ? Tentative de réponse.
« J’ai vu Larry pour la première fois quand j’ai passé les auditions pour le “Special”. J’avais travaillé comme assistante de Rob Reiner, et il m’était souvent arrivé de lui envoyer des invit’ pour des soirées, des avant-premières… mais je ne le connaissais pas. Je me souviens d’un dîner chez les Reiner où on devait regarder le “finale“ de Seinfeld, et Rob n’arrêtait pas de dire “pourvu que le son et l’image soient bien, sinon Larry va être furax”. Je me demandais “mais qui est ce type ?” A l’audition, on m’a prévenue de “ne pas toucher Larry” et que si j’avais l’air fausse, l’essai serait terminé. A mon arrivée, il m’a serré la main et j’ai été rassurée “OK, bon, il est pas aussi dingue qu’on me l’a dit”. On a fait quelques impro, et on a clické tout de suite. Quand je suis repartie vers l’ascenseur, le casting director m’a couru après pour me demander de rejouer une scène… Et ils m’ont appelée quatre heures plus tard pour me dire que j’avais le rôle !
En fait, je pense qu’ils te préparent au pire pour que tu ne sois pas trop surpris par ses petites manies. C’est vrai qu’il n’aime pas trop les gens qu’il ne connaît pas et qu’il est un peu germophobe. Pas au point de ne pas serrer les mains mais… il ne les serre sans doute pas toutes non plus, ah, ah !
Les scènes que je préfère sont celles où nous sommes tous les deux et où, à l’abri du chaos que son personnage crée partout ailleurs, il y a pourtant des petits instants hilarants. Comme cette scène dans “The Terrorist Attack”, où je lui dis que s’il y a un attentat, je préfère qu’on soit ensemble pour mourir tous les deux et où lui me fait comprendre que c’est aussi bien qu’il aille faire du golf hors de LA pour le week-end, comme ça au moins un de nous deux survivra… Ah, ah, c’est un de mes moments favoris du show. Jeff t’a dit aussi qu’il préfère les scènes qu’il tourne seul avec Larry ? Ah, tu vois, on est tous égoïstes, on veut Larry tout à nous. Qu’est-ce que tu veux, il a ce dynamisme unique qui fait qu’on a envie de faire partie de sa vie. Sur et hors de l’écran.
J’ai parfois le sentiment que cet univers parallèle où je suis sa femme existe réellement. C’est accentué par l’impro, le fait de devoir se jeter vraiment dans la situation. J’arrive, il me dit ce qu’il veut que je sache, c’est-à-dire pas grand chose, on lance les caméras et là, son personnage se met à me raconter des trucs qu’il a faits et le plus souvent, moi, sa femme, je ne suis pas contente du tout !
C’est moi qui lui ai raconté l’histoire de la femme qui appelle son mari depuis l’avion alors qu’elle croit qu’il va se crasher, mais le mari ne peut pas vraiment lui parler parce qu’il a le technicien du câble à la maison… Il a trouvé ça drôle, m’a demandé si l’amie à qui c’était arrivé accepterait qu’il s’en serve, elle était ravie et, avant que j’aie le temps de dire ouf, je découvre que mon personnage le quitte à cause de ça ! QUOI ? C’est pas cool, si ? Honnêtement j’ai été choquée de cette séparation. Quand on a tourné la dernière scène de la saison 6, où je le regarde danser avec Vivaca Fox, j’étais si triste d’imaginer que la série puisse finir comme ça que j’en ai pleuré. En vrai. Mais j’ai dû me cacher, parce que tout le monde se serait moqué de moi. Après, j’ai vraiment espéré qu’il y aurait une 7e saison, même si je n’étais pas sûre d’être incluse dedans. Et finalement si, je reviens, mais je ne te dirai pas comment il m’a utilisée. Ah, ah, non, tu verras, je te dis rien. »
RECUEILLI PAR LH

BIG JEFF
Dans «Curb your Enthusiasm», il est Jeff Green, son manager. Dans la vie, il est Jeff Garlin, son coproducteur. Dans les deux cas, il est le complice n°1 de Larry David.
Jeff Garlin: «Je venais de faire deux ou trois “TV specials”, j’en avais un peu marre du métier de comique, je n’avais plus la même passion pour ça, j’étais un peu lessivé. Je me voyais comme un réalisateur en devenir. Un jour, je déjeune avec Larry et je lui propose mon idée – une émission d’une heure sur son retour au stand up – avec la ferme intention de la réaliser. Sauf qu’il m’a dit OK à condition que je joue son manager ! Dans le genre reconversion et abandon de la carrière d’acteur, on a déjà fait mieux. Et il a ajouté: “Il faut aussi que tu sois producteur. Crois-moi, en télé, producteur, c’est ce qu’il y a de mieux.” Franchement, aujourd’hui encore, si je ne pouvais que réaliser, ce serait l’idéal. Mais avoir la chance de gagner ma vie en télé auprès d’un tel génie et en profiter pour développer mes propres projets, il y a pire comme plan B.
Dès le début, je me suis rendu compte de l’alchimie entre nous deux dans nos scènes d’impro comiques. Un truc indéfinissable, qui fait que jusqu’à aujourd’hui, les scènes où on est tous les deux sont mes préférées dans le show. Pourquoi quelqu’un est bon peintre ? Pourquoi telle musique te touche et pas telle autre ? Ce n’est pas quantifiable, ça ne répond à aucune logique, c’est juste un truc que tu ressens. Et je t’assure que je ne prépare rien. Zéro. C’est facile pour moi, j’ai l’habitude. Dans mon spectacle de stand up, c’est la même chose, j’ai un canevas sur lequel j’improvise. Est-ce que je sais piloter un avion ? Non. Taper dans une balle de base-ball ? Non. Improviser des dialogues de comédie ? Oui, c’est mon truc. Alors, je me fous un peu des arcs narratifs, la plupart des épisodes que je préfère sont ceux qui se suffisent à eux-mêmes, comme “The Wandering Bear” dans la saison 4.
Larry t’a dit qu’il y a un sentiment de communauté entre comiques ? Je suis à 100% d’accord. C’est un club privé. Je lui parlais récemment d’une soirée où je m’étais bien marré et sa première question a été: “Il y avait des comiques ?” Bien sûr qu’il y avait des comiques ! On est une société secrète, sauf qu’il n’y a pas grand chose de secret là-dedans. Surtout, les comiques n’ont aucune prétention. Il peut y avoir de la compétitivité mais, généralement, les meilleurs comiques sont aussi les meilleurs rieurs. Ils SAVENT qu’ils sont drôles. Le fait que d’autres qu’eux soient drôles aussi ne les met pas en danger.
Tout ce que je sais sur la fabrication d’un show télé, c’est à Larry David que je le dois. Je vois tous ceux qui essaient de copier “Curb”, et je m’en tape. Ils peuvent bien pomper tout ce qu’ils veulent, ils n’ont pas Larry David pour écrire leurs histoires, alors que nous, oui. Et ça, c’est inimitable.»
RECUEILLI PAR L. H.

LA FEMME DE SON POTE
Attraction du show pour ses «Fuck you» ou ses «Larry, you Fuck !» et autres expressions ordurières, Susie Essman joue l’épouse de Big Jeff. Meet Miss Essman.
Susie Essman: «Larry m’a appelée juste avant de lancer “Curb your Enthusiasm”. On ne s’était pas vus depuis un bout de temps. Je lui demande: “C’est quoi le rôle ? Tu me fais lire ?” Et lui: “Nan, t’occupe, il n’y a pas de script, rien. Et le rôle, c’est toi qui vas le créer. Ah, et puis il n’y a pas de budget non plus, donc pas de pognon. Tu viens ?” Je savais combien il était drôle et génial, je n’avais pas grand chose à perdre, j’ai pris l’avion pour Los Angeles et on s’est retrouvé dans un truc complètement informel, sans contrat signé, rien, c’était comme de monter une pièce en colo.
Dans la première saison, j’étais dans trois épisodes. Deux apparitions mi neures et une grosse scène qui justifiait mon personnage, où je devais pourrir Larry. Et puis c’est tout. C’était assez frustrant, dans un premier temps. Mais je n’ai pas cessé de revenir depuis, simplement parce que Larry adore que je lui gueule dessus. En sept ans, on n’a jamais eu la moindre explication sur ce que je devais ou ne devais pas faire. On se comprend sans se parler. Dès le début, il a vu la direction que j’ai prise et ça lui a suffi. Un vrai dialogue inconscient.
Mon personnage n’a pas changé depuis. Un personnage de comédie ne doit pas “apprendre et évoluer”, au contraire, il reste sempiternellement le même, c’est ce qui est marrant. La méthode n’a pas vraiment varié non plus. La seule différence, c’est qu’il y a plus de budget, on a de meilleures loges et une meilleure bouffe. Les acteurs “réguliers” comme moi lisent les résumés complets de l’intrigue, mais pas les “guests”. Eux doivent “être” de façon purement spontanée: il ne faut surtout pas qu’ils se retournent dans leur lit la nuit à chercher la réplique qu’ils sortiront le lendemain.
La clé d’une bonne impro est de ne surtout jamais penser à être drôle, mais juste de faire bien attention à rester dans la scène. La scène doit être drôle, pas toi. Tu reviens à la technique de base de l’acteur: savoir écouter. Ceci dit, mes moments préférés du show sont les moments “en famille”: juste Larry, Cheryl, Jeff et moi, ou avec les Funkhouser (un couple d’amis faire valoir, joués par Bob Einstein et Ann Ryerson NDLR). Le génie de Larry tient à cet incroyable mélange entre ce qui est planifié et ce qui ne l’est pas du tout, la complexité millimétrée des intrigues et le n’importe quoi de l’impro.
Je te promets, aucune ligne de dialogue n’est jamais écrite. Jamais. Je suis sur place, je le saurais, non ? Pour moi, c’est assez facile, si je ne trouve rien de mieux, je peux toujours me mettre à insulter tout le monde, c’est ma position de défense. J’étais déjà connue en stand up pour être “libre avec le langage”, comme ils disent. Et, bien sûr, depuis que je suis dans le show, je passe mes journées à répondre aux sollicitations de gens dans la rue qui me demandent de les injurier un bon coup. Des fois, je ne suis pas d’humeur, mais j’essaie de le faire, c’est ma façon de signer des autographes. LEO, YOU FUCK ! YOU FUCKING FRENCH PIECE OF SHIT ! Non, ne me remercie pas, ça me fait plaisir.»
RECUEILLI PAR L. H.