Les frères Coen «Nous, on n’est pas des artistes torturés»

Capture du 2015-04-24 12:33:14Ainsi l’affirment les Coen Bros, deux rigolos qui aiment parler de serious men, de folk music et (un peu) de cinéma.

 

C’est qui le dingue de musique, entre vous deux ?
Coen Brother 1
: Oh, pareil, les deux, tout le monde écoute de la musique, non ?

En écouter ou être un maboul, ce n’est pas la même chose.
CB1
: Oui, ok, vrai. Et puis en fait je me trompe, il y en a un qui s’en fichait bien, c’est notre père. La musique, ça lui passait au-dessus de la tête. Une des seules personnes que j’ai connues qui s’en foutait à ce point.

Vous vous attendiez à ce que la b.o de «O’ Brother» change le paysage de la musique américaine, comme elle l’a fait, en remettant la country et le bluegrass au cœur de la culture contemporaine ?
Coen Brother 2
: Non. Mais T-Bone Burnett, notre musicien l’avait prédit, lui.
CB1 : On enchaînait les meetings où il nous expliquait que ça allait être énorme. Nous, on lui disait « Euh, vraiment ? » Genre, « Tu crois vraiment que les gens vont se mettre à écouter Harry McClintock, hmm… m’étonnerait ! » Mais il avait raison.

Le moindre choriste est devenu une star après coup !
CB2
: Oui, ils étaient tous connus des initiés, mais en dehors d’un cercle assez restreint de country & western, non. Buck White, du groupe The Whites, qui chantait Keep On The Sunny Side, nous a dit après la sortie du disque « thanks, les gars, vous avez payé des pick up à pas mal de monde. »
CB1 : Ahahahah ! Il y a aussi James Carter, le type qui chante Po’ Lazarus, la chanson du pénitencier, au début du film. Quelqu’un de chez Mercury a réussi à retrouver sa trace dans une maison de retraite à Chicago…
CB2 : Ah oui, OUI !
CB1: … il ne savait même pas que le disque était sorti. Le type l’a retrouvé et lui a dit : «James, tu as vendu plus d’albums que Michael Jackson cette année. » AHAHAHA !

Dans «Llewyn Davis», toutes les chansons sont intégrales, c’est une sacrée décision.
CB2
: Oui, il s’agissait de faire un film sur un musicien, un type pour qui la musique est importante…
CB1 : … et qui révèle dans sa musique des aspects de sa personnalité qu’on ne perçoit peut-être pas par ailleurs, ce qui finalement se rapproche des « comédies musicales » traditionnelles.

Autre rapport avec «O’ Brother». C’était une version bluegrass de «l’Odyssée». Là aussi, un peu, avec le petit chat nommé Ulysse…
CB1
: Ouais, ce n’est pas qu’un clin d’œil. C’est encore un voyage, sauf que Llewyn n’arrive jamais nulle part. Dans le film, le personnage n’a pas de chez lui, c’est très clair, il dort sur les canapés des uns ou des autres. Dans l’Odyssée, il s’agit de « rentrer à la maison, » mais Llewyn n’a pas de maison où rentrer…
CB2 : En revanche, le chat retrouve son foyer, lui.
CB1 : Oui, comme dans ce film du début des sixties, The Incredible Journey, avec ces trois animaux qui tentent de rentrer chez eux.

C’est un vrai film, ça ? On dirait un pitch de Pixar…
CB1
: Eheh, oui, c’était un Disney… 62, 63, je crois, faudra vérifier (63, NDR).

Vous aviez lu le bouquin de Dylan «Chronicles vol.1» ?
CB1 : Oui, sûr, une mine d’info sur l’époque.

Il y parle beaucoup de Dave Von Ronk, qui vous a partiellement inspiré le personnage de Llewyn Davis.
CB2 : Exact. Von Ronk a fait ce disque qui s’appelle «Inside Dave Von Ronk», l’une des pièces clefs d’une certaine idée du folk introspectif et sensible du début des années 60.

Vous n’êtes pas vraiment le genre «artistes torturés,» vous.
CB1 : Ah, non, non, pas torturés pour deux sous. Mais ils font des personnages fantastiques. Avec Barton Fink, on en avait un beau…
CB2 : L’artiste torturé ultime !
CB1 : … mais Llewyn n’est pas mal non plus. On se marrait avec l’acteur Oscar Isaac, parce que tout semble tellement compliqué pour ce type. Ça se voit à de toutes petites choses. Il passe son temps à se battre avec tout son barda, sa guitare, le chat, la boîte qu’il trimballe partout, mais quand Carey Mulligan lui apporte ses affaires au café Reggio, elle a tout ça sous le bras tranquillou, sans en faire tout un problème, comme pour dire « je vois pas ce que ça a de si compliqué. »

Le film forme une sorte de diptyque avec «Serious Man». Vous confirmez ?
CB2 : En tout cas, c’est la même période…

Et ça parle d’un type qui s’apitoie beaucoup trop sur son sort…
CB1 : Vrai, oui, c’est très juste. Ahahaha, oui, indéniablement…

Entretien L. H.


Capture du 2015-04-24 12:35:29 Technikart SuperCannes #05 20 mai 2013