Les galeries françaises aux foires de New York


Pendant cinq jours, New York a vécu au rythme des foires Armory Show (l’officielle), Pulse (la off) et Volta (la jeune). L’occasion de tester les Frenchies au milieu de la crise.

Ça se bouscule au Rose Bar du Gramercy Park Hotel, propriété de l’artiste Julian Schnabel et de Ian Schrager qui, avant de devenir hôtelier à succès, fut l’un des fondateurs du Studio 54. La crise ? En tout cas, son épicentre ne se trouve pas là. Les blondes new-yorkaises ont sorti leurs manteaux de fourrure et le cabernet argentin coule à 18 € le verre sous les tableaux de Warhol et Basquiat, Botero, Keith Haring ou Damien Hirst. Alors… Alors, pour mieux jauger le séisme, il faut pousser un peu plus loin, le long de l’Hudson River, là où se sont posés l’Armory Show et Pulse, deux des trois foires qui agitent la ville. Ou, avant, sur la Fifth Avenue: chez Saks, le grand magasin qui étale sur dix étages son prêt-à-porter hors de prix, il est 18h00 et on a presque envie de venir armé d’un bon gun tant les rayons et les cabines d’essayage sont déserts.
Un flingue ? Philippe Perrin aimerait bien vendre le sien, lui qui expose un splendide Beretta géant (400 kilos, 80 000 $) à la galerie toulousaine Solertis à Pulse. «On a quelques touches mais les collectionneurs négocient dur», avoue-t-il derrière ses lunettes noires. Qu’est-il venu chercher à New York ? «J’adore cette ville et je n’étais pas venu ici depuis l’attentat du WTC. Et puis j’aime bien Pulse. L’Armory, c’est trop grand, c’est le salon du prêt-à-porter. Mon Beretta ? Je pense que ça intéresse plus les jouisseurs de Miami que les boys de Wall Street, c’est plus pour s’éclater que pour spéculer.»

Volta survoltée ?
A défaut de pistolet sur la tempe, on flashe sur la vidéo de Marko Maëtamm (un père dépressif conduit en silence sa famille en voiture, galerie Nettie Horn à Londres), les impression sur un énorme cahier d’écolier de Michael Scoggins (Freight + Volume, NY) ou les dessins de Crumb, Griffin et Robert Williams opposés à ceux de Laurie Lipton ou Martin Wittfooth (Copro Nason Gallery, Santa Monica). Puis, on longe l’installation de Luke Dubois (une vingtaine de caissons analytiques sur la société américaine) pour tracer à Volta, la jeune foire qui se tient au pied du Rockfeller Center.
Là, au onzième étage d’une tour sapée business, soixante-dix-huit galeristes ont dealé avec le commissaire de la foire pour choisir un artiste de leur écurie et présenter un «solo show». Jérôme Jacobs, boss de la galerie bruxelloise Aeroplastics, nous attend, un laptop sur les genoux et une vingtaine de tableaux de l’artiste américain Dave Walker au mur. «Tu sais, nous dit-il de son ton débonnaire, je ne cours pas les foires. Si je suis à New York, c’est parce que Christian Viveros-Fauné (co-commissaire de Volta avec Amanda Coulson – NDLR) a poussé pour que l’on montre le travail de cet Américain. Mon but ? Vendre, bien sûr, notamment aux Belges puisque il n’y a qu’ici qu’on les trouve. Mon stand, c’est un stand spécial crise. Que des tableaux sur les années perdues de la jeunesse entre 1 000 et 5 000 $.» Il en vendra… vingt-huit !

Pop culture à tous les étages
Un peu plus loin, ça trépigne à la Blanchisserie, la galerie de Boulogne-Billancourt tenue par Cyrille Troubetzkoy et sa femme Caroline. Au mur, des pièces d’Arnaud Maguet, un trentenaire qui voit des paysages lunaires partout. Dans un coin, des tableaux entassés, lettres sous verre écrites sur un papier à l’effigie d’American Airlines. «C’est le véritable courrier qu’a envoyé Elvis Presley à Richard Nixon à la fin des années 70, tchatche Cyrille. Le King propose au président Etats-Unis de remettre le jeunesse sur de bons rails en profitant de sa célébrité pour infiltrer les mouvements de protestation.» From Elvis in Hell.
A Volta, c’est un déluge de pop culture appliqué à l’art contemporain. Ici, l’ADN Galeria (Barcelone) expose Eugenio Merino, qui a placé une sculpture d’un Dalaï Lama armé d’une Kalashnikov faisant face à un Bush zen et déchaussé. Là, la galerie ChinaSquare (New York) a opté pour l’artiste Shen Jingdong et son armée populaire de Playmobil géants. Plus loin, Francisco Valdes (Elain Levy Projects, Bruxelles) laisse apparaître, grâce à de minces traits de peinture, des soldats impériaux de Star Wars.
Tout cela ne relève malheureusement pas du très grand art et, paradoxalement, escamote de vrais talents comme Benjamin Cottam (Bartha Contemporary, Londres) et ses portraits laqués et fondus au noir. Et si Frédéric Leris de la galerie londonienne Paradise Row est tout heureux de nous annoncer qu’il a vendu «quatre toiles sur sept du très pop Gosha Ostretsov, l’un des artistes du pavillon russe à la Biennale de Venise, entre 11 000 et 16 000$», c’est plutôt la déception qui se lit sur les visages des exposants. «On n’a pas eu la sensation que les gens étaient là pour acheter mais ça m’a permis de tisser un réseau et de montrer à des collectionneurs français qu’une jeune galerie pouvait traverser l’océan», reconnaît Cyrille Troubetzkoy.  RESULTS RESULTS RESULTS. Une bonne raison d’aller noyer son chagrin dans la bière au Tribeca Grand Hotel pour la fête du vendredi soir ? Bof…

Détour par Chelsea
En attendant, on préfère filer straight to l’Hudson River, via une Bleecker Street grignotée par les marques chicos (Marc Jacobs, Juicy Couture, Miguelina…) puis un Meatpacking carrément dévoré par les enseignes de luxe (McQueen, Diane von Furstenberg, Stella McCartney…). C’est ainsi: dans les mégalopoles, le fric se déplace toujours plus à l’ouest. Arrivé à Chelsea, la plus grande concentration de galeries d’art contemporain au monde, on claque la bise aux Frenchies de la 21e rue, Valérie Cueto et son expo de The Bruce High Quality Foudation (six jeunots de Brooklyn réimaginent New York à partir de visions utopiques) avant de monter à l’étage échanger quelques balles avec Renaud Vuaillat sur la table de ping pong en miroir de Rirkrit Tiravanija, pièce phare de «Cumulus», accumulation d’objets fonctionnels d’artistes (splendide pouf de Elmgreen et Dragset) qu’il expose.
Hop hop hop, l’expo Nara à la galerie Marianne Boesky, un café avec Antoine Parmentier, rédac chef d’un fanzine d’art, «Vicious Vitamins», et Régis Trigano, éditeur d’un joli petit mag gay «For Lonely Adults Only» et on fonce à l’Armory, clou du spectacle et du business new-yorkais. Mais le Pier 94, où s’est installée la plus grosse foire (243 exposants), fait la gueule.

Crise ou pas crise ?
«Il n’y avait pas grand monde le soir du vernissage, et c’était carrément désert le lendemain», regrette Frédérique Valentin de la galerie Chez Valentin, à quelques mètres de deux sublimes sculptures d’Anish Kapoor à la Lisson Gallery (qui ont rapporté 1 700 000 $ au total). «On présente Pierre Ardouvin et Laurent Grasso, qui est quand même Prix Marcel-Duchamp cette année et auteur d’un énorme néon sur le Hunter College, nous explique son mari Philippe, croisé au restaurant Joe’s Shanghai dans Chinatown le lendemain. A la FIAC, le marchand Javier Perez gueulait parce qu’il trouvait le marché français trop mou. Mais qu’est-ce qu’on devrait dire de New York !»
Même ambiance à la galerie In Situ («Même si c’est la cinquième fois qu’on vient, les Américains achètent toujours américain», nous lâche Fabienne Leclerc) mais son de cloche différent chez Emmanuel Perrotin (tout son stand Kolkoz aurait été vendu pour 25 000 $), Frank Elbaz (une institution lui a arraché son «solo show» de Gyan Panchal pour 28 000 $) et Hervé Loevenbruck. «On a fait la couverture du “Art Newspaper” après avoir vendu le “Death Should Be Graceful” de Borre Sæthre au 21st Museum (Kentucky), nous annonce-t-il avec un grand sourire. Le “Black Flag” de Bruno Peinado a été vendu 10 000 $ à des Américains et des galeries US veulent bosser avec Philippe Mayaux. On a osé, et c’est la meilleure attitude à avoir dans ces moments compliqués.»
Mais alors, et la crise, les gars ? «Ben, on est étonnamment très content, explique le marchand parisien Laurent Godin. C’est notre premier Armory Show et on s’y rendait assez inquiets. On a vendu des pièces de Claude Closky, Corinne Marchetti et rencontré beaucoup d’intérêt pour Aleksandra Mir. On a fait mieux que rentrer dans nos frais – environ 50 000 $ – et, surtout, on a construit pour l’avenir.»

200 000 $ pour McCarthy
«And what for example am I now seeing ?», interroge un néon de Joseph Kosuth à la galerie Lia Rumma (Milan). Eh bien, for example, cette incroyable photo de combat de rue de Stan Douglas (galerie David Zwirner, NY, pas vendu), cette troublante sculpture d’enfant de Tanada Koji (Mizuma Art Gallery, Tokyo), ce saisissant Bob Dylan crayonné par Karl Haendel (Vielmetter LA Projects, L.A., envolé à 34,000 $) ou cette toute nouvelle sculpture de Paul McCarthy, «Moeko Bling» (partie à 200 000 $ à la galerie Hauser & Wirth, Zurich).
Dans la vie, il n’y pas que l’art contemporain, mais aussi la nuit. A défaut de dénicher l’adresse d’Apothek ou du Please Don’t Tell, les bars secrets qui affolent la hype locale (la grosse mode new-yorkaise), on se retrouve à l’aube sans trop savoir comment sur le dancefloor du 105 Riv, petit club d’un hôtel classe du Lower East Side. Un marchand français s’approche de notre oreille pour hurler: «ICI, C’EST LE MEILLEUR SON DE NEW YORK !» Luigi n’a pas tout à fait raison mais, à cette heure-là, ce genre de détails n’a plus vraiment d’iimportance.
Raphaël Turcat

ENCADRÉ
Mehdi Chouakri: «Je reviens l’année prochaine»

Pas français mais francophile et francophone, le galeriste berlinois Mehdi Chouakri posait pour la première fois ses valises à l’Armory Show. Impressions.
«Je ne fais jamais plus de quatre foires par an (Armory, Bale, FIAC, Berlin). Venir à New York, c’est asseoir la réputation de ma galerie hors Allemagne. Ici, j’ai vendu des pièces de Rob Scholte, il y a eu des réserves sur John Armleder et des touches sur Mathieu Mercier pour une collection publique. Les gens n’achètent pas tout de suite et ce sera plus clair dans un mois, même si je sais que sur les 60 000 $ investis, je ne rentrerai pas dans mes frais. Mais je reviens en 2010. J’étais un peu la surprise cette année, ce serait idiot de ne pas transformer l’essai.»