«MAIS C’EST LA RÉALITÉ !»

CHARLES VILLENEUVE S’EST-IL CONVERTI ? Star improbable de «Go Fast Connexion», l’ex-taulier du «Droit de savoir» et néo-président du PSG n’a visiblement pas compris l’ironie de sa présence dans le film de Ladj Ly. Pourtant, ce n’est pas faute de l’avoir cuisiné.

En dix-huit ans de diffusion, il a imposé le Droit de savoir comme le magazine de reportage racoleur et populiste par excellence, alimentant la psychose sécuritaire à grands renforts de sujets policiers aux images bien musclées. Viré de TF1 par un Nonce Paolini invoquant son âge (66 ans), voilà que Charles Villeneuve revient dans Go Fast Connexion en animateur autocaricaturé à Clichy Montfermeil, rejouant pour Kourtrajmé l’homme-tronc au discours alarmiste honni par la banlieue… pour mieux nous annoncer à la fin que le document que l’on vient de voir « relevait de l’autodérision ».
Alors quoi ? Venez les gars, on fait tous la paix au nom de la dérision – et surtout d’un bon buzz ? En fait, le Droit de savoir, c’était pour de rire ? La confrontation média/banlieue serait-elle soluble dans la dérision généralisée ? Berné, Villeneuve, ou trop malin pour ne pas y voir une bonne occase d’opération de séduction tombant à pic pour le tout neuf
président du PSG ? Villeneuve avec Kourtrajmé, joli coup en tout cas, qui repousse les frontières entre réalité, fiction, détournement et foutage de gueule, et tant pis pour le spectateur qui se demande un peu ce qui se passe là. Là où Ladj Ly veut dénoncer les stéréotypes du traitement médiatique de la banlieue, Villeneuve ne voit qu’une simple caricature révélant sur le fond ce qu’il perçoit comme une réalité : du gros business au cœur des cités, des dealers qui roulent en Porsche et crament leur pognon dans les boîtes du VIIIe.
C’est peut-être tout le malentendu qui règne autour de la démarche du film : parodier la forme, surtout quand ça confine au mimétisme, ce n’est pas un message bien clair. Tout son intérêt aussi : jamais la banlieue n’a joué ainsi avec sa caricature, rarement elle a utilisé les
armes de ses pourfendeurs pour les renvoyer dans leur propre camp. Même si on n’est pas sûr que Charles Villeneuve ait tout compris…

CHARLES VILLENEUVE, COMMENT VOUS ÊTES-VOUS RETROUVÉ À JOUER DANS «GO FAST CONNEXION» ?
Un jour, le producteur Emmanuel Prevost vient me voir à TF1 et me dit : « Voilà, on a fait un film sur le “go fast”. » Moi, je connaissais la technique du go fast, j’ai trouvé ça intéressant. Je lui dis : « Comment t’as fait pour tourner ? » Il m’a expliqué qu’il a fallu négocier, parce qu’au départ, les habitants de Clichy ne voulaient pas, mais que les jeunes des quartiers avaient finalement demandé en contrepartie de filmer une histoire tournant en dérision leur propre vie. Il m’a demandé si j’étais d’accord pour présenter ce truc-là. Il m’a demandé si j’étais d’accord pour présenter ce truc-là.

ET VOUS AVEZ DIT «OUI»…
Je n’ai pas beaucoup réfléchi, j’ai dit oui spontanément. Du coup, j’ai débarqué là-bas en costard – parce qu’ils voulaient que je sois dans les mêmes conditions de présentation que pour le Droit de savoir. On est arrivés avec trois voitures, les flics nous ont interceptés en nous disant : « Vous savez, nous, on peut pas assurer votre protection dans la Forestière… » Je suis donc allé au cœur de la cité, où j’ai été accueilli avec deux petites filles qui m’ont offert des petits bouquets de fleurs cueillies dans les champs environnants. Et ça a été assez sympa, mais c’est vrai que quand on se retrouve comme ça, froidement, au cœur de leur environnement, c’est quand même super angoissant…

VOUS CONNAISSIEZ ?
Je n’avais jamais tourné à Clichy, mais je connaissais bien l’univers : quand j’étais reporter à Paris Presse l’Intransigeant (un journal disparu en 1970 NDLR) et à Europe 1, j’avais fait plusieurs reportages à la Courneuve, par exemple.

VOUS TROUVEZ QUE LA PARODIE TOMBE JUSTE ?
Moi, je n’ai pas calculé, je l’ai fait spontanément. J’aime bien qu’on ironise de manière astucieuse sur mes attitudes, mon langage, mes angles éditoriaux.

ACCEPTER L’AUTODÉRISION D’UN POINT DE VUE PERSONNEL, C’EST UNE CHOSE, MAIS «GO FAST CONNEXION» SE VEUT QUAND MÊME UNE PARODIE POLITIQUE DU «DROIT DE SAVOIR». CE FILM, IL RACONTE QUOI POUR VOUS ?
Moi, je vais au-delà de la dérision, et je pense que le film raconte parfaitement ce qu’il se passe au cœur de ce système.

VOUS NE PENSEZ PAS QUE LE FAIT MÊME QUE CE SOIT FICTIONNÉ…
Oui, enfin, c’est à peine fictionné, hein !

PARCE QU’AU FOND, ÇA RESSEMBLE À LA RÉALITÉ ?
C’est la réalité ! Et j’ai d’ailleurs trouvé le mec assez doué. Ladj Ly, c’est quelqu’un que j’aurais aimé faire tourner. Et comme je vais revenir dans la production de télévision…

VOUS VOUS RENDEZ COMPTE DE L’IRONIE DE TOUT ÇA ? VOUS ÊTES QUAND MÊME LE VISAGE DU TRAITEMENT MÉDIATIQUE ANXIOGÈNE DE LA BANLIEUE.
Bien sûr. Mais moi, je ne faisais plus du tout ça depuis deux ou trois ans, alors que maintenant, tout le monde fait ça. J’ai été précurseur, avec un aspect critiquable que j’accepte, mais je ne m’arrête jamais à ça.

CES CRITIQUES, VOUS NE LES TROUVEZ MÊME PAS INFONDÉES ?
Non, pas infondées, moi, je restitue une réalité qui est l’absolue réalité. La véritable ironie, c’est que tous ceux qui ont été mes critiques, no tamment du côté du service public, ne vivent aujourd’hui plus que de ça.

CETTE HISTOIRE DE CANNABIS À «PRESCRIRE» AU LIEU DE «PROSCRIRE», COMME VOUS LE DITES DANS LA PRÉSENTATION DU FILM, C’EST VOTRE IDÉE ?
Là aussi, je pousse l’ironie et la provocation. Ils me l’ont suggéré, et je l’ai dit volontiers. A partir du moment où vous acceptez le principe, il faut accepter de jouer le jeu. Quand vous êtes à TF1, vous jouez le jeu de TF1. Quand vous êtes dans un cercle, si vous voulez cracher sur le cercle, il faut en sortir.

ÇA VEUT DIRE QUE QUAND VOUS FAITES «GO FAST CONNEXION», C’EST LE VRAI CHARLES VILLENEUVE QUI S’EXPRIME ?
Non, mais c’est une partie de moi. Je peux être extrêmement sérieux, et je peux être absolument pas sérieux. Mais Villeneuve, il est très compliqué. Ne serait-ce que par mes origines, ma naissance, mes pérégrinations : je suis né au Liban, j’ai été élevé en Irak, en Tunisie, en Libye, je suis arrivé en France à 18 ans. Et je suis beaucoup plus à l’aise quand je vais à la Forestière que dans le VIII e arrondissement, à proximité des gens de l’Elysée.

VOUS L’AVEZ PRIS COMMENT D’ÊTRE DEVENU, AVEC «LE DROIT DE SAVOIR», LE SYMBOLE DU MALENTENDU MÉDIAS/BANLIEUE ?
Pas mal, parce qu’une partie de ces jeunes issus de l’immigration m’ont tendu la main, et je les ai aidés à travers les Club Convergences (association œuvrant pour donner une image positive des personnes issues de l’immigration – NDLR). Mais ça, c’est une partie de mon activité dont je ne me vante pas.

VOUS REGRETTEZ PARFOIS D’AVOIR FAIT «LE DROIT DE SAVOIR» ?
Non, je ne regrette rien. Et je n’ai pas à me justifier. Je considère qu’on fait des choses comme on le sent. Si les gens critiquent, j’en ai rien à battre.

CHARLES VILLENEUVE À CLICHY MONTFERMEIL, ÇA N’A RIEN À VOIR AVEC VOTRE NOUVELLE FONCTION DE PRÉSIDENT DU PSG ?
Non. J’ai un autre costard, c’est un autre Villeneuve.

FINALEMENT, QU’EST-CE QUE VOUS RETIENDREZ DE CETTE EXPÉRIENCE ?
J’ai grandi au milieu des communautés arabes, juives, italiennes. Je suis revenu à mes origines, à ma jeunesse, ceux avec qui j’ai grandi. Qui continuent à faire partie de mon univers, d’être mes copains.

ENTRETIEN VALENTINE FAURE