Manif pour tous : Mais que fait la police ?

La préfecture de police de Paris a-t-elle compté les manifestants du dimanche 24 mars sur la base de 23 malheureuses photos en basse définition ? Ce n’est pas ce qu’elle dit, mais c’est pourtant tout ce qu’elle a rendu accessible aux journalistes, malgré un communiqué affirmant que « l’intégralité des enregistrements » était à leur disposition. Un gros mensonge inhabituel et maladroit, qui devrait à l’avenir lui ôter toute crédibilité.

Comme tous mes confrères journalistes qui suivent cette actualité, j’ai pris connaissance mercredi 27 mars du communiqué de la Préfecture de police de Paris concernant le comptage de la manifestation du 24 mars contre le projet de loi sur le mariage et l’adoption par des personnes de même sexe. Et comme tous ceux qui étaient présents sur place le jour de la « manif pour tous », j’ai été abasourdi d’y découvrir que les autorités confirmaient le chiffre de 300 000 manifestants. Un chiffre qu’elles avaient donné au titre de « première estimation » dès dimanche, en fin d’après-midi. Depuis le début de la semaine, la polémique n’a cessé d’enfler quant au nombre réel de manifestants à cette manifestation, les organisateurs qualifiant de « grotesques » les chiffres évoqués, puis confirmés, par la préfecture de police de Paris.

Extrait du communiqué de la préfecture de police de Paris daté du mercredi 27 mars :

« L’évaluation du nombre de participants à la manifestation « la manif pour tous » dimanche 24 mars a donné lieu à une série de prises de position dont certaines, en raison de la forme qu’elles ont revêtue, mettent encore une fois directement en cause la neutralité des méthodes de travail des fonctionnaires de la préfecture de police. Ces allégations sont inacceptables et le préfet de police tient, en réponse, à apporter deux séries de précisions.  

En premier lieu, il est rappelé que la préfecture de police a procédé dès dimanche en fin d’après-midi à une première estimation du nombre de manifestants grâce à la présence sur place de policiers de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) avec en appui des soutiens vidéo et aérien (cf. annexe et photos). Dès le lendemain, un recomptage précis entamé à partir du visionnage intégral des films a permis de confirmer l’évaluation communiquée par la préfecture de police, à savoir 300 000 manifestants.  

La préfecture de police tient l’intégralité de ces enregistrements à disposition des journalistes intéressés. Elle rappelle que pour cette manifestation, comme pour la précédente qui s’est tenue à Paris le 13 janvier, les organes de presse ont été invités à la préfecture de police afin de procéder eux-mêmes à l’opération de recomptage. 

En second lieu et de manière générale, le préfet de police indique à nouveau que la méthode de comptage employée à Paris depuis plusieurs années repose sur des relevés de terrain précis et rigoureux ; cette méthodologie transparente, connue à l’avance est d’une totale objectivité et mise en œuvre par des fonctionnaires de police expérimentés dans ce domaine. »

Soucieux de vérifier par moi-même, j’ai donc rempli le 27 au soir un formulaire sur le site de la préfecture de police de Paris, pour demander un accès à son espace « Presse ». Le lendemain, j’avais reçu un mail contenant mes identifiants pour accéder à l’espace « Presse », ainsi qu’un appel téléphonique, que j’ai manqué.

Message vocal, enregistré le 28 mars à 9h55 :

« -Oui, monsieur Bories, le service com à la préfecture de police de paris. Je reviens vers vous concernant votre demande. Heu… la seule possibilité pour avoir des… des images, c’est d’aller sur le site de la Préfecture de police de Paris. Dans « Actualités » vous avez un… un… ben le communiqué de presse, en fait, qui a été rédigé concernant le comptage de la manifestation, sur lequel vous avez des liens, avec des photos. Donc je vous invite à vous rendre sur le site de la Préfecture de police de Paris, sur Internet. Si vous avez pas tout compris, vous me rappelez (numéro). Au-revoir. »

Suivant ces instructions à la lettre, je suis finalement arrivé sur une page web contenant précisément 23 photos aériennes de la manifestation, pas une de plus, en basse définition. Mi-amusé mi-choqué de n’y trouver que ça, j’ai donc rappelé au numéro qu’on m’avait laissé pour préciser la demande : l’accès à « l’intégralité des enregistrements » permettant de valider sans erreur possible le comptage de la préfecture.

Conversation téléphonique avec le bureau de presse de la préfecture de police de Paris, le 28 mars vers 11h15 :

 

« -Bureau de presse ?

-Oui, bonjour, Pascal Bories. Je vous avais fait une demande pour accéder aux photos et images de la manif du 24. On m’a appelé ce matin pour m’expliquer un peu ce qui était disponible. Et alors je ne trouve que 23 photos au format PNG. Est-ce que j’ai raté quelque chose, ou… ?

-(rire) Je ne sais pas si vous avez raté quelque chose…

-Non parce qu’on m’a dit qu’il fallait aller voir le communiqué du Préfet, que j’avais déjà vu…

-Ouais…

-Qu’il y avait des liens dans ce communiqué… Alors j’ai vu un lien « photos » donc j’ai suivi le lien « photos » et je tombe sur 23 photos au format PNG, que j’ai téléchargées mais… je… je trouve ça… un peu… petit. Est-ce qu’il y a d’autres choses à consulter puisqu’il annonce que tout est à disposition des journalistes ? On voulait savoir s’il y avait des vidéos, des choses comme ça…

-Des vidéos… ben y’a des vidéos, mais je ne sais pas si elles sont à disposition des journalistes… 

-Ben ce serait intéressant pour nous de savoir. Parce que là les images sont d’une qualité quand même très, très, très…

-Ouais, ça vous convient pas ?

-Ben il y a deux choses : d’abord c’est impubliable en l’état, en print…

-Ouais.

-Et puis surtout on peut difficilement s’en servir d’élément probant pour un comptage, quoi. On arrive à peine à distinguer… enfin, ça pixellise très, très vite si on zoome là-dedans…

-Ouais mais pour un comptage, faudrait que vous ayez accès à toutes les photos et toutes les vidéos, dans ce cas…

-Ben, heu, ouais. Puisque c’est ce que le Préfet propose, on a envie de relever le défi…

-Ah, c’est vrai (rire) ?

-Ben oui, c’est intéressant…

-Ecoutez, si vous avez quelques jours à perdre, y’a pas de soucis, hein (rire)…

-Pourquoi à perdre ? C’est quand même intéressant cette histoire…

-Je sais pas, moi ça fait dix ans que je suis là et que les manifs c’est comme ça. Ça fait dix ans qu’il y a des sociétés indépendantes qui  comptent. Ça fait dix ans qu’ils trouvent les mêmes résultats. Donc bon, je ne suis pas sûr que ce soit très intéressant, mais bon… Je vais essayer de vous passer la personne qui s’occupe de votre dossier, ne quittez pas.

-OK, merci.

(musique d’attente)

-Oui, Allô ? (voix de la femme)

 -Allô bonjour. C’est peut-être vous qui m’avez laissé un message ce matin…

-Oui, tout à fait.

-Alors j’ai fait ce que vous m’avez dit, je suis allé voir ce qui était dispo, et je m’étonnais de voir que je ne suis tombé que sur 23 photos qui font chacune moins de 100 Ko. Parce que comme matériel c’est quand même un peu limité. C’est ce que je disais à votre collègue…

-Le problème c’est que oui, voilà, là elles sont petites, elles vont être en petite définition mais je…

-Oui, c’est ça…

-Alors attendez, bougez pas…

(1O secondes de silence)

-Oui allô ?

-Oui…

-Ben faut que je me renseigne, je sais pas du tout, mais à mon avis non, hein…

-Non, quoi ?

-Les récupérer en haute def, je pense pas.

-D’accord… donc, heu, et idem y’a pas de vidéos dispo en fait ?

-On ne les mettra pas à dispo non plus.

-D’accord, alors pas de photos haute def, pas de vidéo…

-On sait jamais hein, je vais voir quand même, mais… Je vous rappelle dans cinq minutes, ça va aller vite. Je vais demander s’il y a possibilité ou pas de récupérer tout ça en… en HD. Déjà au moins les photos en HD, et heu… et les vidéos mais bon, jusque là ça s’est jamais vu, donc… Je vais demander.

-Non mais donc j’avais dû mal lire le communiqué du préfet parce que j’avais l’impression qu’il tenait à dispo, à disposition des journalistes, ces éléments-là, quoi.

-Ben c’est pour ça que je vais me renseigner, je vous dis…

-Merci beaucoup.

-Donc je vous rappelle.

-A tout à l’heure. »

 

Problème : la préfecture ne m’a jamais rappelé.

 

(Vous pouvez aussi télécharger l’intégralité de cette conversation téléphonique au format MP3)