Natacha Polony – La grande rousse avec un blouson noir

CF087774 1

Gentiment réac’ et raide comme la justice, cette grande duduche maladroite avait tout du «fail» télévisuel. Pourtant, sur le plateau d’«On n’est pas couchés», Natacha Polony est en train de devenir le hit de la saison. Et pas que capillaire.

«Tu vois, ce qui m’intrigue chez Natacha Polony, c’est comment une femme aussi groovy que ma vieille tante et encore plus psycho-rigide que tous les républicains a réussi à bouleverser les codes de la télé en si peu de temps », me glisse le réd’ chef de Technikart. Plus tard, il confie même la trouver intéressante, voire… « sexy ». Le diagnostic est sans appel : comme 1,5 millions de fans vissés à leur poste le samedi soir pour regarder On n’est pas couché, le chef a attrapé une polonite carabinée. Les symptômes sont connus : le virus a longuement incubé, provoquant des crises d’hilarité sporadiques aux sarcasmes d’Eric Zemmour, et, cette année, il s’est déclaré franchement, développant cette irrésistible fascination pour la nouvelle star du PAF recrutée au Figaro. Comme c’est une maladie incurable, nous n’allons pas lui faire croire aux miracles. Le but de cet article est d’aider les polonistes à comprendre – et peut-être à s’accepter. 

D’abord, qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls. Riad Sattouf, bédéiste et cinéaste à César des Beaux Gosses, pour ne citer que lui, a été l’un des premiers cas recensés. Depuis qu’il s’est retrouvé sur le canapé rose de Ce soir ou jamais ! face à cette grande rousse glacée, il cache mal les fantasmes qui l’assaillent. Heureusement, avoir la polonite, c’est beaucoup moins grave qu’on ne croit et, au XXIe siècle, on peut (presque) vivre normalement avec. A condition, bien sûr, de respecter quelques règles.

«Elle ne parle qu’aux chefs»
Par exemple, si vous traînez dans les couloirs du Figaro, rasez les murs, fondez-vous dans l’ombre tel un ninja. Dans tous les journaux où elle a travaillé, Natacha Polony s’est fait copieusement détester. Pêle-mêle, il se murmure qu’elle « ne parle qu’aux chefs », « ne dit bonjour à personne », qu’elle est pédante, hautaine, etc. En plus, c’est la reine des gaffes. A peine arrivée, elle alimentait son blog grâce aux discussions qu’elle venait d’avoir à la cafèt’. Et ses collègues de retrouver leurs propos, étiquetés comme ce qui se fait de plus bas du bonnet en matière de principes éducatifs selon Madame Polony…
A Marianne, où elle a fait ses débuts, on ne peut pas la blairer non plus. Entre autres boulettes, un mail, qu’elle aurait laissé traîné, a un jour atterri sur le bureau de la direction. Elle y traitait ses patrons – Laurent Neuman et Maurice Szafran – de crétins. Elle a eu beau nier en être l’auteur, les intéressés ont apprécié. « Et puis cette façon d’être toujours tirée à quatre épingles, ultra maquillée, et de vous balancer le Rivage des Syrtes de Julien Gracq à tout bout de champ… », se rappelle une ancienne du journal. « C’est quelqu’un d’extrêmement cultivé, largement plus que n’importe quel journaliste, mais les gens prennent ça pour de l’arrogance ou de la froideur, décrypte de son côté Jean-François Kahn, fondateur de l’hebdo. C’est injuste parce qu’en fait, elle est plutôt rigolote : elle connaît plein de chansons des années 30, elle fait des blagues et elle n’est pas la dernière pour le coup de fourchette ni pour boire un coup de rouge. » Ce poloniste de la première heure fournit un début d’explication : « Au fond, c’est une grande timide. »

Deux boums pendant sa scolarité
Pour comprendre l’alchimie qui a conduit à un tel cocktail de maladresse, il faut revenir aux sources : à Deuil-la-Barre, enclave pavillonnaire du Val-d’Oise. Ce nom qui résonne comme une pierre tombale plante bien le décor. Natacha y a grandi entre Sylvain, son frère aîné, bon élève, et son cadet Maxime, un ado glandeur qui fumait des joints – et à qui elle passe aujourd’hui des coups de fil paniqués pour glaner des tuyaux lorsqu’elle doit interviewer un certain Monsieur « Starr » qui, paraît-il, fait de la musique « rap ». Ses parents, médecins, ont beau être gaullistes et pleins des valeurs de l’école de la République, ils envoient leurs enfants à Notre-Dame de la Providence, le collège privé où les petits bourges du coin promènent leurs sacs Chevignon. Le cauchemar commence : « J’ai vite atteint ma taille actuelle – 1,77 mètre – et, déjà en 5e, on me surnommait “la Grande Chaussette” », se rappelle-t-elle aujourd’hui. Et si à cette époque, elle commence à acquérir cette culture qui fascine tant, c’est d’abord qu’elle s’ennuie comme un rat mort : « Je n’avais pas de copines pour jouer à la récré, alors j’allais au CDI lire ou dessiner des BD. J’ai dû aller à une boum en 6e et… une autre en terminale. Et encore : la deuxième, c’est mon frère qui m’avait invitée. »
Pour entériner ce profil de nerd absolue, elle entre rapidement dans sa période « bouboule », ajoutant à sa taille le complexe des kilos en trop. Elle se réfugie dans les études. Et quand elle obtient son bac C avec mention, comme maman, on l’inscrit en hypokhâgne. Comme ça, en plus d’être déjà bilingue en grec, elle peut se farcir un peu de latin. Elle tente d’intégrer l’Ecole normale supérieure, rate le concours de peu, finit un obscur DEA de poésie et décroche quand même l’agrégation de lettres. A l’issue de ce parcours d’excellence, elle entre donc dans la vie active. Et c’est ainsi que l’Education nationale l’envoie enseigner… dans un bahut pourri d’Epinay-sur-Seine.

2,2% aux législatives
Le choc est rude. Et le doute point : ne se serait-elle pas un peu fait arnaquer ? On lui avait pourtant promis que si elle avait de bonnes notes à l’école, les lendemains chanteraient. Mais la voilà contemplant son salaire minable, sa carrière sans avenir, ses élèves incultes et la salle des profs au bord de la crise de nerfs. « Un jour, j’ai croisé un de mes collègues, un type sympa, qui n’en pouvait tellement plus qu’il avait menti à ses élèves : il avait prétendu qu’il avait une réunion pédagogique pour sécher les cours. J’ai trouvé ça… humiliant », lâche-t-elle, encore amère. Elle tient un an avant de démissionner. Officiellement « à cause des réformes Allègre » (et il est vrai que c’est bien la seule fois qu’on l’a vue à une manif’). Mais, à l’écouter, on doute qu’elle eut pu tenir une seconde de plus.
A partir de ce moment-là, on peut lire toute sa vie comme une tentative de donner du sens à ce mythe de la « méritocratie à la française » qui l’a bien flouée. Puisque le monde est mal fait et conduit directement les fans de Mallarmé qui ont l’agrég’ à la case « anxiolytiques », elle cherche à le changer. Aujourd’hui, elle en rigole : « Dans un premier temps, je me suis dit : “C’est pas grave, je vais devenir ministre de l’Education nationale.” » Elle entre à Sciences-Po et chez les chevènementistes. Propulsée tête de liste du Mouvement républicain aux législatives de 2002, elle se retrouve à coller ses propres affiches. Mais, une fois de plus, elle a le sentiment d’être trahie lorsque Chevènement fait alliance avec le PS. Dégoûtée de la tambouille politicienne et sacrément refroidie par son score aux élections (2,2%), Natacha ne sauvera finalement pas la France. En revanche, comme elle doit se remettre à chercher du boulot, elle sauvera sa peau.

Contradictions libératrices
« Quand je l’ai rencontrée, on sentait que son expérience comme prof avait été très dure », se souvient Jean-Claude Barreau, doyen de la faculté Léonard-de-Vinci, aussi appelée « fac Pasqua ». Cette idéologue en herbe qui se construit sur ses blessures l’intéresse. Il lui donne une deuxième chance d’enseigner, dans des conditions nettement plus agréables. Via les réseaux chevènementistes, que fréquente beaucoup Jean-François Kahn, elle entre parallèlement à Marianne.
C’est en creusant ses propres contradictions qu’elle va alors trouver sa voie. Dans le journal de JFK, elle démarre cette carrière étrange de journaliste engagée qui donne des leçons sur l’enseignement alors qu’elle-même a rendu son tablier. Placardisée par la direction, qu’elle traite volontiers de « gros machos », elle n’adhère pas au mouvement féministe qui agite le journal (« ni dupes ni soumises »), bien au contraire.
Mais comme elle n’est pas à un paradoxe près, c’est justement un macho de première, et de seize ans son aîné, qu’elle élit homme de sa vie : Périco Légasse, chef de la rubrique gastronomique du journal et « ancien chauffeur » de Jean-François Kahn, séducteur, gouailleur et bon vivant, marié et déjà papa quand elle le rencontre. « Non seulement il a osé me draguer, mais il m’a fait la cour très longtemps ! Il faisait la roue ! Il a même appris des poèmes de Mallarmé par cœur pour me séduire », lâche-t-elle en piquant un mini-fard. De prime abord, tout les sépare. Personne ne les a jamais vus s’embrasser ni se tenir la main en public. Ils se sont ostensiblement vouvoyés pendant les premières années de leur idylle. Mais après quelques scènes mémorables qui ont alimenté les cancans de la rédaction de Marianne, il a fini par divorcer pour elle et ils se sont mariés en 2007, avec deux enfants à la clé.

«Un sacré balai dans le cul»
Ils partagent un grand appartement parisien où s’entassent les collections de vaisselles et d’horloges de Périco, les bouquins de Natacha et où pépient de petits oiseaux dans de grandes cages. S’il lui reste quelques copines d’« avant », la sociabilité franchouillarde de Périco l’a aidée à surmonter ses complexes : elle a adopté ses potes, découvert un nouvel univers plein de chefs étoilés, de fondus de bonne bouffe et de vignerons passionnés. Et puis, il y a eu la télé. Elle a beau chouiner sur ce média bien peu intello, elle avoue : « Quand on m’a proposé Ruquier, ça a été un peu comme gagner à la loterie. » Et ça l’a réconcilié avec elle-même. D’ailleurs, toute super tronche qu’elle soit, celle qui touche 1 400 € par émission assume : « Si j’avais été un cageot, je n’en serais pas là, c’est sûr. »
A 36 ans, Natacha Polony se serait-elle enfin trouvée ? Tous les samedis soir, elle explique à quel point l’école et le savoir, c’est important, elle qui a pourtant failli être le dindon du système. Lucide, elle reconnaît qu’à la première d’On n’est pas couché, elle avait « un sacré balai dans le cul » mais que, depuis, elle a pris ses aises. Très attendue face à Marine Le Pen, elle estime avoir « fait son boulot précisément parce que tout le monde a été déçu : aussi bien ses partisans parce qu’on l’a attaquée sur son programme, que le petit monde journalistique qui voulait du sang. » Sous le plumage du vilain petit canard un peu gauche de ses années « Grande Chaussette », elle commence à avoir tout du grand cygne : aux 70 ans de Jean-François Kahn, où se pressait le tout-Paris, elle arborait la robe au décolleté olympique de Mireille Darc dans le Grand Blond avec une chaussure noire. Pourtant, sous cette assurance, elle a encore beaucoup de Pierre Richard. Le pire, c’est qu’elle le sait et qu’elle est la première à en rigoler. Ça la rend sympathique. Et absout tous les polonistes.
Anna Borrel


Technikart #181

Pour vous abonner cliquez sur la couverture