Nicholas Carr: «Cliquer plus pour penser moins»

Le journaliste Nicholas Carr s’est fait remarquer avec un article provoc, «Is Google making us stoopid ?» (paru dans «The Atlantic» l’été dernier) dans lequel on s’est tous reconnus, nous inspirant à poser à notre tour la question («Le Web 3.0 rend-il idiot ?» dans le Technikart du mois de juin).

nicholas-carrNicholas Carr, vous dénoncez l’emprise qu’aurait le Web 3.0 sur nous tous. Cette «Twitterification» du monde – le fait de vouloir de courtes interruptions divertissantes à tout moment de la journée, comme celles de Twitter – est-elle en train d’empirer ?

Oui, il y a quelque chose d’ancré en nous qui demande à être diverti, à être absorbé dans un flux d’informations constant et superficiel. Cela se confirme quand l’information a une connexion avec nos vies et prestances sociales, ce qui est le cas avec l’information échangée à travers les réseaux sociaux. Une majeure partie de la concurrence entre les grandes sociétés d’Internet dépend de la rapidité du flux d’informations, nous amenant à cliquer plus pour penser moins. Je pense que nous atteindrons probablement notre limite cognitive à un certain moment et il y aura alors une répercussion. Mais nous ne semblons pas en être encore arrivés là.

Vous avez des preuves neuroscientifiques d’une crétinisation massive ?

Mon article était en grande partie inspiré par mon expérience personnelle, de mon usage d’Internet qui sape mes capacités à me concentrer, à être contemplatif et réfléchi. Pour le livre que je prépare, «The Shallows: Mind, Memory and Media in an Age of Instant Information», je me réfère aux expériences scientifiques pour voir comment se connecter constamment à Internet influence la manière dont notre cerveau fonctionne – à un niveau cellulaire et même moléculaire. Et les nouvelles ne sont pas bonnes.


Nous dirigeons-nous pour autant vers une «idiocratie», une civilisation avec des QI à deux chiffres ?

Je pense que le terme d’idiocratie est trop fort. Il y a aussi des avantages à l’utilisation du Net. Nous devenons plus experts en traitement de fragments d’information, en analyse et en catégorisation de données. Autrement dit, nous devenons un peu comme nos ordinateurs. Je ne pense pas que ce soit de bonne augure pour notre intelligence personnelle ou pour notre culture, mais d’autres soutiennent que c’est notre destin.

Que faire pour éviter ce nivellement par le bas ?

Nous avons besoin de prendre conscience de la manière dont nous dirigeons notre attention. Nous avons besoin d’agir moins comme l’information que nous délivre une machine, et plus comme un être humain. Ça semble facile, mais ça devient de plus en plus compliqué de le faire.

Le blog de Nicholas Carr: www.roughtype.com

Entretien Laurence Rémila (traduction Gladys Peltier)