On a écouté l’album de Fauve !

Crédit photo : Soraya Daubron

Ô joie, ô bonheur, le nouvel album de Fauve est arrivé à la rédaction ! Notre journaliste Jeremy Leclerc s’est porté volontaire (voir photo) pour l’écouter à votre place. Voici, en direct de la salle de bain, son verdict. Track by track.

1. « Juillet (1998) »
« Vendredi 5 juillet 22h57/ Je descends la rue dans la chaleur de la nuit/ pas mal de monde, pas mal de bruit/ un léger souffle dair tiède traverse mon t-shirt et glisse sur ma peau/ Ca fait comme la caresse dune ado timide/ » Je ne sais pas à quoi ressemble la caresse d’une ado timide mais ça a l’air agréable. J’espère cependant qu’elle a déjà atteint sa majorité sexuelle. Manifestement, grâce au succès de leur premier album – Vieux Frères, sorti en janvier 2014 – le groupe a investi dans un clavier numérique. On entend un orgue dès le début de la chanson ; soit celui qui en joue n’a aucune imagination, soit c’est Ray Manzarek sous coma artificiel qui joue avec ses pieds. Ah, il est mort en 2013 ? Très bien. Il y a un pont au bout d’une minute et quarante secondes. La texture sonore du clavier y est aérienne et vaporeuse. On dirait du Vangelis. C’est émouvant… Quant au refrain, FAUVE réalise la performance de faire rimer huit avec huit : « Jai vingt-sept ans bientôt vingt-huit/ et ce soir jai limpression d’être en 98/ » C’est ce que j’appelle une rime riche.

2. « Paraffine »
C’est très bruyant. Heureusement la production a tout fait pour ne pas nous effrayer. L’effet fuzz est bien étouffé, policé de telle sorte qu’aucune oreille encore vierge ne pourra crier au viol. Ces vingt-cinq premières secondes sont très intéressantes. « Allumez les bougies et réveillez les esprits. » FAUVE serait-il devenu un groupe gothique ?

« On va continuer à descendre au fond de la mine pour creuser », beurk, répugnante allusion sexuelle. Dans la seconde moitié du morceau, il semblerait qu’une horde d’hipsters revenus d’entre les morts ait investi l’Eglise Saint Ambroise. Et ces riffs de guitares électriques en feu d’artifice final ! Ça pourrait rivaliser avec A Place To Bury Strangers – groupe le plus bruyant de New York – si ce dernier jouait avec un limiteur de décibels bloqué à 60db.

3. « Rag #5 »
Il y a un mot incompréhensible, un chiffre et un hashtag. Manifestement, ce doit être le morceau tendance. Le chanteur énonce des mots sans aucune cohérence, sans aucun lien. Il ne dit plus de phrases claires et compréhensibles, avec un début et une fin. Ce doit être comme ça que parlent les jeunes de nos jours. Après tout, on n’a pas le temps de s’embarrasser de déterminants. La musique d’accompagnement est une berceuse, avec un beat sensiblement similaire aux deux précédentes chansons. Quand ils n’ont plus leur maman pour les border, les garçons fragiles ont besoin d’une berceuse pour trouver le sommeil.

4. « Tallulah »
Tiens, serait-ce du Magic System ? Je me prépare à chaque instant à entendre « on va bouger bouger ! » En vérité, ce titre aurait très bien pu s’appeler « Africa » : il y a des tams-tams cachés ça et là en arrière-plan avec force subtilité, la rythmique endiablée évoque même quelque danse tribale autour du feu sacré. Jugez plutôt le refrain : « Et si le bateau coule ?/ Si le bateau sombre ?/ Je te suivrai, je serai comme ton ombre. » Ne serait-ce pas un chant fraternel en souvenirs de tous ces naufragés malheureux de Lampedusa ?

Le flow du chanteur est ici sensiblement similaire à la croissance économique française : en équilibre précaire.

5. « Bermuda »
Voilà un acte des plus courageux. Chanter pour la défense et la liberté de porter ce vêtement à l’esthétique spectaculaire mérite qu’on le souligne. Entendu le beat, le débit et l’énervement manifeste qui émane de celui qui s’est accaparé le micro, ça ressemble à du rap. FAUVE est le nouveau NTM. FAUVE clashe le Jaguar, marrant ça. Il dit le mot chatte, il dit le mot branle, il dit le mot pute ; le problème majeur de FAUVE, c’est l’absence de lyrisme et d’élégance dans le vocabulaire utilisé. En clair : on est plus proche du statut Facebook que du Spleen de Baudelaire. Cela étant, si les auteurs sont âgés d’une douzaine d’années, je vois là un signe encourageant et une preuve indéniable de la vitalité de la poésie française. La fin du morceau s’élève à des hauteurs de rage telles que l’on a l’impression d’assister au viol de Grand Corps Malade par Marilyn Manson. Heureusement, tout cela se termine sur une note de douceur sponsorisée par Nivea.

(ndlr : Après vérification, il s’avère que cette chanson s’appelle « Bermudes »)

6. « Azulejos »
Ici nous avons droit à une chanson sans musique. Un texte déclamé, un peu à la façon Jim Morrison – album An American Prayer. On note un agacement certain envers la vie : « Encore le même réveil/ Seul dans les draps sales/ putain./ » Le ton employé se veut revanchard mais tout ce que j’entends c’est une colère affectée. « Je voudrais me casser la gueule/ Me casser les gencives/ Pour secouer le sac à geindre que je suis. » Un éclair de lucidité ? La fin du texte sombre carrément dans une poésie de chanson paillarde : « Le cul posé dans le froid sur mon trône de pierre/ Même que je my ballade encore, libre et la bite à lair. »

7. « Sous les arcades »
Cette colère affectée atteint son climax ici. Il y a quelque chose de « A l’origine » de Benjamin Biolay, la mélancolie, la violence, la noirceur en moins… Il y a quelques mois, Bret Easton Ellis donnait son sentiment sur la génération Y, génération à laquelle appartient FAUVE et son public. Il donne involontairement ce qui pourrait être une explication au succès rencontré par le « collectif » français : « La Génération Chochotte réagit en sombrant dans la sentimentalité et en créant des récits de victimes au lieu de reconnaître les réalités du monde, de les affronter, de les digérer pour aller de lavant, mal préparée à se débrouiller dans un monde souvent hostile ou indifférent qui se moque que vous existiez ou pas. »

8. « TRW »
Un morceau festif. Probablement enregistré lors d’une kermesse. La musique manquant de dynamique, ça ne va pas très loin : les claviers ont un son en plastique évident, les guitares semblent avoir été enregistrées sur un logiciel d’enregistrement accessible à tous, type ProTools, non mis à jour. Tout cela couplé à la composition sommaire de la partie instrumentale du morceau, la pauvreté artistique de l’album montre enfin son vrai visage.

9. « Rag #6 »
Ce morceau fait suite à « Rag #5 ».

10. « Révérence »
La langueur nauséeuse et le minimalisme manifeste qui émanent de cette chanson trouveront sans doute une seconde vie comme synchro de pub. Coule.

11. « Hautes Lumières »
« Dansons tous ensemble, main dans la main, le visage crucifié de sourires béats. Frottons nos corps huileux les uns contre les autres, embrassons-nous, entremêlons nos langues baveuses et léchons-nous les globes oculaires dans une grande messe finale ; Saint Yannick Noah, bénissez vos enfants avant le grand et beau suicide collectif, retransmis en direct sur TF1 après la finale de The Voice. » Tel est le message envoyé par cet ultime acte.

Conclusion

Publics à cibler :
Rastas blancs ; ceux qui viennent de marcher dans la merde ; ceux qui en ont marre de boire du café froid ; ceux qui, ce matin, parce que mal réveillés, ont renversé leur tartine à la confiture de fraise Bonne Maman achetée 2€30 à Franprix.

Résultats prévisionnels :
Grâce à un bel emballage sonore, il est probable que le « collectif » réussisse encore à séduire les foules. Il y trouvera sans doute ce qu’il est venu chercher : un peu de posture arty, un peu de rap, un peu de rock, un peu de simplicité, ici confondu avec la notion de pauvreté (artistique). Bref, un peu de tout, et beaucoup de rien.

Vieux frères : partie 2 (Fauve Corp)

Jeremy Leclerc
(paru dans Technikart n° 188, février 2015)