Pourquoi faut-il sauver la peau du poil ?

7 Aline P ∏ Honkytonk Films

Longtemps vilipendé, caché, rasé ou épilé… Le poil semble redéfinir les choix esthétique des ces 30 dernières années aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Mieux : il fait sens comme nous l’explique Emmanuelle Julien coréalisatrice et coauteure avec Olivier Dubois et Adrien Pavillard du web-documentaire Poilorama, diffusé actuellement sur Arte Creative.

 

Pouvez-vous nous expliquer le sens de la barbe du hipster, si sens il y a ?
Emmanuelle Julien : La barbe de hipster symbolise le retour au naturel, au bio  mais elle est contrôlée puisqu’elle est aujourd’hui taillée voire customisée. Elle symbolise également une sorte de sagesse dans une société occidentale dénuée de figure autoritaire.

Et quid de celle du djihadiste ?
La barbe du djihadiste représente et signifie une soumission vis-à-vis de Dieu. Paradoxalement dans cette affaire, c’est au temps des croisades que les occidentaux ont découvert l’épilation et l’ont popularisée en Europe.

Justement ce terme de « barbu »langage populaire a singulièrement évolué …
Oui, longtemps « le barbu » a évoqué le sexe féminin. « Charlie-Hebdo » titrait en 1981 : « La République des barbus » avec des dessins de sexes de femmes. Cette une faisait allusion aux socialistes qui portaient quasiment tous la barbe à l’époque. Aujourd’hui, ce terme évoque les islamistes. Singulière évolution, oui.

Le poil et notamment sur le pubis évoque le sexe, non ?
Le poil c’est le sexe et derrière le poil, la doxa imagine une sexualité déchainée. D’où ces débats concernant la pilule contraceptive et l’avortement qui ont déchaîné les passions en leur temps. Et puis, le pubis poilu réfère à la maman et la putain, des notions qui mettent mal à l’aise les hommes mais les femmes aussi.

Quand le porno devient mainstream, les poils disparaissent. Pourquoi ?
Initialement pour des raisons techniques. Quand on passe exclusivement à la vidéo au milieu des années 80, le dispositif implique une douche de lumière qui met le poil hors-jeu. Et avec le porn sur Internet, le phénomène n’a fait que s’accentuer.

8 Barbier ∏ Honkytonk Films

Barbier – Honkytonk Films

La période lisse des années 90 a à voir avec cette vague porno chic ?
Pas forcément. C’est davantage une réaction contre le féminisme des années 70 quand les femmes refusaient de s’épiler le pubis, les aisselles et surtout les jambes. Dans les années 80/90, les femmes travaillent, élèvent leurs enfants et se doivent en même temps d’être séductrices. C’est alors que les top-models deviennent des stars, que les poils et la graisse disparaissent. On veut du lisse et du muscle. Les années 90, c’est le diktat hardcore du lisse.

Vous évoquez dans votre doc une corrélation entre ce diktat du lisse et les sociétés doctrinaires …
Les corps lisses, musclés et glabres ont toujours fait le bonheur des sociétés totalitaires. Voyez les film de Leni Rifensthal par exemple (cinéaste allemande qui filmait des films de propagande nazie ndlr.). Le retour au lisse des années 90 symbolise avant 2001, un monde capitalistique très en confiance vis-à-vis de sa pérennité et sa prospérité. Jusqu’au au choc du 11 septembre 2001 qui verra l ‘apparition d’un nouvel ennemi : Ben Laden, un barbu très peu libertaire…

 

Entretien Sylvain Monier

Poilorama, un web-documentaire à découvrir sur Arte Creative