Psychedelic Chile : rencontre avec The Holydrug Couple

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Il se pourrait bien qu’une révolution musicale soit en train de se passer à près de 11 500 kilomètres d’ici, au Chili. Après des années de répression politique sous Pinochet, une nouvelle génération cherche à prendre le contre-pied de la culture latino-américaine en s’affranchissant des rythmes les plus populaires, comme la cumbia ou la salsa. En traversant l’Atlantique en diagonale, les sommets et les lacs sud-américains direction Santiago, nous découvrons donc nos nouveaux héros de la vague psychédélique : The Holydrug Couple et leur garage psyché, solaire et contemplatif. Une synthèse parfaite entre la puissance mélodique de Tame Impala et les envolées mystiques de Air. Bref, un voyage signé THC (à consommer sans modération). En tournée dans toute l’Europe pour la sortie de Moonlust, leur nouvel album chez Sacred Bones Records, nous retrouvons Ives Sepulveda, chanteur et guitariste du groupe, autour de quelques bières juste après leur concert à l’Espace B.

Une première chose m’intrigue. On m’affirme que vous avez enregistré vos premiers albums chez vous. C’est vrai ?
Oui, le premier album a été enregistré dans ma chambre. Nous en avions sorti un autre, seulement au Chili, qu’on avait enregistré avec un ami. Je n’ai pas été convaincu par cette expérience : il fallait tout faire très rapidement. Y aller pour le week-end, jouer deux ou trois heures durant. Nous n’avions pas le droit à l’erreur et étions très dépendant du temps de mon ami. Depuis, je préfère enregistrer mes disques tout seul : je peux me lever, prendre mon petit déjeuner, jouer toute la journée sans dépendre de qui que ce soit. Ca donne aussi un autre type de musique : plus spontanée, plus réfléchie et plus travaillée.

Et maintenant vous signez chez Sacred Bones Records – qui est quand même un super label indépendant de Brooklyn ! Comment s’est faite cette rencontre ?
C’était au tout début du groupe, en 2009. Nous avions enregistré deux chansons qu’on a posté sur MySpace. Ca existait encore à l’époque (rires) ! Un jour, nous avons reçu un message signé d’un label américain, Sacred Bones. C’était un tout petit label – deux personnes tout au plus – qui nous demandait si on voulait faire un album avec eux. On a d’abord dit non… ça nous semblait étrange. Puis on les a rappelé – un an après – et on a sorti notre premier LP avec eux.

Après Noctuary en 2013, vous venez de sortir Moonlust en 2015. Même si on reconnaît la touche The Holydrug Couple, je trouve qu’ils sont assez différents, on y sent une certaine évolution. C’était voulu ?
Nos albums ont toujours été liés à la musique que nous écoutions. A l’époque de Noctuary, j’écoutais des chansons plutôt progressives : l’idée de cet album était de faire quelque chose en relation avec la nature, la forêt, la mer, des rythmes assez lent mais qui évoquent le voyage. Dans le dernier, j’ai voulu changer un peu. Garder le côté contemplatif et onirique, mais essayer de faire quelque chose de plus intimiste, à écouter dans son lit : quand on se réveille, quand on s’endort, en faisant l’amour, ou en étant triste. Ca peut sembler assez abstrait mais c’est ce que j’ai voulu faire !

Et si – cinq ans auparavant – on t’avait dit que tu serais avec ton groupe à Paris pour un concert, tu l’aurai cru ?
Du tout. Imagine-toi ce que c’est de se retrouver pour la seconde fois en tournée en Europe, à des kilomètres de chez nous ! En fait, même vendre des disques, ça ne faisait pas parti de nos plans ! On ne pensait même pas que c’était possible !

D’autant que vous faites une tournée internationale impressionnante : tous les Etats-Unis, l’Europe. Comment ça se passe ?
Très bien, c’est un peu comme un long voyage, tous ensemble ! On a commencé le 5 mai, ça fait presque 3 mois que nous ne sommes pas retournés au Chili. Il nous reste quelques dates – Espagne, Portugal, Italie – mais c’est une tournée géniale. En plus, je n’ai jamais vu un public aussi réceptif et énergique que ce soir ! On dit généralement qu’à Paris les gens sont froids, c’était tout le contraire là, l’accueil y était incroyable.

Quand on pense à un groupe chilien, on s’attend plutôt à des rythmes latinos comme de la cumbia, salsa ou même du reggaeton. Vous êtes plutôt à l’opposé de ce genre musical. La musique psyché est-elle courante au Chili ?
Non, il n’existe pas de musique psychédélique à proprement parler au Chili. D’ailleurs, on ne se considère pas comme faisant parti de cette culture psyché : en live, quand tu vois un groupe qui manie les vibrations de manière complexe, qui fait quelque chose de plus spirituel – contrairement à la salsa ou la cumbia pour danser – on l’associe à quelque chose de psyché, je pense que c’est pour ça. En revanche, il est vrai qu’il existe aussi une idéologie chilienne particulière, un peu comme la française – romantique et baroque – qui pourrait être le berceau de la musique psychédélique.

Il y aurait donc un renouveau du psychédélisme au Chili ?
Pas vraiment, surtout un renouveau de la musique – en général – depuis les années 1970. De musique chilienne et de rock psychédélique très avant-gardiste. Tout ceci vient de la dictature entre 1973 et 1990. Pinochet avait interdit toute la musique en espagnol : il n’y avait que des chansons en anglais car il avait peur que la musique soit une manière de transmettre un message et se rebeller. Mes parents ont vraiment connu cette dictature et les restrictions morales qui allaient avec, mais les jeunes de ma génération beaucoup moins. Même si nous avons grandi avec, nous avons aussi connu cette libéralisation des mœurs au moment où nous grandissions. Après la dictature donc, si tu avais un groupe, tu étais presque obligé de chanter en espagnol et dénoncer ce qui s’était passé en politique pour montrer que tu étais contre. Nous, ce n’était pas forcément ce que nous recherchions : nous voulions seulement faire de la musique !

Quelles ont été vos inspirations alors – si vous avez pris le contre-pied de ce qui se faisait à l’époque ?
Ca dépend vraiment de chaque morceau. J’ai fait une école d’arts visuels et d’architecture, j’ai donc hérité d’une manière de travailler assez scientifique : prendre un thème et l’analyser pour en créer quelque chose à partir de cette idée. Je fais pareil avec mes chansons. Généralement ça vient de ce que j’écoute : même un rythme électronique, je vais essayer de le reproduire avec la guitare et la batterie, de manière assez pragmatique. J’essaie d’avoir toujours un clavier et un enregistreur à portée de main au cas où j’aurai une idée soudaine ! Et comme je te disais au départ, j’essaie de voir chaque disque comme un concept : en imaginant les chansons, je sais où elles vont, comment elles doivent rendre, j’ai un petit côté perfectionniste. Un peu comme Led Zeppelin, The Cure ou Serge Gainsbourg dont je suis fan : il est une de mes grandes inspirations !

Et pour la suite ? Tu as déjà des projets, des idées, d’autres tournées ? Un prochain album à venir ?
Faire un prochain album, oui. J’ai déjà quelques idées, je veux faire quelque chose de chulo, c’est un mot chilien qui veut dire « ordinaire ». On a déjà enregistré deux chansons, mais ça va se faire très tranquillement. J’aimerais faire des samples aussi, je veux juste jouer et ressentir les émotions. Je n’aime pas faire la rockstar : j’espère que les gens comprennent que je fais ça pour rire ! En tout cas, l’objectif est d’abord de finir notre tournée : on a deux dates au Chili et on revient trois semaines en Europe et on rentre à la maison pour se reposer, où on se consacrera vraiment à l’album !

Entretien Alice Froussard

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