Quand j’avances, toi tu recules …

Capture du 2015-07-10 12:48:49

Constat: les femmes n’ont plus peur d’affirmer leur désir. Conséquence: une vague de débandade chez les hommes qui préfèrent se réfugier dans la pornographie. Solution ? Leur mettre un doigt dans le cul. Ça ne va pas être de la tarte, explique notre chroniqueuse.

Souvenez-vous. nous étions au milieu des années 90 : un girls band mené par cinq pétasses juchées sur des platform-shoes rencontrait un succès planétaire sans précédent. Leur seul argument ? Un slogan débile pour la libération de la femme :  » Girl power ! » Interloquée par l’apparente contradiction entre l’allure délibérément pouf de ces icônes de la pop culture et leurs velléités féministes, l’intelligentsia balaya le phénomène d’un ricanement méprisant, préférant user ses neurones sur le problème hautement plus noble de la parité féminine en politique. Pourtant, une question demeure à ce jour irrésolue. Comment un concept aussi nébuleux que le Girl power a-t-il pu générer un tel phénomène de société ?
Première piste de réponse l’étape décisive que vient de franchir la révolution féminine initiée dans les années 6o. Jusqu’ici, pour pouvoir prétendre à l’égalité avec les hommes, nous avions sacrifié notre féminité, assaillies par une culpabilité toute puritaine lorsqu’il s’agissait de se servir de nos attraits sexy. Voici que, parvenues – en partie – à nos fins, nous réaffirmons à nouveau notre sexe, en faisant valoir notre droit au plaisir. Dans les années 7o, le féminisme sommait les hommes de respecter les femmes qu’ils baisaient. Vingt ans plus tard, il les invite à baiser les femmes qu’ils respectent. Maîtresse au bureau mais aussi chienne au lit, à l’aube du XXIème siècle, prendre son pied est devenu une revendication féministe.

CHIBRE MAGIQUE 
En 1995, Virginie Despentes renouvelle la littérature féminine en publiant un brûlot au titre sans équivoque. Dans le sillage de Baise-moi naît un courant de jeunes écrivaines trash couchant leurs obsessions érotiques sur papier. Le cinéma n’est pas en reste. Catherine Breillat, Lætitia Masson ou Anne Fontaine n’en finissent pas de mettre en scène la libido féminine, réglant leur compte aux fantasmes masculins. Intellos cérébrales et cochonnes délurées ne sont plus en contradiction. Dans le même temps, les médias inventent l’homme-objet, boys bands épilés et chippendales bodybuildés permettent à des hordes de femelles hystériques d’exprimer enfin au grand jour leurs pulsions libidinales. Les Spice Girls deviennent céIèbres en mettant la main aux fesses du prince Charles…
Changement de stratégie donc pour les amazones du troisième millénaire : elles ne brûleraient plus leur soutien-gorge mais s’harnacheraient dans un Wonderbra. Les féministes old school rétorqueront que c’est purement et simplement jouer le jeu de la domination machiste. Pas si sûr. Car, ce que le macho kiffe dans la salope, c’est surtout de la révéler à elle-même grâce à la puissance de son chibre magique. L’ingénue éveillée a sa perversité : c’est le scénario de 9o% des films de boules, des grands classiques de Marc Dorcel aux Dirty Debutants de Ed Powers.  » Ah ! la salope, elle aime ça !  » Donc, si la demoiselle assume cash son goût pour la gaudriole, le mâle perd une grande part de ce qui a constitué sa domination sexuelle durant des siècles. Confession d’une jeune fan de R&B évoluant dans les milieux hip hop, tristement célèbres pour leur machisme : « Les mecs te diront toujours qu’ils rêvent d’une fille facile qui les brancherait direct pour un plan cul. Mais quand ça leur arrive, je peux te dire qu’ils ne sont pas toujours à la hauteur. Ça les agresse dans leur virilité. Certains se défilent carrément. D’autres n’arrivent pas à bander le moment venu. C’est marrant mais c’est souvent ceux qui ont la plus grande gueule. »

FAIRE BANDER LES MECS
Conséquence indirecte de cette débandade face à l’agressivité sexuelle féminine : une régression sans précédent de l’image de la femme dans les médias. Du porno à Internet, des affiches de pub aux clips de MTV, jamais elle a tant été montrée comme un objet sexuel docile. Une manière de compenser de façon virtuelle la perte de pouvoir machiste survenue dans la réalité ? Le sexologue Jacques Waynberg confirme : « La pornographie, c’est purement et simplement de la prostitution virtuelle. » Plutôt que d’affronter la nouvelle donne, la masculinité se réfugie dans une pratique masturbatoire où elle se donne l’illusion d’être toujours le maître.
On assiste ainsi à l’explosion de l’imagerie porno, consacrant la femelle comme chair à baiser, morcelant son corps comme autant de trous à farcir. Mais plus dangereuse encore semble être la consécration du top model comme idéal sexuel de la société de consommation. Car, même si les apparences sont contre elle, l’actrice de X peut atteindre un degré de subversion féministe assez vertigineux , lorsqu’elle est capable de se faire pénétrer sans pour autant se faire posséder, elle anéantit la puissance phallique – on pense à Coralie dans certaines scènes de gangbang. Tandis que le mannequin, justement parce qu’iI reste impénétrable, perpétue l’hypocrisie puritaine : il maintient la femme dans le rôle passif d’objet du désir masculin sans jamais l’envisager comme sujet désirant. Malgré tout le glamour qui les entoure, les top models ne sont rien d’autre que des esclaves élevés au rang de maître. L’ultime slogan Calvin Klein ?  » Be beautiful and shut up.  » La récente affaire de l’agence Elite l’a bien montré. Les filles qui gagnent en quelques jours le salaire annuel d’un smicard sont tout simplement les courtisanes de la société des spectacles. Leur beauté inaccessible entretient une frustration sexuelle qui trouve sa résolution dans la spirale consumériste.
La cause du succès des Spice Girls ? Peut-être tout simplement parce que, malgré tous leurs efforts, les cinq cochonnes made in England étaient des boudins. Gros nez, cul bas, courtes cuisses, elles n’en étaient pas moins excitantes. Nacha est aujourd’hui en fac de lettres : elle se souvient du rôle qu’ont joué les filles épicées dans sa découverte de la sexualité :  » Dès l’âge de 12 ans, j’étais en totale admiration devant les tops. J’avais la trousse Kate Moss, le classeur Naomi… Elles étaient tellement belles ! Mais quand les Spice sont apparues, elles m’ont tout de suite fait délirer parce que je pouvais m’identifier à elles. D’une certaine façon, elles m’ont fait prendre conscience que je pouvais plaire aux garçons même si je ne faisais pas 1m75. Je me suis d’ailleurs empressée de montrer à mes copains les avantages d’une vraie fille par rapport à une image, même celle d’Adriana Karembeu…  » C’était peut-être tout simplement ça le Girl power : la redécouverte de la capacité des filles à faire bander les mecs. Et du plaisir qu’elles peuvent en tirer.

Capture du 2015-07-10 12:52:08

Lo pochette du dernier Lil’Kim: la rappeuse rend coup pour coup au machisme hip hop.

VISION FONDAMENTALEMENT MACHISTE
Certes, désormais nous affirmons notre désir. Mais prenons-nous pour autant notre pied dans un lit ? Si l’on en croit les journaux féminins, la gent féminine ne fait plus sa mijaurée et exige son orgasme. Et de citer des chiffres en veux-tu en voilà. Ainsi, selon une grande enquête menée en 1992 sur l’ « analyse des comportements sexuels des Français », la moitié de nos concitoyennes seraient satisfaites de leur vie sexuelle quand elles n’étaient qu’un quart en 170. 66% suceraient, 75% se feraient bouffer la chatte et il serait même arrivé à 29% d’entre elles de se faire défoncer le cul. La belle affaire …
L’imagerie hollywoodienne, quant à elle, voudrait nous faire croire qu’aujourd’hui c’est carrément la femme qui baise l’homme. Pas un téIéfilm américain labellisé Hollywood Night sur TFr qui ne montre une blondasse siliconée enfourchant son partenaire pour mener la danse sexuelle à la façon d’une walkyrie. Mais ne nous méprenons pas : ce genre de scène est surtout l’occasion de satisfaire les penchants voyeurs du spectateur en exhibant à l’écran la croupe et les nichons de la dame, là où une classique position du missionnaire ne dévoilerait que le cul poilu de monsieur. On reste dans une vision fondamentalement machiste. Car une chose est sûre la révolution sexuelle ne passera pas par une simple inversion des positions. La femme n’est pas un homme comme les autres. Elle ne se satisfera pas de simplement dominer son amant. A quoi bon continuer de perpétrer la sexualité comme « effet du pouvoir », comme la décrit Michel Foucault ? Notre participation active à la sexualité devrait au contraire permettre de sortir définitivement de ce principe de domination phallique.

Maintenant il sait ce que je vis quand il me pénètre. Pour la première fois, il me semble que mes relations sexuelles ne sont plus le lieu de règlements de comptesdéfinitivement de ce principe de domination phallique.

FISTER SON MEC
Si I’on cherche des pistes, plutôt que vers Hollywood, mieux vaut se tourner vers la littérature féministe extrême qui s’est développée ces dernières années. Michèle Causse, dans Contre le sexage, ou Beatriz Preciado, darts son Manifeste contra-sexuel (les deux chez Balland), réfléchissent au dépassement des clivages du sexage qui réduit Ie masculin et le féminin à des données biologiques. Le phallus et le vagin ne seraient plus au centre des pratiques, l’anus deviendrait la porte de sortie. Ainsi, Elodie, sage éditrice la journée, n’en a pas moins I’habitude de fister son mec la nuit venue :  » Ça s’est fait tout naturellement, sans que nous ne le décidions. Ça a donné quelque chose de plus harmonieux à notre relation , je sais ce qu’il vit quand il me pénètre et il sait ce que je vis quand il me pénètre. Pour la première fois, il me semble que mes relations sexuelles ne sont plus le lieu de règlements de comptes des problèmes affectifs que rencontre mon couple.  »
Certes toutes les filles ne sont pas prêtes à aller aussi loin. Ni tous les garçons. N’empêche, en matière de sexe, les choses ne sont plus exactement les mêmes. Que disent les féministes du XXIème siècle aux hommes ? Oui vous pouvez nous baiser, oui nous aimons ça, mais ça ne vous donne aucun pouvoir sur nous. A partir de là, c’est toute la sexualité qui est à réinventer…

Valérie Zerguine


 

Capture du 2015-07-10 12:51:10