superCannes – N°03

superCannes03_2011_P01Le colosse aux pieds d’argile

Le coréen Kim-Ki Duk est né et a grandi dans des festivals comme Cannes ou Venise. Dans « Arirang », un autoportrait en forme d’appel au secours, il montre où ça l’a mené : la détresse absolue, l’impasse artistique, la clochardisation. Et si on était tous un peu responsables ?

Venez-leur en aide ! Ils ont été découverts et portés aux nues dans des festivals de cinema internationaux. Leurs films ont voyagé dans le monde entier en même temps que leur côte grimpait en fleche à l’Argus des Auteurs. Ils ont été des génies suffisemment longtemps pour qu’ils n’aient plus vraiment de raison d’en douter. Mais aujourd’hui, rien ne va plus. En crise d’inspiration, de confiance, de foi, ils ne tournent plus, ne vivent plus, pire : décident de couper les ponts avec le monde civilisé. Envoyez vos dons à La Ligue de Protection des Cinéastes Qui Donneraient Tout Pour Revenir à Cannes ou à Venise… La projection hier du dernier Kim Ki-Duk à Un Certain Regard voulait nous entraîner dans une grande chaîne de solidarité. Le message était là, dans cette main tendue à l’un des auteurs les plus prolifiques de la dernière décennie (15 films en 7 ans !), qui revenait au giron après quatre ans d’absence et de rumeurs folles sur son prétendu exil (« Souffle » était en compete en 2007). Le tout minutieusement mis en scène, Thierry Frémeaux chauffant la salle avec le récit mystérieux de la disparition de Ki-Duk, de la découverte providentielle de « Arirang » sur son bureau, avant d’introduire l’homme himself, drapé dans un costume traditionnel anthracite. Debussy transformé en temple de la résurrection pour une drôle de messe « caritative » teintée de culpabilité. Conscient de ses responsabilités, le festival s’engageait là, devant témoins, à tenir ses engagements envers ses auteurs « maison ». Et pas seulement les siens d’ailleurs ; les nôtres. Même si ça consistait à l’inviter pour un document fruste qui est sans doute moins un film qu’un cri de détresse, on ne pouvait décemment pas laisser Kim dormir au froid, seul, dans sa tente. « J’étais endormi, Cannes m’a réveillé » a fini par lâcher l’artiste, reconnaissant…

Un doc, « Arirang » ? Une autofiction ? Non, un autoportrait du cineaste en ermite de la colline, cuisinant au Poêle, reflétant son passé de cineaste poétique et violent, cherchant des raisons à son incapacité à produire (le presque-suicide d’une de ses actrices sur le tournage de « Dream », la « trahison » de ses assistants). Un film sur un habitué de Cannes qui parle sans détour de son désir d’y revenir (on devine que Venise aurait fait l’affaire), et par lequel on l’accueille donc. L’ensemble, fascinant de masochisme, aboutit à une sorte de caricature limite de la relation dévorante qu’entretiennent les Auteurs avec les festivals de cinéma, les uns à la merci des autres, et vice-versa. C’est ce désir mutuel de reconnaissance, ce vampirisme à deux voies, que met douloureusement en perspective « Arirang ». Les « créateurs » regardent souvent leurs créatures sortir de leur axe sans pouvoir réagir (Kitano, Egoyan, Hal Hartley, hommage aux victimes là dehors). Cette fois, pour une fois, on a pu intervenir… Probable que le film s’autodétruira après l’éclatement de la bulle cannoise; il n’a pas vraiment vocation à exister en dehors de ces murs. On est donc entre nous. Car s’il existe un système en place quelque part, on est tous mouillés, autant que dans la chute spectaculaire de cette pauvre Loana et de cette folle d’Afida. La triste ironie de l’histoire est de voir Kim Ki-Duk, l’homme de fer, le perceur de chair, le mec qui faisait du kung fu dans la neige, dans le rôle de l’artiste à bout de souffle, terrassé. Pour qu’il en soit arrivé là, c’est vraiment qu’il a fallu le pousser. Hey, oh, pas la peine de me regarder.

Benjamin Rozovas

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