superCannes – N°04

superCannes04Le Shannon Manquant

Return à la Quinzaine, Take Shelter à la Semaine, Michael Shannon, meilleur wacko du cinoche US depuis Nicholson, brille par sa présence à l’écran et par son absence sur la Croisette.

Johnny Depp a touché entre 40 et 50 millions de dollars pour Pirates des caraïbes 4 et 5. Voilà qui donne certaines obligations et qui explique que ce samedi 14 mai, pendant qu’il montait les marches du Palais Lumière au bras de Jerry Bruckheimer (le producteur qui se foutait royalement de Cannes à la sortie de Pirates 3), son projet perso, The Rum Diaries était montré top secret au Marché du film en sa royale absence. Etre une star, c’est aussi cela, ne pas pouvoir être partout à la fois, ne pas être tout à fait libre de ses mouvements, accepter de bonne grâce les règles du jeu qui accompagnent les gros chèques.

A défaut de toucher 40 millions de dollars, Michael Shannon touche aujourd’hui cette réalité-là du doigt. Il devait débarquer ce week-end à Cannes avec sous le bras, deux films tournés in a row, enquiller les interviews à la chaine, et goûter le temps d’un week-end à la reconnaissance de l’internationale cinéphile, concrétisant ainsi la prophétie énoncée en boucle par Friedkin à l’époque de Bug: ce type est le plus grand acteur de demain. Sauf que demain, c’est maintenant et que Michael Shannon n’est pas là. Retenu par les essais du nouveau Superman et un contrat en acier avec Warner, il devra laisser ses deux petites redneckeries se débrouiller sans lui sur la french riviera. La prochaine fois qu’il croisera Johnny Depp, ça leur fera un sujet de conversation.

Avec son scope tout en clair-obscur, la sérénité absolue de son style, et son élégance jamais ostentatoire, Take Shelter a la gueule d’un film de vieux maitre sûr de ses effets. 33 ans, seulement deux longs au compteur (dont celui-ci), Jeff Nichols nous annonce qu’il va falloir compter avec lui dans les années à venir. Déjà là pour illuminer le galop d’essai de Shotgun Stories, Shannon traverse ce second film avec ses habituelles surchemises à carreaux de bucherons et la même folie dans le regard qui contamine à vue de nez les deux tiers de sa filmo. En papa chef de chantier qui pressent l’apocalypse à chaque coup de vent et dérègle du coup l’harmonie de sa famille, il s’adjuge le rôle-somme (le plouc ET le psycho) de ce qui pourrait ressembler à la première partie de sa carrière. Tourné peu avant Take Shelter, Return de Liza Johnson, cause aussi d’obsession sécuritaire, de pertes de repères et de famille qui implose, mais sur un mode littéral et anonyme, là où le Nichols n’est qu’allégorie et tour de force visuel.

Dans l’un, comme dans l’autre, Shannon poursuit sa construction d’une œuvre à la cohérence sidérante, et tissant, l’air de rien, des réseaux de correspondance vertigineux partout dans sa filmo, et même dans les recoins de son rôle possédé de flic dans la série Boardwalk Empire. Une politique de l’acteur consciente, affirmée, qui le définit un peu plus nettement à chaque itération (parions qu’il aime la musique country, les endroits boueux, Jack Nicholson, et les mecs au bord du gouffre). L’enjeu de sa présence ici, dans le cocon du super-auteurisme intercontinental annonçait clairement un triomphe. En lui confiant le rôle du Général Zod dans Man Of Steel, Zack Snyder a mis fin d’un coup aux rêves de grandeur cannoise de Michael Shannon. Condamné contractuellement à faire le zozo devant un fond vert, il laissera la paternité de Take Shelter et de Return à leurs seuls réalisateurs. Ce dimanche Michael Shannon aurait pu devenir un acteur cannois, Hollywood l’a plutôt condamné à devenir une star.

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