Technikart Super Cannes

technikart-cannesLe quotidien de Technikart pendant le festival du Film de Cannes.

Un joyeux bordel

Pendant que Terrence Malick célèbre les pieds de bébés cosmiques, les cinéastes du monde entier ont pris rendez-vous pour douze jours placés sous le signe de la chair et des putes. Noooon ?!?! Si.

 

Du cul. C’est une chance. Plein de femmes nues. Des seins. Des zizis tout durs. On fantasme ? Comme chaque année, aucun film cannois n’a été montré à Paris (rires). Zéro (applaudissements). PAS DE PROJECTIONS (clameurs dans le public). Donc qu’est-ce qu’on en sait ? Mais ce que l’on entrevoit à l’orée de ce Festival que les organisateurs ont placé sous la balançoire de la Faye Dunaway fracassée de Portrait d’une enfant déchue, c’est que le premier grand personnage de cette 64ème édition est la pute. Le terme est à envisager dans le sens affectueux que lui donnait Sam Peckinpah, lui dont on dit qu’il divisait les femmes entre les honnêtes (les professionnelles) et celles qui ne l’étaient pas (les autres). Ça commence dès aujourd’hui en Compèt’avec Sleeping Beauty, une femme qui s’oublie, littéralement, tous les soirs, toutes les nuits. Ça commence aussi avec un film israélien de la Semaine de la critique, qui n’y va pas par quatre chemins. The Slut, il s’appelle. Le personnage vit dans un Moshav israélien. Elle dit oui à tout le monde, sans chercher à trouver des raisons de dire non à qui que ce soit. Une branlette par ci, le gars a été sympa de réparer le vélo. Une petite pipe par là, ça incitera le client à revenir lui acheter des œufs. Le film est constamment de son côté, du côté d’une certaine évidence, d’une espèce de service public, il faut bien que quelqu’un s’y colle, il faut bien que quelqu’un s’occupe de faire jouir les hommes. A la belle femme, la patrie reconnaissante. On peut les appeler Bad Girls, comme le fait la chanson de Les Moses qui rythme la superbe bande-annonce de l’Appolonide de Bonnello, évocation d’un glorieux passé (In)rock(s) qui paraît sinon chaque semaine plus lointain. On peut aussi les appeler filles de joie, en rappelant que les clients de bordels ont toujours eu la réputation d’être des « bons vivants. »

Il y a là une ligne de fracture susceptible de délimiter l’un des champs de bataille idéologique de ce festival de Cannes. Selon qu’il sera tordu ou tordant, libertaire ou puritain, décomplexé ou flagellateur, jouissif ou castrateur, sexiste ou non, le rapport au sexe et aux femmes qui en font sera jugé comme le reflet direct des diverses façons d’envisager le monde, l’époque et le cinéma. Presque un critère de qualité, puisque de « mauvais vivants » à mauvais cinéastes, il n’y a souvent qu’un pas (tiens, c’est bizarre, cette parenthèse s’est ouverte toute seule sans prévenir pour que j’y glisse le nom de Michael Haneke). On sent que le cinéma est en train de redevenir le terrain d’une lutte entre une nouvelle libération sexuelle et un vrai courant répressif, qui exprimerait la chair triste, coupable, chrétienne, mauvaise, douloureuse. D’où le symbole potentiellement décisif de la « femme qui rit » chez Bonnello et la sympathie délicieuse que nous inspire le Japonais Siono Sion et son Guilty of Romance à la Quinzaine, portrait d’une femme qui répond aux exigences de « pureté » de son mari en plongeant dans un délire de sexe qui la révèlera à elle-même. Le film n’est même pas choc ou transgressif, juste débridé, jouisseur jusqu’au point J de la mélancolie. Vous verrez, dix jours durant, douze pour les grands masos, c’est de cela qu’il va être ici question, entre deux chefs-d’œuvre impérieux touchant au cosmos. Des hordes de bad girls déferlent sur le Festival de Cannes. Avec un peu de chance, ça va être un joyeux bordel.

Léonard Haddad