Tout le monde m’appelle Suzy – Chapitre 12

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Chapitre 12 :

Machiavel affirmait que:«La différence essentielle entre la plupart des criminels et des gens ordinaires, c’est que le criminel est assez stupide pour se faire prendre. »

Mais moi, je ne suis pas d’accord. La plupart du temps, les gens oublient que les criminels sont des gens extraordinaires. Donc pas assez stupides pour se faire prendre.

Séance de Biscotte le 28 août 2007 *****

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Biscotte en a des haut-le-cœur. Cette vision de l’apocalypse le laisse sans voix. Tant d’années à travailler sur le terrain et il déteste toujours l’odeur de la pisse. Biscotte agite un mouchoir sous son nez. Ca ne passe pas. Merde, Monsieur Friquet sent mauvais. Il pue comme un S.D.F. avec en plus des odeurs de médicaments qui s’imprègnent dans les draps du lit…Il est tenté d’avaler un petit café et de repartir en courant…Mais non : sa priorité est d’interroger l’infirmière. Celle-ci trouve ça affreux, de voir son gentil monsieur tout recouvert de…pisse. C’est chaque fois pareil lorsqu’une personne arrive. Il marque son territoire…

-Cela fait huit jours que cela dure, Monsieur l’inspecteur.

-Dites-moi, est-ce que Monsieur Friquet redevient normal avec vous ?

-Comment ça normal ? Vous croyez que mon gentil Monsieur ferait semblant ?

-Monsieur Friquet ? demande t-il.

Mais il ne répond pas.

L’infirmière lui injecte un anxiolytique puissant. Elle n’a pas d’autre choix quand il est en crise.

-Surtout ne restez pas trop longtemps. Vous allez me le fatiguer…

Germaine se retire. L’homme se tient devant lui, les yeux mi-clos. Le flic aurait envie de le gifler pour le réveiller mais dans le même temps, les tranquillisants font déjà leurs effets.

-Monsieur Friquet ? répète-t-il.
L’homme est déjà dans les vaps…Et Biscotte est magnanime :
-Je sais que vous ne pouvez plus me parler. Ce n’est pas grave, j’attendrai…

Comme prévu, Biscotte a rédigé son rapport à destination de Sanglier. Et ses nerfs se sont détendus après avoir dessiné des lézards. C’est étrange mais depuis son enfance, il n’avait plus gribouillé des reptiles. Serait-ce une régression ? Il l’ignore.

Biscotte repense à Madame Fournier. Ses collègues n’ont fait aucun commentaire sur sa petite escapade improvisée. L’implication de l’inspecteur Pinsec a du les calmer. Il faut dire qu’il a sa méthode. (Très efficace d’ailleurs : un gros coup de boule lorsqu’on l’emmerde.) Tant mieux ! Biscotte a pris le temps de peaufiner son rapport. Mais l’état de détente qu’il a ensuite ressenti a brutalement pris fin en découvrant ce matin un flic en bas de chez lui. Au secours bordel ! Immédiatement il s’est réfugié dans sa cuisine. Puis il a téléphoné à sa psy pour s’excuser de son absence hier soir. Curieusement, elle ne lui en voulait pas. Selon elle, il existe toujours une crise de confiance envers son thérapeute. (L’étape normale avant la guérison.)

La réponse a été cinglante :

-Vous vous foutez de ma gueule ? C’est vous qui me parlez de confiance ? Alors que je suis suivi depuis une semaine !

La psy a poussé un cri horrifié :

-Voyons, dit-elle. Chaque séance relève du secret professionnel.

Puis elle a rajouté :

-Désolée, j’ignorais que le commissaire vous harcelait …Je vais immédiatement le répercuter à ma direction.

(C’est officiel. La psy est de son côté ! Et le pauvre Sanglier va en prendre pour son grade! )

A 10 h 15, Monsieur Friquet dort profondément. Et Biscotte est assis sur une chaise à côté de lui. Depuis plus de 15 minutes, il attend son réveil. Mais l’infirmière a mis le paquet. Alors il sort un bout de papier chiffonné. C’est la photocopie de la lettre de Greg qu’il a pris soin de garder avec lui. Biscotte relit attentivement un extrait :

Après la mort de Brice, j’ai fait un rêve étrange. Suzy m’a poursuivi jusque dans une partie de mon inconscient. Là où personne n’a jamais été capable de s’infiltrer. Je la voyais marcher dans la jungle et ses pas raisonnaient dans ma tête, aussi sûr que j’entendais ma femme respirer. Il y avait un bruit, une petite voix fluette, celle que prennent les enfants lorsqu’ils veulent des bonbons. Au départ, je ne me suis pas inquiété. Je me suis dit que mon épouse faisait un cauchemar. Mais quelques minutes plus tard, lorsque j’ai entendu distinctement le prénom de Suzy, j’ai compris que la chienne cherchait à établir une relation. Immédiatement, j’ai voulu en avoir le cœur net. Alors j’ai allumé la lampe qui était sur ma table de nuit. Et là….rien. Il n’y avait personne à part ma femme qui était enrhumée…Alors comme un idiot, je me suis recouché. Et quand tout fut éteint, j’entendis à nouveau cette petite voix. Une voix qui me faisait mal.

Mes oreilles bourdonnaient. J’avais envie de me frapper la tête contre le mur. Puis tout à coup, tous les grésillements furent balayés, j’entendis distinctement ce que Suzy avait à me dire. Selon elle, nous avions été choisis Brice et moi pour accomplir une mission. Nous devions nous occuper de son âme et participer ainsi à son prochain voyage…Une sorte de transmigration. Oui, c’est ça : c’est le terme qu’elle avait donné. Une transmigration dans le corps de Monsieur Friquet.

Je sais que c’est dingue ! Comme je sais que je vais mourir. Mais je vous supplie de me croire. Je n’invente rien. Quelque chose de terrible est en train de se passer. Je suis toujours vivant mais complètement vide. Tout est vide. Et mon cœur se ralentit. Je croyais que je faisais une espèce de dépression à cause de la mort de Brice. Mais ça n’a rien à voir. Je ne suis pas fou. J’ai peur.

Comme la première fois, Biscotte demeure pétrifié par ce qu’il vient de lire. Mais sa stupéfaction est d’une autre nature. Il a sous les yeux un homme qui se prend pour un chien. Et ce chien est Suzy. La coïncidence est troublante. Et si cette lettre disait vrai ? Si l’âme de Suzy était planquée dans le corps de Monsieur Friquet ? Alors Biscotte sort un carnet qu’il utilise pour prendre des notes. Sa nouvelle hypothèse tient en un mot : réincarnation. Jamais il n’aurait pu imaginer suivre une telle piste. C’est….invraisemblable. Pourtant…Greg est mort. Et les morts dans son métier ont tous les droits.

Biscotte a pris des renseignements sur le pompier. On ne lui connaissait aucune activité religieuse ni fanatique. Mais depuis quelques jours, il n’était plus vraiment lui-même. Greg était déprimé…

-Je n’ai rien pu faire, avoua la compagne de Greg. Son cœur s’est arrêté avant même d’arriver à l’hôpital…

-Il ne se droguait pas, n’est-ce pas ? demanda Biscotte.

-Bien sûr que non, Monsieur l’inspecteur. Mais il n’aurait jamais du rencontrer cette vieille folle.

Biscotte a souri, heureux de constater qu’il était du même avis. Selon elle, Madame Fournier aurait eu sur Greg une influence étrange.

-Vous auriez aimé qu’on vous dise que vous étiez le prochain sur la liste ? Pas étonnant d’avoir retrouvé cette lettre écrite de sa propre main, n’est-ce pas ? conclut la compagne de Greg.

– A 10h30 le médecin légiste le rappelle. L’autopsie n’est pas encore finie. Mais il lui confirme que les deux pompiers sont bien morts d’une crise cardiaque. Même des papis défoncés n’auraient jamais pu avoir un cœur aussi abimé. Et rien n’indique dans leur dossier médical qu’ils se droguaient. Il croit avoir une explication.

-Un empoisonnement ?

-Oui, mais pour l’instant je n’en sais pas plus…Je vous rappelle dès que j’ai du nouveau.

Deux bonnes raisons donc de mourir. Biscotte se rappelle soudain que les pompiers avaient avalé un sandwich. Ce détail ne le laisse pas indifférent. Puis il demande :

-Dites- moi, est-ce qu’une électrocution aurait pu modifier leur état de conscience ? Entraîner des hallucinations, croire qu’un chien aurait pu se réincarner. Penser que le diable existe…Des trucs de fou quoi ?

-Ca se saurait…dit-il en rigolant. Vous vous imaginez : si c’était le cas, tout le monde rêverait de finir sur une chaise électrique, non ? Ca coûterait moins cher que le LSD…

-Oui, peut-être, dit-il en raccrochant.

Biscotte se dit que Monsieur Friquet reste le seul survivant de l’accident…Serait-il possible que Monsieur Friquet ait vu certaines choses au sujet de Suzy ?

Le mieux est donc d’attendre son rétablissement. Aussi, il ira chaque jour à l’hôpital prendre des nouvelles de son suspect. Car l’inspecteur n’oublie pas que sa femme a déposé une plainte à son encontre. Et puis Guillaume a ouvert un dossier. On peut y lire : Monsieur Friquet dirige un des plus grands groupes pharmaceutiques du monde : le groupe Solival. Il emploie 42 000 salariés dans 30 pays différents et son chiffre d’affaires atteint plus de 10 milliards. Mais jeudi dernier, un vent de panique a commencé à souffler. Les 115 000 investisseurs sont devenus hystériques en découvrant les résultats du groupe.

Question de l’inspecteur Biscotte : Est-ce que cette enquête ne deviendrait pas croustillante ?

Il en est là. A se balancer à lui-même une vanne alors que la question véritable est de savoir pourquoi Monsieur Friquet se comporte ainsi…Toutefois ce besoin d’intermède joyeux reste essentiel pour son développement personnel. C’est une technique de sa psy : reconnaître le bon moment pour intervenir dans une conversation.

-Au lieu d’attaquer directement sur ce qui vous intéresse, entraînez-vous à rigoler. Tout changement exige du cerveau un réajustement. De cette harmonie intérieure découlera un bien être…

Biscotte se lève. Monsieur Friquet n’est toujours pas réveillé. Il enfile alors son imperméable trois fois trop grand. Dehors, il fait un temps de…chien. L’homme trouve la situation cocasse mais le flic ne trouve pas ça drôle…