Yann Moix : « D’Ormesson a dû prendre beaucoup de sérotonine ! »

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On a rencontré le romancier le plus « clivant » de la littérature française à quelques jours de la sortie de l’ambitieux Rompre (son autopsie d’une rupture amoureuse). Et du buzz suscité par certaine interview dans la presse féminine…

Technikart : Où en est ton double projet Korea, le roman et le documentaire ?

Yann Moix : Le roman sortira en septembre prochain. Je n’étais pas satisfait de la version qui devait paraître en janvier dernier, il manquait des choses, et puis je voulais retourner en Corée du Nord. Le livre était raté, donc j’ai recommencé de zéro, en balançant les 500 pages. Je réinjecte aussi la présence de Depardieu, qui va donner un peu de souffle à l’ensemble. Le documentaire, je suis dessus depuis 2012, j’en suis à trois producteurs… Tous les projets longs, compliqués, maudits ont toujours des destins intéressants. Là, c’est en bonne voie. Le film ne devrait faire que 3 heures, et pas 7 comme prévu. A côté de ça, il y aura mon film sur Depardieu à Pyongyang. Des Coréens doivent d’ailleurs venir à Paris, avec Depardieu qui fera le guide, les emmènera au Louvre, tout ça…

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Ça doit être quelque chose, de filmer Depardieu.

Il déteste faire du cinéma, mais être filmé 24h/24 ne le dérange pas du tout ! Quand il est filmé, il n’est pas exactement le même Depardieu que quand il ne l’est pas. Ça se joue à rien : dans la vie, il est à 99% ; avec une caméra, à 99,3%. Quand il me parlait de Jean Carmet au fin fond de la campagne nord-coréenne, je savais que sans caméra il ne le faisait pas. Cinématographiquement, il avait senti que ça pouvait faire une belle séquence. Enfin, il est toujours passionnant, même hors caméra.

Comme Poelvoorde ?

Rien à voir ! Ce qui est fascinant quand tu connais les deux, c’est que tu t’aperçois que Poelvoorde, à côté de Depardieu, c’est un expert-comptable, un informaticien de Nogent-sur-Seine. Ce que tu croyais être de la folie, du génie et de la grandeur n’apparaît plus que normalité, banalité et ennui. La grande différence entre les deux, c’est que Depardieu ne parle jamais de lui, il ne parle que des autres, de Claudel, Shakespeare, Rimbaud, Barbara, Poutine… Poelvoorde, avec tout le talent qu’il a, est plus autocentré – ma dépression, ma névrose, mon nombril, ma quéquette.

Comment s’était passée la réception de ton pamphlet Dehors, au printemps dernier ?

C’est absolument génial : je suis attaqué en diffamation par Gérard Collomb pour des propos que j’ai pu tenir dans telle ou telle émission, mais les propos inouïs de violence qu’il y a dans le livre ne m’ont eux rien coûté. Ça signifie quoi ? Que les gens ne lisent plus. Que Collomb n’a même pas ouvert le livre. Il aurait vu les passages sur lui dans Dehors, je serais en prison à l’heure qu’il est.

Et Macron, Edouard Philippe ?

Je crois qu’en plus d’être des cuistres, ils sont totalement incultes. Comme beaucoup d’hommes politiques, ils sacralisent la littérature parce que c’est très français. Ils doivent aimer les livres, mais pas la lecture. A chaque fois que Macron cite un auteur, Levinas ou autre, soit la citation n’est pas de l’auteur, soit elle est tronquée, soit elle n’existe pas du tout. Je pense qu’il n’a jamais ouvert un livre, sauf à l’école. Quant à Philippe, il suffit de lire les misérables lignes de son essai sur la littérature (Des hommes qui lisentndlr) pour s’apercevoir que le type a une vision totalement muséifiée et mortifère de la littérature, qui doit être sérieuse, figée, grave, chiante, pleine de naphtaline. C’est affligeant. En vrai, personne ne lit les livres des hommes politiques, même pas eux, qui ne les ont le plus souvent même pas écrits. Ça me rappelle Pierre-Jean Remy, cet écrivain des années 70 qui publiait quatre bouquins de 800 pages par an. C’était une sorte d’Elton John de l’Académie française ! Il avait des nègres. J’en avais rencontré un qui m’avait expliqué que, dans un livre de Remy, il s’était amusé à mettre des choses pas possibles – genre un mec va à l’opéra, sort, va dans la montagne poser une pêche derrière un buisson, revient à la Scala, etc. Et personne ne s’en était aperçu ! Ni Pierre-Jean Remy, ni ses éditeurs, ni ses lecteurs, ni les journalistes qui lui renvoyaient l’ascenseur.

Pierre-Jean Remy dans ses oeuvres, (c)INA

Nous, nous avons lu Rompre de près. Ce dialogue, c’est inspiré des Entretiens avec le Professeur Y de Céline ?

Je n’y avais pas du tout pensé, merde ! Je ne l’ai lu qu’une fois, en 1991. Le thème, en tout cas, n’est pas célinien : Céline ne parle presque jamais d’amour. Il n’y a rien sur la jalousie ou le couple dans ses livres.

D’où t’es venue la forme, du coup ?

Avant d’arrêter définitivement la psychanalyse, j’étais allé voir une jungienne qui m’avait dit d’écrire sur ce sujet, sous forme de dialogue, que ça me pousserait dans mes retranchements. Ça marche en effet très bien. Sauf qu’hélas pour elle, du coup, j’ai arrêté d’aller la voir !

Le Pitre de Weyergans est un peu construit pareil.

Ou Portnoy et son complexe de Roth. Sauf que Roth casse très vite les règles du jeu avec ses réponses qui durent 70 pages. Rompre, c’est un vrai dialogue.

On sait que tu aimes l’excès. Ici, c’est un exercice d’ascèse ?

C’est… excessif à l’envers. J’adore cette forme-là. Il y a un auteur que j’aime beaucoup, on s’est toujours moqué de moi pour ça, c’est Gide. La phrase gidienne, classique et faussement précieuse, perverse et corsetée, est magnifique. J’ai relu cet été La Symphonie pastorale, qui est extraordinaire. Ça m’a rappelé qu’on peut faire de grandes choses en peu de pages. Rompre, ce n’est même pas un chapitre de Naissance. Je ne suis pas très malin : Naissance, ça représentait huit ou neuf à-valoir de Grasset ! J’aurais mieux fait de leur rendre neuf livres et d’être tranquille pendant dix ans. Virginie Despentes est plus intelligente que moi : elle a écrit les 1000 pages de Vernon Subutex, Olivier Nora lui a dit qu’il fallait faire deux tomes, elle ne voulait pas, Nora lui a expliqué que si elle faisait deux tomes elle aurait deux à-valoir, et alors elle a dit oui !

Gide tu l’admires sans réserve où il te dégoûte en même temps, comme Simon Leys ?

Le grand biographe de Gide, Frank Lestringant, m’a dit que je connaissais Gide mieux que lui. Depuis 1982, je suis abonné au Bulletin des Amis d’André Gide. Je fais partie de l’Association des Amis d’André Gide depuis l’âge de 14 ans. J’allais en voyage à Cuverville avec des gens qui avaient en moyenne 76 ans. Je pourrais en parler 15 heures ! La vérité de Gide, c’est qu’il est insaisissable. Aujourd’hui, il serait considéré comme un pédophile. Il avait des relations sexuelles avec des enfants. En 1996, Eric Marty a édité dans la Pléiade l’intégrale du Journal de Gide, la version non expurgée. Un truc m’avait énormément choqué : à un moment, près du Collège de France, Gide suit des enfants de 8 à 14 ans. Ce qu’il aimait avec eux, ce n’était pas la pénétration mais se frotter, se caresser, se masturber mutuellement, etc. Et là, Eric Marty écrit : « Il y aurait un jour un travail à faire sur l’homosexualité des classes prolétariennes chez les enfants au XIXème siècle. » Il ne parle pas d’un vieux pervers qui suit des gosses, il retourne les choses ! Ce qui est fascinant chez Gide, c’est qu’on a l’impression que les années ne passent pas. En 1918, il va à Cambridge avec Marc Allégret, il n’a pas loin de 50 ans et il va draguer. Le complexe de l’âge n’existe pas chez lui, il drague tout le temps ! Il est chauve depuis bien longtemps, mais il va vers les enfants, vers les adolescents, vers les étudiants. Il est d’un culot…

Gide faisait les Grands Boulevards, il ne pensait qu’au sexe…

C’est peut-être le mariage qui lui a apporté ça ?

Ah ah, quel rapport ! Son mariage, parlons-en. Lui vivait à Paris et il avait installé sa femme, qui était aussi sa cousine, dans une grande maison sinistre en province. Il n’a jamais couché avec elle, il l’avait sous le coude, allait voir bobonne quand il ne se sentait pas bien. Elle n’a jamais eu de vie, jamais eu de sexualité, et n’a appris que très tard l’homosexualité de son mari. Une vie humaine s’est déroulée pour rien. Le sacrifice total. Ça aussi, ça me fascine. Gide était écartelé entre son hyper sexualité et cette sorte de sentimentalité morbide qu’il avait à Cuverville. Quand on lit son œuvre, ça ne se voit pas, on a l’impression d’un type qui travaille à son bureau. Alors que dans la vie, il ne tenait pas en place, il ne pensait qu’à aller Gare de l’Est attendre au train des militaires avec Henri Ghéon et Eugène Rouart. Il faisait les Grands Boulevards, ne pensait qu’au sexe… Il est finalement plus subversif que Bataille, qui a surtout théorisé le sexe sans qu’on sache très bien ce qu’il faisait. Lui ne le théorise jamais, sauf dans Corydon, alors que sa vie c’était du sexe toute la journée. Et puis c’était un peu le Stanley Kubrick de la littérature : chacun de ses livres était différent du précédent. Pareil chez moi.

Tu dis pourtant que ce n’est pas un génie.

Un mec de talent est en concurrence avec les autres, alors qu’un génie n’est en concurrence qu’avec lui-même. On le voit avec Fischer aux échecs, qui a commencé à jouer contre lui-même quand il était petit. Il était alternativement du côté noir et du côté de blanc. Quand il était champion du monde, il a refusé de jouer contre Karpov car il estimait que son seul adversaire c’était lui ou Dieu. Là, on verse dans la mystique. Comme Péguy qui était fou à la fin, on le voit bien dans les Cahiers de la Quinzaine, qui n’étaient lus par personne…

Dans Rompre, tu prends en compte ta propre folie ?

On a tous une pulsion de mort. Il y en a qui boivent, d’autres qui se droguent, d’autres qui s’entaillent les veines. Moi, je suis très sain physiquement, je n’ai jamais pris de drogue, je vais à la piscine tous les jours. L’autodestruction passe par les relations amoureuses, où les autres me servent de fouets.

Ton goût des jeunes femmes et ton refus d’enfanter te condamnent à des ruptures successives, non ?

Je remets mon titre en jeu à chaque rupture, avec l’angoisse que 50 ans c’est plus vieux que 40 qui est plus vieux que 30, etc. C’est chaque fois plus périlleux de se retrouver seul. Le laps de temps que je mets à retrouver quelqu’un est chaque fois plus long.

Oui : à 27 ans j’aimais les filles de 27 ans, et c’est toujours le cas

Il y a un passage dans Rompre où tu commentes l’incipit de ton premier roman sur le fait que ce que les femmes préfèrent chez toi, c’est te quitter. Tu es resté le même qu’à 27 ans ?

Oui : à 27 ans j’aimais les filles de 27 ans, et c’est toujours le cas. Je suis frappé d’une malédiction assez gidienne : je me comporte toujours comme un adolescent. Les femmes aiment bien les enfants mais nettement moins une autre catégorie : les adolescents. Quand tu es écrivain, tu as un côté enfant, ça c’est bien. Mais il y a un mauvais côté que les femmes ne te pardonnent pas, c’est d’être un adolescent – écouter  Toto IV toute la journée comme si on était encore en 1982. Ça peut être crispant. Or il n’y a rien à faire : c’est quand même agréable d’avoir 14 ans. Moi, je continue tout seul l’année 1982. Dieu soit loué, je m’intéresse aussi à l’avenir, au présent, à des choses neuves.

Le bonheur, c’est possible ?

On est heureux uniquement quand le cerveau s’oublie. Je suis heureux quand je joue de la guitare, par exemple. L’existence est mise entre parenthèse. Quand je nage je ne suis pas heureux car je m’ennuie vite. Je n’ai que dix minutes de batterie de vie intérieure ! Dans la journée, c’est difficile d’être heureux. On peut être heureux en voyage, au tout début, quand on prend le train ou l’avion, parce qu’il y a une promesse de nouveauté.

Tu ne seras pas un écrivain du bonheur à la Jean d’Ormesson !

J’aimerais bien, en fait… Je pense que d’Ormesson était peut-être plus dépressif que moi. Il y a quelque chose de faux chez lui. Il écrit le contraire de ce qu’il est. Il était obsédé par les femmes, coureur, très mélancolique, il devait se mettre dans des états proches de ceux que je décris dans Rompre.

Seulement quand il pleurait sur sa moquette, il écrivait qu’il était à Venise, ou à skier je ne sais où. La chose la plus profonde que j’aie lu sur lui, c’est Edouard Baer qui l’a écrite dans un hommage. Il disait qu’on sentait bien que la Méditerranée dans laquelle Jean d’Ormesson nageait n’avait jamais existé. Quand je vais en Grèce, il y a des boîtes de conserve et des préservatifs sur les plages, je n’ai jamais vu celles dont il parle, où tu as l’impression qu’il y a des dieux au-dessus de lui. Comme Woody Allen, il a créé une sorte de cosmos où il s’ébroue, un monde parallèle où il va, et ça c’est un truc de grand dépressif. D’Ormesson a dû prendre beaucoup de sérotonine ! A part ça, il voulait me faire entrer à l’Académie française. Il m’avait même appelé pour ça. L’Académie… Est-ce que Houellebecq se présente finalement ?

Aucune idée. Toi, ça te dirait ?

J’adorerais entrer à l’Académie française. Avec Régis Jauffret, on en rêve depuis très longtemps. Mais il faut y aller avec des amis. J’aimerais bien y aller avec Beigbeder, Jauffret, Houellebecq, Onfray… Les trois qui vont entrer avant nous sont Zeller, Foenkinos et Ono-dit-Biot. Ceux-là y entreront. D’abord parce qu’ils sont sympathiques, et ensuite parce qu’ils en rêvent vraiment.

Foenkinos il en rêve tu crois ?

Je pense. Christophe Ono-dit-Biot, lui, ne s’en cache pas.

Oui : il suffit de lire ses papiers dans Le Point !

C’est vrai que ça se voit ! Ma vraie raison d’y aller, c’est les séances du dictionnaire. J’en parle d’ailleurs dans Rompre : je pense avoir lu intégralement Le Petit Larousse illustré 1974. Les séances du dictionnaire, ça doit être fabuleux.

Tu parlais de Péguy il y a cinq minutes. Péguy, que tu aimes tant, c’est ton exact inverse, non ? Marié, père de famille…

L’enfer du couple, il l’a bien connu. Son mariage, ce n’était pas une partie de rigolade. Il n’avait aucune autorité, sa femme l’étouffait, il ne supportait pas la vie de famille, c’était l’angoisse de rentrer chez lui. Il aimait ses enfants, mais était asphyxié. Il était obsédé sentimentalement par une jeune stagiaire des Cahiers de la Quinzaine, Blanche Raphaël. Il en était fou amoureux alors qu’il n’a jamais été amoureux de sa femme, qu’il a épousée parce que c’était la sœur de son meilleur ami. Ses enfants étaient ceux de l’amitié plus que ceux de l’amour. Blanche Raphaël ne voulait pas de lui, il lui écrivait des lettres auxquelles elle ne répondait souvent même pas, il a fini par aller à la guerre de 14 pour se débarrasser de lui-même – il n’est pas mort pour la France, il est mort par la France, profitant d’un conflit mondial pour régler un conflit intime.

Dans Rompre, tu fais aussi allusion à ton journal intime. Ça va paraître bientôt ?

Ce sera publié par tranches de deux ans. Le premier tome sortira dans la collection « Bouquins » au printemps 2020. J’en suis à 3 millions de signes pour la période qui va de 2016 à 2018. J’avais tenu mon journal de 1991 à 1999 et l’avais perdu en entier à cause d’un problème de disquette. Il y avait mon service militaire, mon arrivée à Paris, ma vie dans un squat… C’est Jean-Luc Barré, le patron de « Bouquins », qui m’a convaincu de m’y remettre. Je l’ai donc écrit en sachant qu’il allait être publié. Je mets tout, ma vie sexuelle et professionnelle, donc la sortie va être compliquée…

Tu t’es engagé pour les migrants. Les gilets jaunes ça t’inspire quoi ?

Je trouve que Macron n’est pas très intelligent. L’intelligence, c’est la capacité d’adaptation. Sa morgue, son côté hautain, les gens le ressentent. S’il y a bien quelque chose qu’on ressent dans sa chair, c’est le mépris. Les deux ou trois fois dans ma vie où il m’est arrivé d’humilier quelqu’un, j’ai senti que je m’étais fait un ennemi à vie. Et il y a chez Macron une volonté d’humilier autrui. Son empathie est nulle. Et puis il ne supporte pas la vérité. Enfin, outre sa cuistrerie, il a un problème qui est générationnel : il n’a jamais rien vécu. Il n’est jamais parti en vacances avec son sac à dos, n’a jamais fait de stop, n’a jamais pris l’avion tout seul. Rien !

Tous les hommes d’Etat sont fous, mais Macron, ce qui est inquiétant c’est qu’il n’y a personne à l’intérieur

Il est passé de maman à Brigitte.

Et il est passé de l’ENA à président de la République, comme si c’était un concours en plus de ses études. Il a sans doute déjà été mélancolique, triste, comme tous les autres humains, mais il n’a rien vécu qui lui soit extérieur. Il n’a même pas fait son service militaire, n’a pas passé une nuit sous la tente, tous les efforts qu’il a fournis dans sa vie ont été des efforts intellectuels.

Chirac, à côté, c’est Kessel !

Mais bien sûr ! Macron n’a pas eu d’expérience de la vie, n’a pas fait d’efforts physiques – enfin, peut-être une fois du vélo… Après, tous les hommes d’Etat sont fous, mais lui ce qui est inquiétant c’est qu’il n’y a personne à l’intérieur. Comme tous les caméléons, il se confond avec le milieu où il est. Là où il est écartelé, c’est quand il y a plusieurs milieux qui se mélangent et qu’il doit jouer plusieurs rôles « en même temps », comme il dirait. Je l’ai vu dire devant des policiers à Calais : « Je sais que ce qu’on dit de vous est faux, mais si j’apprenais que c’était vrai, vous seriez punis. » Il n’est pas du tout structuré, et c’est un vrai pervers. Rien à voir, mais est-ce que je vous ai raconté cette histoire géniale avec Onfray ?

Non.

J’ai appelé Michel cet été, et il a fait quelque chose que je n’oublierai jamais. Il me demande si ça va. Je lui dis que non, que je me suis séparé. Il me répond : « Ne bouge pas. » Il était 9 heures du matin. A 19h45, je reçois un livre de Michel Onfray par mail, un texte inédit et prodigieux sur ma rupture : Lettre à un ami qui ne va pas bien. 60 000 signes écrits dans la journée ! Je l’ai lu et relu quasiment tous les jours de l’été, en y tirant une grande force.

Une fois que tu iras mieux, tu te vois tenter de vivre le couple longue durée ?

Je ne sais pas… Là, je suis avec une femme qui a déjà accompli sa vie de couple. Elle a deux enfants, c’est fait. Elle est prête à avoir une vision plus souple, moins étriquée du couple, car elle en a déjà souffert.

Pourquoi tout simplement ne pas te mettre avec une femme qui ne peut pas avoir d’enfants ?

Le rêve ! Il y a Sylvain Tesson qui est comme moi. Il est incapable d’avoir des enfants et l’avait exprimé quand il était venu chez Ruquier – ça me rassure, des exemples comme ça.

Et vivre avec une femme de 50 ans ?

Non, ça ce n’est pas possible. Ce n’est pas méchant contre les femmes, attention. Les femmes de 50 ans, il y en a qui sont merveilleusement belles – toutes les femmes sont belles à tout âge. Vraiment je ne veux pas qu’on pense que je suis dans la névrose du type qui ne regarde pas les femmes après un certain âge. C’est un problème personnel : ne pas pouvoir accepter son âge à soi. Mais j’accepte très bien l’âge des autres ! Je ne dirai jamais qu’une femme de 50 ans n’est pas désirable, pas belle, ce serait une aberration. Là je suis prêt à sortir avec une femme de 40 ans, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. C’est le côté dix ans d’écart qui me convient.

Et le refus d’avoir des enfants, c’est une ligne qui peut bouger ?

Ça bouge lentement. Avec Emmanuelle, dont il est question dans Rompre, j’étais prêt à en avoir… On s’est séparés sur une connerie. Et puis elle a rencontré son prof de yoga.

 

Un des trucs les plus fous de Rompre, c’est justement les passages sur le nouveau mec d’Emmanuelle, ce yogi…

Est-ce plus vexant de se faire quitter pour Emmanuel Carrère ou pour un prof de yoga ? Je ne sais pas. Bernard-Henri Lévy m’appelle cet été et me demande si ça va. Je lui dis que non, rupture sentimentale blabla… Lui : « Oh mais je vous connais, vous allez rebondir ! Vous n’êtes pas n’importe qui ! Vous avez des qualités ! Qu’est-ce qu’il fait, le mec ? » Je lui dis : prof de yoga. Lui : « Vous êtes mort. Marisa Berenson, à l’époque, tout Paris la voulait, tout le monde la draguait. Le jour où on a appris qu’elle sortait avec un prof de yoga, on a tous arrêté. » J’aurais dû le mettre dans le livre, ça : la grande différence entre un prof de yoga et un type comme moi, c’est que moi je suis égocentrique mais pas du tout narcissique, je ne m’aime pas, alors qu’un prof de yoga n’est pas égocentrique mais totalement narcissique – il aime son corps, il aime son être, etc. Finalement, les filles sont plus heureuses avec un narcissique qu’avec un égocentrique. C’est de la concurrence déloyale : j’ai lu tout Joyce et tout Proust mais je ne fais pas le poids devant un mec qui fait le grand écart, bouffe du quinoa et récite trois formules. C’est un tsunami ! A côté d’un yogi, on n’existe pas.

Rompre (Grasset, 128 pages, 13 €)

Entretien Laurence Rémila & Louis-Henri de La Rochefoucauld