Rock the foie gras

Inspector Cluzo

Lemmy Rock Farm

The Inspector Cluzo – Acclamés dans le monde entier et adoubés par Motörhead, deux paysans du Sud-Ouest ont fait du rock fermier le carton musical de l’année. Reportage à L’Armagnac sur les MGMT de Mont-de-Marsan, qui élèvent des oies au son des guitares.

 

 

La scène se déroule à Nashville, en juillet dernier. Deux blancs-becs débarqués du Sud-ouest français, qui la veille encore nourrissaient leurs ouailles, atterrissent à l’aéroport sous une chaleur accablante. Laurent Lacrouts et Matthieu Jourdain, les deux Inspector Cluzo ne sont pas venus les mains vides. Alors qu’ils se dirigent vers le Blackbird Studio situé au sud de la ville, ils ont sur la banquette arrière de leur bagnole de location les bandes qu’ils viennent d’enregistrer, une guitare, et quelques bocaux de foie gras ramenés de leur Gascogne natale. Les paysages qui défilent par les fenêtres sont industriels, les nœuds autoroutiers se succèdent aux hangars vétustes.
Ils ont rendez vous avec Vance Powell, le producteur des Raconteurs, de Jack White et des Arctic Monkeys, pour mettre la touche finale à leur cinquième album, le bien nommé RockFarmers. Avant même de les rencontrer, lors des premiers échanges, l’Américain leur disait : « People of the soil must be good 00! » (« Les gens de la terre doivent être bons ! »). Il ne s’est pas trompé. Comme lui, les deux Français produisent une musique « garanti sans manipulation digitale ». Traduction: ils enregistrent en live sur des bandes magnétiques.
Avec près de 800 concerts dans 44 pays depuis 2008, les Inspector Cluzo ont acquis une certaine notoriété dans l’Internationale rock, sans jamais renier leur deuxième job. Même leur look affirme haut et fort leur amour de la terre. Laurent Lacrouts, le chanteur-guitariste aux cheveux longs et à la barbe broussailleuse, et Matthieu Jourdain le batteur aux moustaches évoquant Zappa, Lemmy et Cyrano de Bergerac, portent régulièrement le béret et des fringues de travail qu’on ne trouve pas chez FrenchTrotters.
Ce mariage rock et agriculture interpelle les confrères. En République tchèque l’été dernier, Lemmy de Motörhead les invite à passer dans sa loge le saluer après leur concert. Ils profitent de l’occasion pour lui offrir de l’Armagnac et un foie gras qu’ils embarquent toujours, au même titre que leurs six cordes, sur leurs tournées. Le vieux pirate s’en délecte en grommelant un « That’s goooood ! ».

LA FERME LOU CASSE
Les Cluzo ont fait ce choix de vie peu après leurs débuts. Constatant l’évolution de l’industrie du disque, ils optent pour l’indépendance. « On a choisi le chemin du cœur », affirme Laurent. Le retour à la terre avec cette ambition de « faire du bien », leur est « apparu d’une logique évidente et comme la meilleure alternative ». Depuis, ils enchaînent les tournées, du Japon à la Colombie en passant par les États Unis, et écument le circuit des festivals.
Installés à la ferme Lou Casse depuis 2013, au sud de Mont-de-Marsan dans la campagne Gasconne, ils mènent une vie dans la tradition de cette campagne gasconne, entourés d’un cheptel d’une centaine d’oies et de leurs cultures organiques. Sur ce territoire qui élève des bêtes depuis un millénaire, la seule manière de faire ce foie gras, « c’est la méthode ancienne et artisanale », affirment-ils. Un peu dégagés des problèmes de rentabilité grâce à leur musique, qui leur « permet de ne pas trop se mettre la pression », ils proposent un produit biologique dans le respect de la terre et de l’animal.
Les bêtes naissent à la ferme et passent dix mois avec eux quand dans l’industrie deux suffisent. Ici, on est loin des problématiques éthiques soulevées de l’Assemblée nationale jusqu’aux plages de Malibu. Et non, chez eux, ce n’est pas un pistolet qui bourre l’animal en dix secondes chrono, antibiotiques compris, dans des conditions sordides pour les vilains de la grande distrib’ ; ils procèdent à la main, une trentaine de minutes par bête, et vendent leurs produits en direct.
Les deux musiciens ont crée « une sorte de société pastorale » où ne « on ne produit pas pour vendre mais pour manger ». À Lou Casse, ça défile. « C’est dix à quinze personnes qui se côtoient tous les jours pour travailler avant de se retrouver à table », pour un repas garanti sans OGM. Dans la tradition de la région, « une nouvelle tête à notre table, c’est une paire de bras pour travailler et faire à manger », affirme Laurent. Mais cette autonomie alimentaire et cette vie sociétale existent avant tout selon une logique économique et écolo qui ferait pâlir les altermondialistes téteurs de lait dont on ne peut pas les rapprocher : « Nous ne sommes pas des hippies. On ne fait pas de fromage de chèvre ! »

« PLUMER LES OIES ENSEMBLE »
Dans ce joyeux bordel, les paysans se mêlent aux amis et professionnels du son qui viennent visiter, curieux, ce lieu de vie si atypique. « Tout le monde plume les oies ensemble » et se retrouve pour diner. « Ils ont plumé ensemble donc ils sont égaux ! » clame Laurent.
« Une guitare, une batterie et un chant, faut envoyer, que les gens ne se fassent pas chier ! » La culture de l’autre et du partage de la culture terroir, on la retrouve dans leur musique qu’il voit de la même manière que le manger : « rester de petits producteurs ». Pour sortir de l’industrie sans visage et restrictive des majors, les deux ont décidé l’alternative d’un label à eux. Fuck the Bass Player Records leur offre une liberté dont leur cinquième opus est la preuve. Un double album vendu dans un livre hors format qu’on ne trouvera pas dans les rayons de l’hyper.
Cette indépendance nécessite de la main d’œuvre. Qui se colle au collage du livre album ? « Les oncles et les cousins tandis que les mères organisent le repas ! » Ils enregistrent la totalité de leur musique dans leur propre studio. Bon, pour leur petit dernier, ils ont tapé des pieds pour s’adjoindre les services de Vance Powell, en se présentant simplement, « paysans et musiciens, 800 concerts dans 44 pays et une totale indépendance ». Bingo, le producteur de Jack White a répondu à leur appel. Le résultat enchante.
La vie d’aventure des deux bougres, on peut se dire qu’elle est sympa. Mais elle a pourtant un prix à payer : ce sont deux journées en une qu’ils effectuent. Leur avenir sous le soleil landais semble radieux. Ils poursuivent l’expérimentation musicale, « une recherche à vie » pour eux, et souhaitent développer l’exploitation tout en conservant cette éthique. « Ah ! Ce mot, on ne l’aime pas tellement. Tout le monde l’emploie pour juger. Plutôt que de juger, faites ! »

PIERRE ARDILLY

ROCKFARMERS
(Fuckthebassplayer Records) http://www.theinspectorcluzo.com

Paru dans le Technikart #199

ROCK-FARMERS  — Matthieu Jourdain (béret) et Laurent Lacrouts à la ferme

ROCK-FARMERS  — Matthieu Jourdain (béret) et Laurent Lacrouts à la ferme