Quand Bowie se cherchait en Amérique …

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Intitulé Who Can I Be Now?, le deuxième coffret rétrospectif de l’œuvre du Siegfried rock retrace son virage soul. Notre « brown-eyed critic » Dahan déroule les bandes master.

Deux ans après Nothing Has Changed, premier coffret regroupant ses chef-d’oeuvres anglais dont Hunky Dory, The Rise And Fall of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars et Aladdin Sane, Parlophone poursuit l’entreprise de réédition du catalogue de David Bowie avec Who Can I Be Now? (1974 – 1976), soit douze CD ou 13 vinyles, couvrant ses années soul. Bien qu’enregistré à Londres, l’album Diamond Dogs paru en 1974 ouvre légitimement la période américaine, car il va fournir la matière du premier show itinérant de « Broadway rock » de l’histoire ; entendre par là un spectacle colossal avec décors, costumes, et danseurs, qui va être joué 73 fois au Canada et aux Etats-Unis.

Le mutant du rock qui a déménagé à New York, suit un nouveau régime à base de lait frais et de cocaïne qui lui donne l’allure d’un mort-vivant et, comme pour compliquer les choses, ne jure que par la soul et la salsa, ce que confirme le double David Live, capté au Tower Theater de Philadelphie et publié en octobre de la même année. Ava Cherry, sa choriste afro-américaine et maîtresse attitrée, étant originaire de Chicago, et David Bowie ayant de fortes tendances assimilationnistes, il décide ensuite de devenir noir, le temps d’un album dont le titre de travail est The Gouster, qui désigne dans l’argot du Chicago des années 50, un gangster accoutré de costumes ashy et, par extension, une sorte de « black hipster ». En 1974, la radio et les pistes de danse sont envahis par la Philly Soul dont les ténors se nomment les O’Jays et les Detroit Spinners. C’est donc dans le studio Sigma Sound de Philadelphie, où les producteurs Kenny Gamble et Leon Huff ont concocté tous les hits de leurs poulains, que David Bowie s’installe afin d’enregistrer The Gouster. Une fois l’album achevé, Tony Visconti, qui l’a coproduit avec lui, repart à Londres pour le mixer. Mais David Bowie, excité par sa nouvelle amitié avec John Lennon, entraîne ce dernier dans un studio newyorkais et enregistre deux nouveaux titres. 

Rebaptisé Young Americans, le 33 tours qui paraît au printemps 1975 ne comporte plus « John, I’m Only Dancing (Again) », « It’s Gonna Be Me » et « Who Can I Be Now ? », remplacés par une reprise d’« Across The Universe » des Beatles et par « Fame », qui va se classer N°1 aux Etats-Unis.

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Fenton Lake, New Mexico, 1975 Tournage de The Man who fell to earth (Nicolas Roeg). Photo © Geoff Maccormack.

Parler d’album inédit à propos de The Gouster, comme le font nombre de médias depuis quelques mois, est donc abusif, car trois titres seulement ont été écartés de la version finale, et ils ont ensuite été publiés en single ou en bonus sur des coffrets et rééditions diverses. L’autre caractéristique du Gouster publié aujourd’hui est de faire entendre les premières versions de chansons finalisées pour Young Americans, ce qui peut intéresser certains fans mais également décevoir ceux qui adulent David Bowie pour la sophistication artistique et technique de ses disques. Enfin, cette édition 2016 de The Gouster n’offre ni l’ébauche d’ « After Today » publiée en 1990 dans le coffret Sound And Vision, ni celles de « Shilling The Rubes » et « I Am A Laser » découvertes lorsqu’un homme en a mis quelques extraits en ligne afin d’allécher des clients potentiels sur Ebay où il tentait de vendre une bande master dérobée, aussitôt saisie par David Bowie et ses avocats. Le reste du coffret se compose de Station To Station, chaînon manquant entre le funk et le krautrock allemand, enregistré entre septembre et novembre 1975, au studio Cherokee de Los Angeles; du double Live At Nassau Coliseum qui documente la tournée du Thin White Duke ; et de remixes en 5.1 et versions single. Bref, rien de bien nouveau pour le collectionneur mais une somptueuse remise sur le marché d’albums qui rappellent l’époque où David Bowie se cherchait encore frénétiquement, dans le sexe, l’occultisme et la drogue, et dont la musicalité et les audaces stylistiques ont non seulement marqué toute une génération mais continuent d’influencer les artistes pop d’aujourd’hui.

TOP 3 (à redécouvrir d’urgence)
1/ We Are The Dead, Diamond Dogs (1974)

2/ WinYoung Americans (1975)
3/ Word on a wing, Station to station (1976)

ERIC DAHAN

Coffret Who Can I Be Now ? (1974-1976), Parlophone Records, paru le 23 septembre 2016

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Article paru dans Tehnikart #204, septembre 2016

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