Alejandro Jodorowsky «On parle toujours d’urine avec beaucoup d’irrespect, non ?»

Capture du 2015-05-05 15:46:29

Jodo’ is back, avec le psychomagique «la danse de la réalité» et un docu sur son «film invisible» «Dune». Interview d’un fringant jeune réal de 84 ans.

 

Vous revenez au cinéma, après une absence de vingt ans, avec une version fantasmée de vos jeunes années.
Je ne compte pas mourir tout de suite, alors je vais dire que c’est un comeback. Pas un film testament, non. Mais évidemment à mon âge il faut parler de la mort et tout ça, non ? Si je mourais demain, ce serait un film testament et si j’en fais un autre, un comeback.

Vous en préparez un autre, là ?
Oui, l’adaptation de «Juan Solo», la BD que j’ai faite avec le dessinateur Bess. J’ai mis de côté Abel Cain (la suite de son film El Topo – NDLR), c’est un projet qui coûterait trop cher.

«La Danse de la réalité» débute avec une «ode à l’argent» dans laquelle sont vantée les mérites du flouze. Pourquoi ?
Parce que l’argent, c’est une énergie. Tout dépend de comment on l’utilise. Tout ce que je montre dans le film a été causé par la crise de 1929 : les mutilés, les bidonvilles…

Si vous n’aviez pas tourné pendant 20 ans, c’était pour des raisons financières ?
Oui.

Parce que votre cinéma n’est pas réalisable sur un petit budget ?
Non. Ce film, c’est un petit budget, tu t’en rends pas compte ! Ahah, c’est un miracle. On a eu un budget de $4 millions, et on a tourné huit semaines dans le village de mon enfance, Topocilla.

Vous dites que le tournage a été une expérience «psychomagique».
Comme une bombe atomique psychologique pour ma famille. On a tourné dans la rue où je courais quand j’étais petit. Mes enfants, qui jouent dans le film, voyaient ce que j’avais souffert. Mon fils Brontis, en jouant son grand-père, mon père, il peut mieux me comprendre. On se rapproche en tournant ensemble.

Tout ce qu’on voit, vous l’avez vécu ?
Quand j’étais enfant, il y avait toujours un nain devant le magasin de mon père, il y avait des mineurs mutilés dans le village. Tout ça, c’est vrai, aucune invention. En revanche, mon père n’est jamais allé à Santiago pour tuer le dictateur (le général Carlos Ibáñez del Campo – NDLR). Il en parlait souvent, mais il ne l’a pas fait. C’est un film que j’ai fait pour lui, mais aussi pour ma mère. C’était une humiliée, et à la fin du film, c’est elle le maître. Elle sauve sa famille et elle guérit son mari de la peste.

En lui pissant longuement dessus…
On parle toujours d’urine avec beaucoup d’irrespect, non ? Pareil pour l’excrément. Alors que ce sont des activités humaines. Dans la médecine hindoue, on guérit en utilisant l’urine comme potion. Elle a quelque chose de sacré. De même que le Christ est un être humain, qui fait caca. Ce serait merveilleux de le retrouver et de construire un temple autour avec des moines déguisés en mouches. Ahahah. Si elle guérit son mari, c’est parce qu’elle se prend pour un canal en relation avec Dieu. Donc elle pisse de l’amour vivant. C’est un miracle.

Dans le docu consacré à votre projet avorté mythique «Dune», («Jodorowsky’s Dune» de Frank Pivatch) vous expliquez avoir écarté Douglas Trumbull des effets spéciaux parce qu’il n’était pas suffisamment «spirituel». C’est difficile de trouver des gens spirituels dans le cinéma ?
Oui, mais pour celui-ci j’en ai trouvé plein. Même ceux qui financent le film le sont.

Sur ce même projet, vous aviez l’accord de Salvador Dali pour jouer le rôle de l’empereur de la galaxie.
Il voulait $100 000 par heure de tournage. Comme le film était censé durer 14 heures, je lui ai dit : « OK, mais je fais un contrat pour une heure. Après, je ferai fabriquer une sculpture hyper-réaliste de vous, qui serait le robot qui prend la place de l’empereur après sa mort ». Il a dit : « D’accord, si vous faites cadeau du robot au musée Dali de Cadaqués ».

«La Danse de la réalité» sortira-t-il en salles ? J’ai lu qu’il était financé par crowdfunding et qu’il ne bénéficierait pas d’une sortie «classique».
Au début, je me disais qu’avec mes 780 000 followers sur Twitter, on pourrait financer un film sur Kickstarter. On a lancé l’appel, et récolté…
40 000 euros. Ahah. Alors on a monté, avec mon Michel Seydoux une production classique. Et comme le frère de Michel (Jérôme Seydoux) a aimé le film, Pathé le prend. Donc il sort en salles, mais je ne sais pas si le public viendra…

 

Entretien Laurence Rémila


 

Capture du 2015-05-05 15:47:26 Technikart SuperCannes #04  19 mai 2013