Tout le monde m’appelle Suzy – Chapitre 6

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Chapitre 6 :

-On tue souvent par nécessité, parfois par plaisir. Mais le crime parfait c’est autre chose. Il faut du génie. N’importe quel flic vous le dira. Seul un être supérieur peut créer des univers entiers en quelques coups de scalpels.

Séance de Biscotte le 21 août 2007

*****

-Marc Biscotte, vous me reconnaissez ?

La femme acquiesce. Elle serre précieusement son sac contre elle et s’apprête à partir. Biscotte a un grand sourire. Il ne peut rêver une si belle rencontre. (Professionnellement bien évidemment. Parce que pour le reste….Madame Friquet n’est pas du tout son genre !!!)

-Ca ne vous dérange pas ? J’aurais quelques questions à vous poser.

Ils font quelques pas dans le couloir. L’état de son mari reste stationnaire. Mais elle est honnête. C’est le dernier de ses soucis.

-Notre couple battait de l’aile depuis bien longtemps. Je suis ici pour Suzy.

Sur quoi, Madame Friquet se plaît à lui reparler de Suzy. Elle lui avoue que la chienne avait changé ces derniers temps.

-Pauvre cocotte ! Les crises de rhumatismes l’avaient affaibli. Si vous saviez, le nombre incalculable d’infiltrations ?

L’inspecteur voudrait changer de sujet. Mais quelque chose dans l’expression de cette femme le dissuade. On dirait qu’elle a un scoop à lui annoncer. Alors il demande :

-Combien ?
-Une à deux par jour. -C’est beaucoup, non ?

-On ne pouvait pas faire autrement. La paralysie de ses membres inférieurs la faisait souffrir atrocement. Heureusement, le vétérinaire a augmenté la dose des anti-inflammatoires. Ce qui lui a permis de retrouver une certaine autonomie. Mais les crises sont devenues de plus en plus nombreuses. Vers la fin, aucun médicament ne pouvait la soulager.

-Qu’avez-vous fait ?
-Je n’ai pas voulu en parler au vétérinaire de peur qu’elle se fasse piquer….

Madame Friquet rit…. C’est mon mari qui s’en est occupé. Biscotte relève un regard chargé de haine.

-Je ne le supporte plus, Monsieur l’inspecteur.

L’inspecteur reste immobile dans le couloir, accroché aux paroles de Madame Friquet.

-Je le déteste.
-C’est pour ça que vous êtes venue au commissariat, n’est-ce pas ? -Oui, c’est exact. Chaque fois que je le regarde je pense à mon chien…

Biscotte entend la douleur de cette femme. Mais il a besoin de comprendre :

-Dites-moi tout ce que vous savez sur la mort de Suzy. Sur son traitement. Qui vous avait recommandé le nom du vétérinaire ?

Madame Friquet serre les lèvres, respire un bon coup et se met à parler.

-Oui, je suis au courant pour la mort du vétérinaire. La secrétaire m’a prévenu hier soir quand j’y suis passée.

-Connaissiez-vous le vétérinaire ?

-Pas vraiment. C’était un homme discret qui m’avait été recommandé par une de ses amies. Je suis venue régulièrement dans sa clinique pendant un mois. Ensuite mon mari a pris le relais. Je n’avais plus le temps avec toutes mes ventes de charité.

-Avez- vous remarqué quelque chose d’anormal ?

-Et bien…oui. Dès qu’on lui parlait du vétérinaire, Suzy montrait la laisse. J’avais l’impression qu’elle avait ressuscité. Et puis quelques semaines plus tard, elle est devenue agressive. Je me rappelle très bien…Je crois qu’elle n’était plus satisfaite de notre vie. Moi, non plus d’ailleurs. Mais est-ce une raison suffisante pour se faire tuer ?

Madame Friquet se tait. Le silence se prolonge quelques instants. Puis elle finit par reprendre le fil de la conversation.

-Elle a commencé par refuser d’avaler de la viande…Ma pauvre Suzy ne mangeait plus que des légumes bouillis…

-Des épinards ? dit Biscotte amusé. Il se rappelle qu’enfant, il avalait des épinards pour devenir un géant. Et puis les épinards contiennent du fer et le fer est conducteur…

-Oui, entre autres…Le plus dingue, c’est qu’elle continuait à ramener tous les soirs des canards de l’étang. Du coup, j’apportais le gibier à mon charcutier traiteur. Et un jour, il a voulu savoir mon secret. Car l’animal était propre. Le plumage resplendissant. Aucune trace de sang. A part une légère incision au niveau de l’œil. Technique connue par les plus grands cuisiniers pour récupérer le sang et faire ensuite une sanguette. Selon lui, il n’y avait rien de meilleur que du sang revenu aux petits oignons. Ainsi, ma chienne tuait le canard comme les grands chefs…

Biscotte refuse d’entrer dans son délire. Pourtant elle insiste :

-Pas plus tard que la semaine dernière, Suzy m’avait ramené des petits poussins…De jolis poussins jaunes vidés de leur sang…J’étais consternée… Jamais Suzy n’avait développé ainsi un instinct de chasseur. Par prudence, je l’avais enfermé dans la cuisine le jour d’une réception. Mais avant même l’apéritif, Suzy avait mordu le cuisinier sauvagement et déchiré la robe de la comtesse. Je me suis sentie tellement accablée que j’ai accepté de la garder en laisse jusqu’à la fin de la soirée.

Puis elle ajoute, comme si cette précision devait exclure toute contestation :

-Vous ne comprenez pas, Monsieur l’inspecteur, Suzy était une fille si gentille…J’allais même avec elle chez le coiffeur…

Biscotte la coupe net…Et lui demande :

-Avez-vous la liste exacte des médicaments ?
– Malheureusement, je n’ai jamais eu d’ordonnance. -Comment ça ?

-Le traitement se faisait sur place. Au fil du temps, Suzy était de plus en plus fatiguée. Mais j’avais entièrement confiance jusqu’à ce que je reçoive les cendres de mon animal….Alors je me suis rendue sur place. Et j’ai découvert

que Suzy n’y était jamais revenue au cours des dix derniers mois alors qu’elle était soi-disant contaminée par une source radioactive…

-Une source radioactive…murmure Biscotte d’une voix rêveuse.
-C’est en tout cas ce que prétendait le vétérinaire dans l’autopsie. Je vous le

répète : Suzy était contaminée.

Là, on peut apercevoir un éclair dans l’œil de l’inspecteur.

-Vous avez raison, si Suzy était contaminée, pourquoi les pompiers ne portaient pas leur masque et leur veste en caoutchouc ?

Biscotte s’interroge. Madame Friquet se tient à distance. Ce n’est pas le genre de flic dont on peut troubler impunément la réflexion. La tête alourdie par les révélations de l’enquête, il se ressaisit tout à coup.

– C’est ici la clef de l’enquête. Je pense que soit l’autopsie était bidon, soit on a caché une partie de la vérité aux pompiers.

-Où voulez-vous en venir ?

-Aux deux autres victimes précisément. Saviez-vous que les deux pompiers qui ont voulu secourir votre chien sont morts également ?

Madame Friquet l’ignorait mais elle ne semble pas vraiment affectée par cette nouvelle. Seule la mort de Suzy l’obsède.

-Vous pensez que la mort de Suzy serait liée à celle du vétérinaire ? Et que mon mari aurait tout manigancé, même la mort des deux pompiers ?

-Aux dernières nouvelles, votre mari a eu un accident grave qui l’a plongé dans le coma. Il semblerait que la mort du vétérinaire ainsi que celle des deux pompiers ont eu lieu bien après l’accident. Expliquez-moi comment il aurait pu faire pour les assassiner ?

Madame Friquet se raidit, consciente des implications d’une telle révélation. Puis se ressaisit en lui parlant des forces du mal :

-Je crois que vous ignorez que mon mari est un malade. Même dans le coma, il a pu commettre les pires atrocités.

Soudain, elle lui effleure le bras. Les doigts s’arrêtent quelques instants sur son veston. Biscotte est paralysé. Ce n’est pas une caresse. Mais sa main le serre si fort que son corps vibre des pieds à la tête. Biscotte recule d’un pas. (Mon Dieu, et si l’enquête n’était qu’un prétexte ! Et si Madame Friquet en pinçait vraiment pour lui….) Hypothèse confirmée par l’intensité de son regard. L’inspecteur se retient pour ne pas partir en courant.

Il ne faut pas se laisser envahir par la panique. (Dixit sa psy). Dès que quelque chose vous surprend, vous devez relativiser.

Alors Biscotte relativise. Il respire à fond et garde les yeux à la hauteur de son nombril. (Comme ça il ne voit pas sa tête !) C’est vrai qu’elle est bizarre mais c’est grâce à elle qu’il a cette enquête. Il reste ainsi quelques instants dans le couloir sans bouger. (Un mouton, deux moutons, trois moutons ! Devant Madame Friquet, Il garde les yeux grands ouverts…)

Puis, victoire, elle le salue.

-A bientôt, Monsieur l’inspecteur.

Biscotte ne voit pas ses larmes. Il s’en fiche.
-Evidemment, je ne tarderai pas à vous recontacter en fonction de

l’avancement de mes recherches.

Madame Friquet semble sombrer dans une méditation accablée sur la mort de Suzy, mais elle se reprend.

-Au revoir, Monsieur l’inspecteur…

Elle se redresse d’un coup. Son visage levé vers le plafond en devient hautain. Décidément. Il y a en elle un truc angoissant. Cette femme le regarde avec moins d’intérêt qu’une crotte de chien.