ROBERT NEUBURGER – AUTO-PSY DES COLLECTIONNEURS

Paru dans le Hors-Série Art de Technikart – 10/10/2008

Auteur du livre «Freud: collectionneur», le psychanalyste Robert Neuburger lève le voile sur la psyché érotomane et obsessionnelle des collectionneurs.

QUI SONT LES COLLECTIONNEURS ?
Robert Neuburger : Il existe en réalité deux types de collectionneurs aux comportements distincts. Il y a les accumulateurs, ceux qui vont collectionner des timbres, des cartes de téléphone, et dont le but est de perpétuellement compléter une collection qui n’est, par définition, jamais véritablement finalisée. De l’autre côté, on trouve des collectionneurs qui se situent, eux, dans un processus de recherche perpétuelle de l’objet exceptionnel. Ils tentent de capter quelque chose d’insaisissable de l’ordre du merveilleux.

 

A QUELLE PULSION RÉPOND CE BESOIN DE COLLECTIONNER DES OBJETS ?
A chaque type de collectionneurs correspond la satisfaction d’une pulsion différente. Les accumulateurs, ceux qui tentent de former un ensemble, sont mus par ce que l’on appelle les « défenses obsessionnelles ». Pour eux, l’acte de collectionner est une manière de maîtriser leurs angoisses autour d’un objet sur lequel ils ont le sentiment d’avoir une prise. On est là dans le fantasme d’un contrôle de sa vie mais également dans un jeu d’échange où l’objet sert de médiateur dans notre relation à l’autre.

 

ET POUR LES «CHASSEURS» ?
Eux sont dans une recherche d’excitation qui se situe dans un registre plus libidinal. C’est la même dynamique que celle du Don Juan, la recherche perpétuelle d’un objet ou d’une figure insaisissable qui ne sera, par essence, jamais à la hauteur de nos espérances. C’est une quête interminable car la frustration survient presque immédiatement une fois l’objet en notre possession. Pour autant, collectionner reste un bon traîtement de nos angoisses et un substitut intéressant dans un monde où notre nature de chasseur est totalement annihilée.

SAUF QUE LÀ L’ARGENT RENTRE EN JEU…
Le collectionneur entretient un rapport à l’argent un peu honteux qui est proche de celui du joueur. Il va ainsi souvent mentir sur la somme qu’il a dépensée pour acquérir un objet. Certains sont d’ailleurs dans un processus compulsif. C’est là aussi une réminiscence de la figure du chasseur qui ne veut pas revenir bredouille.

COLLECTIONNER RESTE UNE ACTIVITÉ MARGINALE. CETTE PASSION TROUVE-T-ELLE FORCÉMENT SES RACINES DANS L’ENFANCE ?
Oui, car il y a très peu d’individus qui, à 40 ans, se découvrent une passion pour les collections. C’est quelque chose qui éclot très jeune et que les marketeurs exploitent habilement avec tous ces jeux de cartes à échanger. Pour Freud, par exemple, qui était un grand collectionneur d’objets archéologiques, cette pulsion trouve ses origines dans son identification à Heinrich Schliemann, un archéologue allemand du XIXe siècle qui s’était mis en tête de découvrir la ville de Troie grâce aux écrits d’Homère et qui a, dit-on, découvert le trésor de Priam. Freud était passionné par cet homme et, comme lui, cette passion fait écho au fantasme de la chasse au trésor.

VOUS ÊTES VOUS-MÊME UN COLLECTIONNEUR D’OBJETS D’ARTS PRIMITIFS…
Oui, après une longue analyse, j’ai compris que cela remontait à mes grands-parents paternels. Eux-mêmes collectionneurs, ils ont été dépossédés de tous leurs biens par les nazis. Nous n’avions plus d’objets à nous transmettre de père en fils et là, j’ai l’impression d’avoir en quelques années reconstitué un grenier de famille pour au moins trois générations. La collection est une passion qui se nourrit de déterminantes très personnelles, très variables d’un individu à l’autre.

QUELLES RELATIONS LES COLLECTIONNEURS ENTRETIENNENT-ILS ENTRE EUX ? PEUT-ON PARLER D’UNE CONFRÉRIE DE NÉVROSÉS ?
La relation qui unit les collectionneurs est de l’ordre de la fraternité à laquelle vient s’ajouter un esprit de compétition féroce. En fait, ils ont en commun cette jouissance d’exhiber aux autres un objet qu’ils n’ont pas trouvé. C’est une lutte fraternelle à la dimension très phallique, un peu comme les enfants qui comparent la taille de leur pénis.

ET ENTRE LE COLLECTIONNEUR ET LE VENDEUR ?
Le vendeur est en quelque sorte l’ordonnateur des désirs du collectionneur. Quand on trouve un objet qui nous plaît, c’est une forme de jouissance très particulière, très érotique, qu’il faut dissimuler au vendeur pour ne pas voir le prix du bien en question augmenter instantanément. Joueur, le vendeur va volontairement mettre en retrait les objets qu’il sait intéressants pour que le collectionneur ait le plaisir de les découvrir. On peut penser qu’il est quelque part une sorte de mère maquerelle…

A LIRE: «L’ART DE CULPABILISER» (PAYOT). ENTRETIEN VINCENT COCQUEBERT