Paru dans le numéro 141 de Technikart – 24/03/2010
Ce que traduit la rumeur Benjamin Biolay-Carla Bruni sur la psyché du public, des journalistes et des politiques.
« Je refuse que cet entretien soit publié. Je vous demande donc de faire le nécessaire. » Pourquoi dans sa grande « rebellitude », le chanteur Benjamin Biolay nous a demandé expressément, en septembre dernier – par l’intermédiaire de sa productrice Béatrice Chauvin – de ne pas publier l’entretien qu’il venait d’accorder à Technikart pour la sortie de son album la Superbe ? Parce qu’il y proférait les mêmes insultes sur le président que le président lui-même quand il visite le salon de l’agriculture ? Parce qu’il se montrait déstabilisé par nos questions sur ses relations de séduction avec Carla Bruni-Sarkozy (« Plaît-il ? Avec la femme du président ? Mais qu’est-ce que c’est que cette question… »). Parce qu’il y parlait de son côté lover-boy à Saint-Germain-des-Prés en toute franchise (« Je suis juste un célibataire qui mène sa vie ») ? Ou tout simplement parce que c’est un chanteur en promo qui adore jouer les matadors de fin de banquet, mais qui s’inquiète toujours, au final, pour son image ?
Dans cet article, vous apprendrez trois révélations essentielles sur les journalistes, les starlettes, les politiques et, disons… la nature humaine : 1) le magazine Technikart, qu’on présente souvent comme la 7e compagnie des soudards de la hype, n’est au fond pas si méchant, ni infréquentable, puisque nous avons « trappé » cette interview pour ne pas chagriner davantage celui qui allait porter tous les espoirs de la chanson française. Vous ne la lirez pas plus aujourd’hui, à part ces quelques citations ci-dessus, dont le caractère « explosif » (si tant est qu’il y en ait un) ne repose en réalité que sur le fait que Biolay et son management aient souhaité et obtenu d’en censurer le contenu. Certains vont nous trouver hypocrites ou lâches, d’autres, nous soupçonner de vouloir en vendre les meilleurs passages à Closer… Ce n’est absolument pas le cas et vous allez comprendre pourquoi.
VEAUX 2.0
2) Une vedette à cheveux longs, quelles que soient ses dispositions sentimentales et sa propension au don-juanisme, peut très bien se retrouver malgré elle au cœur d’un règlement de comptes politique (pour ne pas dire une affaire d’Etat). Comme beaucoup de Français, Benjamin Biolay n’était pas le dernier à émettre des avis autorisés en privé (souvent chez Castel) sur le vaudeville perpétuel de l’Elysée. A-t-il pour autant mérité ce gigantesque costume de voleur de poules qu’on lui prête aujourd’hui ? Pas sûr.
3) La vérité sur la rumeur qui agite la presse étrangère et démange les médias français sur la love story supposée entre Carla Bruni et Benjamin Biolay d’un côté, et celle, aussi fantasque, entre la secrétaire d’Etat à l’Ecologie Chantal Jouanno et le président de l’autre, c’est qu’on nous prend en réalité pour des concombres ! Depuis quelques semaines, on nous parle (mal) comme si nous étions le peuple des veaux 2.0, nourris et intoxiqués de curiosité malsaine envers nos dirigeants, par une génération de reporters demeurés en baskets qui s’oublient sur le Net. « La rumeur, c’est la faute de Twitter, de tous ces trous du cul de bloggeurs qui écrivent n’importe quoi pour se faire mousser avec une main dans le pantalon, entend-on à longueur de journée. »
LA RUMEUR DE LA RUMEUR
Le problème, c’est que les ragots sur le quatuor érotique Biolay-Bruni-Jouanno-Sarkozy circulent en réalité depuis des mois dans les couloirs de Radio-Paris (environ cinq mille personnes qui blablatent à déjeuner et reblablatent dans les dîners) et portent la marque de la parfaite rumeur politique à l’ancienne : celle dont les auteurs et les colporteurs n’ont absolument plus l’âge de « twitter », sont bien souvent incapables d’envoyer un mail, et disposent encore parfois d’une assistante pour leur taper leur courrier.
Le paradoxe, c’est que dans cette affaire, les journalistes eux-mêmes jouent le rôle de pousse-ragots en cherchant à confirmer une information people à haut risque, ou tout simplement en posant des questions. S’ils en parlent entre eux (et on ne fait que ça depuis des semaines), c’est donc qu’ils savent, et s’ils ne disent rien, c’est donc que c’est vrai.
Selon nos informations, la rumeur de la rumeur, c’est que tout partirait des journalistes eux-mêmes, avant d’être court-circuités et instrumentalisés par différentes officines politiques qui préparent l’après 2012, sur fond de déstabilisation de l’adversaire (mais lequel ?).
Une réunion entre différents responsables de la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur) et des renseignements généraux (RG) aurait même eu lieu pour pointer les sources de deux paparazzi, ainsi que celles d’un mystérieux confrère qui aurait enregistré au moyen d’un stylo capteur-émetteur une conversation édifiante sur le Tarmac de Villacoublay au sein du couple Bruni-Sarkozy…
«FILLONETTE»
On se croirait dans un vaudeville d’espionnage avec Pimprenelle et Tatayé. Et pourtant, ce qui semble bien confirmé, c’est que ces prétendues informations – qui seraient passées entre les mains de la presse people – font en réalité beaucoup plus les choux gras des différents cabinets noirs de la République que des médias à sensation. Qui tire les ficelles d’un tel pataquès ? Les opposants du président ou la droite elle-même, au moment où la maison Sarkozy prend l’eau de toutes parts et que François Fillon devient un présidentiable incontournable ? A gauche, si l’on sait quelque chose, on est un peu débordés : « Ouh la la, moi, je n’ai rien à dire là-dessus, ça ne m’intéresse pas », nous a confié Benoît Hamon, le porte-parole du parti socialiste. Daniel Cohn-Bendit, la tête de liste d’Europe Ecologie et député européen, confirme à sa manière : « J’en ai rien à cirer de vos conneries. »
Mais à droite, c’est une autre paire de ragots. Les commentateurs les plus avisés notent même, avec un certain amusement, que les rumeurs ont débuté au moment où s’achevait l’affaire Clearstream et son lot d’intox à retardement. « Villepin, Sarkozy, Fillon, tous ont des vieux comptes à régler, résume un ancien proche de la Chiraquie. Il faut se souvenir de l’autre rumeur, encore plus lamentable celle-là, qui courait sur le Premier ministre plus de deux ans avant son arrivée à Matignon. Certains dans l’entourage de Sarkozy l’appelaient quand même… “la Fillonette”. » C’est sûr qu’on est loin du chanteur de Trash Yéyé et de ses égarements sentimentaux.
Un pro du scoop décrypte la rumeur
«L’ASPECT NAUSÉABOND DE L’ÂME HUMAINE»
Journaliste au «Point» et sniper du Point.fr où il balance des scoops sur le monde des médias, le très informé Emmanuel Berretta nous donne son avis sur l’historique du ragot politique. De Salengro à Sarkozy. Journaliste au «Point» et sniper du Point.fr où il balance des scoops sur le monde des médias, le très informé Emmanuel Berretta nous donne son avis sur l’historique du ragot politique. De Salengro à Sarkozy.
EMMANUEL BERETTA, L’AFFAIRE BRUNI-BIOLAY/JOUANNO-SARKOZY, VOUS EN PENSEZ QUOI ?
Je suis surtout assez effaré de constater la réaction des médias suisses et anglais qui se sont empressés de publier une info pour le moins hasardeuse. Parce que si on s’y arrête un instant, toute cette affaire démarre sur les simples commentaires d’un internaute publiés sur le blog abrité par le JDD.fr. Le fait est que ce post est resté en ligne un certain moment, puisque envoyé pendant la nuit en échappant ainsi à la vigilance du rédacteur en chef. Résultat, l’info a eu le temps de «twitter». Par la suite, le JDD.fr a signalé aux Suisses et aux Anglais que ce n’était pas le site à proprement parler qui avait révélé cette info. Les Suisses ont obtempéré, contrairement aux Anglais qui continuent à citer comme source le JDD.fr.
MAIS EST-CE VRAIMENT UN RAGOT OU UNE INFO D’UN MEMBRE DU CERCLE ÉLYSÉEN QUI AURAIT POUR VOLONTÉ DE NUIRE ? PARCE QU’APRÈS VÉRIFICATION, CE SIMPLE INTERNAUTE PARAISSAIT PLUTÔT BIEN INFORMÉ…
Cette information ou ragot relève de l’article 9 relatif à la protection de la vie privée en France. De fait, on ne peut en aucun cas s’aventurer sur ce terrain-là en la relayant. Mais depuis qu’Internet existe, cette loi est régulièrement contournée. On se trouve donc face à un vide juridique.
ET QUID DE CE FAMEUX POST ? A-T-ON ESSAYÉ DE CHERCHER D’OÙ IL PROVENAIT ?
Non, car les responsables du JDD.fr l’ont détruit dès qu’ils en ont eu connaissance. On ne peut remonter à sa source. C’est donc une atteinte à la vie privée du chef de l’Etat impunie.
SUR UN SITE A PRIORI AMI DU PRÉSIDENT, PUISQUE LE JDD.FR APPARTIENT AU GROUPE LAGARDÈRE…
Comme vous le dites, «a priori». Maintenant, je ne suis pas sûr que le «JDD», le groupe Lagardère et Nicolas Sarkozy soient aujourd’hui super copains… L’intéressant dans cette histoire, c’est que cela donne un avant-goût du climat dans lequel va se dérouler la prochaine élection présidentielle.
PLUS GLOBALEMENT, LE RAGOT A TOUJOURS FAIT PARTIE DE LA VIE POLITIQUE FRANÇAISE, NON ?
Oui, il y a eu Roger Salengro qui, dans les années 30, fut victime d’une campagne de presse d’extrême droite infâmante. En gros, des journaux, comme «Gringoire» notamment, l’accusait d’avoir déserté pendant la Première Guerre mondiale ou encore qu’il était gay. Face à la calomnie, il s’est suicidé.
PAR LA SUITE, IL Y A EU L’AFFAIRE POMPIDOU…
Oui, la fameuse histoire des ballets roses qui impliquait à la fois Claude son épouse et même Alain Delon, puisque ce ragot incluait la présence de son garde du corps. Je me souviens aussi de l’affaire Giscard qui aurait renversé en bagnole une laitière à 6h00 du matin. Et je ne vous parle pas des «love affairs» de Mitterrand et de Chirac…
OUI, MAIS MITTERRAND ET CHIRAC, C’ÉTAIT VRAI, NON ?
Oui, et ça ne gênait pas trop les Français, finalement. Mais à l’époque, Internet n’existait pas, ces choses-là se savaient dans le milieu.
LE TROTSKISME DE JOSPIN ET SON SUPPOSÉ ENTRISME AU PS ?
Là, pour le coup, ce n’est pas un ragot mais une vraie information dans la mesure où il existe une implication politique. Pareil pour Mazarine ou la francisque de Mitterrand.
PLUS RÉCEMMENT, IL Y A EU L’AFFAIRE DOMINIQUE BAUDIS OÙ, POUR LE COUP, INTERNET N’Y EST POUR RIEN.
Oui, c’est la télé qui a clairement pété les plombs. Canal+ et France 2, plus précisément. Souvenez-vous, cette histoire tenait sur les témoignages de prostituées soudoyées et de Jamel, un travesti qui affirmait être le fils caché de Michael Jackson.
LÀ, AVEC SARKOZY, ON ASSISTE CLAIREMENT À UNE ATTAQUE SUR SA VIRILITÉ.
Oui, on sombre dans le côté: «Tu es petit et moche, donc ta femme ne t’aime pas vraiment. Résultat, elle te trompe avec un jeune.» On est dans un aspect hyper nauséabond de l’âme humaine.
CETTE HISTOIRE, VRAIE OU PAS, «VICTIMISE» FINALEMENT NICOLAS SARKOZY. UN PEU COMME HILLARY CLINTON AVEC BILL. N’EST-CE PAS TOUT BÉNEF’ POUR LUI ?
Vous savez quoi ? Je pense que les Français s’intéressent aujourd’hui à ce que contient leur porte-monnaie. Toute cette mousse people, ils s’en fichent. Si encore ce ragot portait sur de l’argent, mais ce n’est pas le cas.
ENTRETIEN SYLVAIN MONIER
A LIRE SUR TECHNIKART.COM, LA SUITE DE NOTRE ENQUÊTE «L’HISTOIRE SECRÈTE DE LA RUMEUR».
OLIVIER MALNUIT (AVEC SÉBASTIEN BARDOS)