C’ETAIT LES ANNEES 2000

Paru dans le numéro 137 de Technikart – 27/10/2009

Société, médias, culture, sexe, politique, people…

La leçon de style
C’EST QUOI TON LOOK? Dans leur exhaustif «Dictionnaire du look», Géraldine de Margerie et Olivier Marty recensent une quarantaine de tribus apparues dans les années 00. On vous présente les neuf plus représentatives.
LE FLUOKID Dans son iPod_TTC, Hot Chip, LCD Soundsystem, The Klaxons. Son uniforme_Tee-shirts fluo oversized, sweet sérigraphié, leggings, hoodie, baskets pour le jump et le bounce. Et à part ça_Il (elle) passe des heures sur Internet, MSN ou MySpace et kiffe tout ce qui a trait au laser.
LA (LE) JAH JAH Son uniforme_Dreads, pantalon bouffant, poncho, bonnet péruvien, tabac Amsterdamer. Sa bande-son_Bob Marley, Noir Désir, le Peuple de l’Herbe, Manu Chao. Sa phrase_«Quel pays de cons. Quand je pense qu’à Kingston, on vit pieds nus.» Son avenir_Cracheur de feu semi-professionnel, prof.
LE NERD Il écoute_MC Frontalot (le rappeur créateur du nerdcore), les BO de «Star Wars», «Zelda» et «Final Fantasy». Son uniforme_Chemisette, pantalon court, sous-pull en acrylique, chaussettes fantaisie. Son idole_Bill Gates ou Steve Jobs selon son équipement perso. Ne pas confondre avec_Son petit frère le geek.
L’EMO Il (elle) écoute_Good Charlotte, Bullet For My Valentine, Drop Dead Gorgeous, Underoath. Il (elle) s’habille en_ Jean skinny, tee-shirt kawaï, gilet à capuche, bracelets (beaucoup). Sa phrase_«Emo, mwa ? tro pa, désolé :)» L’idole_Chris Carraba, ex-leader de Further Seems Forever.
LA KAWAÏ Son inconscient_Le monde est une émission de «Récré A2». Sa garde-robe_Total decora: cheveux teints, manches ballons, dentelles, piercings, une tonne d’accessoires, beaucoup de rose. Sa meilleure amie_Hello Kitty. Son pélérinage à elle_Rue Keller à Paris.
LE SKATER Sa musique_Le metal, le punk, le hip hop. Ses marques_Ethnies, DC Shoes, Van’s, Dvs, Quicksilver. Ses films_«Dogtown and Z-Boys» de Stacy Peralta, «Ken Park» et «Paranoïd Park» de Gus Van Sant. Sa particularité_Est monté sur un skate une fois en 2001. Ses mots à lui_Nollie, shovie, 3-6, flat, nose, grind, beer flat…
LE BOBO Son uniforme_Chemise Paul Smith, boots Margiela, jean APC, barbe de cinq jours pour les hommes. Vanessa Bruno, Isabel Marrant et tout ce que porte Charlotte Gainsbourg pour les filles. Dans son iPod_Alela Diane, Charlotte Gainsbourg, Air, Devendra Banhart, Vincent Delerm. Idoles_Bertrand Delanoë (avant 2005), François Bayrou (après), Daniel CohnBendit (forever). Son alimentation_Sushis et sashimi. Particularité_Marié avec des enfants aux noms compliqués.
LE BABY-ROCKEUR Ses groupes_Naast, BB Brunes, Second Sex. Son uniforme_Jean slim (April 77, Cheap Monday, Acné), boots vintage, veste Agnès b, mèche latérale. Godfathers_The Kinks, The Clash, The Stooges. Son problème_Confond squat et hôtel particulier. Ses particularités_Skater de juin à juillet 2006, passe son bac de français à Henri-IV.

«LE JEUNE MAÎTRISE SON IMAGE VIRTUELLE»
Pour Géraldine de Margerie, journaliste de 26 ans et co-auteur du «Dictionnaire du look», le jeune d’aujourd’hui serait le même que celui d’hier. En plus cynique et moins naïf.
GÉRALDINE, DANS TON «DICO DU LOOK», TU NOUS PRÉSENTES LE JEUNE DES ANNÉES 00 COMME UNE ENTITÉ A PART. EST-IL SI DIFFÉRENT DE CELUI DES ANNÉES 90 ?
Pour ce qui est de la mode, le jeune est davantage dans la continuité, le recyclage, que la rupture. Ceci étant, la mode n’est plus vraiment idéologique: le vêtement n’a plus véritablement de fonction politique comme c’était le cas dans les années 90 avec le nihilisme grunge, ou les années 80 avec le punk. Par ailleurs, je pense qu’Internet a considérablement changé les choses. Le jeune est désormais conscient de son image virtuelle. Il la construit, la maîtrise. En ce sens, il est loin d’être naïf.
QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE SUR L’ÉPOQUE ?
Que l’on est essentiellement dans une société du paraître, incroyablement narcissique. Une société où tout le monde veut être artiste. Une société staracademisée, mais aussi une société du second degré, détachée et cynique.
LE JEUNE D’AUJOURD’HUI EST-IL EN RUPTURE OU EST-IL LE REFLET DE LA SOCIÉTÉ DANS LAQUELLE IL ÉVOLUE ?
Je pense qu’il en est le reflet. Que ce soit les jeunes qui profitent du système où ceux qui le contestent par des actions de désobéissance civile, comme Jeudi noir, Génération précaire ou Act up, ils constituent cette société, reflètent ses acquis et ses dysfonctionnements.
CETTE DÉMARCATION, C’EST LE SYMBOLE D’UN MANQUE DE REPÈRES OU D’UN BESOIN DE RECONNAISSANCE ?
Un besoin de reconnaissance propre à l’adolescence, à la jeunesse, ce moment où l’on est en pleine construction identitaire.
A LA FIN DU LIVRE, TU PRÉSENTES LES MODES D’EXPRESSION DU JEUNE D’AUJOURD’HUI. FAVORISENT-ILS LE DÉCLIN DE LA LANGUE FRANÇAISE OU LA RENOUVELLENT-ILS ?
Comme tout nouveau langage, il enrichit le français, lui redonne un nouveau souffle et témoigne de l’imagination, de la créativité et de l’humour de la jeunesse. Je déplore simplement la trop lourde tendance à l’écriture phonétique, le déclin imminent de l’orthographe et l’appauvrissement de la forme grammaticale.
ET TOI, NIVEAU LOOK, TU TE SITUES OÙ, DANS TON DICO ?
Je suis une grosse bobo: je roule en PX, je bois du thé vert et je n’aime pas que mes habits soient trop neufs. Mais avant cela, j’ai porté foulards dans les cheveux et pantalons bouffants, et j’écoutais beaucoup de reggae. «Comme quoi.»
«LE DICTIONNAIRE DU LOOK, UNE NOUVELLE SCIENCE DU JEUNE» DE G. DE MARGERIE ET O. MARTY (ROBERT LAFFONT). 283 PAGES. 22 €. ENTRETIEN J.-C. BRIANCHON

Selector 00’s
IL S’EST PASSÉ QUOI, LÀ ?
2000-2010: en musique, en littérature, au cinéma, à la télé, dans les séries télé et les jeux vidéo, la révolution s’est faite doucement. Mais sûrement. Détails, zooms, analyses.
Musique
DÉCENNIE OF REFUSAL Milieu des années 90. Kurt Cobain laisse tomber, alors que triomphent les franges réactionnaires de la britpop et du hip hop. Nous n’avions pas le choix. Nous avons embrassé la cause électro. Surtout par goût (esthétique et politique). Aphex Twin, Goldie, Daft Punk, KLF, UR, LFO, Spring Heel Jack, Impulsion, un monde sonore nouveau explosait, nous avions choisi notre camp. Nous le jurions alors : nous ne possédions aucun groupe à guitares dans notre discothèque. Il fallait prendre parti. Quand sonne l’an 2000, la techno et la house ont plus de douze ans. Pour la plupart des artistes précités, leur âge d’or est derrière eux. Beaucoup disparaissent, à court d’idées, alors que la musique électronique est partout adoptée, par Radiohead et TF1, Bashung et Habitat, et par ce bon vieux rhythm and blues, rebaptisé R&B. Loi des cycles: un autre truc (jamais parti) revient. Le rock. Une nouvelle génération, bien fringuée, redonne un coup de peps à ce vieux machin. Ce sera donc ça, les années 00: la fin de la guerre des genres, du manichéisme obscur-génial / populairepourrave.
GRANDES CHANSONS S’il faut parler d’un retour, alors ce sera de celui des grandes chansons, qu’elles viennent des White Stripes ou de Poni Hoax, de Missy Elliott, Crystal Castles, Sébastien Tellier, Blonde Redhead, Aaliyah, Grandaddy, Liars, Alicia Keys, Johnny Cash, Ellen Allien, Eminem, Baxter Dury, Madonna, Hot Chip, Morrissey, Spiritualized, The Raveonettes, Depeche Mode, Hercules and Love Affair ou Albert Hammond Jr, etc, etc.: une décennie emplie ras-le-slim de morceaux faramineux, d’albums d’ores et déjà classiques. Toutes les semaines, des nouveautés excitantes ou bouleversantes ont atterri dans nos iPod. Reste qu’un nouveau genre musical, à la fois novateur et fédérateur, subversif et esthétique, n’a pas explosé. Pourquoi ? Parce qu’un tel boom relève désormais du fantasme. En un demi-siècle d’histoire, la pop culture a bien enfanté une poignée de mouvements prenant leur source dans la musique, érigeant un mode de vie en corrélation. C’est toujours le cas, mais l’entrisme remplace les coups d’éclat – les mouvements des 90’s, grunge ou French touch, n’ayant pas eux-mêmes radicalement changé la société.
À BAS LA MÉDIOCRITÉ La pop music, medium artistique le plus important de la seconde moitié du XXe siècle, n’a cessé de foncer tête baissée. Mix de rébellion et de consumérisme, elle solde aujourd’hui les années postmodernes en se reconcentrant sur l’esthétique, à la recherche de son innocence perdue. Le tout-accessible de la révolution web 2.0 développant boulimie et curiosité, un tri s’opère. Non aux arnaques du folk décoratif et de la nouvelle chanson française, de la fashion girouette et des bouses industrielles. Si le rock, intégré à tous les niveaux, a perdu de son pouvoir séditieux, il n’en reste pas moins le reflet de la vie. Si, contrairement à nos confrères, nous n’avons jamais défendu la musique de Carla Bruni, Julien Doré, Placebo, Camille, Devandra Banhart, Olivia Ruiz, Norah Jones, Fleet Foxes ou Cali, c’est aussi parce que celle-ci véhicule une idéologie (petite-bourgeoise, trashbio, narcichic) qui nous colle la chiasse. Trop de barrières sont tombées pour se coltiner de la médiocrité. C’est le paradoxe des années 00: une décennie de mise à plat avec pléthore de cimes. Parallèlement à la décapitation des majors, un monde nouveau s’est construit, nous avons choisi notre camp. Nous le jurons: nous ne possédons aucun groupe décoratif dans notre discothèque. Il faut prendre parti.
BENOÎT SABATIER

Cinéma

2010, L’ODYSSÉE CONTINUE ?
La première particularité des années 00, c’est qu’elles viennent après les années 90. Ces bonnes vieilles 90’s où McTiernan réalisait encore un «Die Hard», Cameron, un «Terminator», et Tarantino ou Kitano, de bons films. La seconde, c’est qu’elles précèdent les années 10 où, paradoxe presque temporel, tout le monde s’attend à ce que les compteurs soient remis à 00. En clair, elles sont «entre», à mi-chemin, un pied hier, un pied demain: charnières. A bien y réfléchir, depuis les années 40 (pour cause de guerre), 50 (pour cause de rock’n’roll), 60 (pour cause de Viêtnam) et 70 (pour cause de Spielberg), le cinéma a eu tendance à avancer par tranches de dix ans à cheval sur les décennies. Fait à mi-parcours, à la fin 2004, ce même bilan aurait donné quoi ? C’était l’essor triomphal du DVD, la Corée du Sud et le Japon remplaçaient Hongkong sur la carte du cinéma populaire asiatique, Aronofsky, Richard Kelly ou Night Shyamalan n’avaient pas encore eu le temps de décevoir, Alfonso Cuaron («Fils de l’homme»), Lu Chuan («Kekexili»), Andrew Dominik («l’Assassinat de Jesse James»), de nous sauter au visage. Mince, même Judd Apatow n’avait pas encore réalisé le moindre film. Tout était encore un peu comme avant, rien n’était encore tout à fait comme maintenant, Fincher, Audiard ou Pixar faisant office d’invariants et d’exceptions. C’était il y a bien longtemps, au cours de cette même décennie: avant le très haut débit, les fichiers MKV (format des Blu-ray piratés), avant les séries télé mieux que le cinéma, la 3D mieux que le cinéma, les jeux vidéo mieux que le cinéma. A ce qu’on dit.
TONNES DE FILMS C’est donc la crise, et plus rien ne va, à part le public dans les salles. Et c’est là le paradoxe n°1. La crise existentielle du cinoche con temporain, le fait que son modèle industriel ait rarement été aussi secoué, le fait que le cinéma d’auteur Femis soit mort et enterré, que le cinéma de Hongkong soit un joli souvenir ou que l’ère des beaux blockbusters ressemble à une fable racontée aux enfants avant qu’ils se couchent, n’empêche pas le public de payer entre 6 (avec carte) et 10 (avec une bonne dose de stupidité) euros pour aller voir… des tas de trucs. Moins cher qu’une pizza, moins cher qu’un théâtre, moins cher qu’un concert, moins cher qu’un verre en boîte, moins cher qu’un Coca en terrasse, le cinéma est redevenu le loisir des masses, des familles, des pauvres et des gamins, comme avant, comme toujours, comme il se doit. Fort de ce fonds de commerce incomparable et de sa dé-boboïsation, il peut voir loin, et même au-delà des brumes qui cachent l’horizon. Des films, grands et petits, beaux et laids, il n’y en a jamais eus autant. Et même des caisses de chefs-d’œuvre («Master & Commander», «Il Divo», «Morse», «la Cité de Dieu…), en attendant le feu d’artifice final du 16 décembre 2009, où «Max et les Maximonstres» de Spike Jonze et «Avatar» de James Cameron se chargeront de tirer le rideau. Cameron, tiens, on a longtemps pu croire qu’il allait éviter la décennie, comme si elle ne méritait pas de figurer dans sa filmo. In extremis, son film-révolution y plantera finalement son drapeau. Preuve que les années 00 en valaient la peine. Ou signe définitif que la fin 2009 n’est qu’un milieu de guet. On refait les comptes en décembre 2014 ?
LÉO HADDAD
Séries télé
DIX SAISONS PRÉFÉRÉES
«Friends», c’était il y a dix ans. Enfin, si on veut. Si les aventures «Gen X» de Chandler et les autres appartiennent définitivement à la décennie passée, on a un peu tendance à oublier que la série s’est achevée en 2004 sur l’image symbole des six New-Yorkais quittant l’appartement vide de Monica. Il y a cinq ans, donc. Presque hier. Difficile à concevoir tant le paysage télévisuel a changé. Les rires enregistrés, déjà, sont un lointain souvenir. Et qui regarde encore des sitcoms filmées en public dans des décors de living room ? En vérité, et ses fans le savent pertinemment, «Friends» n’a pas vécu avec nous les années 2000: elle s’y est cachée pour mourir. C’était fini, quoi: les caméras sortaient de leur socle, se mettaient à bouger, et Larry David brisait le quatrième, le cinquième et le sixième mur. Les 00’s, c’est l’instant où la télévision est devenue postmoderne, oscarisable, brillante, essayiste, ambitieuse, démesurée, archiconsciente d’elle-même. Oh, et mondiale bien sûr, téléchargeable, coffretisable en DVD, à volonté et à loisir. Jusqu’à la naissance d’une rubrique «séries télé» dans ce magazine. Du reste, hormis la baie de Manhattan, les séries sont peutêtre l’endroit où les ruptures esthétiques et culturelles sont le plus marquées au croisement du millénaire.
LE CHOC «THE OFFICE» Le choc inaugural ? Le point de non-retour ? Sans doute le pilote de «The Office» en 2001: les regards caméra obliques de Ricky Gervais s’avéraient presque impossibles à soutenir. A partir de là, plus rien ne fut pareil, et tout fut pour le mieux. 2001: «The Office». 1999: «les Soprano». «Friends», «Urgences», «Ally McBeal», «X-Files» et «Buffy» avaient pavé le chemin, ils étaient maintenant priées de s’éclipser. La révolution est venue du câble américain, et c’est peu de dire qu’on l’a senti passer. HBO, trois lettres, deux chefs d’œuvre «for the ages», un conte de fée artisticomédiatique sans précédent: «les Soprano» et «The Wire». Mais aussi «Oz», «Curb your Enthusiasm», «Sex And the City», «Band of Brothers» et «Deadwood» (saison 1). Ces séries ont innervé l’industrie et donné à d’autres câblées balbutiantes (FX, Showtime, AMC) le goût du risque, du dépassement, de la créativité et de l’extrême, pour le meilleur («The Shield», «Dexter») et pour le pire («Nip/Tuck», «Dexter»). Par un effet d’émulation inouï, la télévision de networks (l’équivalent de nos chaînes hertziennes) s’est laissée corrompre à son tour, gagnée par le mélodrame et le genre, se donnant parfois des airs «plus câblée que les câblées», de «Desperate Housewives» à «Arrested Development» en passant par «Lost», feuilleton suprême. On se félicite d’avoir été là, témoin de ces réactions en chaîne, de ce bouquet magnifique. Ailleurs, la Grande-Bretagne a prouvé qu’elle n’avait toujours besoin de personne et dénicha avec «Doctor Who» son plus grand phénomène national depuis… «Doctor Who». Même le vieux cadavre français a donné des signes de vie, en soi un incroyable signe de vie. Age de maturité ou d’or massif, appelez ça comme vous voulez, mais on y était. Et si la crise identitaire que traverse Hollywood nous transforme ces temps-ci en enfants gâtés-grincheux, c’est normal, après tout: comment se remettre de «ça» ?
BENJAMIN ROZOVAS
Télévision
NÉVROSES À TOUS LES ÉTAGES Pour ce bilan média de la décennie, moi utiliser style télégraphique, car manque de place. D’abord, avènement de la télé-réalité, qui a contaminé tous les genres, du documentaire au journal télévisé. D’où inversion totale de perspective: comme l’avait pressenti Baudrillard, ce qui est censé être réel doit être impérativement storyboardé et encadré par un dispositif. Au-delà, c’est le grand désert (et surtout le grand sacage). S’ensuit une décennie qui voit naître une industrie de la révélation à la chaîne où on hypnotise les gens en leur expliquant qu’on les prend pour des cons et que le système repose sur un enfumage généralisé («Ah ben ça alors, t’entends chérie ?!»). La tautologie comme anesthésiant, il fallait y penser. Dans le même temps, la sphère audiovisuelle est victime d’un bug spatio-temporel qui catapulte une partie de ses grilles de programmes dans la passé: «Roue de la fortune», «Une famille en or» et «Tournez manège» signent l’avènement de la télétapioca. Sur cette période tourmentée, plane la figure tutélaire de Jean-Luc Delarue dont la trajectoire à la Icare a, seule, l’épaisseur du mythe antique. Alors que les animateurs télé semblent engagés dans une inquiétante course à la normalité, JLD incarne à lui seul (bon, ok, y a aussi William Leymergie et Christophe Hondelatte) la névrose de tout un système, ce qui nous le rend plutôt sympathique. Autre fait marquant: la chute de l’empire TF1, qui a foiré le virage de la TNT et accumulé les décisions à la noix, rendu ivre par sa propre puissance sans contrôle. La perte d’influence du mastodonte poujado-trash marque également l’entrée dans une ère bi-média. Aujourd’hui, on regarde la télé avec un œil sur l’ordinateur. En mettant en lumière des faits particuliers (le plus souvent des clashs fabriqués de toutes pièces) et en diffusant des images volontairement censurées (par exemple les douches de «Secret Story»), Internet se met à fonctionner comme un véritable inconscient télévisuel. Tel un nouveau Docteur Freud, Jean-Marc Morandini invente une thérapie transmédiatique où les embrouilles d’ici font les audiences de là, et vice-versa, sans qu’on sache vraiment si le patient a l’espoir d’aller mieux. Ajoutons que ma télé marche de plus en plus mal en raison d’une prise d’antenne foireuse et d’un décodeur TNT qui ne décode pas grand-chose. Voilà, c’est fini.
NICOLAS SANTOLARIA
Livres
LES ANNÉES BORGÉSIENNES Avant de tenter un bilan, il faut toujours se rappeler cette pensée digne de maître Miyagi dans «Karaté Kid»: «Il n’y a pas de classement de l’univers qui ne soit arbitraire et conjectural. La raison en est très simple: nous ne savons pas quelle chose est l’univers.» Cette phrase, extraite de «l’Immortel» de Jorge-Luis Borges, pourrait symboliser les années 2000 en littérature, tant en raison de l’auteur que du contenu de la citation. Oui, nous avons vécu une décennie borgésienne – et si l’écrivain a quitté ce monde en 1986, son fantôme est plus présent que jamais. Il n’y a qu’à regarder l’émergence du clan disons «latino» de ses disciples qui se sont réellement imposés. Du maître espagnol Enrique Vila-Matas aux Argentin Alan Pauls («le Passé») et Rodrigo Fresan («Mantra»), les disciples ont su transmettre la leçon du génie de «Fictions»: des histoires fantasques, des mises en abyme, une leçon d’élégance, une théorie jamais tuée par la poésie (et inversement) sans oublier un art de la mystification. Le meilleur exemple de cette explosion créative enfin reconnue: le triomphe aux Etats-Unis du génial «2666» du Chilien décédé Roberto Bolaño, pavé conceptuel de mille pages autour de la tragédie de Ciudad Juarez. De quoi ridiculiser les cartons français de Marc Lévy, Guillaume Musso ou Amélie Nothomb – même si les années 2000 ont vu l’émergence d’un grand nom, Régis Jauffret (voir page 54) le plus borgésiens de nos écrivains, et ses «Microfictions», un clin d’œil ? Justement, dans l’Hexagone, l’éclatement des courants (des individualités, aussi) littéraires a des airs de mosaïque borgésienne: des vieux maîtres mélancoliques ont signé de grands textes (Modiano, Michon, Echenoz, Schuhl, Houellebecq), l’autofiction tient encore le coup (Carrère), des jeunes plumes n’ont plus de complexe à se coller des sujets costauds (Garcia, Littell, Mauvignier), un post-Nouveau roman toujours passionnant (Toussaint, Volodine) et la vitalité littéraire se la joue désormais vraiment world. Mêlant politique, amour, poésie, économie et littérature, le «Cendrillon» d’Eric Reinhardt illustre admirablement cette effervescence, cet éclatement. Un peu comme, chez les Anglo-Saxons, avec «Lunar Park» de Bret Eatson Ellis et l’expérimentale «Maison des feuilles» de Mark Z. Danielewski.
FICTION ET NON-FICTION D’ailleurs, le «cousin germain» de Borges, Thomas Pynchon, illustre bien cette période riche en terme de créativité. Si «Tom Tom» a signé deux romans pharaoniques («Mason & Dixon» et «Contre-jour»), la posture de cet auteur mystère, mythique et mystique s’avère fondamentalement borgésienne. On ne sait rien du bonhomme, alors existe-t-il ? Le jeu va dans ce sens avec deux autres textes qui soulevèrent la polémique sur la différence entre «fiction» et «non-fiction»: «Sarah» de J.T. Leroy (aka Laura Albert, voir page 88) et «Mille Morceaux», faux récit et vrai roman de James Frey. Dans «l’Immortel», notre ami de Buenos Aires ne disait rien d’autre: «Nous accueillons facilement la réalité, peut-être parce que nous soupçonnons que rien n’est réel.»
BAPTISTE LIGER
Jeux vidéo
NE PLUS AVOIR PEUR DE JOUER Toute l’histoire du jeu vidéo des années 70 aux années 00 peut se résumer en une course effrénée vers l’avant: en plus des chiffres mirobolants attestant de sa fulgurante réussite (rappelez-vous de cet raccourci favori des médias : «Le jeu vidéo a dépassé le cinéma»), ce média s’est longtemps laissé emporter par la toute puissance de sa technologie, remodelant sans cesse son visage et ses horizons possibles. Et puis, les années 00 sont arrivées et le game designer anglais Peter Molyneux a eu ce triste constat: «Aujourd’hui, un énorme blockbuster se vend au alentour des treize millions d’exemplaires. Je faisais pareil avec “Populous” au début des années 90. Si nous séduisons toujours les mêmes personnes, c’est un affreux échec, non ?» Le jeu vidéo reste une culture étroite en terme d’audience: geeks, ados, jeunes adultes, mecs. Il faut se remettre en question. Nintendo a fait son analyse dès 2001 et sorti coup sur coup la DS et la Wii, soit deux consoles suivant le même concept: technologiquement à la bourre sur leurs rivales (hérésie dans ce milieu) et basées sur des jouabilités éloignées du classique pad à douze boutons (un écran tactile, une télécommande à reconnaissance de mou-vements). Soit les deux consoles les plus vendues de la décennie, avec un tombeau de hits et surtout, une frange gigantesque de gamers qui se révélaient jusqu’alors plus effrayés que contre le jeu vidéo. On les appelle aujourd’hui les casual gamers. Ce coup d’éclat nippon reste cependant une exception, tant le jeu vidéo s’est tourné vers l’Occident. Car si le Japon a toujours été considéré comme la Mecque de l’industrie, les générations de game de signers, de développeurs européens et américains, élevés dans l’idolâtrie des Capcom, Square et autres Konami, se sont émancipés. En négociant mieux le virage majeur de la 3D dans les années 90, ils se sont emparés des commandes: en 2008, les trois plus grand éditeurs du monde s’appellent Electronic Arts, Activision/Blizzard et Disney. Et une bonne part de leur croissance vient également du casual gaming. La licence «The Sims» (plus de cent millions d’exemplaires), les jeux musicaux comme «Guitar Hero» (un milliard de dollars de revenus début 2008) ou le hit «God of War» (Sony US, cité en référence par tous les grands game designers japonais) en sont la preuve flamboyante: à l’ouest, il y eut du nouveau.
LÂM HUA

Selector 00’s
AND THE WINNERS ARE… Dans le foisonnement culturel d’une décennie compliquée, ils nous ont émerveillés, amusés, dérangés. Hall of world class.
LE PALAIS DE TOKYO Le voisin du musée d’Art moderne s’est imposé comme le nouveau vaisseau de la programmation et de l’expérimentation artistique. Envié un peu partout en Europe, il a survécu au départ de Nicolas Bourriaud et à son remplacement par Marc-Olivier Wahler.
TELEVISION PERSONALITIES L’indie, nouveau mainstream (Franz Ferdinand, Arctic Singes): bof. L’indie, retour de flamme (TV Personalities, Wedding Present) et nouvel underground (Dondolo): yep.
WILL WRIGHT En créant les Sims, sommet de son travail sur la simulation de vie («Sim City», «Sim Earth», «Sim Life»…), Will Wright n’a pas juste offert à l’Occident son premier hit global : il a changé l’état d’esprit des game designers tout au long de cette décennie.
LARRY DAVID On a su qu’on l’aimerait pour toujours lorsqu’un Corrado Soprano sénile a cru se reconnaître en lui au détour d’un épisode de «Curb your Enthusiasm». Fait partie de nos vies aussi.
DAVID FINCHER Le cinéaste le plus fort du monde quand Cameron fait du tuba. Palmarès 00: l’expérimental «Panic Room», l’abstrait «Zodiac» et le surréaliste «Benjamin Button». Bravo.
WILLIAM T. VOLLMANN Ce géant touche à tout est passé d’un gros roman de guerre («Central Europe») à un essai sur la pauvreté («Pourquoi êtes-vous pauvres ?») et un recueil sur la violence («le Livre des violences»). He’s great.
SÉBASTIEN TELLIER Lui et Poni Hoax, Mirwais, les Shades, M83, Alister, Koudlam: ils tous ont maintenu la France au top de la carto mondiale. La French touch n’aura pas été un feu de paille.
«INCASSABLE» Toute la carrière de M. Night Shyamalan est compactée sur les dix dernières années. Et ce film en est la crête pop, réinscrivant la mythologie su perhéroïque dans une philosophie de la surhumanité.
THE STROKES Ils ont sonné le retour du rock et leur hype a fièrement tenu la distance. Dans leur sillage, The Libertines, The White Stripes, Liars et No Age ont assuré des coups d’éclat.
MICHAEL MANN En plus de produire du lourd («le Royaume»), Mann a signé la moitié de sa filmo dont «Révélations», «Ali», «Collateral» dans les seules 00’s. Et en a réinventé l’esthétique.
ROBERTO BOLANO Le Chilien est décédé en 2003, juste au moment où il commençait à être reconnu. Et c’est de manière posthume qu’on s’est pris dans la face «les Détectives sauvages» ou «2666». RIP, Roberto.
«LES SOPRANO» «La Recherche du temps perdu» en Tacchini, et nos vies qui se confondent avec la leur. Puis Chase coupe le courant et la nuit tombe sur le New Jersey. Putain d’écran noir.
GREEN VELVET Pertes et profits: The Streets, Gold Chains, Programme, Isolée, Hot Chip, Little Annie, Antony, Bright Eyes, Metro Area, Animal Collective, Moodymann…
«UN PROPHÈTE» Ce film de Jacques Audiard (2009), c’est comme l’heure: avant lui, c’était pas lui, après lui, ce sera plus lui. Un film inouï qui réussit tout ce que le polar et le cinéma français ont raté pendant dix ans.
ALAIN MABANCKOU Quand le Café de Flore laisse la place au troquet de «Verre cassé». Avec Marie Ndiaye (entre autres), Mab’ incarne le symbole de ce renouveau salutaire dit «francophone». Et, bonne nouvelle, qui s’exporte.
JOHNNY CASH Et Michael Jackson, George Harrison, Scott Walker, Dylan, Brian Eno, Christophe, Ian Curtis, Morrissey: qu’ils aient ou non cassé leur pipe, les héros ont été glorifiés.
BERNARD STIEGLER Le parti de gau che qui embrassera cette pensée d’une «politique industrielle des technologies de l’esprit», capable de fonder une écologie du désir, remportera la mise.
SHIGERU MIYAMOTO Le père du jeu vidéo moderne («Mario», «Zelda») a réussi à le réinventer en supervisant le concept de la Wii et de ses premiers jeux, attirant ainsi des millions de nouveaux gamers. Vivement 2020.
RÉGIS JAUFFRET En dix ans, l’oncle Régis a multiplié les prouesses, dont six cents pages sur un gigot qui cuit («Univers, univers») et cinq cents nouvelles de deux pages («Microfictions»).
CYPRIEN GAILLARD ET LES FRANÇAIS Les actions radicales de Cyprien Gaillard (photo), la science-fiction conceptuelle de Loris Gréaud, l’envoûtement vidéo de Laurent Grasso et la sculpture néoformaliste trempée dans la culture pop de Lili Reynaud-Dewar, Wilfrid Almendra, Patrice Gaillard & Claude et Dewar & Gicquel… L’art français nous fout de moins en moins la honte.
DAFT PUNK De l’anonymat au repli. Survivant de l’hécatombe 90’s, le duo s’est imposé comme modèle en tenant avec panache sa contre-programmation (l’art contre la culture people).
«WORLD OF WARCRAFT» Apparu en 2004, le jeu de rôles massivement multijoueur du studio américain Blizzard compte aujourd’hui douze millions d’abonnés dans le mon de. Et chacun y a trouvé son compte: course au level, compétition, guerres ou flirts en ligne. La première vraie nation virtuelle.
«99 FRANCS» Le bestseller de Beigbeder re présente l’entrée de la culture «Tech» dans une littérature française grand public avec, pour ambassadeur, un loustic qui a confirmé son talent d’écrivain.
«MASTER AND COMMANDER» La réinvention par Peter Weir d’un cinéma noble, cultivé et suprêmement ambitieux, dans le sillage duquel s’engouffreront «Jesse James», «There Will Be Blood» et autres. Essentiel, oui.
JONATHAN BLOW Chroniqueur et conférencier réputé de la scène edgy du jeu vidéo, l’Américain a fait exploser la scène indé avec «Braid» (2008), son jeu aussi personnel que ludique. On attend fébrilement «The Witness», sa prochaine sortie.
«REQUIEM FOR A DREAM» On aurait juré que les années 2000 appartiendraient à Darren Aronofsky et/ou lui ressembleraient. Mais non, ce film tuant (2000) est resté un OVNI, un îlot, une exception. Et un repère indispensable.
«THE OFFICE» Faire entrer en douze épiso des et quatre murs d’un décor de bureau une carto détaillée de l’humanité. Mais comment fait-il ? Ricky Gervais est Dieu.
PAUL JORION L’économiste qui avait prévu la crise des subprimes sait exactement comment réformer le capitalisme financier pour le soulager de son venin pervers. A lire sur son blog.
PIXAR C’est-à-dire, bon, ils n’auraient fait que les courtsmétrages projetés avant leurs films, ils mériteraient déjà d’être cités dans ce hall of class décennal. Alors, si on compte les longs…
AMY WINEHOUSE Couple doué et charismatique avec Doherty. A l’heure du tout-ta bloïd, elle devient un peu crevante. Le trash au service du star system.
«THE WIRE» Un ancien journaliste et un ex-flic kaléidoscopisent Baltimore pour y faire entrer l’Amérique, le monde, et la vérité, toute la vérité. Le grand roman US, lu à la télé.
ROCKSTAR NORTH La fierté de l’Ecosse, ce ne sont plus ses hommes sans culottes, mais ses jeux ultracouillus. En lançant en 1997 «GTA» comme un pavé dans la mare, le studio a atteint une vraie dimension pop tout au long des 00’s: sexe, argent, violence, scandales et talent fou. Yeaaah !
«LA MEILLEURE PART DES HOMMES» Il a fallu un jeune Normalien, Tristan Garcia, pour offrir ce roman-bilan des 90’s qui, en fin de compte, nous parle en miroir de la perte des illusions des années 00. Un bouquin pas parfait, mais un taf déjà énorme.
MEHDI BELHAJ KACEM Avec son épique dialectique du vide et de l’événement, «l’Esprit du nihilisme» achève le postmoderne et s’impose comme «l’Etre et le Néant» de notre génération. Pas moins.
«LA CITÉ DE DIEU» Le clivage docu/clip abattu en 2002 d’une balle dans la nuque, l’invention d’un world cinema à la sudaméricaine qui fera traînée de poudre (les Mexicains !). Fernando Meirelles et Katia Lund sont simplement géniaux.
«LUNAR PARK» A chaque décennie, Bret Easton Ellis marque l’esthétique de son époque. Après «Moins que zéro» (80’s) et «American Psycho» (90’s), il réussit à condenser toute la littérature des années 2000, de l’autofiction au fantastique post-Stephen King.
VIRGINIE DESPENTES L’auteur de la (King Kong) théorie féministe la plus juste des 00’s se fait rare et c’est dommage: sa perspicacité d’esprit et sa générosité d’être sont précieuses.
«LOST» Un galion, un docteur je-sais-tout, un ours polaire et une saloperie de trappe sont sur une île déserte… La suite s’écrit encore, et on est toujours là pour la voir.
LCD SOUNDSYSTEM Face au protectionnisme satisfait de l’électro branchée, James Murphy et son label DFA ont opposé de grands albums. Une musique sans enjeu ni portée. Juste puissante.

Le A to Z
LES DISPARUS DE L’AN 2000 Chevènement, le compact disque, IAM, Napster, l’esprit Canal, «Ou quoi ou qu’est-ce»… Les années 00 ont été impitoyables avec ceux qui n’avaient pas le niveau. On vous rafraîchit la mémoire de A à Z.
AMIS Dans les siècles précédents, un ami était quelqu’un avec qui on allait au musée ou au bordel et qui pouvait être té moin à notre ma riage. Les 00’s l’ont avantageusement remplacé par le « friend » dont on ne connaît pas forcément le visage, mais que l’on possède en général par centaines. Notez que contrairement à un ami, jamais un friend ne vous décevra.
BOY’S BAND FRANÇAIS La récente mort de Filip nous a appris, grâce à d’innombrables reportages télé, qu’une petite armée de trentenaires lookés, bodybuildés et issus des G-Squad, 2B3 et autre Alliage était prête à animer tout gala en attendant un improbable come-back. J
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT « Le troisième homme » nécessaire au suspense de toute élection a disparu du Chevènement. paysage à la suite du choc du 21 avril 2002 (1. Chirac. 2. Le Pen… 6. Chevènement). Aujourd’hui, « JPC » est redevenu président de son mouvement républicain et citoyen. Apparemment.
DISQUE COMPACT Petit objet circulaire vendu à 942,5 millions d’unités en 2000. En 2009, l’objet est toujours prisé des lecteurs de Mojo et des fans de Cabrel, Farmer ou Indochine.
L’ESPRIT CANAL Mordant, foutraque, génial. La date exacte de son décès est encore sujette à controverse : Gaume et Dugeon à Nulle Part Ailleurs ? Keren Ann braillant le Thierry Dugeon. Talking About Revolution de Tracy Chapman pour protester contre l’éviction de Lescure ? Aujourd’hui remplacé par l’esprit de famille avec Groland, Denisot, Action Discrète ou Bruce « midi à quatorze heures » Toussaint.
LE TELEPHONE FIXE C’est l’appareil recouvert de poussière et de cérumen incrusté qui trône sur la commode de l’entrée. Quand il sonne, vous avez l’impression d’être en 1996, vous décrochez et dites mécaniquement : « Allô ? » sans jamais avoir compris la signification de ce mot tandis que votre cortex vous ordonne un : « T’es où ? » saugrenu. Reste utile quand votre grand-mère ou K par K veut vous joindre.
GAUCHE PLURIELLE Vieux rêve du parti socialiste rendu caduc par les refus successifs de Besancenot, l’envolée des Verts et l’imprévisibilité maboule de François Bayrou.
IAM Le 14 mars 2008, nos Marseillais préférés – après Corti et Morandini – fêtent leurs vingt ans de carrière en donnant un concert au pied des pyramides de Gyzeh devant trois pelés et un tondu.
LIONEL JOSPIN En 2002, l’homme qui valait 16% explose en plein vol et commet une autolyse publique spectaculairement déplacée (« Je me retire de la vie politique », cris de femmes dans l’assistance). « Comment Lionel Jospin a-t-il fait pour perdre la présidentielle de 2002 ? » apparaît désormais au panthéon des questions insolubles aux côtés de « Qui a tué JR ? », « Pourquoi dit-on “allô” ? », « A quoi ça sert que les kamikazes portent des casques ? », etc.
LA CULTURE LADS Très « Angleterre 90’s », ce culte du mâle à son plus beauf n’a pas réussi le virage 00’s : Entrevue n’est plus, les masculins bas de gamme survivent péniblement et Cauet n’a plus droit à sa Méthode sur TF1.
MÉMOIRE Fonction très en vogue dans les siècles précédents, la mémoire a connu depuis dix ans une grosse baisse de cote : « J’arrive, t’es à quel numéro, déjà ? Je te rappelle en bas pour le code » ; « Désolé, j’ai oublié ton anniv’ mais j’avais plus Internet » ; « Comment tu t’appelles, en fait ? Ah oui, on est friends, non ? »
NAPSTER Site qui incarnait le Grand Méchant loup du téléchargement illégal bien avant Pirate Bay. A la suite d’un procès extrêmement médiatisé, Napster s’est vu contraint de fermer en 2003. Une version « légale » existe toujours, proposant à l’achat des albums de Tim McGraw (?) ou des singles de Taylor Swift (?).
«OU QUOI OU QU’EST-CE» Mais aussi : « Comment te dire », « J’dis ça j’dis rien », « Comment ça va bien ? », « Bien ou bien ? », « Merki »… Autant d’expressions permettant : 1) d’introduire du suspense dans un récit plat (« Alors, c’était comment, hier ? » « Euh, comment te dire, ouais ») ; 2) de teinter d’humour une prise de position premier degré (« Ségolène, je la vois mal présidente, j’dis ça j’dis rien ») ; 3) de rendre amusant un mot qui ne l’est pas (« Merki »).
LE PULP Un mois après l’arrivée de Sarkozy à la présidence, le Pulp ferme ses portes. Ouverte pendant l’été 1997, la boîte pour les filles qui aiment les filles (et les garçons pas trop gluants), sise au 25 boulevard Poissonnière, aura été « le » lieu de libertés (sexuelles et droguesques) du Paris de ce début de siècle. Aujourd’hui, « Michelle du Pulp » accueille une faune plus boboïsée au Rosa Bonheur, son sympathique restaurant des Buttes-Chaumont.
RPR Les fusions-acquisitions de ce début de siècle ont autant bouleversé la grande distribution (disparition de Chirac. Continent et Prisunic) que le paysage politique français. Plus grosse victime ? Le RPR, fondé en 1976 par Jacques Chirac et fondu par le même dans l’UMP en 2002. No more croix de Lorraine, no more « Vivement demain », no more « Ouistiti sex », no more juge Halphen mais toujours plus de Sarko. Dans l’hiver glacial de la écadence hexagonale, une envie de hurler dans la nuit nous prend : BERNARD PONS’S NOT DEAD !
LE SERVICE MILITAIRE Déjà subclaquant à la fin des 90’s, le service militaire n’a réellement pris fin qu’en 2001. En revanche, le « service à la personne » explose, le « service client » agace, le « service d’ordre » t’emmerde et le « service public » devrait faire gaffe quand il marche dans la rue mal éclairée la nuit tout seul avant de rentrer dans un parking.
TOUT LE MONDE EN PARLE L’émission d’Ardisson (1998-2006) mélangeait sans complexe intellectuels, artistes, porn stars et complotistes en tous genres dans un pétillant dîner en ville bien misogyne ou chacun pouvait parler franco. Aujourd’hui, le héraut de la liberté d’expression s’est exilé sur Canal pour un show comique poussif où chaque blague qu’il n’a pas écrite est ponctuée par un coup de cymbale. Marche aussi avec Thalia (la brune) et Titia (l’autre brune), les deux cerveaux de Corti, tous trois tristement disparus du PAF.
VIE PRIVEE Notion révolue ? Depuis septembre 2009, nous serions quelque trois cents millions à tout déballer sur nos pages Facebook. WAP Le Wireless Application Protocol permettait de se connecter à Internet depuis son téléphone ou son « assistant personnel ». Expression très 2002 : « Quelle merde ce peu-wa ! »
LE X EN PRIME TIME Les « fifilles du X » chez Cauet, le « sapeurs-pompiers hardeurs » chez Mireille Dumas, HPG chez Hachette… 2002-2004. RIP.
YO ! (Voir « Ou quoi ou qu’est-ce »).
« URBAN» New York a son Village Voice, Londres son Time Out, Paris eut son Zurban à partir de 2000, city guide bobo mal tombé entre l’explosion d’Internet, des gratuits et l’indétrônable Pariscope. Au même titre que « Comment Jospin a-t-il fait pour perdre les présidentielles de 2002 ? » ou « Pourquoi dit-on “allô” ? », « Comment connaître les cinq lieux où sortir à Paris ? » reste, depuis la mort de l’hebdo en 2006, une question sans réponses.
VALENTINE FAURE ET LAURENCE RÉMILA (MERKI À CHRISTOPHE ERNAULT)

Storytelle-toi
OBAMA STYLE
Barack Obama n’a pas remporté la présidentielle que grâce à la com’. Ou plutôt, il a inventé une nouvelle manière de se raconter. Christian Salmon, spécialiste du storytelling, vous explique tout en détails.
Le succès d’Obama va inspirer bien des imitateurs. Et le storytelling « éthique » de David Axelrod (le big boss de la com’ d’Obama – NDLR) fera aussi sûrement école que le storytelling « cynique » de Karl Rove. D’ailleurs, depuis le caucus de l’Iowa, David Axelrod est présenté comme le Karl Rove (celui de Bush – NDLR) d’Obama. Une comparaison qui le fait sourire et qu’il récuse, tant la conception qu’il se fait de son rôle est à l’opposé de la « stratégie de Shéhérazade » appliquée par Karl Rove pendant les deux mandats de George W. Bush. « Je connais mon métier et les techniques de la politique, a déclaré Axelrod. Les sondages, les focus group, tout ce que nous faisons contribue d’une certaine manière à une atmosphère de cynisme. J’essaie de combattre cela. »
PAS DE PRESSION
Selon lui, le monde des consultants politiques est victime du « syndrome du magicien d’Oz », qui consiste à vouloir faire élire un candidat en lui imposant un récit artifi-ciel et en lui demandant de s’y conformer. Un manque d’authenticité qui explique à ses yeux les échecs démocrates aux deux dernières élections présidentielles. Howard Kurtz, éditorialiste au Washington Post, observait récemment que les journalistes couvrant la campagne d’Obama s’étonnaient souvent de n’être l’objet d’aucune attention particulière de la part des habituels spin doctors, ceux qui tentent d’influencer la presse par des analyses et des commentaires. « Le contraste est frappant, non seulement avec l’équipe d’Hillary Clinton, mais avec la Maison Blanche à l’époque de Bill Clinton et de George W. Bush. En comparaison, celle d’Obama fait figure de vieux canard », écrivait Kurtz.
«COMBIEN DE TEMPS ?»
« Il n’y a aucune offensive de charme du candidat en direction de la presse, renchérit le correspondant de Newsweek, Richard Wolffe. Obama voit la presse nationale plus comme un problème logistique que comme un canal pour influer sur l’opinion. » Le linguiste George Lakoff, qui a fondé le Rockridge Institute, un cercle de pensée dont la mis-sion est d’aider les démocrates à cadrer leur message, considère Barack Obama comme son meilleur élève. Interrogé sur son influence, Obama a répondu : « Vous savez, j’aime beaucoup Lakoff. Mais le fait est que je ne suis pas un propagandiste. Ce n’est pas mon travail ! » Pendant sa campagne, Obama a dénoncé l’écart croissant « entre les paroles et les actes, un fossé qui corrompt le langage et la réflexion » et qui n’a cessé de se creuser depuis Ronald Reagan et « ses tours de prestidigitation verbale ». A peine élu au Sénat, assailli par les reporters, il se demandait déjà : « Combien de temps il faut à un homme politique avant que le comité des scribes, des rédacteurs en chef et des censeurs n’élise résidence dans sa tête. Combien de temps pour se mettre à parler comme un politicien ? »
ATTENTIF AUX SIGNES
S’il y a un Barack Obama que les médias ignorent obstinément, c’est bien l’Obama sémiologue, attentif aux signes et à leur circulation dans la médiasphère. Dans The Audacity of Hope, il décrit par exemple comment une histoire fabriquée ou une fausse nouvelle « répétée inlassablement et lancée dans l’espace cybernétique à la vitesse de la lumière finit par devenir une particule de réalité, comment des caricatures politiques et des pépites de conformisme s’incrustent dans notre cerveau sans que nous ayons eu le temps de les examiner ». Un contexte, ajoute-t-il, qui « favorise non pas ceux qui ont raison, mais ceux qui, comme le service de presse de la Maison Blanche, peu-vent présenter leurs arguments le plus bruyamment et devant la meilleure toile de fond ». Après une longue campagne à travers les Etats Unis, le conteur Obama s’est adressé une dernière fois sur les chaînes de télévision au peuple américain pour lui raconter ce qu’il avait entendu au cours de ces longs mois de campagne : des histoires d’Américains moyens et même, affirmait-il, des histoires de l’histoire américaine (« The stories of american story »). Sans renoncer à ses responsabilités politiques, économiques ou militaires, le candidat assumait délibérément une fonction nouvelle du mandat exécutif, à cheval entre la pédagogie et la thérapie – une fonction d’écoute et de partage des récits, comme le griot, dans les sociétés africaines, qualifié de « médecin du lien ».
STRATÈGE DE L’INCONSCIENT US
Le ton de ce récit, la mise en scène de ses rencontres avec le peuple américain, l’iconographie de son histoire personnelle ne laissaient aucun doute : docteur Obama est investi d’une tâche – guérir l’Amérique d’ellemême – que les politiciens de Washington semblent lui avoir abandonnée en désespoir de cause – malades privés de soins, retraités contraints de travailler pour manger, chômeurs frappés de plein fouet par la crise… Obama est beaucoup plus qu’un « storyteller » de génie. C’est un stratège de l’inconscient américain. Il a su faire de sa personnalité hybride, aux repères biographiques hétérogènes, une métaphore des nouvelles identités composites à l’ère de la mondialisation. C’est pourquoi on ne peut analyser cet événement à la lueur des analogies historiques (Martin Luther King ou les Kennedy) mais dans l’espace, dépourvu de tout antécédent, de l’après-11 septembre. Il tend à une Amérique désorientée un miroir où se recomposent des éléments narratifs dispersés.
«PEUPLE SPOLIÉ»
Depuis le 11 septembre, les républicains avaient opéré un retournement des idéaux-types américains en criminalisant l’immigration, en bâtissant des murs aux frontières, en encadrant la liberté d’expression, en surcodant l’identité par la religion. Obama a fait l’inverse. A la rhétorique du conflit des civilisations, il a opposé une autre syntaxe, celle des assonances et des conciliations, celle des identités métissées et des variations, l’identité ouverte de l’émigré à l’âge des déplacements. Son parcours d’Américain métis est un retour au récit américain des origines. Avec Obama, l’Amérique re trouve ses repères perdus depuis le 11 septembre : l’immigration, le voyage, le melting-pot, la frontière comme di mension vivante et positive. Il s’est fait le porte-parole d’un « peuple déjà spolié de son histoire, un peuple manquant souvent des moyens de rétablir cette histoire en la montrant sous une forme diffé-rente de celle qui apparaissait sur les écrans de télévision ».
SÉMIO-POLITICIENS
Les beaux livres, écrivait Marcel Proust, sont écrits dans une sorte de langue étrangère. On pourrait en dire autant de toute forme d’expression humaine. Et pourquoi pas du discours politique quand il ne se contente pas de mimer les idées reçues, qu’il est porteur d’une nouvelle grammaire politique ? L’ampleur des changements se mesure alors à la prolifération de signes nouveaux, parfois contradictoires, parfois convergents, mais difficiles à lire dans la langue politique traditionnelle car ils échappent au simple message des communicants et à la logique médiatique de la persuasion. L’avenir dira si Obama est l’inventeur d’un idiome politique ou s’il n’est que le simple avatar d’un Lincoln à l’ère de Second Life. Mais il serait absurde de nier qu’il incarne une nouvelle génération d’hommes politiques que l’on pourrait qualifier de sémiopoliticiens, porteurs de signes et de symboles plutôt que de programmes et de promesses, moins aptes à se « positionner » sur un arc de forces politiques qu’à inspirer des manières de penser le monde et de le changer.

QUI ES-TU, CHRISTIAN SALMON ?
Essayiste et chercheur au CNRS, il s’est fait connaître en 2007 en décryptant la science la plus emblématique des années 2000, le «storytelling» ou «racontage de soi». Aujourd’hui, il y revient avec ce texte inédit détaillant l’influence du président Obama sur le storytelling, un texte qu’on retrouvera dans l’édition anglaise de son best-seller.

A LIRE: «STORYTELLING I ET II» (LA DÉCOUVERTE). CHRISTIAN SALMON

Storytelle-toi
LES COUPLES PEOPLE
Aujourd’hui la notoriété est comme cotée en bourse et le couple, une histoire pour faire varier les cours. Ainsi, Brad Pitt a subitement changé de catégorie en laissant tomber Jennifer Aniston pour Angelina Jolie. Tom Cruise en fait des caisses chez Oprah Winfrey pour prouver à quel point il aime sa Katie Holmes. Et Victoria Beckham a vu son horizon s’éclaircir lorsque David a été engagé par le Los Angeles Galaxy. Les stratégies de mariages d’intérêt des dynasties bourgeoises, les people les appliquent inconsciemment en une seule vie plutôt que sur plusieurs générations. Un nouvel exemple de ce que Michel Houellebecq appelait «Extension du domaine de la lutte».
J. B.
LA MOUSTACHE «Ouah, tu te laisses pousser la moustache ?» «T’as vu Tom avec sa moustache ?» «Et si on créait un club de moustachus ?» «T’vois, entretenir sa moustache, c’est tout un truc.» Ou comment, sans raser ni trop se fouler, faire parler de soi d’une manière au poil.
A. D.
LE TATOUAGE Désormais adopté massivement, le tatouage ne connaîtra pas de turning back avant longtemps. La raison ? On pourrait dire, en lacanien, que le déficit de symbolique revient dans le réel. Ou qu’à mesure que la tradition, la politique, la parole partagée s’effacent, le fantasme impossible de s’inventer tout seul (en se gravant par exemple sur son corps des tags résumant son être intime) gagne. Un storytelling à même l’épiderme, en somme.
PH. N. Etudiant médiocre mais talentueux wannabe politique devenu paria avant d’entamer un retour en grâce depuis l’intérieur, Nicolas Sarkozy est le héros des années 00. Celui qui a le mieux compris à quel point scénariser son action était le seul moyen d’investir un pouvoir politique qui n’a plus les moyens de ses ambitions. Entre S.A.S. (les infirmières bulgares), télénovela (sa rupture avec Cécilia), Harlequin (la virée à EuroDisney) et pornographie implicite (merci Carla), le tout rythmé par les écrits hégéliens de son «showrunner» Henri Guaino, Sarko nous prouve tous les jours que la fiction française ne se porte pas si mal que ça.
V. C.
L’AGIT’ PROPRE
JEUDI NOIR Fini les cheveux crades, les pulls troués et les tracts à la sortie du métro. Les différents leaders de l’agit’ prop’ se sont mués en de redoutables as de la communication. Happenings, message clair sur les méfaits du mal-logement et web 2.0 tout azimut, Manuel Domergue et son Jeudi Noir influence un tas de groupuscules efficaces.
LA BRIGADE DES CLOWNS La BAC est de toutes les manifs où la police et les caméras des télés locales risquent de débarquer. La méthode: pousser à bout les forces de l’ordre en les ridiculisant. Le mot d’ordre: sourions, on est filmés ! Pour vous perfectionner, les Désobéissants organisent des stages. Du coaching pour clown engagé, donc.
LES ANTIPUBS Très en vue dans la première moitié des 00’s, les différentes assos antipub ont disparu du paysage média français. Alors qu’un djeun de moins de 25 ans sur quatre est au chômage, parler d’«oppression publicitaire» pour décrire une affiche vantant les mérites d’un 4×4 serait mal vu. Un autre disparu des années 2000 ?
L. R.
HARRY ROSELMACK À TF1 «Grâce aux liens qui me rapprochent de Martin Bouygues, je sais qu’il y aura un Noir au 20 heures de TF1 cet été», se félicitait début 2006 Nicolas Sarkozy lors d’un dîner de l’association pour la diversité à la télé, Averroès. Quelques mois plus tard arrivait Harry, ex de i-Télé, beau comme un dieu et suffisamment corporate pour avoir su, malgré quelques mails racistes, fédérer ce public de TF1 qu’on croyait si conservateur. S’il est devenu l’un des piliers de la chaîne, ses boss n’ont cependant pas oublié cette street-credibility que lui confère sa couleur et l’envoient maintenant en banlieue pour «Harry Roselmack en immersion».
V. C.
«DIG !» C’est l’histoire de deux groupes de rock aux destins inversés: celui du génie maudit Anton Newcombe, leader du Brian Johnston Massacre, et celui des dandys chanceux, les Dandy Warhols. «Dig !» raconte comment le premier se brûle à son propre feu quand les seconds deviennent stars. Puis le film sort. Anton se fâche, les Dandy warholent, et tout s’inverse: le Brian Johnston Massacre devient culte pendant que les Dandy Warhols s’évanouissent dans le néant. Une bonne histoire, les mecs, faut une bonne histoire à raconter. «Dig ! 2», quelqu’un ?
L. H.
LES CLUBS DE POCHE En apparence, l’histoire est simple: les gros clubs des années 90, portés par la house et la techno, se sont vus remplacer par des mini-boîtes lorsque le rock a fait main basse sur la nuit. En réalité, c’est plus compliqué: il y a quinze ans, on allait au Queen pour lever les bras toute la nuit sans trop parler. Aujourd’hui, le Baron et le Montana sont devenus les machines à café de la hype où boire un verre en racontant ses dernières activités professionnelles est devenu un pivot essentiel de sa communication.
R. T.

Le crash test
L’OISIVE SUPERCONNUE Les années 00 ont industrialisé un type de people: les gens connus pour leur notoriété. La téléréalité crée chaque saison son lot de «célébriévetés», alors que les it girls voient disséquer par la presse féminine le moindre de leur achat compulsif de sac, jeans, cocaïne, mec, chiwawa… De Loana à Paris Hilton, de Sienna Miller à Lindsay Lohan, une cohorte d’oisives superconnues squattent nos journaux et nos cerveaux.
LA MEGASTAR INCONNUE Christian Bale est Batman, Christian Bale est le John Connor du nouveau «Terminator», Christian Bale est la super vedette des blockbusters de cette fin de décennie. Question: avec qui Christian est-il maqué ? (Pas d’affolement, personne ne sait). Même quand il pète un boulon, comme le démontrait une vidéo volée lors du tournage du dernier «Terminator», on se dit qu’on ira regarder ça une autre fois. Marche aussi avec Matt Damon, Russel Crow ou Daniel Craig. Les années 00 ont inventé la superstar discrète.

Storytelle-toi
JE FILME DONC JE SUIS
Pour exister en tant que cinéaste, pas le choix, il faut tourner. Au moins une fois de temps en temps pour faire parler de soi. Mais pour certains, ça n’a rien d’évident.
Dans l’annuaire des génies du cinéma, il y a les filmos à plus de quarante titres et les filmos qui en comptent moins de douze. Attention, on ne juge pas, on ne fait que constater. A ma droite, Ford, Curtiz, Walsh, Hitchcock, Kurosawa, Bergman, Renoir, Lang, Ozu, le plateau de la balance creuse le sol au marteaupilon. A ma gauche, Kubrick, Leone, Cassavetes, Cimino, Welles, Malick, Tarkovski, hop, c’est fou comme ça leur a été facile de rétablir l’équilibre. On ne juge pas, donc, et on est bien conscients que la question ne se pose pas dans les mêmes termes en 2010 que cent ans auparavant. Quand Libération avait demandé dans un hors série culte publié il y a un quart de siècle « Pourquoi filmez-vous ? » à quelques grands noms du cinéma, la plupart avait répondu quelque chose qui ressemblait à « pour exister ». Or, « exister » n’a pas tout à fait le même sens pour celui qui tourne deux films par an et pour celui qui en tourne deux par décennie.
OCCUPER LE TERRAIN Prenons maintenant Steven Soderbergh et Michael Winterbottom. Deux types dont on aime un film sur dix – et qu’on n’aime donc pas tellement – mais dont on aime pourtant presque autant de films que, disons, Spike Jonze, qu’on a pourtant le sentiment d’adorer. Alors ? Toujours en se refusant à porter le moindre jugement, il y a quelque chose de fascinant chez les auteurs incontinents qui filment comme ils respirent, tout le temps, n’importe quoi (et parfois n’importe comment). Quand Winterbottom a deux secondes entre deux longs-métrages, il se débrouille pour glisser un doc, un truc télé ou une coréalisation, histoire de ne pas perdre la main. Résultat : à tout juste 48 ans, il compte déjà 34 entrées de réalisateurs sur IMDB. Quand Soderbergh finit Che, un double film monumental de deux fois 500 minutes (ça, c’est gratuit, on ne le pense même pas), pour se reposer, il aligne Girlfriend Experience avant d’enchaîner sur The Informant.
PELLICULE TRANSLUCIDE C’était sans doute la règle dans les grands cinémas de studio, c’est devenu l’exception dans ces dix dernières années. Dans les 00’s, on tourne de moins en moins. On ne tourne pas, même, le cas échéant. Que ce soit par perfectionnisme fou (Fincher, Cameron, Audiard), par nécessité de contrôle total (Fincher, Cameron, Audiard), par crainte de galvauder sa signature (Fincher, Cameron, Audiard) ou simplement parce qu’on est atrocement lent (devinez qui). Et puis, il y a les autres, les planqués. Ceux qui tournent « pour exister », oui, mais dans le sens où il faut bien tourner une fois de temps en temps pour continuer d’exister en tant que cinéaste. Cette dernière décennie, plusieurs auteurs consacrés ont semblé atteints du syndrome de la pellicule translucide, comme il y a celui de la page blanche.
LES CAS QT ET WKW Wong Kar-wai, Tarantino, Bryan Singer sans doute, Noé parfois, les Wachowski manifestement, Burton à sa façon, Lynch peut-être. Pas grand chose à dire, pas grand chose à filmer. Par manque d’inspiration, par défaut d’envie, parce que faire des films est AUSSI une plaie (« Oui, tourner, en gros, c’est un boulot épuisant où tout ce qu’on peut faire, c’est saloper les trucs géniaux qu’on a dans la tête », entend-on souvent), ou alors parce que leur but dans la vie était moins de faire du cinéma que d’être cinéastes ? Tarantino et Wong Kar-wai, peut-être les deux cinéastes les plus célèbres et célébrés du monde, nous font penser à David Beckham, qui vient chaque année piger au Milan AC pendant trois mois pour faire croire qu’il est encore footballeur. Ils livrent un film de temps en temps, histoire d’en gagner (du temps), en espérant qu’ils ne perdront pas trop de crédit dans l’affaire. Pour l’instant, les hourras massifs et les ovations chavirées reçues par les pathétiques Inglourious Basterds et My Blueberry Nights prouvent qu’ils auraient tort de se gêner.
LÉO HADDAD

Le triomphe geek
HERE COMES A NEW CHALLENGER
Les jeux vidéo, mieux que le cinéma ? Sur le terrain de l’événementiel, du spectaculaire et du plaisir, ça ne fait plus de doute. Démonstration avec «Modern Warfare 2», le blockbuster qui fait la nique à Hollywood.
Le principe de Uncharted 2, disponible depuis peu sur PS3, est de vous asseoir aux commandes d’un blockbuster hollywoodien, de ceux qui envahissent les salles chaque été. Vous assistez à des scènes modélisées (on les appelle « cinématiques ») où les « acteurs » tranchent dans leurs dialogues avec autant de verve et d’attitude que George Clooney et Cameron Diaz, puis vous prenez le relais du « film », manette en main, pour vivre les scènes d’action en direct, sans intermédiaire, sinon celui du sprite que vous contrôlez à l’image, l’aventurier brigand Nathan Drake. Et ainsi de suite : vous jouez, vous posez la manette, vous jouez, vous posez la manette.

FEED D’ADRÉNALINE Très vite, les deux actions se superposent pour ne faire qu’une et le jeu s’avale comme un long feed d’adrénaline. L’expérience reste fluide, sans ruptures ni coups de pompe, pour une extase pop corn d’environ dix heures. A un moment crucial du jeu, Drake se retrouve prisonnier d’un immeuble décimé à la mitraillette lourde et, tandis que le bâtiment penche dangereusement (le mobilier vole, la caméra bascule), vous disposez de quelques secondes pour dévaler la pente et sauter à travers une fenêtre de l’immeuble d’en face, dans un fracas de bris de verres et d’impacts de balles. Com-plè-te-ment din-gue. Dernièrement, au cinéma, on a eu Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal. Un problème ? Quel problème ?
PLUS QUE MICHAEL JACKSON « Viens à Los Angeles, Activision veut des journalistes cinéma pour couvrir la présentation du Multijoueur de Modern Warfare 2. Ils veulent lancer le jeu comme un film événement. » C’est à peu près ce qu’on nous a dit : une tentative de dévoiement en tous points réussie. Les voyages de presse jeux vidéo sont sur-réalistes pour des journalistes cinéma habitués à un traitement moins princier : ils offrent en soi une bonne vue en coupe des deux industries. Activision peut se permettre de jouer l’opulence : éditeur numéro 2 du secteur après EA, propriétaire de la franchise Guitar Hero, le géant vidéoludique tient, avec Modern Warfare 2, et avant même sa sortie, le jeu qui enterre tous les autres (d’autres compagnies ont déplacé leurs produits au premier trimestre 2010 pour ne pas se retrouver en concurrence avec lui), d’ores et déjà moneymaker de l’année, plus que n’importe quel film, disque ou concert de Michael Jackson (on annonce 14 millions d’exemplaires vendus, dans la foulée du précédent Modern Warfare).
MACHOIRE DECROCHEE On ira donc à L.A., ne serait-ce que pour vérifier cet adage persistant qui veut qu’à Hollywood, si on ne sait plus faire des films, au moins on sait faire des jeux. Modern Warfare 2 (MW 2) fonctionne de la même manière qu’Uncharted 2. Dans un univers fictionnel à la Tom Clancy, et tout au long de morceaux de bravoure scriptés aux quatre coins du globe, vous participez à la traque d’un terroriste sous les couleurs des Forces spéciales ou des SAS. L’action est bouillante, la tension, ininterrompue et la mâchoire du joueur, souvent décrochée. « La nouvelle génération de joueurs attend une expérience cinématographique, lance d’emblée Joel Emslie, lead character artist chez Infinity Ward, les petits génies à l’œuvre sur MW 2. La différence avec le cinéma, c’est qu’on bâtit un monde vivant et palpitant avec lequel le joueur interagit. On utilise plein de techniques bizarres, dans la lumière et la composition, pour l’attirer psychologiquement où on le désire. Je suis arrivé à un point où lorsque je construis une chaise ou une table en 3D, je la considère comme un vrai accessoire. »
BÉNÉFICE TRIPLE Signe de l’hollywoodisation galopante du game design : Infinity Ward a décroché Hans Zimmer pour mettre en musique les gunfights à Rio et les poursuites en motos-neige dans les montagnes. NOTRE Hans Zimmer, celui de la Ligne rouge et de Dark Knight (vendu !). Rien de tout ça ne fera oublier que Modern Warfare, c’est le contraire du cinéma : des moments inoubliables où la puissance narrative réside dans le gameplay, dans les sensations qu’il procure, pas dans ce qu’on nous raconte. Mais si les jeux sont en train de damner le pion aux superproductions cinoches (pour un budget moindre et un bénéfice parfois triple), c’est que l’industrie, envahie par d’anciens employés des grands studios, est devenue experte dans des domaines autrefois réservés à Hollywood. Les bandes-annonces, par exemple.
TEASERS MYSTÉRIEUX En décembre 2008, Infinity Ward dévoilait un premier teaser énigmatique de MW 2 où seuls quelques détails apparaissaient à l’image. Six mois plus tard, un autre, plus disert. Et récemment, une troisième aux résonances bibliques qui dévoile (choc !) que le conflit sera livré sur le sol US (Washington à feu et à sang). « Dans les années 70, vous alliez voir un film et on vous passait le teaser d’un autre film, se souvient Emslie. Quelques images, pas grand chose. Pour Alien, c’était juste le titre… Aujourd’hui, on veut tout, tout de suite et les bandes-annonces des films sont à chier ! Avec Infinity Ward, les joueurs savent qu’on délivrera un produit de qualité, ils n’ont pas besoin d’en connaître tous les aspects avant de l’acheter. » En cinéma, il n’y a guère que James Cameron qui puisse encore se le permettre. Si les films sont redevenus le loisir des masses, les jeux vidéo, du haut de leurs petites quarante années d’existence, sont en train de le devenir. Comment ne pas croire que le futur leur appartient ?
MODERN WARFARE 2 (ACTIVISION): SORTIE LE 10 NOVEMBRE. SUR PC, XBOX 360 ET PS3.
BENJAMIN ROZOVAS
LA FIÈVRE DU BLOCKBUSTER A l’horizon 2010, trois titres éminemment «cinéma» vous en donneront pour votre argent. A 70 €, le jeu, y a intérêt.
«DANTE’S INFERNO» «La Divine Comédie» de Dante en jeu vidéo ? Et pourquoi pas «Raisons et Sentiments» ? Plus moyen de rire devant les premiers screenshots des Enfers, spongieux, baroques, grotesques, comme dans un rêve humide de Ken Russel. Le tout a l’air d’un succédané de «God of War» mais faites confiance aux développeurs de «Dead Space», le chef d’œuvre science-fiction-horreur de 2008. (ELECTRONIC ARTS / VISCERAL GAMES / SORTIE LE 12 FÉVRIER 2010).
«MAFIA 2» Il y a une vie après «GTA 4», sa maestria openworld, son sens aigu de la narration. Elle s’appelle «Mafia 2» et substitue au décor contemporain et à la psyché de petite frappe en survêts le feeling années 50 d’une simili-Chicago et une aspiration au romantisme Corleonien. Une mission très «Noir» donne même l’impression de jouer «les Forbans de la nuit» de Jules Dassin. Décidément, une offre qu’on ne pourra pas refuser. (2KGAMES / SORTIE PRINTEMPS 2010).
«RED DEAD REDEMPTION» «Red Dead Redemption» est au western ce que «Mafia 2» est aux films de gangsters, mais les cinéphiles savent que ce n’est pas la même chose. L’Ouest mythologique reste le territoire inexploré du jeu vidéo, d’abord parce que s’y rattache une mélancolie difficile à traduire en langage pixel. A dos de cheval, en liberté dans un monde que les mecs de «GTA 4» promettent trois fois plus grand, on va enfin tutoyer John Ford. (ROCKSTAR / SORTIE NOËL 2010).
B. R.
LE HAUT DÉBIT Jadis, en 1999, les Français qui disposaient de la toute nouvelle technologie Internet mettaient environ trois heures pour télécharger une chanson de Joe Dassin. Puis les modems à 28, 36 et 56 kbit/s ont laissé place à des connexions câble et ADSL, permettant de choper une saison entière de «24h chrono» dans le même laps de temps. Avec le haut débit, les opérateurs télécom et Internet ont supplanté les majors du disque et du cinéma. Alléluia ?
P. B.
DAILYMOTION ET YOUTUBE Quand Benjamin Bejbaum met en ligne en mars 2005 un machin qui permet d’envoyer des vidéos sur son blog, il ne se rend pas compte qu’il vient de tuer la télévision. Devenu Dailymotion, suivi immédiatement par YouTube aux States, son service d’encodage et de partage de vidéos explose. Résultat: on regarde ce qu’on veut quand on veut sur son ordi ou on s’improvise réalisateur grâce à son portable. Au moins, pendant ce temps-là, on n’est pas devant la télé.
P. B.
LE WEB 2.0 Coincé sur BFM par un journaliste vicieux qui lui demande de définir le web 2.0, Frédéric Lefebvre bafouille: «C’est l’Internet d’aujourd’hui.» Réponse pas si ridicule que ça quand on voit combien les réseaux sociaux et les sites de mise en relation ont changé nos vies. En 2010, le message Facebook est devenu la norme et le coup de fil ne s’utilise plus que pour annoncer un décès (dans tous les autres cas, il est l’équivalent d’une agression). Conséquence: tous ces 06 de people qu’on s’échangeait en soirée comme des gamins comparant leurs mastercards se sont périmés en moins de temps qu’il n’en faut pour fermer une fenêtre et plus rien ne reste pour essayer de prouver qu’on connaît intimement tel ou tel. Le web 2.0 nous aurait-il tout mis à égalité ?
M. PH.
LES FAKES Etymologiquement, un écran, c’est un objet qui occulte. Du coup, tous les accros aux jeux en ligne, aux réseaux sociaux, au «chat» ou aux forums peuvent se cacher derrière pour «être» qui ils veulent. Exemple: papa-poule à la maison, chevalier à la salle de jeux, drag queen sur MSN et philatéliste sur eBay… Surprise: pour les psys, pouvoir «cliver» ainsi de multiples identités, c’est très sain ! Même si la fille qu’on drague sur MSN est un routier ch’ti ?
P. B.
LE MAIL Avant l’an 2000, personne n’aurait compris une question comme: «T’as checké tes mails ?» Désormais, on la pose et on y répond plusieurs fois par jour. La différence ? Avant, au bureau, on discutait, on draguait, on s’engueulait. Maintenant, tout le monde a l’air de bosser en silence, mais on discute, on drague et on s’engueule dix fois plus… par messagerie électronique.
P. B.
LE «COMMENT» A voir le nombre de «comments» suscités par le moindre bout de billet dans un obscur blog, on peut constater que le Net a rendu suspect le fait de n’avoir rien à dire et réactivé la pulsion sournoise du «flood» (difficilement praticable dans la vraie vie), soit celle de noyer les autres sous un flot de paroles, les plus grands floods pouvant durer des week-ends entiers.
M. PH.
LE CASUAL GAMING «Avons-nous progressé ?» Le leitmotiv du jeu vidéo depuis trente ans s’est soudainement arrêté en entrant dans ce siècle. Plus de technologies, de performances, de réalisme, de règles. Le symbole ? Ce bon vieux Nintendo qui, avec des consoles complètement à la traîne en technologie et en gameplay, a séduit des millions de «nouveaux joueurs», cette partie immergée de l’iceberg qui avait juste peur des jeux vidéo et de leurs manettes à douze boutons.
LÂ. H.
«24» Vous imaginez «24 Heures chrono» en 1994 ? C’est ce qu’on fait une bande de petits rigolos dans une célèbre parodie sur le Net, «24: the Unaired 94 Pilot», où un sosie clodo de Jack Bauer se fait biper par Nina, fonce à la cabine téléphonique la plus proche et galère pour se brancher sur le Net avec un modem 28k. Avant le format temps réel, avant Kief Sutherland, c’est la technologie qui a toujours tenu le premier rôle dans «24». Evidemment, une série de son temps.
B. R.
LE MP3 Dans le sillage du vrai-faux bug de l’an 2000 et de son mauvais trip asimovien, le MP3 a d’abord été la lubie de quelques geeks sous Linux. Souvenez-vous des premières clés, sur lesquelles on pouvait stocker quelques dizaines de mégaoctets. Et puis Apple est arrivé avec son iPod. C’était l’époque bénie de Napster et des premiers explorateurs du peer-to-peer. Depuis, le Discman a rejoint la Betamax aux oubliettes de la technologie, et Hadopi est entrée à l’assemblée.
O. T.
LA LUDÉO-REVANCHE DE L’OCCIDENT Le Japon pour le jeu vidéo, c’est comme le Brésil pour le foot ou Hollywood pour le cinéma: un sanctuaire doublé d’un fournisseur officiel de hits. Mais alors que la crise existentielle frappe le pays à la fin des années 90, les studios occidentaux, élevés dans l’idolâtrie de Miyamoto, Kojima et consorts, s’émancipent et profitent du virage 3D et de la digestion de la culture ciné par le jeu pour passer devant. C’est ainsi que «God of War» devient le jeu le plus cité par les game designers japonais.
LÂ. H.
«IDIOCRACY» Le film de Mike Judge (2006) annonçait une des préoccupations majeures de cette fin de décennie: sommes-nous en train de nous crétiniser massivement ? Aujourd’hui, on s’inquiète du fait d’être constamment scotchés à ses différents joujoux de l’hypercommunication. Depuis l’article du journaliste Nicholas Carr «Is Google making us stoopid ?» l’an dernier, la question squatte les médias (et nos petites cervelles).
L. R.

Le triomphe geek
Les réseaux sociaux n’ont pas seulement mis tout le monde à la portée de tout le monde. Ils ont peu à peu fait disparaître la vie privée au profit d’une transparence qui a transformé chacun en micro people. Les plus gros.
FACEBOOK Un an à peine après le rachat de MySpace par le groupe Murdoch en 2005, le réseau social nouveau est arrivé: il s’appelle Facebook (trombinoscope, en frenchy). Conçu à l’origine comme le réseau social privé de l’université de Harvard, le service est tellement complet que lorsqu’il s’ouvre au monde entier, en 2006, il rafle la mise et devient le deuxième site le plus consulté au monde. Mark Zuckerberg, son fondateur, sera embauché par un certain Obama pour collaborer à une campagne électorale historique.
MYSPACE A partir de 2004, tout le monde n’a plus qu’un mot à la bouche: MySpace. Réseau social créé un an plus tôt pour les musiciens qui peuvent y poster leurs morceaux, l’outil devient aussi incontournable que Google. Ou presque. Quelques (porno) stars rameutées par les fondateurs Tom Anderson et Chris DeWolf finissent de convaincre tous les 15-30 ans qu’avoir sa page MySpace est aussi cool que de passer à la télé. D’ailleurs, quelques artistes «self-made» (Arctic Monkeys, Lilly Allen…) signent avec des majors après s’y être fait connaître.
TWITTER Au milieu des années 2000, l’innovation technologique plafonne. Place au lotech. En 2006, un nouveau service s’impose en proposant un service tout con: le microblogging. Twitter propose à ses membres de faire savoir en temps réel à leurs réseaux ce qu’ils sont en train de… faire. Et ce, en 140 caractères maximum, soit une ou deux phrases. Bien que le «statut» des membres de Facebook soit fondé sur le même principe, Twitter emballe le monde entier. Enfin, surtout les journalistes et autres tox de l’info.
A SMALL WORLD Pour les membres de vieux réseaux sociaux physiques comme les rallyes ou le Rotary Club, A Small World est une aubaine: apparu au milieu des années 00, le site de Erik Wachtmeister se positionne entre le réseau social grand public et le réseau pro (type Linkedin). Pour en être membre, il faut être coopté. Mais attention, sur A Small World, on n’est pas amis si on n’a pas gagné des millions ensemble. Trois refus de «connexion», et tu dégages.
FRIENDSTER Premier «social network» à faire parler de lui en 2002, Friendster a eu du mal à faire comprendre à quoi il servait. Simple, pourtant: le service proposé mise sur la théorie du «small world» (ou «paradoxe de Milgram»), selon laquelle chacun de nous serait relié par une chaîne de six relations à n’importe qui d’autre sur la planète. Grâce au Web, on peut enfin la mettre en pratique et entrer en contact avec les amis de ses amis, pour se constituer un réseau relationnel. Le concept est posé et c’est toujours mieux que le flippant Copains d’avant.
LE RÉSEAU SOCIAL PRIVÉ Les grands acteurs du social networking s’étant imposés, place à la phase de démocratisation: chacun peut désormais créer son propre service de réseau social, privé ou spécifique à un domaine. Des solutions logicielles comme Elgg, Drupal ou WordPress ouvrent ainsi la porte à des micro réseaux sociaux dans lesquels s’engouffrent les grandes marques mais aussi un tas de particuliers.
PASCAL BORIES

Le guest_ Régis Jauffret
RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE AVEC DES HUMAINS
Régis Jauffret a passé dix ans devant son écran. Il ne se souvient pas de tout mais quand même de l’essentiel.
Je ne m’appelle pas Google. Je ne me souviens plus de rien. Dix ans dans ma mémoire comme un mensonge. Des événements flous, sombres, du son en bribes, murmures hachés de paroles brouillées. Des souvenirs comme des glaçons d’un temps qui aurait fondu, qu’on aurait touillé, dont on aurait rempli un bac à la va-comme-je-tepousse avant de l’enfourner dans le congélateur. Un mensonge que je reconstruis à chaque fois que je tente de me souvenir. La mémoire permet de s’inventer une vie, de donner un sens à des années vécues dans le chaos où la réalité tergiverse autour de sa volonté, son désir, son projet fantasmé de planter ses dents, de tenir quelque chose de consistant dans sa gueule.
AUX COMMANDES D’UN BOEING Quand on voit les années de loin, elles semblent habitables. On croit qu’elles menaient quelque part, sous prétexte qu’elles nous ont menés jusque-là, ici, un peu plus loin, et qu’elles ont bouffé une partie du temps qui nous est imparti, et dont l’effondrement nous rend avec l’âge de plus en plus éphémères. Dix années devant un écran, chaque jour et tard dans la nuit. L’impression d’être aux commandes d’un Boeing, d’un avion de chasse, d’être un satellite qui voit, entend, surplombe. On observe, on attend que la vie nous vienne. Rapide, immédiate. Internet laisse espérer un peu de fulgurance, d’éblouissement, une déflagration, mais plus ce temps qui n’en finit pas de nous sembler long dans notre vie professionnelle, amoureuse, intérieure, qui n’avance pas plus vite que celle d’un gueux médiéval, ou de cette vieille tante célibataire qui a fini sa course en bavant son ennui au milieu du siècle. Elle enfermait l’engin dans un cagibi où il pouvait gueuler des jours entiers comme un enfant du placard.
A LA VITESSE D’UN GUEUX MÉDIÉVAL Elle n’avait jamais rêvé d’une connexion générale des solitudes. Les sites sociaux, c’est la misère. Un lieu de délation, d’ébriété, où l’on exhibe son image et ses sentiments avec autant d’enthousiasme que dans une chambre à coucher dont on ne se serait pas rendu compte qu’il lui manquait un mur. C’est le bonheur. Une manière de se pavaner comme un people. Connaître la même gloire à l’intérieur du groupe, et les mêmes avatars auprès du grand public de son entreprise, et de ses enfants ébahis de constater que leur mère fait partie d’une confrérie d’internautes passionnés par le prépuce, et leur grandpère des abonnés d’un blog de nostalgiques des gaines. Je suis resté connecté, par faiblesse, peur de l’isolement. Mais j’ai vaqué aussi, j’ai fait des rencontres du troisième type avec des humains. J’ai happé des éléments de la réalité qui défilait, j’ai émis des messages verbaux, j’ai couché avec des corps, j’ai balancé des sentiments superficiels, profonds, abyssaux. J’ai pissé des citernes de rires, des chopes de chagrin mousseux de larmes. J’ai vécu dix années auxquelles je ne comprends plus rien, dont il me reste un amoncellement de souvenirs disparates, des ruines, des gravats, usés déjà par le ressac – une poudre. De quoi faire du ciment pour se bâtir une personnalité cohérente, préméditée, menant une vie logique comme une démonstration, articulée comme un sonnet, rigoureuse comme le plan d’un roman de Flaubert. PERSONNALITÉ PRÉMÉDITÉE Quand on se penche sur son passé, il faut être prudent, ne pas tomber dedans. C’est dangereux la mémoire quand on a l’honnêteté, l’inconscience de s’abstenir de la lier avec des approximations, des inventions d’événements si crédibles qu’on ne se souvient plus de les avoir inventés, des intentions, des convictions, forgées de guerre lasse pour justifier des mois d’errance. J’ai passé dix ans devant mon écran, c’est un mensonge de plus. Un essai pour trouver une cohérence au passé en prenant un objet, un circuit, un phénomène extérieur, pour servir de colonne vertébrale à sa mémoire. Comme un homme préhistorique, j’ai passé mon temps dans un cerveau dont le contenu et le fonctionnement rappellent autant un réseau, un disque dur et un microprocesseur, que l’inventeur de la roue, la roue.

RÉGIS JAUFFRET QUI ES-TU, RÉGIS JAUFFRET ? Il est l’un des écrivains préférés de «Technikart». Si vous ne connaissez pas encore son monde noir, vrai et drôle, jetez-vous sur «Univers, Univers» (2003), «Asile de fous» (2005), «Microfictions» (2007) ou «Lacrimosa» (2008).

Sois pro, sois schyzo
SALE SOCIALISTE! En moins de dix ans, la haine du PS est devenue le créneau politique le plus rentable des années 00. La faute aux insuffisances du parti, bien sûr, mais aussi aux manipulations de l’Elysée. Enquête sur une schizophrénie bien maboule.
6 novembre 2008, salle de la Mutualité à Paris. La chasse aux socialistes (et aussi à Sarkozy) fait un tabac. A la tribune, le procès de la « gauche molle » et des « sociaux-traîtres » réveille jusqu’aux plus sceptiques. Pour un peu, on se croirait presque dans une réunion du RPR au début des 80’s, quand Chirac et ses lunettes de pervers pépère dénonçaient l’hérésie du « socialocommunisme ». Et pourtant, nous sommes bien au premier meeting du NPA, le Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot. Dans la salle, Alain Krivine, le vieux singe savant du parti, ne cache pas son étonnement : « On n’a jamais vu de nouveaux adhérents aussi remontés contre le PS… »
Quelques mois plus tard, devant la raclée qui s’annonce, les ténors socialistes commandent des études secrètes. Du genre de celles qu’on réalise derrière des vitres sans tain. Stupeur : non seulement une part inquiétante des électeurs compare les socialistes aux communistes de l’après-chute du mur de Berlin mais, surtout, beaucoup d’anciens électeurs du PS déclarent qu’ils ne votent plus socialiste mais CONTRE les socialistes. Ce n’est plus « le grand cadavre à la renverse » de BHL, c’est carrément sa dépouille qu’on mutile : le sacrifice des éléphants roses… Dix ans plus tôt sous Jospin, le même PS au pouvoir créait pourtant 5 millions d’emplois et plaçait la France en tête de la croissance européenne (+3%). Visiblement, ça ne leur a pas réussi.
PUNCHING-BALL
21 avril 2002 : le PS éliminé dès le premier tour, c’est l’ambiance Actor’s Studio rue de Solferino. 28 mars 2004 : les socialistes remportent les régionales mais sans faire exprès (abstention record, triangulaires, etc.). 6 mai 2007 : la campagne de Ségolène Royal, qui sentait déjà le roussi, finit en tournedos. Comment un parti politique qui a tant ringardisé si longtemps la droite – au point qu’il était dangereux dans certains milieux d’avouer qu’on n’était pas forcément de gauche –, a-t-il pu devenir en quelques années le punchingball préféré des électeurs, à commencer par ceux qui, justement, votent à gauche ?
Bien sûr, il y a le voisinage encombrant de Pierre Arditi, la suffisance un peu mièvre de certains militants, l’héritage douteux des années Mitterrand, cet éternel problème de leadership et le manque de fibre popu-laire, qui empêche parfois ses dirigeants de regarder les gens dans les yeux. Mais ça n’explique pas tout. « L’anti-socialisme est devenu un élément structurant du paysage électoral pour les années à venir, affirme Renaud Dély dans l’Idiot utile du Sarkozysme, un livre passionnant sur Besancenot. Pour réussir une percée électorale, taper sur ce parti maudit est désormais un exercice obligé. Et le NPA, qui tient le discours le plus virulent et le moins suspect de complaisance envers le PS, est le mieux placé pour en tirer profit. »
ANTI-MITTERRAND
Paradoxe : le parti socialiste, qui a longtemps dominé la vie politique, serait donc aujourd’hui le carburant d’une majorité électorale de gauche comme de droite qui cherche à lui faire la peau. D’abord, parce que la « génération Mitterrand », conceptualisée par Jacques Séguéla, a donné naissance à une génération anti-Mitterrand (conceptualisée par les résultats) qui nourrit presque autant les rangs de l’UMP que ceux du NPA. Ensuite, parce que la colère de toute une partie de la gauche envers les élites socialistes n’est pas qu’une révolte populaire, c’est aussi une rente politique. « “Entre les gaullistes et les communistes, il n’y a plus rien”, disait Malraux quand il était en forme. “Entre Sarkozy et Besancenot, il n’y a plus rien”, aimeraient dire les conseillers de l’Elysée », corrige Dély. Alors, Besancenot, Le Pen de gauche ? Pour un homme qui a débuté en militant au SCALP (Section carrément anti-Le Pen), la comparaison fait mal aux fesses. Mais d’un strict point de vue comptable (le seul qui compte en politique), c’est l’ab-solue vérité.
« Avec Besancenot, je vais vous faire chier pendant vingt ans comme vous avez emmerdé la droite avec le FN. » Ce 6 juin 2008, à bord du vol Paris-Beyrouth, Sarkozy ne cache rien à François Hollande de ses projets pour la gauche anti-socialiste. « On s’intéresse à Besancenot parce que c’est un moyen d’affaiblir la gauche », confirme un peu plus tard Dominique Paillé, porte-parole de l’UMP. Dans l’entourage de l’Elysée, on confesse une complicité objective et quelques « poussettes amicales », écrit Renaud Dély.
GROSSES FICELLES
L’opération coup de pouce et grosses ficelles débute à l’automne 2008 au comité stratégique de communication de l’Elysée : un apéro sans alcool qui réunit, autour du président, Henri Guaino (le gars des discours), Claude Guéant (le secrétaire général), Jean-Michel Goudard (le publicitaire), Franck Louvrier (le chargé de com’) et le mystérieux conseiller Patrick Buisson. Ancien journaliste d’extrême droite, ce dernier est le roi des sondages magiques qu’il commande à l’institut Opinion Way pour tailler des costards au nouveau Che Guevara de l’Elysée – « Besancenot, meilleur opposant à Sarkozy », etc. Rien n’est trop beau pour la marche triomphale des anti-socialistes vers l’enterrement vivant de la gauche de gouvernement.
Rien, sauf ce piège infernal qui pourrait se refermer sur le locataire de l’Elysée. Et commence déjà à diviser ses plus proches conseillers : à force de pousser Besancenot et la gauche anti-socialiste, Sarkozy pourrait bien à nouveau faire éliminer le candidat du PS dès le premier tour en 2012 et ainsi faire la courte échelle à François Bayrou, un adversaire de second tour soudain beaucoup plus coriace à battre… C’est tout le piment du combat politique, surtout lorsqu’il sert une remarquable absence de convictions : manipuler ses adversaires pour assassiner ses alliés. Et parfois, ça donne de drôles de surprises : Giscard élu grâce aux voix communistes en 1974, Mitterrand, grâce aux voix de Chirac en 1981. Pourquoi pas Bayrou président, grâce aux trotskystes en 2012 ?
A LIRE: «BESANCENOT, L’IDIOT UTILE DU SARKOZYSME» (BOURIN ÉDITEUR) DE RENAUD DÉLY. 155 PAGES. 19 € .
OLIVIER MALNUIT

Sois pro, sois schyzo
LES LABELS DE FRINGUES Depuis 2005, les disques ne se vendent plus et le pouvoir d’achat ferait passer Saint-François d’Assise pour un maquereau bling-bling. Pourtant, quelques petits malins ont décidé d’exploiter ce double filon, avec une parade: viser les niches. Tandis qu’April 77 vide les bourses des working class heroes (et de leurs parents) en leur inculquant le bon goût, Kitsuné habille son électro de cachemires aux prix exorbitants.
O. T.
LE STAND UP Lancé par Kader Aoun et Jamel Debbouze, le stand up, à ses débuts, renouvelle l’humour en France mais se heurte cependant à certaines limites, comme celle d’articuler le mécanisme du rire (ricanement) autour de l’origine ethnique de l’émetteur et du récepteur. Au final, le stand-up, c’est quoi ? Une bande de Céfrans, de Renois et de Rebeus qui se moquent des Chinois (seul racisme autorisé par la doxa).
S. M.
LA BOMBASSE DE L’INFO 31 mars 2005. La chaîne Direct 8 innove avec un nouveau concept éditorial: la brochette de bombasses. Adrienne de Malleray, Majda Rida, Caroline Ithurbide, Linda Labidi, Emma Adiei… Mixité ethnique tendance couvent des Oiseaux, la nouvelle génération de «journalistes» TV ne ressemble pas à Arlette Chabot. Cinq ans plus tard, Direct 8 fait plus d’audience que BFM TV et i-Télé réunies.
O. M.
KARL LAGERFELD Pendant qu’on enchaînait des stages souspayés, certains seniors ont vécu trente vies. A 76 ans, Karl a perdu 42 kilos, et bosse pour dix. Photographe, réalisateur, écrivain, DJ, personnage de roman, il est accessoirement créateur: pour Chanel, pour sa marque Karl Lagerfeld, ou H&M, pour qui il signe en 2004 une collection qui déchaîne les foules. Le plus grand cumulard de la mode réussit à être partout sans lasser.
V. F.
LE CHRONIQUEUR TÉLÉ Equivalent cathodique du consultant en entreprise pour son rôle flou, le chroniqueur télé, cumulard de salon (G. Miller), théâtreux en intérim (J.-F. Derec), politologue multicartes (J.-M. Apathie), a envahi les ondes. Majoritaire au début des années 2000, aujourd’hui surtout présent dans les émissions à dynamique freudienne de Canal+ («le Grand Journal», «l’Edition spéciale», etc.), il partage son rang avec ces autres prolos du PAF que sont les polémistes. Leur point commun ? Tous ont compris qu’il leur fallait impérativement trouver d’autres jobs pour survivre dans les années 10.
V. C.
LE PRO-AM En reprenant en 2001 les manettes du «Journal du Hard», Clara Morgane a sonné le glas de l’époque show-biz du porno. Au bord de la banqueroute, le X s’est donc réfugié sur le web, nourri de vidéos gonzo (Bangbros, Seymour Butts, etc.) et semiamateurs disponibles gratuitement sur tout un tas de sites. Plus de stars donc mais des hardeuses de proximité à la carrière flash ou des anonymes balançant leurs sex-tapes filmées en plans fixes. Une tendance qui nous a permis de constater que, pro ou non, tout le monde baise de la même manière aujourd’hui. V. C.
CARLA BRUNI «Oh, je suis femme de président, mais en vrai, je suis chanteuse.»
L’ACCESSOIRE MODE Autrefois les maisons de couture défilaient deux fois par an et vendaient leurs licences à des fabricants de sacs, lunettes, montres… Aujourd’hui, les géants du luxe fabriquent sacs, lunettes, montres et prêt-à-porter griffés. Quant au défilé, il est destiné à asseoir la notoriété et satisfaire l’ego des directeurs de création. Résultat, tout le monde s’habille en H&M ou chez Zara et arbore lunettes Prada et sacs Balenciaga.
J. B.
SACHA BARON COHEN L’homme qui a hystérisé les branchés occidentaux en leur tendant le miroir grinçant de Brüno tire son énergie, sa distance, sa radicalité de… son judaïsme orthodoxe. Il faut croire que faire shabbat évite de s’abîmer dans les flux du capitalisme. De fait, Baron Cohen, à la différence de ses fans, s’est guéri de sa schizophrénie: il est un joueur.
PH. N.
Nouveau métier
COMIQUE CONSPIRATIONNISTE Grâce au 11 septembre, on peut être à moitié drôle, pourvu qu’on soit invité sur les plateaux télé pour parler de la théorie du complot. Variante: faire moins de bonnes vannes et laisser les autres en faire sur vous. La décroissance appliquée au stand-up ?

Sois pro, sois schyzo
Le guest_ Orelsan
Embrouilles sur le Net, manifs devant ses concerts, concerts annulés: Orelsan a connu une année 2009 mouvementée. Tout ça à cause d’un morceau que beaucoup ont pris au pied de la lettre.
En 2004, Skread m’a envoyé une instru avec ce petit sample de guitare andalouse. La beauté du sample m’inspirait un sentiment ambivalent d’amour et de haine, j’ai donc décidé d’écrire une chanson de rupture. Ça s’appellerait Sale Pute. L’objectif de ma chanson a cette époque consistait à montrer comment un mec en plein désarroi peut devenir complètement fou et se ridiculiser sous l’emprise de l’alcool. En 2006, j’ai décidé de la mettre en ligne sous la forme d’un petit clip.
Finalement, c’est moi qui suis devenu complètement fou. Fou face a une France sourde. Sourde et schizophrène. Au travers de mes chansons, je voulais aborder le thème de l’adultère et ses conséquences. J’ai alors choisi d’écrire l’histoire d’un homme qui envoyait un mail à sa petite amie qui l’a trompé. Cet homme n’est pas moi. Cet homme est un personnage.
AMALGAME
Le réel problème que m’a révélé ma chanson, c’est que la France et ses hommes politiques n’acceptent pas de voir la vérité des choses, n’acceptent pas le monde dans lequel on vit et la société qu’ils ont créée. Les réactions qu’ont pu occasionner Sale Pute m’ont donné le sentiment que, finalement, les hommes politiques et les médias ne vivent pas dans le même monde que nous.
La violence aujourd’hui, on la croise partout, que ce soit à la télé, dans les films ou dans la musique, alors je m’étonne qu’on reproche à ma chanson d’être violente. Qu’on la trouve dure, c’est une chose, mais qu’on la décrive comme ultraviolente et qu’on m’amalgame au personnage mis en scène, c’en est une autre. Je ne légitimise pas ce genre de comportement. Loin de là. Ma chanson en est même une critique acerbe.
RÉALITÉ ET FICTION
La polémique est arrivée d’un coup. Au départ boule de neige, elle n’a pas arrêté de grossir à toute vitesse : des blogueuses fans du printemps de Bourges ont prévenu des associations, qui ont alerté les politiques, qui ont tiré la sonnette des médias. Au milieu de tout ça, je n’ai pas su réagir. Je me suis défendu du mieux que je pouvais, mais c’est loin d’être évident, surtout par medias interposés.
J’essayais à la fois de montrer que j’avais compris combien ma chanson avait pu heurter certaines personnes, mais je ne voulais pas non plus m’excuser de l’avoir composée. Malheureusement, beaucoup n’ont pas voulu saisir le décalage entre la réalité et la fiction. Et puis il y a tous les autres : ceux qui n’ont pas la même culture audiovisuelle que moi, que les gens de ma génération, pas les armes pour comprendre les différents degrés, sans parler de leur absence totale de culture rap. Finalement, c’est mon concert au printemps de Bourges qui a été annulé. Je pense que cela a été une erreur de me déprogrammer pour d’obscures raisons, d’autant que, contractuellement, ils n’en ont pas le droit et que mes concerts ce sont toujours super bien passé avant que cette polémique n’éclate. Heureusement, certains m’on soutenu, comme François Bayrou et, surtout, Frédéric Mitterrand, qui est venu mettre un terme a cette histoire en tant que ministre de la Culture.
SYMBOLE DE L’HORREUR ?
Maintenant que la polémique est terminée, je me reconnais tout de même certains torts. Si je devais réécrire Sale Pute aujourd’hui – c’està-dire cinq ans après –, je rajouterais des éléments qui pourraient lui donner plus de crédibilité. Je changerais l’interprétation et la rendrais plus précise. En fait, j’argumenterais mieux mais le fond de mes propos resterait le même.
A l’heure des compORELSAN QUI ES-TU, ORELSAN ?tes, cette histoire m’a tout de même plus nui qu’autre chose : mes concerts sont annulés, les programmateurs hésitent a m’inviter et mon image auprès des Français n’est pas bonne, en plus de ne pas être LA bonne. Au départ, pourtant, si on a parlé de moi et si j’ai été invité aux Francofolies, c’est quand même que mon son plaisait, que mes paroles touchaient et reflétaient une certaine réalité. Là encore, on voit bien le paradoxe : une France qui écoute mon son et une autre qui l’érige en symbole de l’horreur en clouant son interprète et écrivain au pilori. Ou quand la France ne chante plus comme elle vit.

ORELSAN QUI ES-TU, ORELSAN ?

Esthétique de la lose, frustration sexuelle, grosses murges et addiction à la PlayStation: malgré les apparences, à 27 ans, le rappeur caennais est tout sauf «Perdu d’avance», le nom de son album paru au début de cette année.

60 MILLIONS DE NON-CONSOMMATEURS
LA DER DES DER?
«Law And Order», alias «New York District», et ses vingt saisons sont sur le point de battre le record de longévité. Problème: elle ne fait presque plus d’audience. Serait-ce la fin définitive des séries longue durée ? A New York, sur le tournage, le suspense bat son plein.
Une salle entière de figurants habillés en officier de po lice, en infirmière, en avocat, en greffier, en ou vrier de chantier, en juge ou en matelot. Certains lisent, beaucoup dorment, tous ont l’air d’avoir été kidnappés au milieu de leur journée de travail et matérialisés dans un lieu inconnu rempli de canapés. Une vision dingue, Law And Order (L&O) sur un plateau.
Créée en 1990 par le producteurcomptable Dick Wolf, un New-Yorkais pur jus, Law And Order, mieux connue sur 13ème Rue comme New York District, est l’une de ces (rares) séries qui s’attache à transmettre quelque chose de l’endroit où elle se déroule. Après vingt ans de bons et loyaux services, la série est toujours en partie shootée dans les rues de la ville et ne rate rien du buzz et du folklore « blue collar » incessant (beaucoup de types en uniformes qui déchargent des caisses à l’arrière des camions, New York, quoi).
20 BALAIS
Nous sommes au 62 Chelsea Pier, un grand ensemble de docks situé le long de l’Hudson River. Le dernier immeuble au bout du port est réquisitionné par Wolf Films. Chaque jour, dans ces murs se joue le sort de L&O et de ses petites sœurs, Spécial Victims Unit (N.Y. unité spéciale) et Criminal Intent (N.Y. police criminelle).
Aujourd’hui, on tourne une scène de l’épisode six de la saison en cours, la vingtième, la « fameuse », celle de presque tous les records.
20 ans, c’est l’âge de la doyenne officielle des séries dramatiques américaines, l’increvable Gunsmoke, un western qui a connu le passage du noir et blanc à la couleur. Maintenant, ils sont deux à détenir le titre. La question que tout le monde se pose : L&O ira-t-elle un cran plus loin ? Battra-t-elle le record ? Les pronostics ne sont pas fameux. Vingt ans après, rien n’a changé. On continue d’accompagner une affaire criminelle à travers les mailles du système judiciaire américain, depuis l’enquête des flics jusqu’au procès, le leitmotiv musical « ton-ton » introduit toujours les séquences, le cast est toujours aussi « interchangeable » (dans les termes délicieusement cruels de Wolf) et chaque épisode s’achève toujours sur un questionnement moral irrésolu.
LA CONCURRENCE FAIT RAGE
Le puissant Linus Roache, interprète de l’assistant du procureur Michael Cuttler, fait d’ailleurs remarquer qu’aucune autre série à l’antenne « n’interroge aussi directement la société et n’invite autant le spectateur à la réflexion ». C’est juste. Respect. Mais petite frayeur aussi, car vingt après, le paysage télévisuel est sens dessus dessous, la concurrence fait rage, et d’autres « procedurals » plus hi-tech (mais qui lui doivent beaucoup) ont pris le relais dans les habitudes névrotiques des téléspectateurs. Ça s’appelle les Experts, NCIS, Criminal Mind. En un an, L&O a perdu un million et demi de ses fidèles, ramenant son parc de fans à un peu moins de sept millions. Des chiffres difficilement tenables en cette période de disette.
Quelques jours avant notre venue sur le plateau, l’hebdomadaire US TV Guide réunissait toute la famille Law And Order pour un gigantesque « photo-shoot » anniversaire – du moins ceux encore vivants (RIP Jerry « Briscoe » Orbach). Et, aujourd’hui, derrière les sourires des acteurs et des techniciens présents, il y a le sentiment que tout pourrait s’arrêter demain. Linus crève l’abcès : « NBC a passé commande pour seize épisodes cette saison. Ils n’ont pas encore décidé pour les six restants. Toutes les productions subissent une pression nouvelle en ce moment, il n’y a pas que nous. Mais j’espère qu’on sera renouvelés une vingt-et-unième fois. Il le faut : on doit battre Gunsmoke ! »
3 M$ L’ÉPISODE
Vieux de la vieille des plateaux de série, à l’œuvre sur L&O depuis seize ans (showrunner depuis quatre), Rene Balcer mâche moins ses mots : « NBC se retrouve dans les cordes. Leur programmation va s’écrouler – ça a déjà commencé avec les chiffres effroyables de Jay Leno et de Trauma – et quand ils feront leurs comptes, ils verront qu’ils ne perdent pas tant d’argent avec nous. Je pense qu’on finira par obtenir une commande supplémentaire de six épisodes. On aura une saison complète. »
Et combien ça coûte un épisode de L&O exactement ? « 3 M$, et son prix de retour immédiat pour la chaîne est de 1 à 2 M $. Donc, si vous recherchez un profit à court terme, c’est raté. Et c’est ce que veut NBC. Leur horizon est devenu très court. » En comparaison avec Chuck, une série bourrée d’explosifs et d’hélicoptères qui coûte à l’unité 2,6 M$, ça fait pas un peu cher 3 M$ l’épisode ? « La télévision est en crise depuis quatre an. Chaque année, on gratte sur les budgets. Chuck coûte moins pour la simple et bonne raison que notre show existe depuis très longtemps. Ça en fait des augmentations de salaires en vingt ans ! » recherchez un profit à court terme, c’est raté. Et c’est ce que veut NBC. Leur horizon est devenu très court. »
En comparaison avec Chuck, une série bourrée d’explosifs et d’hélicoptères qui coûte à l’unité 2,6 M$, ça fait pas un peu cher 3 M$ l’épisode ? « La télévision est en crise depuis quatre an. Chaque année, on gratte sur les budgets. Chuck coûte moins pour la simple et bonne raison que notre show existe depuis très longtemps. Ça en fait des augmentations de salaires en vingt ans ! »
«LÀ, C’EST TERMINÉ»
L&O est encore susceptible de décrocher sa commande de six épisodes. Sa chance, c’est qu’aucune nouveauté de la chaîne ne semble fonctionner. Mais une saison de plus ? Un record du monde ? « Je n’en ai pas la moindre idée, soupire Balcer. Question de politique économique. Un épisode peut rapporter de l’argent, sur la durée, avec les redifs et l’exploitation DVD. Mais non : ils regardent ce qui passe là, tout de suite… On verra. »
Bientôt, il n’y aura peut-être plus Law And Order à la télévision. Et sans doute plus aucun « ensemble show » capable de tenir seul la distance aussi vaillamment (les Experts en sont à dix saisons, ils s’accrochent). Le climat actuel dit que ce n’est plus possible. Jamais. « On a fait beaucoup d’argent à la télé pendant trente ans. Là, c’est terminé. » Ainsi parlait Dick Wolf au festival de Monte-Carlo il y a deux ans. Sa prophétie s’est réalisée : les séries de 10, 15, 20 saisons sont condamnées, presqu’une chose du passé. Une seule certitude à ce stade : ça fera de la place sur les étagères DVD.
SOIRÉE SPÉCIALE «NEW YORK DISTRICT»: LE 13 NOVEMBRE À 20H40. 13ÈME RUE.
BENJAMIN ROZOVAS
JURASSIC PARK «New York District» et ses dérivées («Unité spéciale», «Section criminelle») ne sont pas les seules doyennes de la télé. Hommage aux anciens.
«LES SIMPSON»_20 SAISONS Les habitants de Springfield sont au moins assurés d’aller jusqu’à vingt-deux puisque Fox vient de signer pour deux saisons supplémentaires. Officiellement donc, la série la plus longue de l’histoire de la télé américaine (les soap opéras ne comptent pas). Loin derrière, avec «seulement» treize saisons, on trouve «South Park».
«DOCTOR WHO»_30 SAISONS Une petite technicalité se cache ici: la série a disparu de l’antenne de la BBC pendant seize ans après un run historique de vingt-six saisons. Son revival en 2005 pousse le record encore plus loin et la Whomania, à ses sommets. Triomphe national outre-Manche et objet de jalousie mondial. Pourvu que ça dure.
«JULIE LESCAUT»_17 SAISONS Ok, peut-être pas une série télé au sens où on l’entend aujourd’hui (et même hier). Mais considérant son âge avancé et le fait qu’elle existe toujours au sein d’une production française décimée par l’envahisseur US, ça ne fait pas moins d’elle une miraculée. Ça non plus, on n’est pas prêt de le revoir. B. R.

60 millions de non-consommateurs
LE POKER La décennie écoulée aura au moins accouché d’une utopie: le Texas hold’em, fulgurante addiction ludique de masse. Appâtée par la perspective de pouvoir pagayer un jour sur un torrent de cash-flow, une génération s’est abandonnée à ce jeu qui donne le sentiment de pouvoir rationnaliser le hasard et de pénétrer dans le cerveau de l’autre sans y être invité. Bref, un moyen simple de s’imaginer (le temps de se faire plumer) en maître du monde.
V. C.
LA PRESSE GRATUITE Arrivés en France en 2002, les gratuits d’information («Métro», «20 Minutes») ont bouleversé le paysage de la presse puisqu’il est désormais possible de faire sa «une» avec une pub pour shampooing. Collant un bon coup de pied au cul des quotidiens nationaux ramollis par des années de monopole, ces titres (surtout «20 Minutes») ont inventé un journalisme fast-food stimulant avant de donner naissance à des rejetons analphabètes comme «Direct soir» ou «Direct matin».
N. S.
L’EURO On peine à s’en souvenir, mais, jusqu’au 1 er Janvier 2002, on payait avec une monnaie nationale qui s’appelait le franc. Une baguette valait 3,50 FF, un paquet de clopes 20 FF, et un ticket de métro 4 FF… Et puis, on a utilisé l’euro qui avait la bonne idée de valoir un dollar et on a oublié le franc. Notons que dans le dernier James Bond, le méchant exige d’être payé en euros et pas en dollars. La crise aidant, on dirait que le plan a marché.
J B.
LES LABELS La mafia avait ses Triades, l’industrie musicale, son quartet tout-puissant: Universal, Sony, EMI et Warner, trois-quarts des parts de marché et des cohortes d’employés dévoués à travers le monde. Puis la révolution Internet est passée par là, les Arctic Monkeys sont venus relever les compteurs de MySpace, et la doxa a dû s’incliner. Aujourd’hui, les pointes diamant des pontes du disque d’Or sont les vestiges d’un écosystème révolu.
O. T.
LES STAGIAIRES DE 30 ANS Le stagiaire de 2010 n’a plus rien à voir avec le zombie qui attendait l’heure du départ pétrifié derrière la photocopieuse. Normal, il a passé le cap: à 29 ans et demi, il s’est dit que ses chances de connaître un jour le monde du travail étaient proches du néant. Et qu’il fallait donc attendre tranquillou que le système se casse la gueule. Ou que son boss, qui gagne à peine plus que le SMIC, soit obligé de se casser vivre en province.
M. PH.
LE PEER-TO-PEER Avant, on se copiait des «K7» ou on enregistrait nos morceaux préférés quand ils passaient à la radio. C’était pratique, gratuit, mais limité. Et puis, en 1999, Napster nous a permis d’échanger gratuitement de la musique au format numérique à l’échelle planétaire. Depuis, Gnutella, Limewire, eMule, puis le système Bittorrent et d’autres ont pris le relais. Il paraît que maintenant, plus personne ne le fait.
P. B.
LA FIN DU RENDEZ-VOUS TÉLÉ LES SÉRIES TÉLÉ Certains parlent de «démédiation», d’autres de «convergence numérique» ou de «segmentation de l’offre», termes pudiques pour faire allusion au fait qu’à TF1 et ailleurs, c’est l’angoisse. Finie l’époque où on restait sagement à la maison pour suivre «Joséphine, ange gardien». Maintenant, on switche, on télécharge, on podcaste, on s’enfile des images en streaming, si bien qu’on ne sait plus vraiment si ce qu’on regarde sur son iPhone c’est un sex tape amateur posté sur YouTube ou un épisode de «Secret Story».
M. PH.
LES SERIES TELES A part Alain Carrazé, qui l’a vu venir ? C’est le plus grand chamboulement de la société de consommation dans cette décennie. Il y a dix ans, les «séries américaines», c’était ce truc de happy few qu’on regardait à heure fixe à la télé. Aujourd’hui, c’est l’opium (du peuple) qu’on emporte partout avec soi. Vous les téléchargez, vous vous les enfilez en coffrets DVD… Le temps vous appar-tient. Ou alors plus du tout.
B. R.
LE DIVX En 1999, le Montpelliérain Jérôme Rota bidouille le logiciel utilisé par Microsoft pour compresser des vidéos destinées à être regardées sur le web en «streaming». Il en tire le format DivX, qui devient la norme en matière de compression de vidéos tout court. Et permet l’échange de millions de films copiés depuis un DVD ou enregistrés en scrède dans les salles de ciné. Merci qui ?
P. B.
EBAY Avec 276 millions de membres dont 10 en France, eBay a remplacé la balade chez les brocanteurs, les vide-greniers, les disquaires, les bouquinistes et autre Killiwatch. Problème: ça nous fait enfiler des slips portés par d’autres ou entendre des choses du type: «J’ai acheté des lames de rasoir sur eBay à moitié prix. Tu sais, c’est cher, les lames de rasoir.» (Authentique).
S. M.
LA FIN DE LA PROPRIETE Le marketing, une science qui ne dit pas que des bêtises, fait la distinction entre un «produit rival» et un «produit non rival». Le premier est un produit unique, comme une baguette de pain, que l’on ne peut pas offrir à son voisin sans le perdre. Le second est un produit que l’on peut partager sans en perdre le bénéfice, comme un fichier MP3. Et si le vol, ce n’était pas la copie, mais la limitation de l’accès à un «produit non rival» au nom de la propriété ?
P. B.

Le guest_ Mouloud Achour
iSEUL
Mouloud devait nous rendre un texte sur le posthumain des 00’s, la non-consommation, tout ça. Finalement, il a décidé de redevenir humain pour l’occasion. Et c’est une très bonne idée.
Dans les années 2000, j’écrivais beaucoup. Pour la presse, à mes amis, pour moi. Et plus ça va, moins j’y arrive, pourtant je n’ai jamais autant tapé sur mon ordinateur. Avant, quand je me mettais sur mon clavier, l’ordinateur me demandait si je voulais enregistrer mon document. Aujourd’hui, je ferme juste des fenêtres pleines à ras bord de conversations déjà oubliées, loin d’êtres illustres mais illustrées par des émoticons.
J’avais assez peu recours au correcteur d’orthographe, j’ai désormais pris l’habitude d’écrire des phrases soulignées en rouge. Les fautes d’orthographe des autres me sautent de moins en moins aux yeux et elles deviennent parfois miennes. Heureusement, il y a une application pour ça: mon ami Ali m’a conseillé de télécharger le Bescherelle sur iPhone.
SUR LE CHAT FACEBOOK
Me voici donc à la fin de la décennie, surconnecté avec un cerveau sous-sollicité. Plus besoin de bien écrire puisque, sur Internet, on ne vous lit plus, mais on vous répond. Plus besoin de se renseigner, d’être curieux, ni de parler, tout le monde est wikiexpedié. Ça ne sert à rien non plus de chercher à savoir ce que deviennent les gens, ce à quoi ils aspirent et tout le bordel, ils nous bombardent de twits instructifs et de statuts enviables.
Dimanche dernier, il ne pleuvait pas, mais je n’avais pas envie de sortir. Le chat Facebook suffit à satisfaire mon besoin de conversation dominical. Impossible de savoir de quoi je parlais ni à qui je répondais : « Ah ouais, carrément. » Plus aucune trace. Rien.
Je parlais à un peu tout le monde, sans trop vouloir en savoir ni en dire, tout en me lamentant sur les forums de la disparition de guiks.net, un tracker mythique, source inépuisable de dvdrip VOSTFR, de BDrip, d’ISOS et de TV VOSTFR. J’étais triste parce que, grâce à ces fichiers, je m’évadais. Pas besoin de savoir ce que j’allais devenir, le destin de Jack et Locke est beaucoup plus passionnant.
«PLOC»
Ça sert à quoi de dire aux gens que ce monde est absurde, Larry David le fait si bien. Faire des dîners entre amis, des pique-nique, ça me déprime et je n’aime pas avoir l’impression d’être dans Friends. Bref, dimanche. La télévision, iTunes et un être ami au téléphone offraient du bruit à mes oreilles, mais seul un bruit sourd, un « ploc », attirait mon attention. C’est celui qui indique qu’on vous parle en ligne, et je vois s’afficher le portrait de Laurence Rémila, mon bourreau, qui me dit : « On fait un numéro sur ce qui restera des années 2000 , t’en es ? » Avec ce qui me reste d’enthousiasme, je lui réponds : « J’en suis. » Puis il me lance la thématique dans la gueule : « On te voudrait sur le thème “Comment Steve Jobs m’a transformé en posthumain”. »
Petit hic, il faut parler de moi. J’ai passé cette décennie à parler des autres, aux autres, à réellement m’intéresser aux vies et aux propos des gens à qui je posais des questions, sur qui j’enquêtais ou écrivais. Mais ça, je ne peux pas le dire tout de suite, je suis donc d’abord lâche sur le chat : « Euh je ne comprends pas. » Puis par SMS : « Envoyez-moi des exemples sur mon mail, je verrai. » Puis au téléphone : « Ah ah ah, j’ai toujours rien reçu, bon je vois pas trop de quoi vous voulez parlez. »
DÉCISION FOLLE
Quelques jours passent, je me dis que le bouclage est en route et que je pourrai échapper au couperet. Une semaine passe. On n’a jamais eu autant de moyens de communication donc jamais autant de moyens d’être injoignables. Un dimanche plus tard, soit aujour d’hui, je suis bombardé de SMS sympas : « All good ? » ou de mails du genre : « Attention, je vais écrire sur ton mur que tu n’as pas rendu à temps. »
Je prends alors une décision folle : je coupe tout. Je débranche ma Livebox, éteins iTunes, mon iPhone, je mets quand même une heure pour dire non à la PS3 – j’avais besoin d’atteindre un point de sauvegarde à Uncharted 2. Et je me mets à regarder le plafond, sans trop savoir quoi raconter.
FITZGERALD À LA RESCOUSSE
Je suis soudain pris d’une envie étrange, une envie de lire. Hélas, je n’ai pas de Kindle et mon iPhone est coupé, donc pas de ebooks. Mais il y a une application pour ça : les livres ! Laurent Bon m’a conseillé la Fêlure de Fitzgerald, et Francis résume bien comment l’ADSL a changé ma vie.
« J’avais vu tellement de gens tout ma vie – je m’entendais assez bien avec les gens, mais ce qui dépassait chez moi la moyenne, c’était une tendance à identifier mes idées, mon destin et moi-même avec des gens de toutes classes que je rencontrais. Je passais mon temps à sauver les gens ou à être sauvé. Je vivais dans un monde d’ennemis impénétrables et d’alliés et d’amis inaliénable. Mais j’avais désormais envie d’être seul, et je m’arrangeai en conséquence pour m’isoler jusqu’a un certain point des soucis ordinaires. » Aujourd’hui, il y a une application pour ça aussi.
MOULOUD ACHOUR

COVER _C’ÉTAIT LES ANNÉES 2000
Big baby
LA CIGARETTE Les années 00 auront vu la proverbiale phrase d’accueil «fumeur ou non fumeur ?» avantageusement remplacée par une kyrielle de délicatesses: «Restez pas devant la porte, siouplé», «Laissez les verres à l’intérieur, j’ai dit» ou encore «Meeerde, je me suis fait voler mon sac pendant que j’étais dehors», qui rythment désormais nos soirées en ville. On a bien essayé de nous vendre le «smirt» (le flirt au coin fumeur) comme une agréable contrepartie, on aura surtout découvert des haleines inconnues jusque là.
V. F.
LES FLUOKIDS «Sois cool, éclate-toi.» Sous le règne des aficionados d’électro pompière en sneakers collector, ce credo est devenu une règle, celle qui permet de distinguer le bon grain (souriant) de l’ivraie (qui fait la tronche). C’est l’avènement d’Ed Banger, supertanker aux cales pleines de goodies en tubes et de Justiciers rois du monde. Comme dirait Pedro Winter, éminence de la multinationale du fun: «Il fait beau, va t’acheter des baskets.»
O. T.
LA QUINQUA SEXY Ce fut à chaque fois un petit choc gêné que de découvrir Arielle Dombasle, Sharon Stone ou Madonna s’afficher en couv’ des magazines en jeunes filles sexy alors qu’elles ont l’âge d’être grand-mère. Dernier soubresaut du process d’infantilasation, les quinquagénaires ont apparemment décidé de se poser en rivales éternelles de leur progéniture – avec bousillage psychologique à la clé.
PH. N.
PRENDS UN CACHET Parce qu’il est plus juteux financièrement et moins risqué pénalement de fourguer deux kilos de coke que dix kilos de shit, on aura vu passer des lignes de «C» longues comme des poteaux pendant toute la décennie. Mais la drogue fatale des 00’s, ce sont les tranquillisants, qui permettent de dormir pour parfois ne plus se réveiller (RIP Heath Ledger, Michael Jackson, Filip Nikolic).
S. M.
SÉGOLÈNE ROYAL Imaginez une femme qui vous ordonne de vous aimer les uns les autres, une maîtresse qui cherche à vous punir pour vous protéger, une maman dont vous avez un peu honte de la maladroititude. Le PS ne s’en relèvera pas.
R. T.
LE POLITIQUEMENT CORRECT Là où le diktat politically correct passe, le feeling anar de droite trépasse – pour le pire et pour le meilleur. C’est ainsi que Maurice Dantec a disparu des radars médiatiques, qu’Alain Soral est désormais tricard des plateaux télé, que Michel Houellebecq a émigré en Irlande. Alors, comment tonner contre l’ordre moral qui «empêche de dire ce que l’on pense» ? Soit en se drapant dans le rôle de martyr (Finkielkraut), soit en affichant un physique de moineau ravi à grande gueule mais très inoffensif (Eric Zemmour).
PH. N.
LES OPEN BARS Mars 2009: après dix ans d’alcoolisme au forfait, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, fait interdire les open bars. Les professionnels de la nuit sont partagés, ceux de la santé, aussi. Encore une nouvelle interdiction sans effets ? On craint la multiplication des open bars à la maison. Mais, après un intense lobbying à l’assemblée, les dégustations de vin échappent à l’interdiction. Ça s’arrose !
O. M.
LE COACHING En dix ans, le coaching a connu un développement fulgurant, passant du monde du sport à celui de l’entreprise pour atterrir finalement à la télé. Il existe plusieurs types de coachs: 1) Le bon, qui vous aide à accéder à un potentiel insoupçonné dans le respect de votre autonomie. 2) Le coach gourou, qui vous tient la main pour maroufler un mur et sait mieux que vous de quelle couleur il faut repeindre votre chambre à coucher. Bref, comme en tout, le coaching nécessite un sens aigu du discernement. Existe-t-il au moins des coachs pour apprendre à trouver un bon coach ?
N. S.
LA CENSURE Des enfants de Maurizio Cattelan pendus à un arbre, à Milan, en 2004, à la photo d’une Brooke Shields jeune et dénudée de Richard Prince récemment retirée à la Tate Gallery: la censure a atteint une dimension judiciaire d’un autre siècle. Chez nous, le procès intenté à l’exposition «Présumés innocents», présentée au CAPC de Bordeaux en 2000, a fait aussi dans le grotesque: les commissaires, accusés de «diffusion d’images de mineurs à caractère pornographique», attendent la première audience.
CH. B.

LA FIN DE LA LIBERTÉ
Ou comment le triomphe de la propagande, du marketing et de la ans le premier fondement philosophique du monde occidental.
«Freedom has been attacked today (…), and freedom will be defended. » Cette phrase a été prononcée le 11 septembre 2001 par le leader du monde libre, George W. Bush. Une décennie de huit ans plus tard, quand on dit « libre », on pense surtout à des logiciels. Ou au slogan inventé pour vendre le dernier film de Christophe Honoré – « Vivez libre ! » –, placardé sur un cliché de Chiara, issu non pas du long-métrage mais d’un photo-shoot de Mondino. A-t-on mesuré le poids de ces mots, le choc de ce genre de photos pour attirer les gens dans le piège mortel de la mieux-disance, de la bien-pensance et de la mal-filmance ?
Si l’on fait les comptes – il faut bien les faire à un moment, et ce moment est arrivé – la décennie écoulée aura marqué la lente agonie de la valeur reine du modèle occidental. Dans le pays où l’on en fait des statues, la Liberté a rarement été autant « attaquée » par ceux qui juraient de la défendre.
«SOURIEZ, VOUS ÊTES FILMÉS»
Les années 00 auront été celles des élections volées, des détentions secrètes et arbitraires, des zones de non-droit, de la surveillance tous azimuts et du Patriot Act. Ailleurs, forcément, il y a eu contagion. Quand le « phare de la liberté » se fait gyrophare, les petits bateaux sur l’eau perdent le sens de l’orientation. Les dénis démocratiques (Chirac qui gouverne comme s’il avait été élu par 82% des gens, le pas de deux PoutineMedvedev sur fond de journalistes irradiés, l’éternel retour de Berlusconi, le duel Royal-Sarko, etc.) se sont multipliés comme des petits pains dans nos visages.
Et, partout, on avale, on en redemande, comme dans cette pub invraisemblable pour les bienfaits de la télésurveillance sur la côte d’Azur (« Souriez, vous êtes filmés ! »), technologie ont détruit en dix comme ces sportifs richissimes qui signent volontairement des contrats leur interdisant de s’habiller comme ils le désirent quand ils passent à la télé, ou comme ces femmes voilées, sincèrement convaincues qu’elles le sont par choix personnel.
VOTE ILLUSION
Le problème n’est donc pas tant que le pouvoir (politique ou économique) s’attaque aux libertés individuelles et collectives – il l’a plus ou moins toujours fait partout – mais qu’on se montre à ce point incapable d’y résister. Les soupapes classiques ne marchent plus. Si le choix demeure Le Pen-Chirac, Oui maintenant-Oui demain ou Royal-Sarko, le vote est une illusion. Si les lofteurs sont des stars, la célébrité est un mirage. Nos quotidiens sont devenus une somme de gags kafkaïens et de cauchemars orwelliens.
Si ce que l’on écoute, que l’on regarde ou que l’on bouffe est prédigéré par le marketing, les goûts et les couleurs ne peuvent plus se discuter. Si la presse écrite se suicide en croyant devoir lutter avec les médias audiovisuels sur le terrain de l’image et de l’instantanéité, le quatrième pouvoir se fait première impuissance. Si le monde entier a les mêmes iPhone sur lesquels il reçoit les mêmes spams, on est tous déconnectés.
ABDICATION HISTORIQUE
Le bon goût marketé, l’intelligence marketée, les idées marketées, les points de vue marketés, les envies marketées, les révoltes marketées, les polémiques marketées, les mêmes magasins remplis des mêmes produits à Briançon, Singapour et Istanbul, les serveurs vocaux impénétrables dont le but est qu’on ne puisse jamais parler à quiconque – qui serait de toute façon bien incapable de résoudre nos problèmes –, la somme de gags kafkaïens et de cauchemars orwelliens que sont devenus nos quotidiens parce qu’on le veut bien et qu’on est même prêt à PAYER pour en avoir le privilège, représentent une abdication historique sans précédent. To be free ? Vous voulez parler d’un boy’s band endeuillé ou d’un fournisseur d’accès ?
Dans ce contexte, le plus triste est peut-être l’incapacité de la pop culture à faire ce pour quoi elle a été inventée – lever les couvercles, faire sauter les verrous –, alors qu’on a plutôt l’impression que toutes les portes de sortie ont été murées. Le désarroi pop face à l’ampleur du désastre n’a de comparable que la servitude faustienne et l’aliénation volontaire qu’ont fini par représenter la gloire, l’argent et même « la liberté de conscience ». Freedom has been attacked, c’est vrai. Et, pour l’instant, freedom has been defeated.
AND THE WINNER IS… Jacques Chirac, le soir de son élection en 2002. Il écrase Le Pen avec 82% d’électeurs qui n’avaient plus vraiment le choix d’élire qui ils voulaient.
LÉO HADDAD

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Big baby
«NOUS SOMMES DES KIDULTES» Will Self vient de publier «No Smoking», roman dans lequel il se moque de l’interdiction de fumer comme des excès du droit des minorités. Infantilisation généralisée ? Démonstration.
WILL SELF, COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS LA VAGUE D’INTERDICTIONS DE FUMER DANS LES LIEUX PUBLICS QUI A SUBMERGÉ LES PAYS OCCIDENTAUX DANS LES ANNÉES 00 ?
les Irakiens, les Afghans ou les Libanais à vivre comme nous, de l’autre, on veut que les minorités musulmanes de nos pays se sentent mieux en leur offrant la discrimination positive. C’est frappant en GrandeBretagne : l’armée britannique tue des musulmans en Irak ou en Afghanistan alors que l’archevêque de Canterbury affirme que les tribunaux islamiques appliquant la charia peuvent avoir un rôle dans le système judiciaire britannique. Bannir la cigarette des lieux publics n’est pas une mauvaise chose. Mais nos gouvernements font quel que chose d’autre avec ça. Ils essaient de se montrer efficaces en édictant des lois qui régissent une évolution des mentalités déjà advenue.
VOUS DITES QU’IL Y A UNE CONFUSION ENTRE LA RECHERCHE DU BONHEUR ET CELLE DE LA SANTÉ… GRILLÉ
Dans son «No Smoking», Will Self raconte comment, en fumant une dernière clope interdite dans les lieux publics, son héros se voit accusé de tentative de meurtre. Les politiciens estiment que s’il y a plus de gens en bonne santé, on sera une société plus heureuse. Du coup, la santé publique devient le bien public. Mais personne ne prend le temps de réfléchir aux questions que sous-tendent ces affirmations : à quoi sert la société ? Qu’est-ce que le bonheur ? Quel est notre but ? Aujourd’hui, nous n’avons plus d’autre objectif que de vivre le plus longtemps possible et d’acheter des choses. Notre économie a besoin que l’on achète des choses. L’Etat nous incite donc à arrêter de fumer pour qu’on puisse travailler et gagner de l’argent le plus longtemps possible pour acheter des choses.
MAIS MÊME UNE SOCIÉTÉ SOCIALISTE OU UTOPIQUE SE DEVRAIT D’AVOIR UNE POLITIQUE DE RÉDUCTION DES RISQUES ÉQUIVALENTE…
Peut-être, mais je ne crois pas aux utopies et ce que je constate, c’est que dans notre société, il n’y a pas la place pour une vraie réflexion sur les drogues comme la cigarette, l’alcool, la cocaïne ou la marijuana… Quel est le rituel de la cigarette ? Est-ce qu’elle crée des solidarités sociales ? Est-ce une médiation entre jeunes et vieux ? Quelles sont les cérémonies liées à cette drogue ? On évacue toutes ces questions par l’interdiction comme, à l’opposé, on évacue celles sur l’alcool par la libéralisation.
POURQUOI «NO SMOKING» SE DÉROULET-IL EN AUSTRALIE ?
«L’Etat est une mauvaise maman qui punit ses enfants mais ne les aide pas à progresser.» cool par la libéralisation. Pendant longtemps, en Angleterre, on ne pouvait commander un verre dans un pub qu’à certaines heures. Et puis, on a supprimé toutes les restrictions et la consommation a été multipliée par deux. L’idée, c’était que la liberté nous permettrait d’apprendre à être responsables comme les Français et les Italiens. Sauf qu’on ne décrète pas une culture de l’alcool. Du coup, en Angleterre, des milliers de jeunes pratiquent le binge drinking.
CETTE POLITIQUE INFANTILISANTE NE CONCERNE-T-ELLE QUE LES QUESTIONS DE SANTÉ PUBLIQUE ?
Non, on assiste au même genre de confusion en ce qui concerne la politique identitaire d’égalité pour les minorités – gays, femmes, musulmans… Prenons le cas des musulmans : d’une main, on veut obliger Jusqu’à la fin des 70’s, les Aborigènes n’avaient même pas la possibilité de voter. Trente ans plus tard, on leur interdit de fumer dans les lieux publics. Ils sont passés en une génération d’un Etat père injuste à un Etat mère intrusive. En Grande-Bretagne, on appelle ça le « nanny state ».
EN QUOI L’ETAT SE COMPORTE-T-IL COMME UNE MÈRE ?
L’Etat ne peut plus dire aux pauvres : « Nous allons redistribuer la richesse et n’oubliez pas de prendre vos responsabilités quant à vos consommations et vos croyances. » Alors, il leur dit : « On vous surveille quand vous déconnez mais on ne vous donne aucun moyen de vous en sortir. » L’Etat est une mauvaise maman qui punit ses enfants mais ne les aide pas à progresser. Mais nous avons tous une part de responsabilité dans l’avènement de cet Etat intrusif. Aujourd’hui, tout le monde ré gresse dans une société de divertissement. Nous sommes à la pointe d’une culture de kidultes : on s’habille comme des enfants, on écoute la même musique et l’on voit les mêmes films que nos enfants. Obsédés par nos relations sexuelles et les objets qu’on achète, on consacre nos vies à jouer.
«NO SMOKING» (L’OLIVIER). 346 PAGES. 23 € .
ENTRETIEN JACQUES BRAUNSTEIN

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Le jeu de rôle sexuel
LA REINE DES CRYPTO-BIS ?
Russel Brand nouvelle coqueluche anglaise de Hollywood depuis «Sans Sarah, rien ne va» incarne le sociotype psycho sexuel le plus ambigu des années 00′ . A 100%.
LES SCANDALES L’homme le moins prude d’ALbion parle de sa vie intime comme d’autres, de leur série préférée. Lorsqu’il ne dérape pas (après avoir couché avec une starlette, il appelle le grand-père -le comédien incarnant Manuel dans « Fawly Towers »- pour lui faire part de détails croustillants, en direct à la radio), sa franchise est salutaire: dans sa fascinante émission « Re: Branded » il explorait de nombreux aspects de sa personnalité. Par exemple, pour savoir son degré de gayitude, il va masturber un inconnu dans des pissotières public. Verdict ? « Na, toujours pas pour moi. »
LE SHAMPOOING A en croire Marian Salzman, grande gourou du marketing spécialisée dans « les sociotypes tendance », le métrosexuel serait mort en 2005. A l’époque, Russel Brand, présentateur-stand-uper-comédien, peaufine depuis plusieurs années son personnage de pervers polymorphe. Plus crypto-bi (apparence queer + hétéro du slip) qu’ubersexuel (selon Salzman, le personnage george-clooneyesque censé avoir pris la place du métrosexuel), Russel aime à répéter: « Ma vie s’est transformée le jour où j’ai adopté cette coupe de cheveux ».
LES FRINGUES Russell reste l’OVNNI préféré des anglais, un improbable croisement entre Oscar Wilde (le langage ultramaniéré), le Stroumpf coquet (mais c’te garde-robe Russ’), et Ron Jeremy (« si je couchais parfois avec plusieurs filles dans une même journée, c’était pour ne pas me retrouver seul »). Lui décrit son style comme étant du « SM version Willy Wonka »).
LE SEXE VOilà dix ans que ses compatriotes se passionnent pour les aventures de son zizi (qu’il prétend « rikiki »). Hier, pour ses révélations sur sa jeunesse (« j’ai découvert les prostituées lors de vacances en Thailande
LAURENCE RÉMILA

LES EMOS Les années 2000 ont vu la mouvance emo conquérir le mainstream. Ultralookés (mè ches gélifiées, jeans slim, maquillage dark) et tourments émotionnels affichés en bandoulière, le sensible androgyne et hé téro flexible emokid s’oppose en tous points au B boy hétéro dur des années 90.
V. F.
LA NORMALISATION HOMO  Les années 90 s’achevaient avec le pacte civil de solidarité et la victoire sur un ordre moral hétéro dominant. Dix ans plus tard, le PACS concerne à 94% les hétéros. Entre temps, avec Karouchi, Mitterrand, Delanoë, Aillagon ou Christophe Girard, les homos ont gagné une visibilité dans le dernier bastion gay frileux (après le sport). En ville, confesser une expérience homo passe tranquille et cultiver son ambiguïté sexuelle est de bon ton. En attendant que le changement infuse le reste de la société.
V. F.
LA TECKTONIK Pavtards, électro épaisse, sueur, capuches, bisous: dernier grand mouvement de la sous-culture, la tecktonik a réussi l’exploit de faire s’embrasser sur la piste du Metropolis des garçons qui se disent hétéros et fiers de l’être. C’est que, se défendent-ils, c’est de l’amour, pas du sexe, prenant ainsi le contrepied du gay power des 90’s. Le revival inattendu et propret de Woodstock ?
M. PH.
LES CHEVEUX LONGS ET LA BARBE Le principe de Poiret (le couturier, pas le comique) veut qu’après avoir poussé une tendance à fond, on passe à la tendance inverse (minijupe/maxirobe, baggy/slim…). Normal donc que le crâne rasé et les joues glabres aient laissé la place aux cheveux longs et à la barbe. De Sébastien Chabal à Frédéric Beigbeder, l’heure est à la réhabilitation du poil, y compris chez les homos. Mais rien de plus civilisé que cette apparente sauvagerie… comme le démontre le succès des assouplisseurs de barbe et autres «salisseurs» de cheveux. J. B.
LE GAY FOR PAY Au départ, le terme désigne les hétéros prêts à jouer dans des films porno gay parce que les salaires y sont nettement plus élevés que dans le X hétéro. Aujourd’hui, Hollywood a adopté l’expression qui désigne ces comédiens hétéros qui se disputent un rôle homo, histoire de faire grimper leur bankabilité. Jim Carrey, Jeremy Irons, Daniel Day Lewis, Tom Hawks, Russel Crowe, ils sont tous passés par là. Même Daniel Radcliff déclarait récemment au magazine gay «Attitude» rêver d’un rôle d’homo.
P. T.
LE RÂLE DES DERNIERS MÂLES Les pros de la polémique semblent avoir un train de retard sur ceux de la drague. Alors que ceux-ci se transforment en crypto-bis pour devenir des séducteurs plus efficaces, les Zemmour («le Premier Sexe») et Soral («Vers la féminisation ?») partent du même postulat (une certaine meufisation de la société) pour en tirer des essais larmoyants. A croire qu’en 2009, un homme-un vrai se doit de chouiner sur les quelques récents acquis féminins. On pouffe en agitant la main.
L. R.
LE DRAGUEUR EFFÉMINÉ Les accros de «Très chasse très pêche» sur TF1 vous le confirmeront: pour endormir plus sûrement sa proie, mieux vaut avancer masqué. Depuis le succès de «The Game», la bible de l’approche sexuelle signée Neil Strauss, les dragueurs en herbe se le répètent: pour être un as de la séduction, il faut se féminiser un chouïa, à l’image du grand Russell Brand qui jouera d’ailleurs Neil Strauss dans l’adaptation hollywoodienne de son best-seller.
L. R.

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L’HOMME À LA MAISON Si l’intello précaire a marqué de son fer les années 2000, il a aussi donné naissance à un nouveau type d’homme: le papa au foyer qui travaille. Témoignage de l’un d’entre eux.
J’ ai vécu le mois dernier une expérience terriblement XXI  siècle. Ayant reçu commande d’un article sur la métaphysique des séries télé, je me suis mis en quête de philosophes capables de me parler de Oz, House ou Lost. Et j’ai surtout trouvé des mecs âgés de moins de 40 ans. C’est là que le sketch a commencé. A base de : «Appelle-moi à 10h30 parce qu’à 11h15, mes gosses rentrent de l’école.» VITE ! Après le coup de vaisselle, aller chercher les enfants à l’école, leur faire à manger. En speedant un peu, je peux bosser sur mon bouquin de 13h30 à 16h00. ma femme est en RTT, je ne garde pas ma fille. » Et aussi : « Avant 18h00, car je dois aller chercher mon fils au Conservatoire. » Et moi-même d’y aller d’un : « La nounou est malade, on peut reporter l’entretien ? »
Mais alors que je planchais sur le rôle foucaldien de la « parole authentique » dans The Wire, l’évidence m’est apparue : du côté des intellos précaires – vous savez, ceux qui bossent chez eux et dépensent un maximum d’énergie à récupérer les chèques – s’affirme un personnage nouveau : le père physiquement présent, très attentif et fatalement tendre.
MEC EMASCULÉ ?
Ce jeune homme n’a pas renoncé à sa mission sur Terre – par exemple, participer au process de civilisation en écrivant des livres – mais, pour le moment, il gagne sensiblement moins que sa femme – elle bosse en entreprise – et se rattrape en élevant activement ses enfants. Et puisque la plupart d’entre nous avons un père façon Petit Nicolas (« Après mon harassante journée au bureau, je voudrais pouvoir lire mon journal tranquille »), nous voilà obligés de tâtonner, d’expérimenter, de mettre au point des gestes, des attitudes, des paroles que personne ne nous a transmis.
Convenons-en : ce genre de profil n’a pas été spécialement glamourisé par des années 00, clivées entre la fascination littéraire pour la paternité du « un week-end sur deux » et les blagues médiatiques du mec émasculé réduit au rôle d’assistant maternel. Car s’il s’agit bien de « castration », encore faut-il s’entendre sur le sens du mot. Que nous dit la psychanalyse ? Que devenir père oblige à sortir du fantasme de « toute puissance infantile » pour accepter ses failles et sa mortalité, trouver une place dans le jeu des générations et s’ouvrir ainsi à cet inconnu qu’est notre désir – c’est ça, la castration. La difficulté étant que ce renoncement à la jouissance en continu n’est pas vraiment encouragée par notre société trop liquide.
APPRENDRE LE JUSTE MILIEU
Bref, il se pourrait bien que la virilité, la vraie, soit plutôt du côté de celui qui accepte ses manques et met à distance la jouissance obligatoire – quitte à apprendre à changer les couches – plutôt que de celui qui flotte sans amarres d’un plaisir à un autre. C’est en tout cas le genre de réflexions qu’échangent les nouveaux pères pour s’arracher au désarroi qui, parfois, tard la nuit, un joint au bec, les gagnent.
Une chose, en tout cas, est sûre : ceux qui ont su acquiescer au réel – élever leur petit d’homme en conscience – ont vu s’ouvrir à eux un monde de nuances que les machines célibataires ignorent. Ils ont dû en effet apprendre à la fois le jeu et la fermeté, le juste milieu entre parer aux mauvaises toxines (« Tu sais pas que les stars sont des gens assez malheureux, en vrai ? ») et accompagner son enfant dans la société (« Mais oui, ils sont mignons, les héros de High School Musical »), à se laisser guider par sa compagne (qui a elle aussi trahi sa mère en renonçant aux pleins pouvoirs domestiques) sans céder sur l’essentiel (« Je te jure qu’elle survivra sans console DS »). Un métier d’équilibriste où la profondeur d’être affleure sous la forme du dérisoire. Le début de la sagesse, en somme.
COMME LES SINGES
D’ailleurs, dans la revue Books, la révolutionnaire anthropologue américaine Sarah Blaffer Hrdy vient à la rescousse de ces pères qui avancent dans le vide. Sa thèse ? L’espèce humaine doit son évolution non pas à l’agressivité des mâles mais à la capacité des petits d’hommes de séduire les adultes afin que ces derniers s’occupent d’eux. C’est ce phénomène unique parmi les grands singes qui aurait permis l’invention du langage et le relatif pacifisme de notre espèce.
Conséquence ? Si les hommes se mettaient vraiment à s’occuper des bébés – à l’instar des tribus pygmées –, alors leur altruisme serait d’autant plus renforcé. Les intellos précaires aux avant-postes de la peacefulness mondiale ? Avouez que celle-ci, on ne vous l’avait pas encore faite.
PHILIPPE NASSIF

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LE PRIX D’ENTRÉE Comment peut-on jouer à l’homme respectable quand on a violé une fille de 13 ans ? Comment peut-on vivre lorsqu’on a passé un pacte avec le diable et que le diable, c’est vous ? Le cas Polanski vu par l’écrivaine Laura Albert.
QUI ES-TU, LAURA ALBERT ? La première fois qu’on a entendu parler de James «Terminator» Leroy, c’était avec son roman trash «Sarah», puis «le Livre de Jérémie». Mais, en 2005, la presse yankee découvre le pot-aux-roses: derrière ce nom se cache l’écrivaine Laura Albert. Attention, fake de génie !

Roman est coincé. Piégé, tourmenté. C’est pas juste, pas du tout.
Il y a toute une foule qui se précipite pour décrier cette injustice : artistes et écrivains, comédiens et metteurs en scène, hommes politiques et intellectuels, richissimes et branchés. Roman est un grand artiste, tout le monde le sait. Il a vachement souffert, il a  beaucoup perdu : son enfance à la guerre, sa mère au génocide, sa femme et son enfant à naître par un crime d’une violence acharnée et brutale, même cnématographique. En plus il n’avait que 44 ans en 1977, tandis que maintenant il en a 76. Il a une femme et deux enfants et une oeuvre brillante et variée. Tellement de temps s’est écoulé. Tant de choses ont changé.
Bien sûr que ces trois décennies d’irrésolution n’ont qu’une seule cause : sa fuite au moment suprême, au moment où il était sur le point d’être condamné pour un crime dont il avait déjà admis être coupable.
Les faits sont clairs. Roman Polanski a drgoué et violé une enfant et a fui le pays. Dites-le une fois de plus, à haute voix si ça peut aider : il a drogué et violé une jeune fille de 13 ans. Il a été pris, il a avoué, il a été condamné et il a couru. Il a couru parce qu’il avait la trouille. L’emprisonnement, c’était pas son truc. Il a abandonné sa Mercedes à l’aéroort et n’a pas remis les pieds aux Etats-Unis depuis.
Le récit qu’a fait la jeune fille au jury d’accusation de Los Angeles en 1977 rend lisible l’approche méthodique et calculée de Polanski, aussi bien la conscience de son habileté, son sentiment de possession.
La scène a été savamment montée : « Assieds-toi de cette façon. Mets cette chemise et ne souris pas. » Plus tard « Bien, maintenant tu enlèves le haut. » Encore plus tard, en route pour le jacuzzi, après avoir passé un coup de fil à maman pour lui expliquer qu’on ne reviendra pas tout de suite. « Enlèves ta culotte. »
Petit à petit, pas à pas, il l’emmène là il veut: intoxiquée, isolée, intimidée. Il est un homme mûr de 44 ans, lui, l’un des réalisateurs les plus célèbres de Hollywood. Elle est une fille de 13 ans, nue, seule, étourdie par le champagne et le Quaalude qu’il lui a donnés. A maintes reprises, elle dit non, demande à rentrer chez elle, se pointe vers la porte. A maintes reprises, il ignore ou rejette ses objections. Il la pénètre par voie vaginale ou anale. Il jouit. Alors que la scène se termine, elle pleure dans la voiture.
Il se trouve maintenant dans une cellule en Suisse. Coinc, piégé, tourmenté. C’est pas juste. Ca se fait pas.
Personne ne conteste que Roman soit coupable, même pas Roman lui-même, mais que les règles normales ne s’appliquent pas à lui : parce qu’ila  souffert, parce que c’est un grand artiste, parce qu’il n’est pas comme nous. Que ces règles s’appliquent à un tel homme serait vulgaire, vengeur, signe d’incompréhension par les esprits faibles et ordinaires. C’est ça le scandale de son incarcération actuelle : il est au-delà de tout ça
Autrement dit, il y a deux régimes, deux ensembles de règles. Enfin pourquoi Roman et sa victime seraient-ils asujettis à une seule et même loi ?
Comme disait Whoopi Goldberg, ce n’était pas un « viol viol », pas plus que Zeus aurit « violé violé » Europa. Un dieu est descendu parmi les hommes mortels pour prendre son plaisir. Si une fille s’est fait mal, tant pis.
Après tout, qu’est-ce que Roman a commis de si extraordinaire ? Hollywood est bâti sur de telles histoires. Dans les mondes interpénétrants de la politique et des médias, de l’industrie et de la finance, l’on consomme et se débarrasse chaque jour de milliers de jeunes garçons et de jeunes filles. Dans les petits villages et dans les métropoles, les enfant se font droguer et tromper et intimider, sacrifié à quelque ego perverti qui ne puisse payer le tarif.
En outre, les mettre sur un pied d’égalité risque de nous faire oublier une vérité essentielle : c’est elle, non pas lui, qui serait coupable.
Voici pourquoi : à Hollywood l’abus sexuelle est une marchandise. L’acte même peut générer une audition, un rôle , un contrat. Le traumatisme devient une histoire, qui donne des talks-shows, des tabloids, peut-être un livre. On vous a transformé en victime ? Ca vous donne du pouvoir. Il s’agit d’une dette, pas forcément remboursable dans les tribunaux mais plutôt avec un rôle ou le financement d’un projet de film. Ne croyez pas que toutes ces jeunes vedettes baisent des trolls gériatriques parce qu’elles aiment ça. Ca fait partie du jeu : vous voulez la pomme, vous mordez le vers.
Mais il existe aussi une règle non-écrite : si vous faites ce commerce, ça fait partie de l’accord, du prix d’entrée. L’ayant fait, taisez-vous et acceptez ce qui vous arrive. Ensuite, vous pourrez écrire un livre qui raconte votre histoire de « child star », ou bien votre drame d’accro, ou bien dénombrer les réalisateurs et les metteurs en scène et les agents et les autres parasites divers qu’il a  fallu baiser pour arriver au sommet. Mais vous avez fait l’échange. Vous n’avez alors pas à vous plaindre.
Lorque Whoopi Goldberg parle de « viol viol », voici la traduction : cette fille payait le prix. Sa mère a passé l’accord Hollywood. Elle connaissait les règles. Si l’on n’aime pas la chaleur, il faut sortir du jacuzzi. Oublions qu’il n’y avait peut-être pas d’accord du tout, et aussi qu’à l’âge de 13 ans, on est peut-être un peu trop jeune pour passer un pacte avec le diable.
C’est quand même bizarre. Si l’on montrait aux défenseurs de Polanski une indienne ou thailandaise vendue dans un bordel pour soutenir sa famille, ils courraient au galop pour la sauver. Et avec raison. Mais pour ces mêmes gens, le statut de victime de cette jeune fille de 13 ans est imperceptible.
Et c’est ça la question ultime : comment est-il possible d’ignorer ce qu’il a fait à sa victime ? La réponse, en effet, est qu’ils ont transformé, leurs propres expériences en marchandises. Elle ne peut pas être une victime, parce qu’elle s’est fait payée, sinon en argent, du moins en promesse de renommée. Et si c’est une marchandise, ce n’est pas un crime. Il peuvent croire ça parce qu’ils ont découpé une partie d’eux-mêmes. Ils ont passé l’accord Hollywood et ils vivent selon la règle de Hollywood, ce qui ne me tue pa, me rend célèbre.
Qu’arrive-t-il à la vérité dans un tel monde ? La vérité se réfugie dans la fiction. Depuis trente ans, Roman Polanski fuit la vérité de ses actions tout en découvrant les vérités les plus profondes à travers les histoires qu’il raconte. Qu’est-ce qu’il se passe lorsque les deux vérités se heurtent ? Nous sommes sur le point de le découvrir.
A 76 ans, Roman traîne dans une cellule en Suisse, pris dans un piège qu’il s’est tendu lui-même lorsqu’il a violé une enfant il y a trente ans. C’est un raconteur doué, Polanski, dont tout une vie d’histoires en fait preuve. On se demande d’ailleurs : comment va-t-il faire pour raconter cette histoire-ci à ses enfants ?
LAURA ALBERT

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Retour vers le passé
TOUT LE MONDE DIT I BRANCHE YOU
La branchitude et le mainstream, c’est comme l’eau et le feu, Polanski et la justice: des pôles qui s’opposent. Par quel étrangeté les 00’s ont-elles fait fusionner les deux ? Voici l’histoire secrète du branchstream.
2001 : j’interviewe Britney Spears. Pourquoi décortiquer un phénomène concernant des teenagers décérébrés de la planète profonde ? Pourquoi ne pas plutôt défendre de vrais grands artistes comme Green Velvet à la place de ce produit puriputain, vantant sa virginité alors que toutes les oreilles mondiales lui sont passées dessus ? C’est le début de la décennie, encore chacun sa case : aux branchés, le rare et l’avant-garde ; aux troupeaux de ringards, le mainstream. Fin de la décennie. Les musiciens hype de Château Marmont finissent d’enregistrer un disque pour Alizée. Lindsay Lohan pose en couverture de Next. L’actrice d’Iron Man 2, Scarlett Johansson, chante pour Pete Yorn et David Sitek. Lady Gaga, n°1 des charts, jouit du soutien de la minorité gay. Pharrell Williams, sous la houlette de Mirwais, roucoule en duo avec Uffie. Lily Allen, superstar amie de The Big Pink, se retrouve en une de Grazia et reprend du Britney. Le mainstream aussi a droit à sa part de branchitude. Bienvenue dans le branchstream.
QUAND L’UNDER DEVIENT OVER
Retour accéléré sur ce glissement pop culturel. Dans les années 80, le rock, devenu une industrie juteuse, se barde de départements marketing. Place aux produits FM, formatés et matraqués à destination des masses : Foreigner, Phil Collins, Kenny Loggins, Whitney Houston, Huey Lewis et Bon Jovi règnent sur les charts.
Les amateurs éclairés de musique conchient ce mainstream. L’écart se creuse, devenant bientôt infranchissable, entre le « commercial » et les choix des branchés, zélateurs pointus de hip hop, d’electro, de hardcore, d’indie, de house ou de techno. Entre mainstream et underground, il faut choisir son camp.
Dans les années 90, se produit un phénomène passionnant : une armée d’artistes issus de l’underground, auteurs d’une musique difficile d’accès et plébiscitée par un petit public sourcilleux, décroche des succès populaires. Nirvana fait la nique à Mariah Carey ! Quand l’under devient over : c’est le mouvement overground, qui voit Nirvana, donc, Daft Punk, Neneh Cherry, Radiohead, Bjork, Oasis, Moby ou Pulp placer des brouettes de hits en haut des charts internationaux. Même Edwyn Collins (du groupe indie Orange Juice) et White Town, un Anglo-Indien faisant du Field Mice, décrochent leur tube !
LE R&B SUPERSTAR
A l’aube des années 00, le mainstream tire la tronche : non seulement son image est celle d’un troupeau de gros ringards mais, en plus, des branchés se sont mis à vendre autant de disques qu’eux. Son nouvel objectif : gagner en branchitude. L’exemple vient d’une rescapée des années 80. Madonna, contrairement à Cyndi Lauper ou Kim Wilde, est toujours dans la course. En faisant appel en 2000 à Mirwais, elle enregistre non seulement un grand disque (Music, enfin), mais le vend aussi par millions et devient une artiste hype.
Britney, qui a cartonné avec deux albums pop produits par des bourrins suédois, décide alors d’embau-cher un duo dans le vent, les Neptunes. Ça fonctionne, aussi bien côté commercial que crédibilisation. I’m a Slave 4 U, à dominante R&B, se retrouve diffusé à la fois dans les ranchs du Colorado et dans les défilés à Milan. La hache de guerre est enterrée, le mouvement le plus novateur du début des 00s, le R&B, étant également le plus vendeur – écouter les réussites d’Aaliyah, Missy Elliott, Truth Heart, Tweet, Mary J. Blige, Eve, Beyoncé, Estelle, Nelly Furtado, Kelis, Justin Timberlake et consorts.
ADOUBÉS PAR LA FASHION
Les années 00 seront donc celles où ceux qui possèdent le beurre voudront également l’argent du beurre. Et ils gagneront souvent sur les deux tableaux, puisque la branchitude, cette usine postmoderne de fashionvictims convertis à la loi de la réussite et du capital, ne trouve rien de plus malin que d’acclamer aussi bien Kylie Minogue que Kanye West, Michael Mann que les frères Wachowski, Stephen King que James Ellroy. Minoritaires sont désormais les hits – pop, électro, R&B, hip hop – pas adoubés par la fashion.
L’angoisse de la décennie, c’est de ne pas être dans le coup. Avec le web 2.0 et la surinformation générale, la branchitude, subissant édulcoration et suivisme, est paradoxalement devenue la valeur la plus partagée. Nous sommes dans une ère où les produits pop théoriquement jetables, au moyen de positionnements habiles, rebondissent et durent grâce à la fusion branchstream.
Fin de la décennie. Un nouveau magazine voit le jour, Kate Moss rockstar ou Lily Allen shoppeuse font les couvertures, le vocable usité va de « Et vous, devenez trendsetteuse » à « Interview Blender d’Ariel Wizman », d’« Une soirée avec Nick Cave » à « Tendance : Natalia Vodianova ». Grazia est un magazine féminin grand public. Juste avant qu’il n’envahisse les kiosques, le centre Pompidou organisait l’événement Britney Remix : « Pour annoncer la sortie du premier numéro de la revue Poli (Politique de l’image), le centre Pompidou accueille une séance exceptionnelle mêlant concert et conférence autour de l’icône pop Britney Spears et de ses fans remixeurs. » Bientôt chez Colette, une ligne de sacs designés par Sheryfa Luna ? Tout le monde s’accroche au branch(stream).
BENOÎT SABATIER

TROIS ARTISTES BRANCHSTREAM
BRITNEY SPEARS Lolita popu des 90’s, elle devient dans les 00’s un produit loué par les branchés: comme Stylus Magazine et Blender, le site Pitchfork classe «Toxic» dans les meilleurs singles de la décennie. Les tubes de Britney ont été repris par des groupes hype comme Metronomy, Ladyhawke ou Panic At The Disco. Et par Lily Allen, autre branchstream.
MICHAEL MANN Dans les années 80 («le Sixième Sens»…) et 90 («le Dernier des Mohicans»…), Michael Mann est raillé par la critique officielle – c’est le producteur de la série «Deux flics à Miami» ! Dans les 00’s, cette même critique «exigeante» va se rattraper au branch(stream) et trouver trop cool «Miami Vice» et chacune de ses sorties.
STEPHEN KING L’écrivain de «la Tour sombre» a vendu des tonnes de livres sans jamais frayer avec la branchitude. Celleci, trente ans après tout le monde, a finalement décidé que King, c’était la classe. L’artiste arty Christophe Fiat s’est même senti obligé d’écrire «Stephen King forever». Le maître de l’horreur, dans plusieurs sens du terme. B. S.

COVER _C’ÉTAIT LES ANNÉES 2000
Retour vers le passé
LE RETOUR DU ROCK ET DU FOLK En 2001, les Strokes explosent la face du monde. Les adolescents, assourdis par le néométal-en-baggy et serrés de près par Brandy & Monica, sentent souffler les bourrasques salvatrices de la liberté des corps. Quatre ans plus tard, c’est au tour du folk, ses auberges espagnoles, ses cheveux propres, ses bardes fleuris, leurs barbes flétries. Du fond des bois du Massachusetts, Thoreau doit bien se foutre de leur gueule.
O. T.
LES DJs FM Ils s’appellent David Guetta, Bob Sinclar, Martin Solveig. Leur point commun ? Ils cachetonnent une fortune pour retourner des clubs bondés d’Ibiza en y poussant leurs disques. Magnum opus de cette sous-culture qui pulse sans cœur, «Unighted». Une fois l’an, cette grand-messe sponsorisée par une boisson énergisante permet à des dizaines de milliers de clubbeurs de s’ébrouer dans la moiteur du Stade de France.
O. T.
LES MAOCCIDENTS En français, l’expression «néo-cons» semblait un peu caricaturale, même à leurs détracteurs. C’est ainsi que sont nés les «maoccidents», version française des néo-cons et récemment stigmatisés dans un livre de Jean Birnbaum. Particularisme local: ce sont d’anciens maos qui font du soutien à Israël l’alpha et l’omEga de leur nouvel engagement. Rassemblés autour du cercle de l’Oratoire et de la revue «le Meilleur des mondes», ils se sont ralliés à Sarkozy en 2007 mais moins massivement qu’on a bien voulu le dire (seul André Glucksmann a clairement franchi le pas).
J. B.
LES NÉO-CONS Pour faire simple: les néoconservateurs sont d’anciens trotskistes américains convaincus que le «destin manifeste de l’Amérique» est de dominer le monde et de lui apporter les droits de l’homme, la démocratie et le capitalisme (pas forcément dans cet ordre). L’élection du président le moins cultivé de l’histoire des Etats-Unis et le 11 septembre ont permis à ces idéalistes (comme Paul Wolfowitz) de démontrer tout le mal que l’application de leurs grandes idées pouvaient faire en Irak, en Afghanistan et, accesoirement, dans les dîners de famille.
J. B.
LES «FILS DE» Chiara Mastroianni, Lulu Gainsbourg, Louis Garrel, Lou Doillon, Vincent Delerm, Arthur Jugnot, Justine Lévy, Sarah Biasini, Jean Sarkozy, Julie Depardieu, Marie Drucker, Laura Smet, Marie Bové, Jennifer Ayache (Superbus), Nicolas Bedos, Raphaël Enthoven, Marie-Lou Berry, etc., etc., etc. L’aristocratie ne s’est jamais aussi bien portée.
A. D.

Les baby-rockers
BIG BIG BRUNES
Au cœur (de rocker) de la décennie branchstream, un groupe de l’underground parisien a su s’imposer à l’échelle nationale. Ou comment les BB Brunes sont passés des planches du Gibus au prime de la «Star Ac’».
Non, la Boum n’est pas un film new wave. A sa sortie, en 1980, il y a encore une frontière entre branchitude jeune et mainstream sénile : Taxi Girl a beau cartonner avec Cherchez le garçon, on voit mal Claude Brasseur aller chercher Daniel Darc à la sortie du lycée dans une comédie grand public.
Trente ans plus tard, place à LOL. Dans ce film à succès (plus de trois millions d’entrées), les personnages reflètent une époque où tous les ados se sont convertis à la « mode rock ». Sur l’écran, défile donc le public des BB Brunes, des jeunes gens en cuirboots-jean slim, intégralement lookés baby-rockers. Les héros ont bien sûr un groupe : le chanteur est incarné par Jérémy Kapone, un loustic qui, dans la vraie vie, avait assuré… la première partie des BB Brunes à la Cigale.
BAGGIES AU DÉPART
La cigale ayant chanté tout l’été, les baby-rockers se sont-ils trouvés fort dépourvus quand la bise du bilan fut venue ? Les Shades, les plus doués de la vague, n’ont, pour l’instant, récolté qu’un succès d’estime. Electriques sur scène, étriqués sur disques, Naast, Plastiscines, Brats, Second Sex ont déçu. Et tous ce petit monde a fini par se faire doubler par les BB Brunes : un premier album vendu à plus de 250 000 exemplaires, une Victoire de la musique (révélation scène), un vrai public de fans. La variété secouée par un rock tout droit jailli de l’underground.
On rencontre Félix, guitariste introverti, et Karim, batteur bavard et poilant, sans Adrien (chant, guitare) et Bérald (basse). Leurs années 2000 ? Une ascension à faire pâlir d’envie Jean Sarkozy. Au début, sous le nom Hangover, il y a pourtant de quoi se pendre : ils portent des baggies et jouent du punk plouc à la Sum 41 ou Blink-182. Fans des Strokes et des Libertines mais absents du Bar 3 (la minuscule cave où est née la scène baby-rock avec les Naast), l’illumination a lieu en 2005 au Gibus. Ils changent de nom et de pantalons, montent sur scène, signent sur un label, décollent et laissent tomber les études (BEP menuiserie pour Karim).
«ON N’EST PAS TROP SHOW-BIZ»
Dès leur deuxième single, Dis-moi, le succès leur dit oui : matraquage sur toutes les radios, ventes énormes, tournée des Zénith à travers la France. Résultat : ce groupe qui crie J’écoute les Cramps se retrouve invité sur tous les plateaux de télé, livré à un public jadis habitué à téter du Tété. En 2008, tout se mélange : Sébastien Tellier passe à l’Eurovision, les BB Brunes se retrouvent à la Star Ac’. Sans devenir eux-mêmes des people, les BB Brunes fréquentent désormais les guignols de la variété.
Ça fait quel effet ? « On n’est pas trop show-biz. Quand on est dans ce milieu-là, on reste fermés, entre nous. Ils sont bizarres, ces mecs qui viennent nous claquer la bise. On se barre au plus vite, on va pas taper la discute avec eux. » Le plus gros blaireau ? Obispo. « Il est partout, lui ! Il a essayé de nous entraîner dans son délire. Il voulait nous ramener dans son studio, qu’on enregistre avec lui. Il nous a fait son numéro, on lui a répondu : “Ecoute garçon, pas avec toi, quoi.” »
AU-DELÀ DU PÉRIPH’
On a pu moquer les BB Brunes, le songwriting pas forcément renversant, le son rétro. Mais en plus du charisme de leur chanteur Adrien, demeure une qualité qu’on ne peut pas leur retirer : le panache. Face aux pitreries postmodernes d’un Julien Doré, leur pêche et leur sincérité font du bien, comme si Téléphone avait les Small Faces au bout du fil. On leur demande pourquoi, pour leur nouvel album, Nico Teen Love, ils ne sont pas allés vers une prod’ plus audacieuse. Karim : « Le plus important, c’est l’énergie, la spontanéité. Il y a ce parti pris d’enregistrer en live, d’envoyer la purée tous les quatre en même temps. Comme on ne savait pas avec qui enregistrer, Warner nous a proposé un certain Volodia. Je suis allé voir sa fiche sur le Net. Il avait fait plein de trucs de variété comme Christophe Maé. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : “Où est-ce qu’on va, là ?!” Heureusement, il était pas dispo. »
Il y avait ce doute sur les babyrockers parisiens : franchiraient-ils un jour le périph’ ? Les BB Brunes ont évité les embouteillages et ont même fait des petits partout : Kid Bombardos à Bordeaux, Music Is Not Fun à Lyon, Mustang à Clermont-Ferrand. BB a déjà fait des petits.
«NICO TEEN LOVE» (WARNER).
LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD

COVER _C’ÉTAIT LES ANNÉES 2000
Retour vers le passé
LES BIOPICS Le meilleur spoof de la décennie ? «Walk Hard» avec John C. Reilly en Ray Cash ou Johnny Charles, rongé par les addictions, mais qui finit par trouver la rédemption sous les vivats. Ce film-là était mieux que drôle: il désignait par le meilleur genre US de la décennie (la comédie) celui qui avait été le pire et le plus puissant (le biopic), avec ses petites histoires pop transformées en destins édifiants aux happy ends végassiens.
L. H.
LES BOBOS Le terme a tellement été employé qu’on peine à croire que le livre de David Brooks («Bobos in Paradise») n’est sorti qu’en 2000. Depuis, les bobos ont été accusés de la muséification des centres-villes, de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, du politiquement correct, de l’éco-fascisme, et même de la faillite de la gauche. En fait, à chaque fois que vous lisez le mot «bobo» dans la presse, cela vous renseigne avant tout sur la haine de soi des journalistes, qui, comme les bobos, ne sont finalement que des bourgeois en baskets.
J. B.
LE CATCH Le catch n’avait été qu’un épiphénomène sur Canal+ dans les années 90 et son retour en 2006 via la TNT ne semblait pas devoir remuer les foules. Pourtant, Undertaker, John Cena et autres géants bodybuildés sont partout. Et pendant que les enfants échangent des cartes de catch (et occasionnellement, des roustes) dans la cour de récré, les parents bobos se passionnent pour l’esthétique si pittoresque de la lucha libre.
G. B.
LES MAGAZINES BRANCHÉS Avant, c’était simple: d’un côté la presse tradi, pointue niveau actu mais culturellement à la ramasse, de l’autre la presse branchée, plus riche en points de vue qu’en infos mais d’un goût artistique très sûr. Puis, entre branchstreamisation de la musique, peopolisation globale et invasion de la culture geek (cinéma, Internet), tout s’est brouillé. «Voici» est devenu plus branché que «les Inrocks», les féminins se sont Technikartisés et plus personne ne s’intéresse aux ayatollahs de la branchitude («Crash»). Seul «Vice», en s’offrant en sens propre à ses lecteurs, surnage. Car la hype ne vaut plus rien ?
V. C.
L’ANTISÉMITISME Est-on en train d’enterrer le cycle vertueux ouvert par l’affaire Dreyfus ? L’antisémitisme redevient-il un argument banalisé dans la vie sociale ? Le clash absurde des mémoires (Shoah vs colonialisme) permet ainsi au mégalo Dieudonné de plagier sans vergogne Edouard Drumont (au XIXe , l’auteur de «la France juive» se voulait déjà antisystème mais surtout antijuif). Quant au reste, chacun défend sa part de marché dans la concurrence des racismes (Alain Finkielkraut et l’ultragauche en tête), et tous se retrouvent perdants.
M.
HEDI SLIMANE Depuis que les rockers sont devenus mannequins, il leur manquait un photographe à la hauteur. Hedi Slimane s’y est collé. Oh, les beaux manches de guitares, les jolies cernes sous le brushing, la clope sur la fille trop maigre qui fait la gueule. C’est beau, c’est chic et c’est barbant.
V. F.

Le guest_Tristan Ranx
PASSÉ COMPLIQUÉ

Connecté H24 sur Facebook, l’écrivain Tristan Ranx a aussi la tête dans le passé. Il nous dévoile ici comment vivre avant 2009, avec ou sans connexion haut débit.
«Pour être moderne, il faut avoir tout le passé présent à l’esprit.» Cette phrase de Joséphin Peladan (1859-1918) traduit toute l’ambigüité du discours sur la modernité. Certains ont voulu crucifier le passé, faire « table rase » tel le célèbre passage de l’Inte rnationale.
Par provocation, dès 1909, les futuristes reprendront la menace des ouvriers syndicalistes du XIXe siècle et brandiront la pioche futuriste pour épouvanter le bourgeois. Ils seront les apôtres de la destruction, capables, dans une même phrase mutante, de citer la victoire de Samothrace et l’automobile rugissante. Mais cet antagonisme passé/futur fut aussi un fil d’Ariane symbolique et les premiers futuristes seront aussi le bras armé de la fureur des Anciens.
DESCARTES SUR TWITTER
A l’âge d’Internet et des réseaux, les barrières de l’espace-temps volent en éclats. Depuis les rives de Blade Runner, un écrivain comme William Gibson se rapproche dangereusement de la zone de mort de la société contemporaine. On pense à ces barbares du film Zardoz qui font irruption dans une société moribonde. C’est aussi cette « autre vie » que décrit Mathieu Terence, le monde parallèle des « creeplers », de la difformité rock qui perturbe l’avenir programmé par les multinationales.
Mais la modernité des réseaux peut aussi revenir à l’origine, violer les siècles et l’Histoire, tel Neal Stephenson, le plus brillant disciple et ange rebelle du cyberpunk, qui reprend, dans la Trilogie Baroque, la naissance de la modernité depuis le XVIIe siècle. Retour vers le passé !
« Qu’est-ce que la modernité ? », se demanderait un Ponce Pilate sous hallucinogènes. Etre moderne, c’est surfer sur le mascaret du temps. Etre moderne, c’est défoncer les zones grises de l’histoire à la voiture bélier. Un monde où les superhéros s’appellent Newton, Leibnitz, Descartes, Tolstoï, D’Annunzio, Gandhi, Václav Havel. Retour vers le passé
DESCARTES SUR TWITTER
Ces héros ressemblent à des dieux vengeurs qui infiltrent le réseau. Ils s’inscrivent sur Facebook. Ils apportent avec eux des points de passage vers de nouvelles cités obscures. Vous les trouverez au détour d’un profil. Descartes s’incarne dans Twitter. Newton et son blog se moque de la pesanteur des Etats. «Vous pourrez rejoindre illégalement la ville de Fiume et vivre parmi les âmes perdues de 1919.»
Mais gare aux dangers qui se présentent aux voyageurs imprudents qui pénétrent dans ces pays de l’aventure. Il m’est ainsi arrivé, au détour d’une course de taureaux, l’« encierro » de Pampelune, de m’être trop avancé vers ce qui se rapproche le plus de la guerre, de sentir le souffle mortel des orages d’acier. De plonger dans le monde du Minotaure, un espacetemps qui me mêlait aux combattants de la bataille de l’Argonne de 1914.
LE DATURA DES ZONES GRISES
J’ai assisté, horrifié, à ces visions de chairs déchirées et ces bains de sang des matins blêmes. Ce qu’il faut de sang pour écrire un chapitre. C’est peut-être aussi ce voyage tragique sur les traces des pirates de l’Adriatique, et la mort d’un ami dans l’Ile noire. Ces pays de l’aventure, vous les trouverez sur Google Earth, ce sont les nouvelles « terra incognita » des portulans électroniques, ces nouvelles frontières qui s’échappent en ligne de fuite vers les autres vies.
Vous pourrez, comme je l’ai fait, rejoindre illégalement la ville de Fiume et vivre parmi les artistes, pirates et âmes perdues de 1919. Vos destinations seront des expériences limites qui s’apparenteront aux voyages psychédéliques de Huxley ou Jünger. C’est le datura des zones grises, drogue virtuelle, « snake » du film Strange Days (1995) de Kathryn Bigelow. Hallucination à la fois virtuelle et réelle jusqu’au moment où la société bloquée semble se fissurer, faisant apparaître des abîmes, des espaces parallèles et ces sentiers qui bifurquent, ces attracteurs étranges qui viennent vous tirer par la manche pour de nouvelles aventures.
TRISTAN RANX

QUI ES-TU, TRISTAN RANX ?
Dandy noctambule, Tristan Ranx est le lauréat de l’opération manuscrits 2008 de «Technikart». «La Cinquième Saison du monde», son premier roman autour de D’Annunzio et du mouvement futuriste, est paru en en cette rentrée chez Max Milo. Par ailleurs, il vient d’être propulsé nouveau chroniqueur de la night pour «Libération».

DOSSIER RÉALISÉ PAR MOULOUD ACHOUR, LAURA ALBERT, CHARLES BARACHON, GUILLAUME BARDON, PASCAL BORIES, JACQUES BRAUNSTEIN, JEAN-CLAUDE BRIANCHON, VINCENT COCQUEBERT, VALENTINE FAURE, GAËL GOLHEN, LÉO HADDAD, LÂM HUA, RÉGIS JAUFFRET, BAPTISTE LIGER, OLIVIER MALNUIT, PHILIPPE NASSIF, SYLVAIN MONIER, ORELSAN, MARJORIE PHILIBERT, TRISTAN RANX, LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD, LAURENCE RÉMILA, BENJAMIN ROZOVAS, BENOÎT SABATIER, CHRISTIAN SALMON, NICOLAS SANTOLARIA, OLIVIER TESQUET, PATRICK THÉVENIN ET RAPHAËL TURCAT