Cannes J3 et J4: Les fauteuils qui ne claquent pas

the lobster
Vu le programme proposé, autant compiler deux journées dans un même billet, ça nous fera gagner un temps précieux à tous. Depuis le coup de tonnerre Fury Road, ça ronronne sec par ici. Si l’on s’en veut d’avoir loupé le film islandais montré au Certain Regard (Béliers de Grimur Ha, qui serait « super » selon un certain Léo H.), on regrette beaucoup moins de s’être fait porter pâle pour le nouveau Gus Van Sant (un « triste navet » selon le même Léo H.). Par peur de se faire happer par la mollesse généralisée, qui semble pour l’instant caractériser cette édition, on jette donc principalement notre dévolu sur des films dont les propositions de cinéma sentent un peu la radicalité et les fauteuils qui claquent.
Traversée d’un camp de la mort en plans-séquences et (quasi) temps-réel, le Fils de Saul de Laszlo Nemes est un objet étrangement anesthésiant, qui se fait vite dévorer tout cru par son dispositif. Profondeur de champ minimale, caméra embarquée derrière les épaule du héros et échelle de plan ultra serrée: le film s’impose une formule esthétique qui impressionne d’abord, jusqu’à ce que le systématisme du procédé vienne torpiller l’idée de cinéma « physique » au coeur du projet – chaque scène finit par ressembler à la précédente, utilisant jusqu’à épuisement total les mêmes idées de représentation. Si l’objet reste un peu fascinant à regarder, et que le tour de force technique semble colossal, Le Fils De Saul laisse au final le gout d’un machin très scolaire, appliquant à la lettre les préceptes lanzmanniens, comme si c’était le meilleur moyen de se couvrir. Aucun fauteuil qui claque donc, pas un sifflet à se mettre sous la dent. Avec un tel sujet et une telle proposition de cinéma, c’est un souci quelque part.
Le fauteuil qui aurait du claquer devant The Lobster c’était d’abord le nôtre – on avait même prévu le coup en s’installant poliment en bout de rangée pour éviter tout dérangement à nos voisins. Beaucoup plus aimable et mieux branlé que les effroyables Canine et Alps, le nouveau Yorgos Lanthimos est une surréalisterie sympathique, plutôt bien tenue, dont la misanthropie d’abord affichée, laisse finalement place à une petite sensibilité toute douce. Le paradoxe c’est que la première partie, qui carbure au dézinguage de personnages, tient beaucoup mieux la route que la seconde, où tout se met soudainement à flotter à mesure que Collin Farrell vient papouiller Rachel Weisz dans les bois. Plus à l’aise pour mettre en place une dystopie amusante que pour enregistrer la naissance d’un sentiment, Lanthimos parvient enfin à tenir en laisse son concept et à se trouver, en bout de course, un sujet. Aussi anecdotique soit-il, son Lobster se laisse plutôt bien regarder. Même pas de quoi s’indigner, même pas de quoi s’exciter, même pas de quoi s’énerver, même pas de quoi de se moquer. Vivement demain et le Maiwenn, tiens.
François Grelet