Interview Matteo Garrone

conte des contes

 

“Interprétez mon film comme vous voulez, je m’en fous complètement”

Dans Le Conte des contes, Matteo Garrone multiplie les prouesses esthétiques, effectue un travail d’illustrateur étourdissant et entremêle trois récits sans cohérence apparente. On a passé la séance d’ avant-hier matin à se demander où il voulait en venir: si les perches métaphoriques et allégoriques qu’il nous tendait avait du sens. Du coup on est allé lui demander.
Matteo Garrone, j’ai passé le film entre deux états. D’un côté, une fascination pour la beauté visuelle et la production design; de l’autre une espèce d’étrange hébétude parce que je cherchais constamment à comprendre les symboles du film…
Mon film est comme un tableau. Quand tu regardes une peinture, tu ne te poses pas de question. Tu n’essaies pas de comprendre. Tu laisses ton inconscient te guider et faire le boulot. Je voulais que le spectateur vive le film comme une expérience émotionnelle, un ride sensoriel. Mon approche n’était pas du tout intellectuelle, mais libre, instinctive, uniquement basée sur les émotions.

Comment avez-vous conçu l’univers esthétique ?
On vient tous de la peinture. Moi, mes assistants, mon régisseur… tous ont été peintres. On avait des références très précises. Des peintures du XVIIeme, surtout Le Cravage ou Salvator Rosa; mais ma véritable obsession c’était Goya. Les Caprices. Là-dedans, il mélange le accable, le grotesque, le fantastique et le dramatique. Tout est là. Comme dans les contes de Basile.

Du coup, ici vous étiez moins moraliste qu’illustrateur
Je ne sais pas trop… Ce qui m’intéressait c’était l’émotion. Prend le conte des deux vieilles filles. Pour moi, c’est de la commedia dell arte. Il y a un jeu sur les ambiguïtés, sur les équivoques, mais je cherchais surtout l’émotion de leurs personnages. Evidemment, il y a des symboles qui peuvent même renvoyer au présent. Le désir de jeunesse, le pouvoir, la corruption… Mais ce qui comptait le plus pour moi c’était l’humanité et le tempo. Après vous interprétez ça comme vous voulez. Tout me va. Même si je m’en fous un peu….

On parle de peinture, mais il y a énormément de références cinéma. Del Toro, Powell et Pressburger, Cronenberg….
Cronenberg est une obsession. J’ai même embauché son chef opérateur. J’adore son travail sur le corps, et ses mutations, c’est une thématique qui m’obsède depuis des années. Au-delà de Cronenberg, j’aime le cinéma de genre parce qu’il mélange, il opère la synthèse entre différentes formes d’art et entre le pur et l’impur. J’ai beaucoup pensé à Bava par exemple. Au Pinocchio de Comencini. A Brancaleone. Mais tu sais ce qui m’a vraiment influencé ? Tous les cinéastes qui cherchent à revenir au cinéma en tant que spectacle pur. Ceux qui veulent revenir à Méliès, aux origines, au cirque. C’est le sens de la scène dans laquelle John C. Reilly tue le dragon que j’ai conçu en hommage au cinéma muet. Je voulais créer une surprise émotionnelle chez le spectateur.
Le casting international donne une étrangeté particulière au film. Vous vous emparez d’un substrat très italien mais en l’emmenant ailleurs…
D’abord il y avait la question financière. Le film s’est financé plus facilement avec des stars internationales. Mais l’anglais me plaisait parce qu’il donnait un côté shakespearien au film, une tonalité élisabéthaine qu’on trouve dans les contes originels. Et puis, Basil a écrit ses contes dans un dialecte napolitain du XVIème siècle; un dialecte que plus personne ne lit. Aujourd’hui on ne le lit plus qu’en italien. A partir du moment où on passe par une traduction, que ce soit de l’italien ou de l’anglais, ça ne change rien. C’est une revisitation, point barre.

Propos recueillis par Gaël Golhen