Cannes J8: jusqu’ici tout va mieux

Capture d’écran 2015-05-21 à 23.18.24

Il aura donc fallu sortir les grosses pétoires pour réveiller cette compèt’ là, et il aura suffi d’une grosse rythmique aux fréquences basses pour nous passer toute envie de micro-sieste. C’est les premiers cartons du générique, Sicario n’a pas encore commencé que résonne déjà ce « toum, toum, toum » d’outre-tombe; un leitmotiv musical qui tape droit dans le bide et vous invite à vous redresser illico sur votre fauteuil. Ca y est vous êtes bien concentrés maintenant? Le film vous recrachera 120 minutes plus tard directement à la sortie de la salle, les yeux dans le vague et la gorge sèche, avec cette drôle de sensation d’avoir visité l’antichambre de l’enfer tout en voulant y retourner le plus vite possible. Si Sicario se reçoit comme ça, comme un pur bloc de cinéma excitant et entêtant, c’est parce qu’il sait lier organiquement chacune de ses parties, trouve à l’intérieur de son intrigue western toute sa profondeur morale et la puissance de son style. Et reconnecte forcément avec une grande idée du cinéma US.

Elle a toujours un train dans le retard, traversera le film comme elle l’avait commencé: à travers un gros nuage de poussière. Denis Villeneuve choisit de se cramponner à son regard, celui de la petite agent du FBI parachutée chez des troupes d’élite aux tronches burinées, dont la mission est de faire tomber le big boss d’un cartel mexicain prenant un peu trop ses aises sur le territoire US. Comme elle on ne comprend d’abord rien aux méthodes de ces gars là qui arrose d’abord et interroge après, avec elle on traversera la frontière et on débarquera dans ces zones de non-droit où des immeubles se font plastiquer chaque jour à l’heure du gouter et où les pendus se balancent lancinement du haut des ponts. A mesure qu’elle finira par perdre pied, à ne plus savoir où se situent justement ses frontières à elle, le thriller serré virera à la dérive mentale, aux visions abstraites portées par l’art clair-obscur de Roger Deakins et rythmées par le hurlement des balles qui fusent. De ce principe de focalisation quasi unique, Villeneuve tirera un immense morceau de bravoure de cinéma (un gunfight à l’intérieur d’un tunnel étroit, observé en queue de peloton par l’héroïne), et toute la substance, la haute tenue formelle et la nervosité de son film. C’est ce qui lui permettra aussi de ne pas avoir à doser, à choisir entre portée du discours politique et montées d’adrénaline: ici l’action et la manière de la représenter sont le moteur du propos, et l’inverse marche aussi. Tout s’imbrique dans le même geste de cinéma, rien ne flotte. Difficile de se rappeler depuis quand on n’avait pas vu ça. Ce qui est sur c’est que tout d’un coup on était heureux d’être là, tout reprenait subitement un sens, redonnait envie de voir des films. Dommage que ça n’ait pas duré très longtemps et que l’atterissage ait fait si mal: demain on vous racontera la grosse plantade de deux idoles maison.