CHEZ LES COPINES DE ZAHIA D. – LE VIII CIEL

Paru dans le numéro 143 de Technikart – 27/05/2014

C’est l’arrondissement des Champs-Elysées, des footballeurs en goguette et de la prostitution de luxe. Du Club 79 au Sens, notre reporter a visité les boîtes du VIIIe arrondissement, là où quelques créatures gagnent leur pain en faisant parler leurs charmes.

Les petites femmes de Pigalle ne sont plus. Si Serge Lama devait se remettre à pousser la chansonnette, à l’aube du XXIe siècle, ce seraient les petites femmes du VIIIe qu’il faudrait célébrer. Et pour les fréquenter, se rendre sur les Champs. Ou bien « dans les champs », comme le dit l’une de mes amies, une charmante Malienne répondant au doux prénom de Bijou et pas très à cheval sur la syntaxe. Il faut dire qu’elle a d’autres dadas.

L’autre jour, mon téléphone sonne : « Viens, on va dans les champs », me dit-elle. L’effet de surprise assimilé, je passe la prendre au volant de ma nouvelle Jaguar dans sa piaule du XVIIe, et nous voilà en terrasse du Deauville, à l’ombre de jeunes filles en fleur. Sur son lieu de travail, en fait. Car ici, Bijou connaît tout le monde, serveurs et habitués. Et, tandis que je déguste un mélange de Darjeeling et d’Earl Grey en tirant sur un Ramón Allones de courte taille, elle passe son temps à se repoudrer en glissant, ça et là, de séduisantes œillades à de potentiels prospects.
J’ai rencontré Bijou le mois dernier, sur les grands boulevards. Juchée sur de vertigineux talons compensés et maquillée comme un carré d’as, elle faisait mine d’envoyer des textos, raide comme un piquet face au métro Richelieu-Drouot. Une attitude non équivoque pour qui a l’habitude de reconnaître, à 100 mètres, n’importe quelle prostituée sous toutes les latitudes. Après les approches de circonstance – un pas en avant, deux en arrière –, elle me propose d’aller dîner à l’hôtel Costes. Pourquoi pas, ça fait des lustres que je n’ai pas mis les pieds dans ce temple de la jet-set parisienne sise 239 rue Saint-Honoré, à deux pas de la place de la Concorde.

«CE SONT DES TOURNEDOS»
Première surprise : d’autres péripatéticiennes font le pied de grue sur les tabourets du bar en mâchant du chewing-gum. Bijou salue la plupart, ce qui ne fait que confirmer la chose. Il y a de tout : Bulgare aux seins siliconés, bimbo de banlieue en platform boots, Marocaine aux faux cils de trois kilomètres de long. « Ce sont des tournedos, m’annonce Bijou, qui a décidément de drôles de façons de parler. Ben oui, elles font mine de ne pas tapiner en te tournant le dos, comme ça, le client est forcé de briser la glace. » J’ai du mal à comprendre. Certains clients ne saisissent pas tout de suite qu’ils ont affaire à des professionnelles ? « C’est le jeu, répond Bijou, tu les aguiches en faisant croire que tu peux devenir leur petite amie et puis tu leur parles du petit cadeau », affirme-telle en détruisant les pinces d’un crabe.
Une fois la chair rose extraite du crustacé, elle la plonge dans la mayo avant de continuer. « Comme ils sont déjà montés dans les tours, c’est rare qu’ils se vexent au point de te jeter. Ils payent pour voir, en quelque sorte. » J’admire la technique et paye l’addition, dans l’espoir informel que la rédaction de Technikart remboursera mes frais, un jour. En sortant, je croise deux magnifiques Ethiopiennes qui préfèrent sans doute tapiner en cousines que pointer à l’usine. J’ai l’impression de me retrouver au Casino du Cap-Vert, à Dakar, l’un des hauts lieux de la prostitution de luxe en Afrique occidentale. Je m’en ouvre au voiturier qui confirme : « A cette période de l’année, c’est la folie. »

DIRECTION LE CLUB 79
Retour sur les champs. Il se fait tard, Bijou propose une virée au Club 79, une boîte pour friqués adeptes de strass paillettes. Ce soir, justement, c’est Rich Party. Riche, tu parles : c’est gratuit pour les filles avant 1h00. Autour de minuit, il y a donc foule de donzelles qui font la queue. Bijou a l’habitude et coupe la file en direction du videur. « File-lui 5 € », me glisse-t-elle. Le gars me toise comme si j’étais un micheton. On passe la porte. Aux platines, deux DJ de Radio FG. La boîte rassemble tous les poncifs du club ringard et sans âme. Dans un coin, un vieux dégarni est avachi dans un sofa, une fille à chaque bras. Pendant ce temps, Bijou s’est jetée sur un ancien client plutôt beau gosse. Elle me chuchote à l’oreille : « Il est gentil, il donne 250 € . » Je lui demande si ça signifie qu’il est temps pour moi de regagner mes pénates. Elle me fait un clin d’œil. Je sors de la boîte. Le videur ricane. Enorme coup de cafard.
Pour me remettre, je file au Keur Samba. Problème : il n’y a personne au Keur avant 4h00 du matin. Avantage : c’est farci de belles plantes qui n’ont pas froid aux yeux, ni au reste. A peine débarqué au bar qu’une Sénégalaise callipyge vient m’entreprendre en me posant la main sur la cuisse. Le genre de fille qui veut aller trop vite.
Je décline et jette mon dévolu sur une autre fille, Mame Diarra, à qui je paye un Coca. Elle n’a pas encore pris de pseudo, c’est déjà ça. Grande, cheveux courts, talons aiguilles rouge vif, minijupe en jean et un cul à rendre jalouse toute l’équipe brésilienne de beach volley, je devine son statut de débutante à son sourire et son phrasé hésitant. Après deux verres, elle me propose un massage. « Le genre de massage à 300 € ? », lui réponds-je. Elle pique du nez sur la pointe de ses escarpins. Je poursuis : « Ecoute, je veux juste parler avec toi. Voici ma carte, appelle-moi à l’occasion. » Elle me demande si je suis flic. Elle prend ma carte. Je me casse.

PARTOUZE AVEC UNE RUSSE
Le lendemain, je tombe sur une actu du site 10sport.com reprise par Voici : « Affaire Zahia, le journaliste – biiiip – bientôt entendu ? » Un peu plus tard, le journaliste en question, spécialisé dans le football, qualifie la nouvelle de « bruit de chiotte ». Le VIIIe arrondissement est devenu le panier de crabes du chaud business et du sport spectacle. Et le nouvel eldorado des escort girls ? V., une ancienne journaliste sportive qui habite le quartier, confirme : « On trouve de tout, ici. C’est très fréquenté par les hommes d’affaires et les vedettes. Tout le monde sait que les footballeurs du monde entier traînent dans le coin quand ils sont en goguette. J’en connais même qui ont des apparts sur l’avenue. Hier, j’ai déjeuné avec un agent de joueurs. Il m’a raconté qu’il avait partouzé une Russe la veille avec un ancien international français. Les Russes, elles, fréquentent principalement une boîte qui s’appelle l’Aventure. Les Marocaines, le VIP. Les Sénégalaises, le Keur Samba. On trouve aussi des filles au Palais M, porte Maillot, au Sens, rue Marbœuf. Bref, un peu partout… Il paraît même qu’il y a des filles qui tapinent l’après-midi chez un célèbre pâtissier ! »
Et les flics, ils sont au courant ? Coup de fil à la préfecture pour rencontrer Christian Kalck, le nouveau boss de la brigade de répression du proxénétisme. Niet du service de presse. Coup de fil à un copain flic : « Personne ne te causera en ce moment. Depuis l’affaire Zahia, ils sont sous pression. Avec tout ce qui a fuité dans la presse, c’est motus et bouche cousue. » Il faut dire que ce n’est pas tous les jours qu’on retrouve les PV d’une audition stricto sensu dans la presse.

500 € POUR UNE HEURE»
Fatima est une ancienne copine de la fameuse Zahia. De retour d’un voyage éclair à Hambourg, elle accepte de me parler au téléphone : « Zahia était l’une des meilleures travailleuses du VIIIe mais elle ne tapinait pas : elle avait son réseau et sa clientèle bien établie. C’est parce qu’elle a débuté très jeune. Dans ce métier, plus on est jeune, plus les tarifs sont élevés. C’est normal, on donne la meilleure partie de nous-mêmes. Et la jeunesse, ça ne dure pas. C’est 500 € pour une heure et 2 000 € pour la nuit. Et pas question de négocier. D’ailleurs, nos clients ont les moyens. » Un temps, puis elle reprend : « Depuis que l’affaire a éclaté dans les médias, on est moins tranquilles. Les clients se méfient et les filles ont la trouille de tomber sur des flics. Ça ne m’étonne pas que Zahia se soit répandue dans les médias. Comme on dit : “Pute un jour, pute toujours.” »
Je viens à peine de raccrocher que mon téléphone vibre. Mame Diarra me propose un rendez-vous. Cette fois, elle porte un tailleur de marque. Pas du tout le profil d’une travailleuse sexuelle au sein d’un réseau. « Mon père est un personnage important à Dakar, m’avoue-telle. C’est grâce à lui que j’ai réussi à avoir un visa. Seulement, il veut que je rentre et moi, non : il n’y a rien à faire, là-bas. Ma seule solution, c’est donc de trouver quelqu’un qui veuille me marier. C’est pour ça que je traîne dans le VIII e . Il y a plein de jeunes garçons qui sont prêts à tomber amoureux d’une belle fille comme moi. »

«ELLE M’A JETÉ ILLICO»
Ah, et comment on fait pour les rendre amoureux ? Mame dévoile tranquillement sa technique : « Je ne demande jamais d’argent le premier soir. Du coup, ils finissent par m’en donner naturellement. Si tu demandes de l’argent tout de suite, ils te prennent pour une pute, tandis que si tu attends une ou deux semaines, là tu peux dire que tu as besoin de 1 000 € pour payer ton loyer. » Le bon vieux michetonnage.
Justement, on m’a parlé d’un type qui est tombé dans le panneau. Il s’appelle Philippe et travaille dans l’une des plus grosses boîtes de prod’ de Paris. Il a rencontré sa copine un samedi soir au Montecristo, sur les Champs et me raconte son histoire : « Quand je l’ai accostée, elle m’a jeté illico en me disant qu’elle attendait quelqu’un. Il a fallu que j’insiste, que je raconte que j’étais producteur, qu’on cherchait des filles dans son genre, etc. Au bout d’un mois, on sortait ensemble. Seulement, elle m’intriguait : elle avait deux portables dont l’un était toujours éteint. Un soir, elle a laissé le second allumé. J’ai enregistré le numéro et puis j’ai tapé son 06 sur un site d’escort girl. Elle y tapinait sous le nom de Fiona. » Pauvre Philippe, pauvre – biiiip –, pauvre Frank Ribery. Pauvre de moi. Le plus vieux métier du monde a encore de beaux jours devant lui. Et dans le VIIIe , on ne connaît pas la crise.
VINCENT BERNIÈRE

«ON N’EST PAS DES VRAIES PUTES»
Bianca a 22 ans. Elle est Russe. Avec son visa de tourisme, elle se balade en France tous les six mois. C’est une «débutante», qui peut se faire jusqu’à 10 000 € par mois, cinquante fois le SMIC dans son pays.
BIANCA, COMMENT AVEZ-VOUS COMMENCÉ ?
Grâce à une amie qui m’a introduite dans le milieu. Au début, je faisais la «pute cachée»: j’étais en formation, c’est-à-dire que je ne me présentais jamais comme une prostituée. C’est ma copine qui m’a tout appris: comment se faire aborder, comment accepter un verre avant de proposer un massage et, surtout, ne jamais baisser les prix. C’est 300 € ou rien…
IL Y A DES HOMMES QUI S’OCCUPENT DE VOUS ?
Non, on se débrouille entre nous. Les studios passent de fille en fille. Mais faut faire gaffe, car celle qui loue la chambre peut se faire accuser de proxénétisme. Nous, on n’est pas des vraies putes, comme celles de l’avenue Foch, qui ont un studio perso.
VOUS N’AVEZ PAS DE PETIT COPAIN ?
Surtout pas, sinon ils te piquent ton fric ou ils essayent de se caser dans ton business. Mais j’ai un fiancé à Moscou qui ne sait pas ce que je fais ici. Ma famille, elle, croit que je suis des études.
VOUS COMPTEZ FAIRE ÇA LONGTEMPS ?
Encore deux ou trois ans.
VOUS SORTEZ EN BOÎTE TOUS LES SOIRS ?
Non. J’ai mis une annonce sur un site d’escort girls. Il suffit d’activer l’annonce une fois par semaine et, hop, le téléphone sonne. Et il n’y a aucun risque: le site est basé aux Etats-Unis. Le problème, c’est qu’on ne sait jamais sur qui on peut tomber. C’est pour ça que je ne me déplace jamais à moins de 300 €, au moins, ça élimine les tarés. J’accompagne aussi des hommes d’affaires dans des clubs échangistes, aux Chandelles ou à l’Overside. Mais là, c’est 2 000 € la nuit. Et non négociable.
ENTRETIEN V. B.